La junte militaire guinéenne, au pouvoir depuis près d’un an, a récemment annoncé son intention de gouverner pendant trois années supplémentaires. Elle a fait suivre cette décision unilatérale d’une interdiction générale des manifestations. Lorsque, malgré cela, des manifestations en faveur de la démocratie ont eu lieu en juillet, elles se sont terminées par des violences meurtrières et la détention des leaders de l’opposition. L’armée a clairement indiqué qu’elle n’avait pas l’intention de respecter sa charte de transition et ses promesses de consultation. Bien que le gouvernement ait récemment accepté de réduire d’un an son mandat, il devrait subir de la pression pour revenir sur son interdiction de manifester et permettre à la population d’exprimer son mécontentement à l’égard du régime militaire.

Après s’être récemment accordé une généreuse période de grâce de trois ans, la junte militaire guinéenne n’est manifestement pas pressée de céder le pouvoir.

Le Comité national de réconciliation et de développement (CNRD) de l’armée est déjà au pouvoir depuis près d’un an, après avoir chassé le président Alpha Condé par un coup d’État en septembre 2021. Condé avait déjà perdu sa popularité auprès d’un grand nombre de personnes en orchestrant un troisième mandat présidentiel, par le biais d’un référendum entaché d’irrégularités et suivi d’une élection marquée par la violence des forces de sécurité.

L’année dernière certaines personnes sont descendues dans les rues pour célébrer la destitution d’un qui ne respectait plus la démocratie. Les coups d’Etat au Mali en 2020 et au Burkina Faso en 2022 avaient suscité des réactions similaires. Dans tous ces cas les militaires maintiennent qu’ils ont dû intervenir brièvement pour rétablir l’ordre constitutionnel. Or les transitions ont ensuite été mystérieusement retardées. Au Mali, le retour à un régime démocratique a été promis cette année, mais le plan actuel ne prévoit l’organisation d’une élection présidentielle qu’en février 2024.

En Guinée, les premières actions de la junte ont semblé rassurantes : elle a libéré un grand nombre de personnes emprisonnées pendant les élections de 2020, elle a tendu la main à la société civile et aux partis de l’opposition et a publié une Charte nationale de transition. La société civile s’est engagée avec prudence. Cependant il manquait un élément clé au processus : aucun calendrier pour la transition n’était en vue.

Et ce, jusqu’au 13 mai, date à laquelle la junte a annoncé que la transition prendrait trois ans. Cette annonce unilatérale constituait une violation flagrante de la Charte de transition, qui disposait que le calendrier serait convenu par voie de consultation.

Deux jours plus tard, une deuxième annonce a été faite : les manifestations jugées “susceptibles d’atteindre à l’ordre public” ou d’empêcher la mise en œuvre du calendrier annoncé par l’armée sont désormais interdites jusqu’au début de l’éventuelle campagne électorale, ce qui pourrait signifier des années sans manifestation légale.

La junte met tout en œuvre pour restreindre l’espace civique et faire taire toutes les voix dissonantes.

ABDOULAYE OUMOU SOW

Cela n’est guère l’acte d’un gouvernement qui a l’intention sérieuse d’évoluer vers la démocratie, ni qui respecte sa propre Charte de transition visant à garantir la liberté de réunion, entre autres libertés civiques fondamentales.

La conclusion s’impose : la junte, ayant compris que l’exercice unilatéral et prolongé de son pouvoir serait impopulaire, a décidé d’écraser toute dissidence.

Des manifestations accompagnées de violence

L’interdiction des manifestations par la junte a été apparente en juillet. Le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC), une coalition de groupes de la société civile et de partis de l’opposition qui réclament la démocratie, a appelé à une manifestation le 28 juillet dans la capitale, Conakry. Les forces armées ont été déployées, et lorsque les manifestants ont brûlé des pneus et jeté des pierres, l’armée a fait usage de gaz lacrymogènes. Le FNDC a signalé que cinq personnes avaient été tuées.

Les représailles de la junte à cette manifestation ne se sont pas arrêtées là. Peu après la manifestation, elle a arrêté et placé en détention deux dirigeants du FNDC et un haut responsable du parti de l’opposition. Ils sont accusés non seulement de participation à un rassemblement interdit, mais aussi de pillage, de destruction de biens et de coups et blessures.

Plus tôt ce mois-ci, des militants de la FNDC qui sont également membres de Tournons la Page, un réseau régional sur la question des processus démocratiques, ont été violemment arrêtés lors d’une conférence de presse.

Le FNDC s’était d’abord mobilisé contre les projets de Condé de s’accorder un troisième mandat. Les mêmes personnes qui avaient été arrêtés pour l’expression de leur dissidence sous le régime de Condé sont maintenant arrêtées par les forces qui ont débarrassé le pays de Condé.

Les voix de ceux en première ligne

Abdoulaye Oumou Sow est responsable de la communication au FNDC.

