Une course vers le bas nourrie par la xénophobie en Europe
L’Union européenne a récemment conclu un accord avec le gouvernement autoritaire égyptien pour fournir des fonds en échange de mesures renforcées visant à empêcher les migrants de rejoindre l’Europe. Un accord similaire a été conclu avec la Tunisie l’année dernière, pays également soumis à un régime autocratique. Ces accords montrent à quel point la détermination à empêcher les migrants de se rendre en Europe l’emporte sur les préoccupations en matière de droits humains. Entre-temps, le Royaume-Uni persiste dans son intention d’expulser ces migrants vers le Rwanda et l’Italie a conclu un accord similaire avec l’Albanie. Dans toute l’Europe, les forces d’extrême droite se renforcent et font monter la pression. L’extrême-droite est en déni face à la réalité d’une migration croissante provoquée par les conflits, les violations des droits humains, la pression économique et le changement climatique.
L’Union européenne (UE) prétend être une alliance fondée sur la démocratie et les droits humains, mais parfois elle semble plutôt être la meilleure amie des autocrates.
Le 17 mars, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le président égyptien Abdel Fattah el-Sisi ont fait la une au Caire. Ils ont conclu un accord qui verra l’UE fournir environ 8 milliards de dollars US sous forme de prêts, de subventions et de soutien aux investissements du secteur privé au cours des trois prochaines années. Environ 217 millions de dollars US de subventions sont destinés à aider le gouvernement égyptien à gérer les migrations, c’est-à-dire à empêcher les gens de traverser la Méditerranée pour se rendre en Europe.
L’accord a été conclu malgré le fait qu’el-Sisi, un ancien général de l’armée, a impitoyablement fermé l’espace civique depuis qu’il a pris le pouvoir par le biais d’un coup d’État en 2013. Son régime a ensuite été sanctionné par des élections qui étaient loin d’être libres ou équitables. Son gouvernement a emprisonné des dizaines de milliers de militants pacifiques, de journalistes, d’artistes et de partisans de l’opposition, souvent en vertu de lois antiterroristes. Les autorités ont bloqué des centaines de sites internet et interdit la couverture médiatique de questions qu’ils souhaitent réduire au silence. Certains groupes de la société civile ont été contraints de cesser leurs activités et de nombreux militants se sont exilés pour échapper à la prison. Mais même dans ce cas, ils ne sont pas en sécurité, car l’Égypte est l’un des cinq États les plus répressifs au monde à l’égard des militants en exil.
Rien de tout cela ne semble poser problème à l’UE, tant que l’État égyptien s’engage à utiliser son appareil de répression bien rodé pour empêcher les gens de se rendre en Europe. Ce n’est pas la première fois que les gouvernements européens se préoccupent du contrôle de la migration au détriment d’autres questions.
The European Union is ignoring repression and rewarding authoritarianism.
— Human Rights Watch (@hrw) March 19, 2024
The EU's new cash assistance and migration-control deal with Egypt is a betrayal of human rights. https://t.co/lhs0TLbWNc pic.twitter.com/huYDIofNss
L’année dernière, l’UE a conclu un accord similaire avec la Tunisie. Cet accord prévoyait également des fonds pour arrêter les migrants, et une fois de plus, le fait que le président Kais Saied soit un dirigeant autoritaire qui veille à ce que ceux qui l’opposent soient enfermés n’a pas semblé constituer un obstacle. Récemment, un groupe de membres du Parlement européen a affirmé qu’une grande partie de cet argent avait été transférée directement à M. Saied, ce qui ne peut que renforcer son régime autocratique. Dans les deux accords, les promesses de contrôle de l’immigration ont été essentielles à la conclusion de l’accord.
Contrecoup politique
Le contexte est celui d’un climat politique changeant à travers l’Europe. Les partis nationalistes et populistes d’extrême droite se renforcent actuellement : parmi les pays membres de l’UE, ils dirigent les gouvernements en Hongrie et en Italie et font partie de l’administration en Finlande, tandis qu’en Suède, le gouvernement a besoin leur soutien. La même situation pourrait bien se produire aux Pays-Bas, où un gouvernement doit encore être formé à la suite des élections de décembre 2023.
