Les mercenaires du sombre groupe russe Wagner ne se battent pas seulement en Ukraine, ils sont également présents sur le terrain dans de nombreux pays africains, notamment en République centrafricaine, au Mali et au Soudan. Dans les pays en proie à l’insurrection, ils jouent un rôle actif dans les combats, tout en ciblant des civils et commettant de nombreuses violations des droits humains. Wagner opère dans le cadre d’une campagne systématique de désinformation pro-russe destinée à gagner du soutien international. Le groupe extrait des ressources vitales telles que les diamants, l’or et le pétrole en guise de paiement, aidant ainsi Vladimir Poutine à atténuer l’impact des sanctions à son encontre. Au lieu de se tourner vers des mercenaires étrangers, les gouvernements devraient s’engager à respecter les droits humains et la société civile devrait s’efforcer de dénoncer les violations.

Les combats se déroulent au cœur de la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine. Le groupe Wagner – la sombre société militaire privée basée à Saint-Pétersbourg – a récemment subi de lourdes pertes dans la bataille pour le contrôle de la ville de Bakhmut. Mais ce n’est pas le seul front sur lequel elle est engagée. À l’autre bout du monde, les forces de Wagner sont à l’œuvre dans de nombreux pays africains. Leur présence croissante a de graves répercussions sur les droits humains, la politique et l’économie.

L’épicentre : la République centrafricaine

Les forces Wagner sont établies depuis longtemps en République centrafricaine (RCA), qui est le théâtre d’une guerre civile depuis plus d’une décennie. Le gouvernement lutte contre de multiples forces rebelles qui se sont unies pour contester les élections de décembre 2020. Une grande partie du pays, en particulier l’est, est sous le contrôle des rebelles.

Le président Faustin-Archange Touadéra a tendu la main à la Russie peu après son arrivée au pouvoir en 2016. Il a reçu des instructeurs militaires et des armes russes, et les mercenaires de Wagner ont rapidement suivi. Tout ce qui concerne Wagner est entouré de secret et Touadéra affirme n’avoir jamais signé de contrat avec le groupe, mais on estime qu’entre 1 200 et 2 000 membres du personnel de Wagner se trouvent en RCA.

Ces forces ont contribué à maintenir Touadéra au pouvoir. En janvier 2021, des groupes rebelles ont avancé sur la capitale, Bangui, dans le but de le renverser, mais ils ont depuis été repoussés.

Le prix à payer est élevé. Toutes les parties ont commis des violations des droits humains, mais environ 40 % des actes de violence politique documentés par le projet ACLED de collecte de données, d’analyse et de cartographie des crises, sont attribués à Wagner. Les civils paient le prix le plus élevé : ils ont été ciblés dans plus de la moitié des actes de violence commis par les forces de Wagner, et ce chiffre est encore plus élevé lorsque les forces de Wagner ont combattu seules plutôt qu’aux côtés des forces de la République centrafricaine. L’implication est que lorsque les forces de Wagner ont le champ libre, il y a plus de morts parmi les civils.

La Russie ne se soucie pas plus de la démocratie ou des droits humains dans les pays africains que dans son propre pays.

Les forces Wagner sont accusées de prendre pour cible les civils musulmans et Peuls, uniquement en raison de leur appartenance à ces groupes. Outre les exécutions extrajudiciaires, elles sont accusées de violences sexuelles et de pillages. Ces actions indiquent l’utilisation intentionnelle et systématique de la violence pour soumettre la population.

L’incident le plus notoire s’est produit dans deux villages, Aïgbado et Yanga, en janvier 2022. Les forces Wagner auraient tiré sans discrimination sur la foule, procédant à des exécutions sommaires et brûlant des maisons. Au moins 65 personnes ont été tuées, dont des enfants. Le gouvernement a toutefois défendu les mercenaires, insistant sur le fait qu’aucun civil n’avait été tué. Cela n’est qu’une des nombreuses manifestations de l’impunité généralisée dont jouit le groupe Wagner pour ses actions.

Outre les coûts élevés en matière de droits humains, il y a un prix économique et politique élevé à payer. Le conflit en République centrafricaine est en partie lié à des divisions religieuses et ethniques, mais aussi à des problèmes de ressources. Le pays a l’un des revenus par habitant les plus bas du monde, mais il est riche en diamants et en or. Aucun paiement à Wagner n’apparaît dans le budget de l’État, mais les mercenaires ne travaillent pas gratuitement.

