Les élections du 6 mai au Tchad ont servi à donner un vernis de légitimité au régime autoritaire. Dans un contexte d’espace civique très restreint et de concurrence très limitée, et alors que le principal opposant a été tué dans des circonstances suspectes, Mahamat Idriss Déby a été confirmé dans ses fonctions de président. M. Déby est arrivé au pouvoir par un coup d’État militaire en 2021, à la suite de la mort de son père, le dirigeant autoritaire de longue date du Tchad. Contrairement à d’autres pays francophones soumis à un régime autoritaire, le Tchad est resté fidèle à la France, qui lui rend la pareille en détournant le regard et en refusant de soutenir l’activisme en faveur de la démocratie. Tant que cela ne changera pas, il y a peu d’espoir pour la démocratie au Tchad.

Le 6 mai, les Tchadiens se sont rendus aux urnes, censés élire un nouveau président qui instaurerait un régime civil démocratique. Dix jours plus tard, le Conseil constitutionnel a confirmé qu’il n’y aurait pas de changement : le président élu était Mahamat Idriss Déby, le chef du gouvernement de transition soutenu par l’armée et censé transmettre le pouvoir.

En 2021, Déby a succédé à son père, tué lors d’une attaque rebelle après avoir été au pouvoir depuis 1990. Or, Déby n’étant pas dans la ligne de succession, il s’agissait d’un coup d’État. À la tête d’un Conseil militaire de transition (CMT), il était chargé de conduire la transition qui n’a pas eu lieu.

Selon le décompte officiel, M. Déby a remporté 61% des voix sur un taux de participation de 76%, obtenant facilement la majorité absolue nécessaire pour éviter un second tour. Ses deux principaux rivaux sont loin derrière, avec 19 et 17% des voix. De nombreuses allégations de fraude ont été formulées.

La campagne a été marquée par l’assassinat d’un important dirigeant de l’opposition et par la répression et l’assassinat de manifestants. La société civile craint que les résultats électoraux auront un effet de légitimation sur le régime autoritaire, entraînant de nouvelles violations des droits humains et des restrictions de l’espace civique.

Aucune démocratie en vue

Depuis son indépendance de la France en 1960, le Tchad a connu plusieurs coups d’État et une longue période de régime autoritaire. En 1989, le général Idriss Déby, père de Mahamat, a mené une tentative de coup d’État infructueuse contre le président autocratique Hissène Habré, qui dirigeait le Tchad avec le soutien de l’Occident, en particulier de la France, depuis 1982.

Depuis le Soudan et avec le soutien de la Libye, Déby a continué à lancer des attaques contre le Tchad, déposant finalement Habré en décembre 1990. Il a formé un parti politique, le Mouvement patriotique du salut, et a fait entériner son régime autoritaire par six élections symboliques organisées tous les cinq ans entre 1996 et 2021. Immédiatement après les élections de 2021, les rebelles l’ont tué lors d’une bataille contre les troupes gouvernementales. Cela a conduit son fils à s’installer comme « chef intérimaire », perpétuant ainsi une dynastie politique qui en est maintenant à sa quatrième décennie.

La ceinture de coups d’État de l’Afrique

En 2020, ce que l’on a appelé une « ceinture de coups d’État » a commencé à se former en Afrique centrale, en Afrique de l’Ouest et au Sahel. Cela a commencé par le Mali, qui a connu un coup d’État en 2020 et une nouvelle prise de pouvoir militaire en 2021. Il a été rejoint par le Tchad, la Guinée et le Soudan en 2021, puis par un double coup d’État au Burkina Faso en janvier et septembre 2022, ainsi qu’au Gabon et au Niger en 2023. Depuis la mi-2023, la ceinture des coups d’État s’étend d’un océan à l’autre en Afrique.

Les militaires ont d’abord déclaré que la transition prendrait fin avec les élections d’octobre 2022, mais à l’approche de cette date, ils ont lancé un « dialogue national inclusif et souverain » avec des représentants civils, qui a prolongé le règne de Déby de plus de deux ans. À l’issue de ce dialogue, qui s’est tenu au Qatar, la CMT a été dissoute et M. Déby a pris la tête d’un nouveau gouvernement de transition, dont le premier ministre est un ancien chef de l’opposition.

