Le gouvernement militaire du Mali souhaite reporter à 2025 les élections qu’il avait promises pour 2022. Cette décision a entraîné de fortes sanctions de la part de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, contre lesquelles la junte a mobilisé un mouvement de protestation. Dans le même temps, les craintes se multiplient quant à l’impact de la fermeture des frontières sur les nombreuses personnes qui dépendent de l’aide alimentaire. Le contexte est celui de l’insécurité causée par l’insurrection djihadiste, qui n’a pas été arrêtée par la présence militaire de la France et des Nations unies. Aujourd’hui, le rôle des mercenaires russes suscite de plus en plus d’inquiétude. Il est temps pour la junte de céder du terrain et de s’engager dans un véritable dialogue et un calendrier de transition adéquat.

Le début de l’année 2022 a été dramatique au Mali. Le gouvernement militaire s’est mis en porte-à-faux avec la Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). L’organisme régional composé de 15 pays a imposé des sanctions sévères, notamment la fermeture des frontières, lorsque l’armée est revenue unilatéralement sur son engagement à organiser des élections cette année.

Les sanctions commencent à faire sentir leurs effets sous la forme de pénuries et de hausse des prix, et les conséquences pourraient être graves pour la population malienne. Treize organisations d’aide internationale ont mis en garde contre des conséquences potentiellement dévastatrices dans un pays où un tiers de la population dépend de l’aide et où l’insécurité alimentaire est élevée et en augmentation. Elles ont demandé que soit garanti le maintien de l’accès humanitaire pour fournir de la nourriture et des médicaments.

Coup d’Etat après coup d’Etat, la CEDEAO est sous pression

L’origine immédiate de l’impasse actuelle réside dans le coup d’État militaire d’août 2020 qui a chassé le président Ibrahim Boubacar Keïta. Ce coup d’État est intervenu après deux mois de manifestations liées à des élections parlementaires entachées d’irrégularités. La population s’est ensuite mobilisée pour exprimer sa colère face à la corruption, à la gestion de la pandémie par le gouvernement, et à l’insécurité permanente causée par l’insurrection islamiste.

La désaffection était telle que beaucoup, y compris le mouvement d’opposition M5, ont salué le coup d’État. L’espoir d’un retour rapide à un régime civil est né en septembre 2020, lorsqu’un gouvernement de transition composé de civils et de militaires a été annoncé. Répondant à la pression internationale, y compris de la CEDEAO, le gouvernement comptait un président civil, Bah N’daw, et un premier ministre civil.

Mais quand les choses se sont corsées, les militaires n’ont pas voulu lâcher le pouvoir. En mai 2021, lorsque le président N’daw a tenté de mettre en place un cabinet plus large, en remplaçant deux putschistes, c’est lui qui a perdu son poste. N’daw a été arrêté et démis de ses fonctions, ainsi que le premier ministre et le ministre de la Défense.

Le chef du coup d’État Assimi Goïta est rapidement devenu le nouveau président d’un gouvernement où des militaires occupent des postes clés. Peu après, dans le but apparent de garder le M5 à bord, l’un de ses dirigeants, Choguel Kokalla Maïga, a été nommé « Premier ministre de la transition ».

Pour justifier ce second coup d’État, Goïta a affirmé que les dirigeants civils évincés sabotaient la transition et que lui-même la remettait sur les rails. Il a promis des élections en 2022.

Mais à l’approche de l’année 2022, cette promesse a commencé à sembler douteuse. La junte a insisté sur le fait qu’elle devait d’abord organiser des consultations nationales. Un dialogue a effectivement eu lieu en décembre 2021, auquel plus de 80 000 personnes auraient pris part. Mais c’est la junte qui a déterminé le calendrier et les paramètres du dialogue, et il semble qu’il s’agisse d’un processus superficiel laissant peu de place à une véritable discussion. Il est peu probable que le dialogue ait transmis aux militaires quelque chose qu’ils ne voulaient pas entendre.

C’est sur la base de ce que les militaires prétendent avoir entendu au cours du dialogue qu’ils ont annoncé à la CEDEAO, en janvier 2022, qu’ils organiseraient des élections non pas en 2022 mais un peu plus tard, en 2025 éventuellement. Si les élections ne se tiennent pas d’ici là, cela signifierait cinq ans de régime militaire.

