Après avoir pris le pouvoir en août 2020, la junte militaire malienne a reporté à plusieurs reprises les élections initialement prévues pour le début de l’année 2022. Au lieu de se préparer à passer le relais à un gouvernement civil élu comme prévu, elle a modifié la constitution pour octroyer de nouveaux pouvoirs au président et a modifié ses alliances pour esquiver la responsabilité internationale. Plus récemment, elle a consolidé son pouvoir en suspendant les activités des partis politiques et des organisations de la société civile. La société civile continue de faire pression en faveur de la démocratie, mais sa réussite dépend largement de l’aide internationale.

C’est toujours la même histoire : les militaires interviennent dans le but déclaré de répondre à une situation d’urgence, mais une fois qu’ils ont pris le pouvoir, ils commencent à allonger les délais de transition, prolongeant leur séjour jusqu’à nouvel ordre.

Au Mali, le coup d’État qui a chassé le président Ibrahim Boubacar Keïta a eu lieu en août 2020. Cela est arrivé après deux mois de manifestations continuelles contre des élections législatives entachées d’irrégularités, des allégations de corruption, l’insécurité et la gestion de la pandémie par le gouvernement.

Comme dans d’autres pays d’Afrique centrale et occidentale qui ont connu des coups d’État militaires depuis lors, de nombreuses personnes, y compris des membres de l’opposition politique et la société civile, ont accueilli favorablement le coup d’État, espérant que les militaires procéderaient à quelques ajustements rapides et remettraient ensuite le pouvoir à des civils élus.

C’est ce que les putschistes maliens avaient initialement promis, avec un plan de transition de 18 mois aboutissant à des élections en février 2022. En septembre 2020, ils ont mis en place un gouvernement de transition composé de civils et de militaires. Le président et le premier ministre nommés étaient des civils, vraisemblablement en raison de la pression internationale.

Cela n’a pas duré. En mai 2021, lorsque le président Bah N’daw a tenté de modifier son cabinet, notamment en remplaçant deux putschistes, il a été arrêté et démis de ses fonctions, de même que le premier ministre et le ministre de la Défense. Le chef du coup d’État, Assimi Goïta, a pris le commandement et a pourvu la plupart des postes clés avec du personnel militaire. La seule exception majeure est Choguel Kokalla Maïga, un leader civil de l’opposition, qui est devenu « premier ministre de la transition ».

Mais la transition n’a jamais eu lieu. Quatre années se sont écoulées et rien n’indique que des élections seront organisées prochainement. Tout au contraire, le régime militaire a consolidé son pouvoir en suspendant les activités des partis politiques et des organisations de la société civile (OSC). La société civile continue de faire pression en faveur de la démocratie, mais pour y parvenir, elle a besoin de tout le soutien possible.

La ceinture de coups d’État de l’Afrique

Les coups d’État de 2020 et 2021 au Mali n’étaient qu’un début. D’autres ont rapidement suivi en Afrique centrale, en Afrique de l’Ouest et au Sahel : au Tchad, en Guinée et au Soudan en 2021, suivis d’un double coup d’État au Burkina Faso en janvier et en septembre 2022, ainsi qu’au Gabon et au Niger en 2023. Plusieurs autres tentatives de coup d’État ont échoué. Depuis la mi-2023, une « ceinture de coups d’État » s’étend d’un océan à l’autre en Afrique.

La société civile prise entre deux feux

Plusieurs anciennes colonies françaises ont récemment pris leurs distances avec la France, et le Mali ne fait pas exception. Le sentiment de soulagement que le coup d’État a apporté est dû en grande partie à la conviction que les militaires seraient plus en mesure de lutter contre l’insécurité. Mais les mobilisations en faveur du coup d’État ont également exprimé une colère latente à l’égard de la présence militaire française au Mali, un vestige de l’époque coloniale qui a laissé un héritage durable de pauvreté, d’instabilité et de dépendance économique. Cet héritage est d’autant plus exaspérant qu’il n’a pas permis de juguler la violence des insurgés djihadistes, qui a continué à se propager.

En 2021, la France a annoncé qu’elle retirerait progressivement ses troupes du Mali, probablement pour être remplacée par une force internationale. Mais les choses sont allées très vite et les relations se sont détériorées. En janvier 2022, le Mali a expulsé l’ambassadeur de France et, en mars, la France a annoncé son retrait parce que le gouvernement faisait obstruction à ses opérations.

Le gouvernement malien a raffermi sa posture, insistant sur le fait que le retrait devait avoir lieu le plus rapidement possible. Dans le même temps, il a annoncé la suspension des médias français France24 et Radio France Internationale pour avoir publié ce qu’il a qualifié d’allégations fausses et infondées de violations des droits humains commises par les forces armées maliennes, violations également condamnées par des organisations internationales de défense des droits humains et par le Haut-Commissaire des Nations unies aux droits de l’homme. Les autorités ont interdit aux organes de presse locaux de diffuser des contenus produits par les médias français suspendus. Leur suspension est devenue « définitive » à la fin du mois d’avril.