Selon le nouveau calendrier, des élections ont été prévues pour novembre 2024. Des manifestations ont éclaté en réponse à cette annonce, lors desquelles plus de 60 personnes ont été tuées. Le gouvernement les a dénoncées comme une tentative de coup d’État. De nombreux manifestants ont été condamnés à des peines allant de 18 mois à 5 ans de prison, mais ont été graciés par la suite. Le gouvernement a imposé un couvre-feu et une interdiction de trois mois sur l’activité politique, a arrêté d’éminents dirigeants de l’opposition et a intimidé et harcelé les voix critiques et les journalistes. Des militants ont été détenus ou ont disparu, et certains ont été contraints de quitter le pays.

En novembre 2022, le gouvernement a interdit Wakit Tama (« le moment est venu »), une coalition de groupes de la société civile, de syndicats et de partis d’opposition, qui s’était mobilisée pour la première fois pour réclamer la démocratie lorsque Idriss Déby cherchait à obtenir un sixième mandat. Toute tentative similaire de coordination à grande échelle a été interdite par la suite.

Si une problématique est ressortie du dialogue national, c’est bien la nécessité de décider si le pays doit être organisé sur une base fédérale ou centralisée. Mais le référendum organisé en octobre 2023 n‘a pas soumis cette question au vote. Au lieu de cela, il a cherché à valider une nouvelle constitution taillée sur mesure pour rendre permanent le pouvoir du président intérimaire. La société civile et les groupes d’opposition ont appelé au boycott, mais comme pour chaque vote organisé au Tchad, les dés étaient pipés.

Approuvée par 86% des électeurs, la nouvelle constitution a abaissé l’âge requis pour se présenter à l’élection présidentielle afin de permettre la candidature de Mahamat Déby, alors âgé de 38 ans, et a exigé que les deux parents du président soient des citoyens tchadiens, ce que ses principaux rivaux n’ont pas pu facilement prouver. Tous les membres de la junte et du gouvernement de transition ont été autorisés à participer aux élections.

Dans le cadre d’un accord visant à ouvrir la voie à des élections minimalement concurrentielles, après le référendum, le gouvernement a prononcé une amnistie générale pour les personnes impliquées dans les manifestations de 2022 et a autorisé les dirigeants en exil à rentrer au Tchad et à se présenter. Parmi eux, Succès Masra, qui avait fui les persécutions et un mandat d’arrêt international, est revenu au Tchad après avoir signé un accord qui le nommait premier ministre. Il s’est présenté sous la bannière du parti Transformateurs et est arrivé loin derrière en deuxième place.

Albert Pahimi, du Rassemblement national des démocrates tchadiens, a pris la troisième place. Cet homme politique, qui a été premier ministre entre 2016 et 2018, puis entre 2021 et 2022, se présente désormais comme le candidat qui pourrait empêcher le président et le premier ministre en exercice de causer une catastrophe totale dans le pays.

L’absence de celui qui aurait dû être le principal concurrent s’est fait remarquer. Yaya Dillo a été tué le 28 février lorsque les forces de sécurité ont pris d’assaut le siège de son Parti socialiste sans frontières (PSF). Cela s’est produit quelques jours après une violente attaque contre le siège de l’Agence nationale de sécurité, que le gouvernement a imputée à Dillo et au PSF.

Avec une liste incomplète, un terrain de jeu fortement incliné en faveur du régime, une journée électorale marquée par la violence et des pratiques frauduleuses qui ont proliféré en l’absence d’observation indépendante, les résultats étaient prévisibles.

Des voix en première ligne

Avant les élections, nous nous sommes entretenus avec Remadji Hoinathy, chercheur principal au bureau régional pour l’Afrique de l’Ouest de l’Institut d’études de sécurité, une organisation multidisciplinaire de sécurité humaine qui travaille avec des partenaires pour construire les connaissances et les compétences nécessaires pour soutenir la durabilité de la paix, du développement et de la prospérité en Afrique.

 

L’Agence nationale pour la gestion des élections manque d’autonomie. Alors que, théoriquement, elle est censée fonctionner de manière indépendante, le processus de nomination de ses membres favorise largement le parti au pouvoir. Le Conseil constitutionnel, chargé d’évaluer les candidats et de certifier les résultats des élections, manque également d’impartialité. Tout cela érode la légitimité du processus électoral.