La CEDEAO, qui a été accusée par le passé d’être lente à agir, a réagi rapidement. Lors d’un sommet d’urgence tenu à Accra, au Ghana, elle a imposé des sanctions, notamment la fermeture des frontières aériennes et terrestres et le gel des avoirs de l’État malien détenus dans des banques d’autres pays de la CEDEAO. L’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) – un groupe de huit membres de la CEDEAO qui partagent une monnaie commune – a demandé aux institutions financières de suspendre le Mali, lui refusant ainsi l’accès aux marchés régionaux. Le gouvernement malien a réagi en qualifiant ces sanctions de « sanctions illégales » et en rappelant ses ambassadeurs auprès des États de la CEDEAO. Les lignes de bataille étaient tracées.

Un différend avec la France

L’Union européenne (UE) dit soutenir la décision de la CEDEAO et envisage d’imposer ses propres sanctions prochainement. Par hasard, la présidence du Conseil de l’UE, qui est tournante tous les six mois, vient d’être prise par la France. La France est un acteur important au Mali et dans la région du Sahel, et le gouvernement du président Emmanuel Macron se trouve en désaccord croissant avec la junte malienne.

La France maintient une présence militaire au Mali et au Sahel depuis l’insurrection de 2012 qui a vu des groupes djihadistes prendre le contrôle du nord du Mali. Si les insurgés ont été repoussés, de violentes attaques et des affrontements ont continué depuis lors. Environ 5 000 soldats français sont restés au Mali et dans les pays voisins. Une force de maintien de la paix des Nations unies (ONU), la Mission multidimensionnelle intégrée pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), est également présente avec environ 12 000 hommes.

La France a subi des coûts importants, tant en termes de vies humaines, avec plus de 50 soldats français tués, que sur le plan financier, avec un coût de fonctionnement de près d’un milliard de dollars US par an.

Cependant, il est de plus en plus évident que cette approche militaire de la sécurité n’a pas vraiment fonctionné. Au contraire, l’insécurité a augmenté ces dernières années. Les attaques des insurgés se sont étendues à d’autres pays et se déroulent de plus en plus dans le centre du Mali, alors qu’elles étaient auparavant surtout concentrées dans le nord. Les djihadistes exploitent les divisions ethniques pour semer le trouble.

Dans tout le Sahel, au cours des deux dernières années, plus de deux millions de personnes ont été contraintes de quitter leur foyer en raison du conflit. L’expert indépendant des Nations unies sur les droits de l’homme au Mali, à la suite d’une visite en juillet et août 2021, a fait état d’une détérioration de la situation des droits humains dans le pays, avec des exécutions extrajudiciaires et arbitraires, des enlèvements et des disparitions forcées, des actes de torture et des menaces de mort, commis par les forces de sécurité et les groupes armés non étatiques, y compris les groupes djihadistes. Au Mali et dans l’ensemble du Sahel, les conflits restent une réalité persistante.

Macron, qui semble admettre que l’approche militarisée a échoué, déclare vouloir réduire le nombre de soldats déployés par son pays, pour ne fournir qu’un moindre effectif dans le cadre d’une force internationale. La France est une présence de plus en plus impopulaire au Mali et dans la région, fortement critiquée par les manifestations, y compris celles qui soutiennent la junte malienne. En novembre, des manifestants au Burkina Faso et au Niger ont perturbé le passage d’un convoi militaire français entre la Côte d’Ivoire et le Mali. Deux personnes ont été tuées lors de la manifestation au Niger.

La France a longtemps été critiquée, à juste titre, pour ses relations avec ses anciennes colonies africaines, qui ont souvent été caractérisées par une attitude autoritaire et paternaliste. C’est une année d’élection présidentielle en France, et les chances de Macron ne seraient pas compromises s’il ramenait les soldats à la maison tout en ayant l’image d’un homme d’État international.

Mais en même temps, la France est une cible facile pour les dirigeants militaires du Mali. Longtemps critiquée pour son soutien aux dictateurs africains, la France est aujourd’hui attaquée pour avoir exhorté une junte militaire à céder à la démocratie. La France est condamnée à la fois pour sa présence au Mali et pour ses projets de départ. C’est un défouloir commode pour les populistes. Les rassemblements organisés par les militaires depuis l’imposition des sanctions ont pris un ton résolument nationaliste. La CEDEAO et la France ont été fustigées pour leur ingérence.

La présence larvée de la Russie

Les enjeux sont également considérables pour la CEDEAO. Elle aura à cœur de montrer que sa pression peut faire la différence. Le continent a connu plusieurs coups d’État très médiatisés récemment, notamment un coup d’État militaire au Soudan et un coup d’État présidentiel en Tunisie, et l’Afrique de l’Ouest commence à ressembler à un point chaud. Les militaires ont pris le pouvoir en Guinée en septembre 2021 et au Burkina Faso en janvier cette année. L’espace civique est sérieusement restreint dans presque tous les pays de la CEDEAO. Le danger en Afrique de l’Ouest est que les coups d’État se normalisent et que le respect des institutions et des pratiques de la démocratie ne soit plus considéré comme la norme.