Dans d’autres pays tels que la France, l’Allemagne et le Portugal, les partis d’extrême droite montent en flèche dans les sondages et exercent une influence croissante même lorsqu’ils ne sont pas au pouvoir. Ils contrôlent le débat et attirent le centre politique vers eux, tandis que les autres partis cherchent à limiter leur influence en adoptant des politiques similaires. Les élections européennes de juin renforceront probablement la position des partis d’extrême droite. Mme von der Leyen sera certainement consciente de ces enjeux politiques alors qu’elle brigue un second mandat.
L’hostilité à l’égard des migrants est l’un des principaux messages des populistes et nationalistes de droite en Europe. En période de difficultés économiques, les personnes en difficultés sont encouragées à responsabiliser ceux qui ont le moins plutôt que de réclamer une redistribution du pouvoir économique et politique. Ce qui était autrefois considéré à juste titre comme des opinions extrémistes confinées aux extrêmes politiques est désormais devenu dominant. Les partis d’extrême droite, autrefois marginalisés politiquement, ont été intégrés dans le paysage politique. La première ministre de l’Italie Giorgia Meloni, chef du parti d’extrême droite Frères d’Italie et issue du mouvement néofasciste, se tenait aux côtés de Mme von der Leyen lors de son voyage en Égypte.
Cela conduit à une nette disparité dans le traitement des migrations. Les pays européens ont largement continué à accueillir les nombreuses personnes déplacées par la guerre de la Russie contre l’Ukraine. À la fin de l’année dernière, on comptait 6,3 millions de réfugiés ukrainiens, dont 5,9 en Europe, ainsi que 3,7 millions de personnes déplacées à l’intérieur de l’Ukraine.
Il y a des signes que la compassion diminue à mesure que la guerre s’éternise. En Irlande, la pénurie de logements a provoqué une réaction brutale, aboutissant à une émeute anti-migrants à Dublin en novembre 2023. Le mois suivant, le gouvernement a annoncé qu’il réduirait son aide aux nouveaux arrivants en provenance d’Ukraine, dans le but explicite d’essayer de dissuader de nouveaux arrivants. Dans toute l’UE, le statut temporaire qui leur a été accordé devant expirer en 2025, les Ukrainiens s’inquiètent de savoir combien de temps ils seront autorisés à rester.
Mais il n’en reste pas moins que tous les autres migrants reçoivent un traitement bien pire. Les mêmes gouvernements européens qui continuent d’accueillir les Ukrainiens intensifient leur ciblage des personnes racisées provenant du Sud.
En Allemagne, la pression politique s’intensifie alors que l’Alternative pour l’Allemagne, parti d’extrême droite, connaît une forte augmentation de sa popularité dans les sondages. En novembre, le gouvernement a annoncé des mesures plus sévères pour les demandeurs d’asile, notamment des réductions de prestations sociales.
La Grèce, de son côté, a placé l’hostilité envers les migrants et les réfugiés – et la société civile qui s’efforce de les aider – au cœur de sa politique. Des travailleurs humanitaires ont été poursuivis en justice sur la base d’accusations graves, notamment d’espionnage, de trafic de personnes, d’appartenance à des organisations criminelles, de fraude et de blanchiment d’argent. Il s’agit de crimes passibles de peines d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 25 ans. Nombre d’entre eux ont été placés en détention provisoire et d’autres ont été soumis à une interdiction de voyager. Le gouvernement a également placé les militants sous surveillance. Les opérations de sauvetage des migrants en mer ont été criminalisées, obligeant plusieurs organisations à mettre fin à leurs efforts. La Grèce a également été accusée de procéder à des refoulements illégaux et s’est même vantée de « bloquer » l’accès à ses frontières.
Ces restrictions des droits de la société civile qui travaille pour aider les migrants et les réfugiés ont été l’une des principales raisons du CIVICUS Monitor pour baisser la note de l’espace civique de la Grèce, qui est passée de « rétréci » à « entravé » en mars 2023.