Les dirigeants de la junte ont publiquement qualifié plusieurs journalistes de « menteurs » et de « manipulateurs » et les autorités ont rendu plus difficile l’accréditation des correspondants des médias étrangers. Au moins un journaliste français travaillant pour Jeune Afrique a été arrêté et expulsé vers la France dans la journée qui a suivi son arrivée à Bamako, la capitale du Mali.

En août 2022, il ne restait plus aucun soldat français au Mali. Cette situation a ouvert la voie au groupe Wagner, une organisation privée qui serait bientôt reprise par Vladimir Poutine. Les forces françaises ont été remplacées par des mercenaires russes, qui font l’objet d’allégations crédibles de violations graves des droits humains partout où ils opèrent.

Fin 2022, la France a annoncé la suspension de son aide au gouvernement malien, qu’elle avait déjà considérablement réduite. Toutefois, le soutien de la France aux OSC devrait se poursuivre.

Mais en représailles, la junte a interdit les activités des OSC maliennes qui reçoivent un soutien de la France. Il est donc devenu beaucoup plus difficile pour la société civile d’effectuer son travail, qu’il s’agisse d’aider les personnes touchées par l’insurrection, qui a jusqu’à présent déplacé quelque 1,26 million de personnes, ou de demander des comptes à l’État.

L’espace civique attaqué

Peu après, la junte a annoncé de nouvelles mesures de contrôle des OSC qui n’avaient rien à voir avec son différend avec la France ; elles étaient simplement destinées à étouffer la dissidence et à consolider le pouvoir militaire. Les OSC doivent désormais faire approuver leurs finances par le ministère de l’Administration territoriale, mensuellement dans le cas des organisations étrangères et annuellement pour celles du Mali. La junte a introduit de nouvelles exigences en matière de rapports et a annoncé la création d’une commission pour la « coordination, l’évaluation, le suivi et le contrôle des associations et des ONG ».

Un décret ministériel du 15 décembre 2022 a interdit l’organisation humanitaire suisse Appel de Genève, l’accusant d’être impliquée dans des « activités illégales », sans fournir davantage de détails. Cela pourrait en fait être dû au fait que le groupe avait invité d’anciens rebelles de la Coordination des mouvements de l’Azawad, une coalition de groupes indépendantistes touaregs et de nationalistes arabes, à Genève pour signer un « acte d’engagement » en faveur du droit humanitaire et de la protection des travailleurs de la santé.

La junte s’est également attaquée aux médias. En novembre 2022, l’autorité nationale de régulation des médias a imposé une suspension de deux mois à Joliba TV News pour des violations présumées de l’éthique journalistique. Cette décision est intervenue quelques semaines après que la chaîne de télévision ait été officiellement accusée de tenir des « propos diffamatoires » car un de ses journalistes avait critiqué le discours de M Maïga à l’ONU et averti que la liberté d’expression se trouvait menacée au Mali.

Les militants de la société civile sont confrontés à un risque aigu de répression. Aminata Cheick Dicko, suite à sa prise de parole devant le Conseil de sécurité des Nations unies en janvier 2023, a été menacée et contrainte de se cacher. Lors de la réunion, qui portait sur l’avenir de la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), elle a condamné les abus du groupe Wagner. Des trolls sur les réseaux sociaux l’ont accusée de travailler pour l’ennemi, de collaborer avec les djihadistes et d’être un pion de l’Occident visant à détruire le Mali. Le Collectif pour la défense des militaires (CDM), un groupe proche de la junte, a déclaré avoir déposé une plainte contre elle pour « diffamation, calomnie et haute trahison ». Elle a reçu des menaces et craint désormais pour sa vie.

Les journalistes se sentent de plus en plus vulnérables. Depuis le coup d’État, Malick Konaté reçoit régulièrement des menaces, mais celles-ci se sont intensifiées après son apparition dans un documentaire de la télévision française sur les mercenaires liés au groupe Wagner. Il a été qualifié de « traître » et d’« ennemi numéro un du Mali » sur les réseaux sociaux. Le CDM a déclaré qu’il avait été « irresponsable » et qu’il avait commis « un acte de haute trahison ». Konaté a reçu un appel de la police l’informant qu’on avait « besoin de lui », et des officiers militaires se sont rendus à son domicile à deux reprises.