La violence politique, y compris le récent assassinat de Dillo, envoie également un message effrayant aux voix dissidentes et soulève des inquiétudes quant à l’équité de l’élection.

Il y a peu de place pour une véritable concurrence. Sur dix candidats, deux se concentrent sur l’amélioration de la gouvernance, de l’équité et de la justice. Leurs programmes abordent des questions urgentes, notamment le manque de services de base tels que l’électricité et l’eau, ainsi que les grèves en cours dans des secteurs critiques comme l’éducation et la santé. En revanche, le président sortant promet la stabilité et la sécurité. Bien que leurs candidatures aient été acceptées, les candidats de l’opposition sont confrontés à des défis, notamment la violence et le contrôle étroit de la sphère publique par le parti au pouvoir.

Il faut reconnaître que le simple fait d’organiser des élections n’est pas synonyme de démocratie, en particulier si ces élections ne donnent pas lieu à une véritable concurrence et à une participation significative. Si la tendance actuelle persiste et le pouvoir reste concentré entre les mains du parti au pouvoir, il y a peu de chances d’un véritable changement politique.

 

Ceci est un extrait édité de notre conversation avec Remadji. Lisez l’intégralité de l’entretien (en anglais) ici.

La situation internationale

Les partenaires étrangers du Tchad n’exercent aucune pression en faveur de la démocratie.

Le Tchad, riche en pétrole, est depuis longtemps un allié clé des États occidentaux dans leur lutte contre l’insurrection djihadiste, travaillant avec la France et les États-Unis contre les opérations d’Al-Qaïda et d’ISIS au Sahel. Alors que d’autres pays francophones sous régime militaire – le Burkina Faso, le Mali et le Niger – ont récemment chassé les puissances occidentales de leur territoire et se sont tournés vers la Russie, le Tchad est jusqu’à présent demeuré un firme partenaire.

En mars 2024, l’armée de l’air tchadienne a demandé aux États-Unis de retirer ses troupes – moins de 100 – d’une base militaire française située près de la capitale, Ndjamena. La raison n’est pas claire, mais les États-Unis se sont retirés, du moins temporairement. En revanche, tout le reste, y compris les quelque 1.000 soldats français, est resté en place.

La France, qui soutient depuis longtemps les dirigeants autoritaires du Tchad, a veillé à ne pas provoquer de remous et a fait de son mieux pour que la politique étrangère ne figure pas à l’ordre du jour des élections. Début mars, l’envoyé spécial de la France en Afrique a rencontré les deux candidats « officiels », Déby et Masra, et a confirmé le maintien des troupes françaises.

Étant donné que les dirigeants autoritaires du Tchad sont depuis longtemps soutenus par la France, les défenseurs de la démocratie tournent de plus en plus souvent leur colère contre l’ancienne puissance coloniale. Les manifestants ont mis le feu à des drapeaux français et pris pour cible des bâtiments appartenant à la compagnie pétrolière française TotalEnergies. Wakit Tama dénonce de plus en plus la présence des troupes françaises sur le territoire tchadien et a qualifié la déclaration préélectorale selon laquelle les forces françaises resteraient sur place de « déclaration de guerre au peuple tchadien ».

Ces réactions renforcent le soutien de la France au régime autoritaire, par crainte des alternatives. Le gouvernement français a toujours soutenu les dirigeants locaux qui confortent sa position dans la région. Il a ainsi manqué de cohérence dans son soutien à la démocratie, condamnant les coups d’État militaires des forces anti-françaises au Burkina Faso et au Mali, mais soutenant les manœuvres qui ont permis de maintenir des visages amicaux à la tête du Tchad. Tant que cette situation perdurera, l’espoir d’une véritable démocratie au Tchad semble bien mince.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Le gouvernement tchadien doit lever les restrictions aux libertés d’association, d’expression et de réunion pacifique.
  • La société civile tchadienne devrait continuer à plaider et à se mobiliser pour la démocratie.
  • La communauté internationale devrait soutenir les forces pro-démocratiques et faire appel à une enquête indépendante sur la mort de Yaya Dillo.

Pour des entretiens ou de plus amples informations, veuillez contacter research@civicus.org

Photo de couverture par Joris Bolomey / AFP via Getty Images