Il paraît que Wagner et son réseau de sociétés occultes aient reçu un certain contrôle sur les mines d’or et de diamants, ainsi que sur l’exploitation forestière. Ce n’est pas par hasard que les forces de Wagner et les groupes rebelles se soient livrés à de violents combats pour le contrôle des mines d’or. Les activités de Wagner dans le domaine des diamants de la RCA constituent très certainement une violation du processus de Kimberley, un accord international visant à mettre fin à la vente de diamants de conflits.

Des ressources vitales sont retirées du pays et aboutissent au Kremlin. Le chef du groupe, Yevgeny Prigozhin – qui, après avoir nié pendant des années toute implication, a finalement admis en septembre dernier avoir fondé Wagner – est l’un des principaux confidents de Vladmir Poutine. Les ressources minérales extraites de la RCA sont peut-être en train de jouer un rôle essentiel, puisqu’elles permettent potentiellement au régime de Poutine de résister aux sanctions imposées en réponse à son invasion de l’Ukraine.

Et puis, il y a l’influence politique. Touadéra ne se contente pas de s’entourer de gardes du corps fournis par Wagner ; il dispose également d’un cercle restreint de conseillers et de décideurs russes. Le réseau de Prigozhin est profondément intégré aux institutions de l’État russe, y compris le ministère de la défense et ses services de renseignement. Tout ce qui est fait par le groupe Wagner, tant en RCA comme dans d’autres pays, pourra servir les objectifs de la politique étrangère de Poutine.

Un modèle qui se répand à travers l’Afrique

L’empreinte de Wagner s’étend bien au-delà de la RCA. Wagner et d’autres sociétés militaires privées russes seraient présentes dans une trentaine de pays, dont 18 en Afrique. Et le schéma observé en RCA se répète à l’infini.

Les forces Wagner jouent depuis longtemps un rôle dans le conflit en cours en Libye. Des reportages indiquent ainsi qu’elles se battent avec le chef de guerre rebelle Khalifa Haftar. Elles semblent vouloir revendiquer leur place dans le lucratif secteur pétrolier du pays – c’est de cette même manière qu’elles ont aussi été récompensées en Syrie en 2021 pour avoir combattu du côté du gouvernement répressif.

Wagner est également impliqué au Soudan, pays sous régime militaire depuis 2021. Il existe des preuves selon lesquelles la Russie apporte à la junte du soutien militaire et politique en échange de milliards de dollars d’or. De plus, Wagner semble garder des mines d’or. Sa filiale, Meroe Gold, a récemment été sanctionnée par l’Union européenne pour de graves violations des droits humains, notamment des meurtres et des tortures. Il s’agit de l’une des nombreuses sanctions appliquées à Wagner et à ses sociétés associées pour des violations commises non seulement au Soudan, mais aussi en République centrafricaine et au Mali. Il semblerait que la Russie ait l’ambition d’établir une base navale sur la mer Rouge, et pour ce faire elle cultive actuellement le soutien de hauts dirigeants soudanais.

Selon certaines rumeurs, le Burkina Faso, qui a connu un double coup d’État en 2022, pourrait bientôt se tourner vers les forces de Wagner pour lutter contre l’insurrection, après avoir ordonné le départ des forces françaises. Des rapports indiquent également que Wagner pourrait être en train de travailler avec des groupes rebelles au Tchad, dont le président actuel reste étroitement allié à la France.

Mais c’est au Mali que l’influence de Wagner s’accroît le plus. Alors que le gouvernement militaire malien, au pouvoir depuis mai 2021, insiste sur le fait que les membres du personnel de Wagner sur place ne sont que des conseillers militaires, les rapports du terrain indiquent clairement qu’ils sont impliqués dans les combats et qu’ils ciblent les civils, y compris pour des raisons ethniques. De nombreux rapports signalent également des abus des droits humains. Dans le cas le plus notoire, pendant plusieurs jours en mars, des mercenaires russes et des forces maliennes ont rassemblé et exécuté sommairement environ 300 personnes dans la ville de Moura. Une fois de plus, des concessions minières ont été accordées en récompense.