La vlogueuse Rokia Doumbia, le militant anti-corruption et universitaire Clément Dembélé, les chefs religieux Bandiougou Traoré et Chouala Bayaya Haïdara et les journalistes Mohamed Youssouf Bathily et Abdoul Niang figurent parmi les nombreuses personnes incriminées pour leurs opinions.

Les journalistes sont également victimes de l’insurrection. En novembre 2023, un journaliste a été tué, un autre blessé et deux autres enlevés lors d’une attaque dans leur véhicule menée par des hommes armés dans le nord du Mali. À la suite de cette attaque, les journalistes de la région ont déclaré une « journée sans radio », suspendant leurs émissions. Un autre journaliste a été détenu par un groupe djihadiste pendant près de deux ans avant d’être libéré en mars 2023.

Consolidation du pouvoir militaire

Après avoir pris le pouvoir, le colonel Goïta a commencé à revenir sur son engament d’organiser des élections. Il a d’abord déclaré que des consultations nationales étaient nécessaires avant que des élections puissent être organisées. La junte a organisé des discussions publiques à la fin de 2021 et, sur la base de données présumées qu’elle n’a jamais divulguées, a déclaré qu’elle pourrait organiser des élections à un moment donné en 2025. Sous la pression de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), elle a finalement promis d’organiser des élections et de rendre le pouvoir aux civils d’ici mars 2024.

Mais au lieu d’organiser des élections, la junte a réécrit la constitution. En juin 2023, elle a organisé un référendum pour approuver des amendements constitutionnels que l’opposition démocratique a critiqués comme octroyant trop de pouvoir au président. En vertu de la nouvelle constitution, le président a le droit de définir la politique, de nommer et de renvoyer le premier ministre et les membres du cabinet, et le gouvernement est responsable devant le président plutôt que devant le parlement. Avec un faible taux de participation d’un peu moins de 40%, 97% des électeurs ont approuvé ces changements, selon des chiffres officiels difficilement vérifiables.

À la suite de l’obtention de ses nouveaux pouvoirs, le président intérimaire a reporté unilatéralement les élections en septembre, en invoquant des « raisons techniques ». Les autorités n’ont annoncé aucune nouvelle date et ont rapidement sanctionné les opposants les plus virulents à cette décision. En décembre, elles ont dissous de force l’Observatoire des élections et de la bonne gouvernance, une OSC, au motif qu’elle n’était pas en mesure de rendre compte de ses sources de financement et qu’elle ne respectait pas les nouvelles exigences en matière de rapports. Ils ont également accusé son président, Ibrahima Sangho, de faire des déclarations susceptibles de « trouble à l’ordre public ». M. Sango avait prédit un faible taux de participation au référendum et insisté sur le fait que les élections pourraient et devraient se tenir avant mars 2024.

La junte a également pris pour cible les partis politiques qui demandaient l’organisation immédiate d’élections. En juin 2023, un tribunal de Bamako a ordonné la dissolution du Parti social-démocrate africain après l’avoir reconnu coupable d’ « atteinte à l’ordre public et à la souveraineté nationale ». Le gouvernement a lancé cette action à la suite des critiques du dirigeant en exil du parti, Ismaël Sacko, envers la gestion de la transition par la junte. En décembre, un autre parti d’opposition, Solidarité africaine pour la démocratie et l’indépendance, a été assigné en justice et menacé de dissolution en raison de déclarations faites par son dirigeant en exil, Oumar Mariko, considérées comme discréditant l’État.

La répression s’est étendue aux partis politiques pro-junte et aux dirigeants qui ont osé sortir du rang en critiquant le report des élections, la situation sécuritaire ou les violations des droits humains. Ceux-ci ont également fait l’objet de détentions arbitraires, de harcèlement judiciaire et de poursuites. Adama Ben Diarra, membre du Conseil militaire de transition et leader du mouvement anti-français et anti-MINUSMA « Yerewolo Débout sur les Remparts », a été condamné à deux ans de prison, dont un an avec sursis, pour « atteinte à la crédibilité de l’Etat » après avoir appelé au respect du plan de transition et critiqué les arrestations arbitraires.

Des voix en première ligne

Nous avons discuté de la répression croissante de la société civile et de la consolidation du pouvoir par la junte avec un activiste malien de la société civile qui a demandé à rester anonyme pour des raisons de sécurité.

 

Face à la répression croissante, de nombreuses voix de la société civile ont été réduites au silence, soit par la menace, soit par la contrainte. La répression a également créé un climat de méfiance qui rend difficile l’organisation et la mobilisation. Beaucoup de figures éminentes de la société civile ont été contraintes de quitter le Mali pour trouver un refuge sûr où elles peuvent continuer à plaider en faveur du retour de la démocratie.