Le défi pour la société civile est que ces actions reçoivent un certain niveau de soutien public, ce qui explique pourquoi les partis intensifient la rhétorique anti-migrants avant les élections. Le parti au pouvoir en Grèce, un parti traditionnel de centre-droit, a remporté un second mandat en 2023 en adoptant largement des politiques anti-migrants autrefois réservées à l’extrême droite. Ce cas illustre parfaitement la manière dont les idées extrémistes infiltrent le centre politique.
L’ironie réside dans le fait que la Grèce, comme l’Allemagne et plusieurs autres pays européens, connaît actuellement une pénurie de main-d’œuvre dans des secteurs clés de son économie, notamment l’agriculture et les services. En réponse à cette situation, le gouvernement grec a accordé en décembre une reconnaissance légale à des milliers de sans-papiers.
La Grèce est loin d’être le seul pays de l’UE accusé de pratiquer des refoulements illégaux. En avril, la Lituanie a adopté une loi légalisant les refoulements dans les situations d’urgence. Au niveau régional, l’UE est accusée de mauvais traitement des migrants et des réfugiés, ce qui contredit ainsi ses nobles principes en matière de droits humains. Son agence des frontières, Frontex, est accusée de violences et d’autres violations des droits. Des groupes de la société civile affirment que ses politiques sont au moins en partie responsables de la mort de plus de 3.000 personnes l’année dernière.
La situation risque de s’aggraver. En décembre dernier, les États membres de l’UE ont adopté un pacte sur la migration. Cela menace de créer des centres de détention aux frontières, d’accélérer les expulsions et de permettre aux États de procéder à des refoulements dans les situations de crise. Par ces actions, l’UE est en train d’éroder la solidarité humanitaire et de déshumaniser les migrants et les réfugiés.
Relocalisation de la migration
Outre les accords de l’UE avec des dictateurs, l’hostilité croissante envers les migrants s’exprime dans une autre tendance émergente inquiétante : la délocalisation des réponses migratoires, à savoir le fait que les États paient des pays plus pauvres pour accueillir les migrants dont ils ne veulent pas. L’Australie était à l’origine de cette approche en 2001 en envoyant des migrants dans des centres de détention à Nauru et en Papouasie-Nouvelle-Guinée, mais jusqu’à récemment, elle était restée relativement isolée. Aujourd’hui, le gouvernement britannique poursuit son plan Rwanda, avec l’intention d’expulser les personnes qui entrent illégalement au Royaume-Uni vers le Rwanda et de les forcer à y rester même si leur demande d’asile est acceptée.
Il n’était pas clair si le gouvernement anticipait véritablement le succès du plan Rwanda lors de sa présentation, ou si son objectif était simplement de mettre l’opposition dans une position délicate sur une question politique d’actualité, étant donné que le parti au pouvoir était en déclin dans les sondages. Bien que le Royaume-Uni reçoive beaucoup moins de demandeurs d’asile que les autres grands pays européens, les politiciens de droite et les médias qui les soutiennent ont concentré leur attention sur la question des « petits bateaux ». Il s’agit des migrants arrivant sur la côte sud du Royaume-Uni après avoir traversé depuis la France. Avec la fermeture de tous les itinéraires plus sûrs pour les sans-papiers, certaines personnes prennent le risque de traverser la route maritime la plus fréquentée du monde à bord d’embarcations inadaptées vendues par des gangs de trafiquants sans scrupules.
Le Premier ministre britannique, Rishi Sunak, a fait du plan Rwanda une priorité politique, mais la société civile a porté l’affaire devant les tribunaux pour tenter de l’empêcher. En novembre dernier, la Cour suprême du Royaume-Uni a déclaré le plan Rwanda illégal au motif que le Rwanda n’est pas un pays sûr pour les demandeurs d’asile. Le Rwanda est un État autoritaire où l’espace civique est réprimé, où les détracteurs du président Paul Kagame sont régulièrement assassinés ou emprisonnés, où les droits des personnes LGBTQI+ ne sont pas respectés et où les migrants sont victimes de discrimination.