 

Le CNRD, la junte au pouvoir depuis septembre 2021, est plutôt sur la voix de la confiscation du pouvoir que de l’organisation des élections. Il met tout en œuvre pour restreindre l’espace civique et faire taire toutes les voix dissonantes qui essayent de protester et rappeler que la priorité d’une transition doit être le retour à l’ordre constitutionnel. Il emprisonne des dirigeants et des membres de la société civile et de l’opposition politique pour s’être mobilisés en vue des élections, et vient d’ordonner la dissolution du FNDC sous l’accusation fausse d’avoir organisé des manifestations armées sur la voie publique et d’agir comme un groupe de combat ou une milice privée.

En violation de l’article 77 de la charte de la transition, qui prévoit la fixation de la durée de la transition par accord entre le CNRD et les forces vives de la nation, la junte militaire a de façon unilatérale fixée une durée de 36 mois sans l’avis des forces sociales et politiques du pays. Aujourd’hui, elle s’obstine à n’écouter personne.

Les militaires répriment sauvagement les citoyen.nes qui se mobilisent pour la démocratie et exigent l’ouverture d’un dialogue franc entre les forces vives de la nation et le CNRD pour convenir d’un délai raisonnable pour le retour à l’ordre constitutionnel. N’ayant pas la volonté de quitter le pouvoir, le chef de la junte se mure dans l’arrogance et le mépris. Son attitude rappelle les temps forts de la dictature du régime déchu d’Alpha Condé.

La junte gère le pays comme un camp militaire. Depuis le 13 mai 2002, un communiqué du CNRD a interdit toutes manifestations sur la voie publique. Cette décision est contraire à l’article 8 de la charte de transition, qui protège les libertés fondamentales. Les violations des droits humains se sont ensuite multipliées. L’espace civique est complètement sous verrous. Les activistes sont persécutés, certains arrêtés, d’autres vivants dans la clandestinité. Malgré les multiples appels des organisations des droits humains, la junte multiplie les exactions contre les citoyen.nes pro démocratie.

L’avenir démocratique de la région se joue dans notre pays. Si la communauté internationale, et notamment la CEDEAO, se mure dans le silence, elle favorisera un précédent dangereux dans la région. A cause de sa gestion de la précédente crise générée pour le troisième mandat d’Alpha Condé, les citoyen.nes Guinéens ne croient pas trop à l’institution sous-régionale. Désormais, la force du changement doit venir de l’interne, par la détermination du peuple de Guinée que compte prendre son destin en main.

 

Ceci est un extrait édité de notre conversation avec Abdoulaye. Lisez l’interview complète ici.

Les manifestations ne sont pas terminées, et la répression non plus. Une mobilisation prévue pour le 4 août a été suspendue à la suite de discussions entre le FNDC et l’organisme régional CEDEAO. Mais d’autres sont prévues. Le 15 août des centaines de partisans du FNDC ont organisé une manifestation devant le siège de l’Union européenne à Bruxelles, portant les revendications du mouvement démocratique à l’extérieur du pays. Deux jours plus tard, lors d’une manifestation à Conakry, un jeune homme a été abattu.

Entre-temps, la junte avait pris l’initiative de dissoudre le FNDC et l’avait annoncé avec effet immédiat le 10 août, au motif fallacieux qu’il s’agissait d’un groupe armé.

Le besoin d’une accentuation de la pression internationale

Les militaires ont montré leurs vraies intentions. La société civile et les partis de l’opposition ne sont plus des partenaires de consultation : ils sont devenus des ennemis ciblés, à détenir et à interdire. La Charte de la transition ne vaut plus rien.

La CEDEAO a imposé des sanctions à la suite du coup d’État et a poussé la junte à s’engager à raccourcir son calendrier de transition. En juillet la junte avait accepté de raccourcir le calendrier d’un an à la suite de discussions. Mais le refus de l’armée de lever l’interdiction de manifester montre à quel point elle est prête à ignorer la désapprobation internationale.

La démocratie est mise à l’épreuve au sein de la CEDEAO : trois de ses 15 membres – le Burkina Faso, la Guinée et le Mali – sont couramment soumis à un régime militaire qui ne montre aucun signe d’abandon, et plusieurs autres membres ont des démocraties plus symboliques que fonctionnelles.

Mais la répression flagrante des manifestations par l’armée devrait rendre cette question plus urgente. L’interdiction de manifester constitue une violation flagrante des directives de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples, qui garantit le droit de manifester et dispose que les interdictions générales ne peuvent intervenir qu’en dernier recours.

Le besoin de défendre le droit de manifester en Guinée est urgent. Les manifestations constituent en effet le seul moyen par lequel les groupes civils peuvent faire part aux militaires de leur mécontentement à l’égard du calendrier laxiste de la transition et de la nature unilatérale de la prise de décision, et exiger un processus plus rapide et plus consultatif. Si la junte souhaite que son projet de transition soit pris au sérieux, elle doit permettra les manifestations.

NOS APPELS À L’ACTION

  • La junte militaire doit immédiatement revenir sur son interdiction de manifester et libérer toutes les personnes détenues dans ce cadre.
  • La junte doit s’engager à mener de nouvelles consultations avec la société civile et les partis politiques à propos du calendrier et du processus de transition.
  • La CEDEAO et l’Union africaine devraient insister à ce que la junte mette fin à son interdiction de manifester et s’en tienne à un calendrier de transition plus court.

Photo de couverture par Front National Pour La Défense De La Constitution-FNDC/Facebook