La junte militaire guinéenne a récemment manqué son ultime délai pour une transition démocratique, provoquant des manifestations vivement réprimées par l’État. Premier d’une série d’États africains à basculer sous contrôle militaire, la Guinée est dirigée par l’armée depuis 2021. La transition vers un régime civil a été maintes fois repoussée, s’accompagnant d’une répression des manifestations, de la détention de dissidents et de la mise au silence d’une grande partie des médias indépendants. La junte devrait faire face à une pression renouvelée de la part des organismes régionaux et internationaux pour enfin progresser vers la démocratie.

La junte militaire guinéenne tarde à amorcer la transition vers la démocratie. Au pouvoir depuis septembre 2021, elle a déjà reporté à plusieurs reprises le transfert du pouvoir. Récemment, elle a encore manqué une échéance cruciale.

Un processus électoral devait être enclenché au début de 2025, mais le 1er janvier est passé sans qu’aucun progrès n’ait été enregistré. Seule une vague promesse du chef de la junte, le colonel Mamadi Doumbouya, de signer un décret prévoyant un référendum constitutionnel – à une date non précisée – a été formulée.

La Guinée, étant le pays qui a connu la plus longue période sous régime militaire, devrait être soumise à une pression accrue pour accélérer son retour à la démocratie.

Ce dernier échec a déclenché des manifestations au début du mois de janvier, les citoyens descendant dans la rue pour défier l’interdiction générale de manifester. Les manifestants ont paralysé certains quartiers de la capitale, Conakry. Ils se sont heurtés à la répression de l’État : des centaines de manifestants, principalement des jeunes, auraient été arrêtés et une personne aurait trouvé la mort.

La junte sévit

L’accord de transition avait été convenu en octobre 2022 après plus d’un an de négociations entre la junte et la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), le principal organe intergouvernemental régional. Mais la junte souhaitait une transition encore plus longue, et elle a obtenu gain de cause en ignorant tout simplement l’accord qu’elle avait signé. Sa charte de transition stipule que la durée de la période de transition doit être convenue avec les principaux groupes sociaux et politiques, mais elle a agi unilatéralement à plusieurs reprises.

Les militaires ont d’abord joui d’une certaine popularité en renversant le président Alpha Condé, qui avait modifié la Constitution pour s’assurer un troisième mandat. Depuis, la junte a maintenu son emprise en intensifiant sa répression. La charte de transition stipule que les libertés fondamentales, y compris la liberté de réunion, seront garanties. Pourtant, en mai 2022, la junte a annoncé que les manifestations jugées « susceptibles de compromettre la tranquillité sociale » ou d’empêcher la mise en œuvre du calendrier supposé des militaires, seraient interdites jusqu’au début de la campagne électorale – qui n’a toujours pas eu lieu.

Outre la répression des manifestations en faveur de la démocratie, les autorités ont eu recours à la violence contre des protestations portant sur d’autres questions. La police a fait usage de gaz lacrymogènes et arrêté des manifestants réclamant un relogement à la suite de l’explosion d’un dépôt pétrolier en mars 2024. Deux enfants ont également été tués lors d’une manifestation contre les coupures d’électricité le même mois.

Les défenseurs de la démocratie sont en danger. En juillet 2024, les autorités ont arrêté et détenu deux dirigeants de la société civile, Mamadou Billo Bah et Oumar Sylla, du Front national pour la défense de la Constitution, un mouvement qui défend les droits et libertés constitutionnels. Les deux hommes auraient été emmenés sur une île au large de la Guinée continentale pour y être détenus.

Le chef de l’opposition Aliou Bah a été condamné en janvier 2025 à deux ans de prison pour « insulte et diffamation » envers Doumbouya ; il avait appelé les leaders religieux à s’exprimer en faveur de la démocratie et avait qualifié le gouvernement militaire d’« incompétent ». En outre, la junte a suspendu ou dissous plus de cinquante partis politiques en 2024, et a annoncé qu’elle enquêterait sur plus de soixante autres groupes, dont deux grands partis politiques d’opposition.