Soutien public et désinformation

L’utilisation de mercenaires russes bénéficie d’un certain soutien de l’opinion publique, ce qui représente un des principaux défis pour la société civile internationale, concentrée sur les droits humains. Au Mali, lorsque les forces Wagner sont arrivées en 2022, certaines personnes les ont accueillies en agitant des drapeaux russes et en brandissant des photos de Poutine. Parmi les personnes qui manifestaient leur soutien se trouvaient des leaders de mouvements de la société civile.

En partie, cela reflète une volonté d’acceptation de toute solution qui semble s’attaquer à l’insécurité régnante depuis longtemps. D’autres forces ont échoué, tant les nationales comme les étrangères, y inclus les troupes françaises et celles des Nations Unies. Toute promesse de mettre fin à la violence est désormais attrayante, et la réputation d’impitoyabilité de Wagner peut même être perçue comme un atout.

L’opposition à la France est un autre facteur de soutien. Ancienne puissance coloniale dans de nombreux pays d’Afrique centrale et occidentale, la France a longtemps constitué le premier recours pour les gouvernements qui s’efforçaient de contenir les insurrections. Au Mali, ses forces ont aidé à reconquérir le territoire d’une insurrection djihadiste qui a éclaté en 2012. Mais malgré la présence de 3 000 soldats français, les insurgés n’ont jamais disparu. Les forces rebelles se sont regroupées et se sont rétablies, non seulement au Mali, mais aussi dans les pays voisins.

Le ressentiment à l’égard de la France n’a cessé de croître. Des manifestations contre les troupes françaises ont eu lieu non seulement en République centrafricaine et au Mali, mais aussi dans des pays comme le Burkina Faso et le Niger. Dans ce contexte, la Russie s’appuie sur d’anciens alignements. Même son agression contre l’Ukraine joue en sa faveur : elle donne l’impression de porter un coup à l’Occident. Ce cadre de la guerre froide contribue à nier la réalité : la Russie mène une guerre impériale, tentant de soumettre un État souverain démocratique qui faisait autrefois partie de son empire.

Mais le discours public a également été faussé par une vaste campagne de désinformation pro-russe qui a précédé l’engagement de Wagner dans plusieurs pays africains. L’arrivée de Wagner au Mali a été annoncée à la suite d’une campagne d’influence publique concertée qui visait à discréditer la France et à renforcer le soutien à la Russie. Une campagne pro-russe similaire est actuellement en cours au Burkina Faso. De nombreux sites d’information africains reprennent le contenu de médias contrôlés par l’État russe, tels que RT et Sputnik. RT, interdit dans de nombreux États européens en raison de sa propagande pro-Poutine, envisage même de créer un centre africain.

Impacts sur l’espace civique

Les avantages de cette relation pour les présidents et les généraux sont facilement perceptibles. La Russie prétend respecter la souveraineté de ses partenaires africains et s’abstenir de toute ingérence dans les affaires intérieures ; cela signifie qu’elle ne se soucie pas plus de la démocratie ou des droits humains dans les pays africains que dans son propre pays. En revanche, d’autres partenaires internationaux – la France, d’autres États européens, les institutions régionales africaines et les Nations Unies – apportent un soutien conditionnel. Ils attendent des États qu’ils respectent le droit international relatif aux droits humains et que les gouvernements contrôlés par l’armée progressent vers un régime civil démocratique.

Au Mali, la France a critiqué le maintien au pouvoir de la junte et sa réticence à céder le pouvoir. L’armée ne cesse de repousser le calendrier de la transition et a reporté en mars un référendum constitutionnel censé ouvrir la voie à des élections. Les militaires savent que la Russie, en revanche, n’exercera aucune pression en faveur de la démocratie.

En RCA, Touadéra a déjà tenté une fois de modifier la Constitution pour briguer un troisième mandat, mais l’année dernière la Cour constitutionnelle s’est prononcée contre son projet de création d’une commission de réforme constitutionnelle. Il est cependant possible que Touadéra aille de l’avant malgré tout, car la Russie a clairement indiqué son soutien pour qu’il reste au pouvoir.

Le Burkina Faso, qui vient d’expulser deux journalistes français, pourrait s’engager dans la même voie de consolidation du pouvoir militaire et de résistance aux demandes de démocratie. Dans tous ces cas, un certain soutien de l’opinion publique par rapport à la présence de la Russie pourrait aider les dirigeants non démocratiques à conserver une certaine popularité et à se prémunir contre les demandes de transition.

