Le Burkina Faso a connu son deuxième coup d’État cette année, un chef de l’armée en remplaçant un autre. Le contexte – et le prétexte du coup d’État – est une insurrection djihadiste continue que les gouvernements successifs ont été incapables de contrôler. Derrière la promesse de la nouvelle junte de gérer la crise se cache peut-être une invitation aux mercenaires russes, déjà fortement engagés dans le Mali militaire. Dans un effort de compensation des critiques portant sur la guerre russe contre l’Ukraine, la Russie est en train de développer son influence en Afrique. Le Burkina Faso n’est pas le premier pays où le sentiment d’insécurité a débouché sur l’acceptation d’un coup d’État et la perspective d’une intervention russe. Mais une transition démocratique est le seul moyen de garantir un contrôle adéquat des forces militaires.

Un nouveau contretemps retarde encore la transition vers la démocratie au Burkina Faso.

Le 30 septembre, les émissions de la télévision publique ont été interrompues pour annoncer qu’un groupe de soldats s’était emparé du pouvoir à la place du président Paul-Henri Sandaogo Damiba, un Lieutenant-Colonel qui avait dirigé le coup d’État de janvier déposant le gouvernement démocratiquement élu. Quelques jours plus tard, Damiba a annoncé sa démission et s’est exilé au Togo, évitant ainsi toute possibilité d’affrontements entre des factions rivales de l’armée. Peu de temps après, le chef du coup d’État, Ibrahim Traoré, un capitaine de l’armée peu connu de 34 ans, a été déclaré président et chef des forces armées, devenant ainsi le plus jeune chef d’État du monde.

Un contexte d’insécurité

Traoré a justifié le coup d’État par l’incapacité de Damiba à maîtriser l’insurrection djihadiste qui sévit dans une grande partie du pays, dans laquelle se sont fermement installés des djihadistes ayant franchi la frontière du Mali. On estime que le gouvernement ne contrôle qu’un 60 % du territoire du pays. Pour de nombreuses personnes, cela résulte dans du danger et de la misère. Au cours des trois dernières années, environ 7 000 Burkinabés ont été tués et 1,5 million ont été chassés de chez eux.

Damiba avait également justifié son coup d’État par des raisons de sécurité, reprochant vivement au gouvernement élu de ne pas s’attaquer à l’insurrection et promettant de le faire lui-même. Mais rien n’a changé dans la situation sécuritaire, et le pouvoir lui a maintenant été enlevé pour ces mêmes raisons.

De même que lors du premier coup d’État, certaines personnes sont descendues dans la rue pour célébrer ce second coup d’Etat dans l’espoir que la sécurité s’améliore. Comme la dernière fois, les manifestants pro-coup d’État ont crié des slogans contre la France, l’ancienne puissance coloniale. La France a toujours une présence militaire considérable au Burkina Faso, mais on lui reproche largement de ne pas avoir réussi à régler le problème.

Des manifestants ont attaqué l’ambassade de France dans la capitale, Ouagadougou, et un centre culturel français dans la ville de Bobo-Dioulasso, suite à la diffusion par un membre de la junte de fausses rumeurs selon lesquelles Damiba s’était installé dans une base française pour lancer une contre-offensive.

Les manifestants ont également crié des slogans contre la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), l’organisme intergouvernemental régional actuellement confronté au défi du régime militaire dans deux autres pays membres – la Guinée et le Mali – aux côtés du Burkina Faso. La CEDEAO a insisté pour que les juntes s’engagent sur des plans et des calendriers de transition démocratique. Lorsqu’une délégation de la CEDEAO s’est rendue au Burkina Faso peu après le dernier coup d’État des manifestations ont eu lieu dans lesquelles, de manière inquiétante, des drapeaux russes ont été brandis.

La stratégie russe en Afrique

Il semble probable que le Burkina Faso devienne le prochain pays africain à s’allier avec la Russie. Dans plusieurs pays, des mercenaires russes issus du Groupe Wagner ont été invités à intervenir, à la fois pour prétendument résoudre des insurrections locales, mais aussi pour remplacer les troupes françaises, de plus en plus remises en question dans la région.

Le danger est que, si le pays tombe sous l’influence de la Russie, la coopération avec les États démocratiques devienne impossible.

C’est la junte militaire malienne qui a commencé cette tendance. En février, la junte a expulsé l’ambassadeur français et, en août, les dernières troupes françaises ont quitté le Mali, mettant fin à une opération militaire de neuf ans. Le vide a été comblé par les mercenaires du groupe Wagner. En septembre dernier, la session d’ouverture de l’Assemblée Générale des Nations Unies (ONU) nous a offert un spectacle grotesque. Le premier ministre malien, Abdoulaye Maiga, a acclamé  la coopération « exemplaire et fructueuse » de son pays avec la Russie, tout en condamnant les vestiges du colonialisme. Or simultanément, la Russie continue de mener une guerre coloniale en Ukraine, avec des conséquences désastreuses pour la population civile. Critiquer la France est sans aucun doute une stratégie populaire, qui a aidé la junte militaire à détourner la colère de la population concernant l’insécurité dans le Mali ainsi qu’à retarder la transition vers un régime civil.

On aurait pu s’attendre à ce que la Russie se retire de l’Afrique pour concentrer ses ressources sur sa guerre contre l’Ukraine, notamment en raison des reconquêtes ukrainiennes. Pourtant, il semble que la Russie ait redoublé ses efforts de conquête d’alliés en Afrique. Manifestement, cette politique a comme but de contrebalancer les pressions diplomatiques venant d’ailleurs.