Les autorités s’attaquent également à la liberté des médias. En avril 2024, l’autorité des médias a suspendu le site d’information Inquisiteur et l’un de ses journalistes pour une durée de six mois, manifestement en représailles à un reportage sur la corruption. En janvier 2025, elle a suspendu le site d’information Dépêche Guinée pour une durée indéterminée, après la publication d’un article d’opinion qui, selon elle, incitait à l’insurrection et au trouble de l’ordre public. Ce même média avait déjà été suspendu neuf mois en 2024, et son directeur de publication, Abdoul Latif Diallo, interdit d’exercer pendant six mois pour des allégations de diffamation, en réponse à un reportage sur la corruption. Des sanctions similaires avaient déjà frappé le média et son équipe en 2023.

D’autres journalistes et sites web ont été suspendus, tandis que des sites web et des plateformes de médias sociaux ont été bloqués ou soumis à des restrictions d’accès. En mai 2023, le gouvernement a révoqué les licences de six médias. Des journalistes ont également été arrêtés pour avoir protesté contre les restrictions de leurs libertés, et Sékou Jamal Pendessa, secrétaire général de l’Union des professionnels de la presse de Guinée, a reçu plusieurs menaces en raison de ses critiques à l’encontre de la junte. En janvier 2024, il a été arrêté et détenu pendant plus d’un mois dans le cadre d’une manifestation en faveur de la liberté des médias. Le mois suivant, deux personnes ont été tuées lors de protestations contre sa détention.

La junte a réaffirmé à plusieurs reprises qu’elle agirait selon ses propres décisions. En février 2024, elle a dissous le gouvernement de transition, saisi les passeports et gelé les comptes bancaires des anciens ministres, tout en fermant temporairement les frontières du pays, sans fournir aucune explication. Cette mesure, qui souligne que les militaires détiennent toujours le pouvoir réel, quelle que soit l’autorité de transition mise en place, a été prise après une grève nationale contre la hausse des prix des denrées alimentaires, qui a fait deux morts.

Le temps de l’action

La Guinée a ouvert la voie à une vague de coups d’État qui s’est propagée à travers l’Afrique, formant une véritable « ceinture des coups d’État » s’étendant d’un océan à l’autre. Le Burkina Faso, le Tchad, le Mali, le Niger et le Soudan sont désormais sous régime militaire, tout comme le Gabon, au sud. Pays après pays, les militaires ont consolidé leur pouvoir au lieu de le restituer aux civils. Il n’y a pas eu de transition récente vers la démocratie et les attaques contre la société civile et les médias indépendants se sont multipliées.

La Guinée, étant le pays qui a connu la plus longue période sous régime militaire, devrait être soumise à une pression accrue pour accélérer son retour à la démocratie. Plus le délai est long, plus le danger grandit. À mesure que la junte gagne du temps et manipule les règles du jeu en sa faveur, les chances qu’une élection et une transition vers un régime civil aboutissent à une véritable démocratie et à un gouvernement capable de défier les militaires s’amenuisent. Les mesures adoptées par la junte pour museler l’opposition, emprisonner les dissidents et réprimer violemment les manifestations suggèrent que c’est précisément son intention.

La junte guinéenne doit faire face à une pression accrue pour faire avancer la transition. La CEDEAO, l’Union africaine et la communauté internationale dans son ensemble doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour inciter la junte à organiser des élections libres et équitables, afin de rétablir un régime démocratique. Ce constituerait un progrès, tant pour la population guinéenne que pour servir d’exemple aux autres pays qui constituent la « ceinture des coups d’État » africains.

NOS APPELS À L’ACTION

  • La junte guinéenne doit immédiatement élaborer un plan pour organiser des élections libres et équitables, et respecter le calendrier.
  • Dans la perspective des élections, la junte doit libérer tous les prisonniers politiques, lever toutes les interdictions et suspensions des médias, et respecter le droit de manifester pacifiquement.
  • La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, l’Union africaine et la communauté internationale dans son ensemble devraient inciter la Guinée, ainsi que les autres pays africains sous régime militaire, à s’engager sans délai sur la voie de la transition démocratique.

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Photo de couverture par Timothy A. Clary/AFP via Getty Images