Malgré ces obstacles, certains efforts de collaboration persistent. Les organisations et les activistes qui restent au Mali cherchent des moyens de renforcer leur résilience et leur capacité à agir ensemble, notamment par le biais de réseaux de soutien mutuel, de coalitions informelles et de partenariats avec des organisations internationales partageant les mêmes objectifs. Ils sont un véritable exemple de résilience et de détermination.

Mais la société civile malienne se sent abandonnée par les grandes organisations internationales. Les organisations sous-régionales telles que la CEDEAO devraient jouer un rôle crucial dans la résolution de la crise politique au Mali. Cependant, les autorités maliennes ont récemment décidé de se retirer de cette organisation pour éviter des sanctions, ce qui a affaibli l’efficacité de la pression que la CEDEAO peut exercer. La société civile malienne appelle la CEDEAO à maintenir la pression sur la junte militaire et à ne pas abandonner le peuple malien en ce moment critique. De même, la société civile malienne interpelle les Nations Unies pour qu’elles exercent également une pression sur la junte militaire afin qu’elle respecte ses engagements envers la démocratie et les droits humains.

En outre, les OSC maliennes ont besoin d’un soutien concret, y compris un soutien financier pour renforcer leurs capacités organisationnelles et opérationnelles, ainsi qu’un soutien diplomatique pour faire entendre leurs revendications au niveau international.

La société civile malienne reconnaît l’importance du soutien de la communauté internationale et appelle à une action plus forte de la part des organisations régionales et internationales pour soutenir les aspirations démocratiques du peuple malien.

 

Voici un extrait édité de notre conversation. Lisez l’intégralité de l’entretien ici.

Aucune concession

En raison de son réalignement international, la junte militaire a tourné le dos aux sources de redevabilité. En février 2023, le corps diplomatique malien a déclaré Guillaume Ngefa, chef de la section des droits humains de la MINUSMA, persona non grata. Il a été accusé de s’adresser à des « imposteurs prétendant représenter la société civile malienne, tout en ignorant les autorités et les institutions nationales », et a été prié de quitter le pays. En juin, les autorités militaires ont demandé à l’ONU de retirer sa force de maintien de la paix, estimant qu’elle n’avait pas répondu efficacement aux problèmes de sécurité du pays. La MINUSMA a quitté le Mali le 31 décembre.

En janvier 2024, la junte malienne, ainsi que celles du Burkina Faso et du Niger, publient une déclaration annonçant leur décision de se retirer immédiatement de la CEDEAO. Les trois pays accusent l’organisation, qui a suspendu les pays à la suite de leurs coups d’État et imposé des sanctions au Mali et au Niger, d’agir « sous l’influence de puissances étrangères ». Cette décision, vendue sous le couvert de l’autodétermination nationale, a été accueillie par des manifestations de rue. En guise d’alternative à la CEDEAO, le Mali s’est engagé dans une coopération régionale avec ses homologues autoritaires de l’Alliance Sahel.

L’étape suivante a eu lieu le 10 avril. Environ une semaine après la déclaration commune publiée par plus de 20 partis politiques et groupes de la société civile appelant les autorités à organiser des élections « dès que possible », la junte a suspendu « jusqu’à nouvel ordre » les activités de tous les partis et associations politiques. Le lendemain, l’organe de régulation des communications a ordonné à tous les médias de cesser « d’émettre et de publier » à leur sujet. Officiellement, ils n’existent plus.

La société civile malienne appelle la CEDEAO à maintenir la pression sur la junte militaire et à ne pas abandonner le peuple malien en ce moment critique.

Activiste anonyme de la société civile, Mali

Il appartient désormais aux partenaires internationaux et aux alliés démocratiques de les aider à poursuivre leur travail essentiel. Depuis le premier coup d’État, il y a près de cinq ans, la société civile s’efforce de rétablir la démocratie. Elle a dénoncé les défaillances en matière de sécurité et les violations des droits humains. Elle a œuvré pour la paix, encouragé le dialogue et fourni une aide humanitaire. Malgré la répression constante des dissidents, elle a continué à protester contre le report des élections et à demander des comptes. Sans la société civile, l’avenir serait bien plus sombre. Si les militants et les organisations du Mali ne bénéficient pas d’un soutien suffisant pour continuer à jouer leur rôle et préserver leur espace, il n’y aura pas de transition démocratique à l’horizon.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Les autorités maliennes devraient immédiatement lever l’interdiction des organisations de la société civile et des partis politiques et cesser les restrictions imposées aux journalistes et aux médias.
  • La junte malienne devrait programmer des élections libres, équitables et compétitives dès que possible.
  • La communauté internationale doit continuer à faire pression sur les autorités maliennes pour qu’elles s’engagent dans un plan de transition démocratique.

Pour des interviews ou de plus amples informations, veuillez contacter research@civicus.org

Photo de couverture de Présidence malienne/Anadolu Agency via Getty Images