Il y a aussi une forte motivation financière : Les forces du Groupe Wagner exploitent les richesses minérales et naturelles de l’Afrique, canalisant les ressources vers l’élite dirigeante russe et contribuant au financement de la guerre. Le Mali reste une zone d’influence Russe, et Wagner maintient ses troupes sur le terrain.

Le Mali n’est qu’un parmi au moins six pays africains où les forces Wagner seraient impliquées. Parmi eux figure désormais le Soudan, où les militaires sont au pouvoir depuis un coup d’État en septembre 2021 et répriment violemment les manifestations en faveur de la démocratie. Également, dans les réseaux sociaux le contenu de comptes pro-russes est partagé de plus en plus dans les pays africains.

En effet, il semble que la campagne d’influence porte ses fruits. Récemment, cela a été clairement démontré lors de la réunion du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, lors de l’adoption d’une résolution visant à surveiller les violations des droits humains commises par la Russie. Aucun État africain n’a voté contre la Russie : l’Érythrée a voté contre la résolution tandis que les 12 autres membres africains du Conseil se sont abstenus, permettant à la Russie de prétendre que le vote ne bénéficiait pas d’un soutien suffisamment large.

Tout porte à croire que le Burkina Faso pourrait bientôt rejoindre les rangs des partisans de la Russie. Les putschistes ont accusé Damiba d’avoir fait marche arrière sur sa promesse d’impliquer la Russie, et d’être encore trop proche de la France. Les partisans de Traoré ont demandé l’implication de la Russie. Evgeny Prigozhin, chef du Groupe Wagner, est parmi les personnes qui ont félicité Traoré et salué le coup d’État. De plus, il est un ami proche de Vladimir Poutine et il fait actuellement l’objet de sanctions de l’Union européenne et des États-Unis. À présent, il y a même des spéculations sur l’implication de la Russie dans le coup d’État.

M. Traoré a déclaré qu’il voulait agir plus rapidement et se débarrasser de toutes les « formalités administratives inutiles », ce qui pourrait indiquer son intention d’utiliser davantage les forces russes pour atteindre ses objectifs. Il pourrait bien penser qu’il n’a pas le choix s’il veut garder dans son camp ceux qui ont soutenu son coup d’État pour améliorer la sécurité. En tant que dirigeant inexpérimenté et de rang militaire relativement subalterne, Traoré est lui-même vulnérable à un nouveau coup d’État, à moins qu’il ne soit rapidement perçu comme différent de l’homme qu’il a évincé. Le danger est que, si le pays tombe sous l’influence de la Russie, la coopération avec les États démocratiques devienne impossible.

Un plan de transition est nécessaire

Il est manifestement nécessaire de remédier à la situation sécuritaire, notamment en raison de la crise alimentaire à laquelle elle a contribué. L’ONU a fait état d’un « niveau alarmant » d’insécurité alimentaire, avec plus de 630 000 personnes au bord de la famine. Les blocus des djihadistes empêchent l‘arrivée de l’aide humanitaire où elle est le plus nécessaire. Les attaques se sont poursuivies tout au long de l’année : dans la semaine précédant le coup d’État, 11 soldats ont été tués et 50 civils ont été portés disparus après un assaut djihadiste contre un convoi d’aide humanitaire. En juin, 79 personnes ont été tuées dans le village de Seytenga, lors de l’une des attaques les plus violentes de l’insurrection.

Or, rien ne prouve que les mercenaires russes soient plus efficaces dans la lutte contre l’insurrection que les forces françaises ou nationales. En outre, le groupe Wagner a été accusé de violations majeures des droits humains, notamment en République centrafricaine. L’utilisation de forces étrangères ne contribue pas à développer les capacités nationales et, en l’absence de démocratie, il n’existe pas de mécanismes de contrôle efficaces.

Pour prévenir les violations des droits humains et garantir une réparation lorsqu’elles se produisent, toute action militaire contre les insurgés doit s’accompagner d’une responsabilité démocratique – ce qui rend urgente une transition vers la démocratie.

Juste avant d’être renversé, Damiba avait promis un plan de transition d’une durée de deux ans débouchant sur des élections en 2024. Cet engagement a peut-être forcé la main des putschistes. L’une des conditions de Damiba pour qu’il accepte de se retirer discrètement était que la nouvelle junte s’en tienne à ce calendrier. Traoré a déclaré aux médiateurs de la CEDEAO qu’il le ferait et a promis de convoquer des Assises nationales avant la fin de l’année pour désigner un nouveau président.

Mais pour l’instant, ce ne sont que des mots. Il y a une longue histoire de coups d’État promettant des transitions rapides qui n’ont jamais eu lieu. M. Traoré doit maintenant faire face à une pression interne et externe pour respecter le calendrier, et faire preuve de transparence et de redevabilité s’il envisage d’utiliser des mercenaires.

NOS APPELS À L’ACTION

  • La nouvelle junte doit publier un plan détaillé et un calendrier de transition vers un régime civil.
  • Le gouvernement doit s’engager à ne pas faire appel à des mercenaires étrangers et à travailler avec la communauté internationale pour développer une approche sécuritaire pérenne.
  • La CEDEAO doit poursuivre son engagement auprès du gouvernement et faire pression en faveur d’une transition démocratique rapide.

Photo de couverture par Reuters/Francis Kokoroko via Gallo Images