Il y a un autre problème, pour la CEDEAO et la France : le rôle apparemment accru de la Russie. Le gouvernement malien a longtemps nié les allégations selon lesquelles il utilise des mercenaires russes du groupe fantôme Wagner. Il continue à dire que les soldats russes présents sont simplement des instructeurs militaires. Mais il semble de plus en plus clair que les mercenaires de Wagner sont là. En décembre 2021, 15 États, dont la France, ont publié une déclaration condamnant leur présence.

Wagner est un ensemble opaque de sociétés dont le dirigeant déclaré fait partie du cercle restreint du président russe Vladimir Poutine. Le groupe coopère étroitement avec les forces d’État russes et fait l’objet de sanctions de la part de l’UE et des États-Unis. Sa présence au Mali est préoccupante car les mercenaires de Wagner ont été associés à des atrocités, notamment en République centrafricaine. Il y a encore moins de possibilités de rendre des comptes sur les violations commises par ses mercenaires que par les forces étatiques.

Le gouvernement est également critiqué pour avoir dépensé des ressources afin d’engager ces mercenaires – ce qui pourrait bien permettre à la Russie d’obtenir des concessions économiques en retour – plutôt que de développer les capacités de ses propres forces. Et rien ne garantit que, lorsque les manifestants finiront par se retourner contre la junte plutôt que de se rallier à elle, ces forces ne seront pas utilisées comme agents de répression interne.

De plus, si leur présence est normalisée au Mali, elle peut conduire à un renforcement de leur rôle au niveau régional. C’est pourquoi les États occidentaux ne sont pas les seuls à avoir exprimé leur inquiétude. Le président ivoirien Alassane Ouattara, par exemple, a déclaré que le déploiement de mercenaires russes au Mali constituait une « ligne rouge » pour les pays de la région.

C’est le dilemme qui se pose à la CEDEAO, à la France et aux autres pays : tenir la dragée haute, risquer d’isoler le Mali et créer un espace que la Russie peut investir, ou s’engager, faire des compromis et risquer de se faire berner par une junte qui n’a peut-être pas l’intention de céder le pouvoir. Pendant ce temps, l’insécurité continue d’affecter la vie quotidienne des Maliens.

Tout le monde au Mali ne soutient pas la junte. Une coalition de 10 partis politiques a, par exemple, condamné le report des élections comme une violation de l’engagement en faveur de la transition démocratique. Le scepticisme est justifié : le coup d’État de mai 2021 était le cinquième depuis l’indépendance.

Cela ressemble au schéma habituel observé maintes et maintes fois dans le monde : un militaire s’empare généralement du pouvoir en promettant de rétablir l’ordre avant de le remettre rapidement aux civils. Mais les généraux se plaisent à être présidents, alors les calendriers sont repoussés et lorsque des élections sont finalement organisées, les militaires les contrôlent étroitement et enfilent des costumes civils pour rester en poste. Au Mali, toutes les promesses de transition n’ont pas été tenues jusqu’à présent, et lorsque la partie civile du gouvernement a tenté pour la dernière fois de limiter l’influence des militaires, ses dirigeants ont été instantanément remplacés. Alors pourquoi devrait-on faire confiance aux militaires maintenant ?

Mais il faut trouver une sorte de compromis qui permette l’entrée de l’aide humanitaire tout en fixant un véritable calendrier pour une transition plus rapide vers un régime démocratique et civil, comme condition à la levée des sanctions. Un gouvernement responsable – dans lequel les gens sentent qu’ils ont un intérêt, peuvent avoir leur mot à dire et considèrent qu’il répond à leurs besoins – offrira en fin de compte une meilleure défense contre l’insécurité que les mercenaires étrangers. Mais rien de tout cela ne se produira tant que les militaires ne se mettront pas sérieusement à négocier.

NOS APPELS A L’ACTION

  • Le gouvernement du Mali doit s’engager de toute urgence à établir une feuille de route et un calendrier de transition, avec des élections à une date convenue avec la CEDEAO, et bien avant 2025.
  • Le gouvernement du Mali doit cesser d’utiliser des mercenaires russes et travailler avec la communauté internationale pour développer une approche durable de la sécurité.
  • L’UE devrait renforcer les sanctions pour les aligner sur celles de la CEDEAO, tout en prévoyant des exemptions humanitaires afin que les Maliens les plus pauvres et les plus vulnérables ne souffrent pas.

Photo de couverture par REUTERS/Amadou Keita via Gallo Images