L’implication de Wagner contribue à la fermeture de l’espace civique. En République centrafricaine, Touadéra, renforcé, a continué à réprimer les voix dissidentes. Le personnel humanitaire et les journalistes indépendants sont parmi les victimes de violences et d’intimidations par les forces de Wagner.

Au Mali, les médias français sont interdits. Le journaliste Malick Konaté a reçu de nombreuses menaces pour sa participation à un documentaire de la télévision française sur Wagner. En novembre dernier, la junte a interdit les activités des organisations de la société civile bénéficiant d’un soutien français, ce qui a eu pour effet d’entraver la capacité de la société civile à aider les personnes en situation de détresse humanitaire en raison du conflit et à surveiller les violations des droits humains.

Le potentiel de redevabilité se trouve affaibli, ce qui constitue un effet secondaire utile pour les dirigeants corrompus et les forces russes qui extraient des ressources. Une société civile capable est le meilleur rempart contre la corruption. L’empêchement de son rôle de demande de comptes permet que les flux de ressources opaques se poursuivent.

Un conflit en cours

Pendant ce temps, les conflits se poursuivent en Ukraine, en République centrafricaine, au Mali et dans d’autres pays où Wagner est présent. La Russie et ses mandataires Wagner ne sont pas qu’en train d’extraire des ressources, ils obtiennent aussi un soutien international précieux. Lors des votes clés sur les résolutions des Nations Unies relatives à la guerre de la Russie contre l’Ukraine, les États africains où Wagner est présent ont systématiquement choisi de ne pas condamner l’agression russe.

Lors du dernier vote marquant l’anniversaire de l’invasion de l’Ukraine, 141 États membres de l’ONU ont soutenu une résolution exigeant le retrait immédiat de la Russie. Mais, honteusement, le Mali s’est aligné sur des États autocratiques tels que l’Érythrée, la Corée du Nord et le Nicaragua en faisant partie des sept pays qui ont voté contre, tandis que la République centrafricaine et le Soudan ont fait partie de ceux qui se sont abstenus.

Poutine peut alors prétendre que la condamnation est sélective et partielle, ce qui facilite la poursuite de la guerre.

Mais la présence de la Russie ne contribuera guère à résoudre les conflits dans les pays africains. Aucune solution ne peut aboutir si les droits humains ne sont pas respectés et si les auteurs de violations des droits humains ne sont pas amenés à rendre des comptes, ce qui nécessite une démocratie et une société civile active.

Il n’existe pas de plan à long terme pour mettre fin à l’insécurité. En fin de compte, les forces Wagner ne seront présentes que tant qu’elles pourront exploiter les richesses minières, ou tant que cela conviendra à Poutine, ou jusqu’à ce que les pertes en Ukraine signifient qu’elles sont nécessaires pour combler les lacunes dans ce pays. Lorsqu’elles partiront, les capacités internes n’auront probablement pas été développées. Entre-temps, les violations des droits humains telles que celles commises par Wagner peuvent servir pour recruter des membres pour l’insurrection. Il semblerait même que la détermination de Wagner à s’emparer des richesses minières contribue à unir les groupes rebelles dans une bataille pour le contrôle des ressources.

Le monde connaît désormais Prigozhin et Wagner, car leur rôle intensif dans la guerre en Ukraine les a fait sortir de l’ombre. Il n’est plus possible de nier l’existence du groupe, ni la manière dont il est lié à Poutine et sert ses objectifs. Le même examen minutieux doit maintenant porter sur son rôle dans les pays africains, et la société civile doit s’efforcer de lui demander des comptes, afin de finalement l’expulser.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Les États démocratiques devraient intensifier les sanctions contre le personnel de Wagner.
  • La société civile, y compris dans les pays où Wagner est présent, devrait exiger que ses forces rendent des comptes pour les violations des droits humains.
  • Les institutions régionales africaines et les Nations Unies devraient encourager une transition rapide vers un régime civil démocratique dans les pays sous contrôle militaire, notamment le Burkina Faso, le Mali et le Soudan.

Photo de couverture par Florent Vergnes/AFP via Getty Images