L’argumentation du gouvernement britannique va dans les deux sens, affirmant à la fois que le Rwanda est un pays accueillant et que la perspective d’y être envoyé dissuadera les gens de traverser la Manche. Suite à la décision de la Cour suprême, le projet de loi a été nouvellement rédigé et le protocole d’accord avec le Rwanda a été remplacé par un traité. Le gouvernement a également proposé un projet de loi, actuellement en cours d’examen au Parlement, qui ne tient pas compte de l’arrêt de la Cour en déclarant que le Rwanda est un pays sûr. Ce projet de loi limite également la possibilité pour les individus de contester en justice les décisions de relocalisation. En cette année électorale, le gouvernement semble résolu à faire passer de force ce projet de loi et à expulser les migrants avant le début des élections.
Le gouvernement a également annoncé un projet de modification des règles visant à obliger le personnel gouvernemental à ignorer tout arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme limitant les expulsions prévues. En même temps, de nombreux politiciens extrémistes défendent l’idée que le Royaume-Uni devrait se retirer de la Cour européenne.
Si le projet britannique entre en vigueur, il est probable qu’il encouragera d’autres pays à imiter cette approche. Le Danemark a déjà signé un protocole d’accord similaire avec le Rwanda en 2021, mais n’y a pas encore donné suite. L’Italie a également suivi la même voie. En novembre dernier, son gouvernement a annoncé un accord avec l’Albanie pour relocaliser les migrants secourus en Méditerranée, une route migratoire importante. En contrepartie, l’Italie a promis de soutenir les efforts de l’Albanie pour adhérer à l’Union européenne. L’accord a été temporairement bloqué par la Cour constitutionnelle albanaise le mois suivant, mais a reçu le feu vert en janvier.
L’idée selon laquelle les pays les plus riches peuvent simplement payer les pays les plus pauvres pour résoudre leurs problèmes suscite des questions inquiétantes quant à leur perception du monde, qui semble divisé entre ceux qui ont des droits et ceux qui n’en ont pas. Cela rappelle le colonialisme. De plus, cette rhétorique politique alimente la discrimination et la diffamation dans les pays du Nord à l’encontre des personnes racisées et des personnes non chrétiennes.
Pendant ce temps, les conséquences mortelles de la fermeture des voies de migration sûres et légales continuent de se manifester. En 2023, plus de 2.500 personnes sont mortes en traversant la Méditerranée. Avec la fermeture de ces voies, les migrants entreprennent des voyages encore plus périlleux. Actuellement, certains tentent de traverser l’océan Atlantique pour rejoindre les îles Canaries en Espagne, une entreprise extrêmement dangereuse. Le nombre de personnes effectuant cette traversée depuis l’Afrique de l’Ouest a augmenté de plus de 1.000% en 2023. Selon l’organisation de la société civile Caminando Fronteras (« Marchant sur les frontières »), en 2023, 6 618 personnes ont péri ou ont été portées disparues en essayant de rejoindre l’Espagne, dont 384 enfants, soit une moyenne de 18 décès par jour.
Ce nombre choquant de décès résulte du refus des États de reconnaître la réalité d’un monde où de plus en plus de personnes sont en mouvement. Les conflits se sont multipliés en 2023, avec une personne sur six dans le monde étant actuellement exposée à un conflit, et constituent une cause majeure de déplacement. Plus de 114 millions de personnes sont aujourd’hui déplacées en raison de conflits, de répressions politiques, de violations des droits humains, de conflits économiques et, de plus en plus, du changement climatique. L’hostilité croissante envers les migrants, les réfugiés et les personnes déplacées ne changera rien à cette réalité, de même que les accords conclus avec les dictateurs que beaucoup de migrants tentent de fuir. Les gouvernements et les hommes politiques doivent de toute urgence redécouvrir les valeurs d’empathie et de compassion.
NOS APPELS À L’ACTION
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L’Union européenne devrait s’engager à respecter les principes fondamentaux des droits humains dans toutes ses politiques à l’égard des migrants et des réfugiés.
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Les gouvernements italien et britannique devraient immédiatement revenir sur leurs projets de relocalisation des migrants et des réfugiés dans d’autres pays.
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La société civile européenne devrait œuvrer à promouvoir la solidarité avec les migrants et les réfugiés plutôt que l’hostilité envers eux.
Pour des interviews ou de plus amples informations, veuillez contacter research@civicus.org
Photo de couverture par Louisa Gouliamaki/AFP via Getty Images