Le référendum du 25 juillet en Tunisie a donné lieu à une grande majorité en faveur de la nouvelle constitution du président Kais Saied, mais avec un taux de participation très faible. La nouvelle Constitution, qui supprime les poids et contrepoids au pouvoir présidentiel et réduit le rôle du Parlement, marque la dernière phase dans la mission ininterrompue de Saied visant à faire reculer la démocratie tunisienne et à concentrer le pouvoir entre ses mains. D’autres restrictions des libertés civiques et démocratiques semblent devoir suivre. Les partenaires internationaux démocratiques de la Tunisie doivent exercer davantage de pression pour que la Tunisie ne subisse pas le même sort que les autres autocraties d’Afrique du Nord.

Le président tunisien Kais Saied a atteint son objectif : le référendum du 25 juillet lui a conféré un pouvoir quasi-incontestable. Une nouvelle atteinte aux droits humains semble inévitable.

Une feuille de route pour la répression

Le référendum a eu lieu exactement une année après le coup d’État furtif de Saied : le 25 juillet 2021, il a révoqué le Premier ministre et dissout le Parlement. Depuis lors, ses actions sont de plus en plus autoritaires.

Depuis septembre, quand Saied a acquis le pouvoir de gouverner par décret, il a détenu plusieurs opposants politiques, ainsi que d’autres personnes qui avaient qualifié ses actions de coup d’État. En février, il a dissout le Conseil judiciaire suprême et l’a remplacé par un organe de son choix.

En mars, c’était au Parlement suspendu d’être dissout, quelques heures après avoir tenu une session en ligne qui s’était prononcé contre les mesures du président.

En avril, Saied a estimé que la commission électorale n’était pas à son goût et l’a placée sous son contrôle ; le mois suivant, il a nommé de nouveaux membres.

En juin, Saied a licencié 57 juges, après avoir introduit un décret présidentiel lui donnant le pouvoir absolu de le faire. Cette mesure a incité les juges à se mettre en grève.

En ce même moment, la Tunisie se montrait face au monde entier comme faisant avancer sa démocratie grâce à l’élaboration d’une nouvelle Constitution. En décembre, sous la pression des partenaires internationaux de la Tunisie, Saied a annoncé une feuille de route vers le référendum puis les élections législatives, prévues en décembre 2022. Un processus de consultations communautaires et en ligne a été lancé.

Les partis politiques, auxquels Saied a reproché une gouvernance dysfonctionnelle lorsqu’il a entamé son coup d’État, ont été exclus des consultations. La manière dont ces consultations devaient influencer la rédaction du projet n’était pas claire. Et lorsque le chef du comité chargé de rédiger la Constitution, Sadok Belaid, a remis la proposition, Saied l’a tout simplement réécrit. Belaid a condamné le texte qui est maintenant passé dans la loi. La consultation n’était manifestement rien d’autre qu’un exercice de légitimation.

La démocratie signifie la séparation des pouvoirs, des poids et contrepoids, et la participation, mais tout cela a été annulé par le président depuis juillet 2021.

AMINE GHALI

C’est certainement une constitution qui joue en faveur de Saied. Elle confirme les pouvoirs exécutifs étendus du président et réduit le Parlement. Elle efface effectivement la séparation des pouvoirs, lui donnant le contrôle ultime sur le Parlement, le système judiciaire et le militaire.

Le président est libre de nommer et de révoquer le gouvernement, sans besoin de l’approbation du parlement, et de gouverner par décret lorsqu’il n’y a pas de Parlement. Le président peut soumettre des projets de loi au Parlement et celui-ci doit leur accorder la priorité. Il n’existe pas de mécanisme de mise en accusation du président. Les termes clés, y compris ceux relatifs aux droits humains, ne sont pas définis, ce qui permet à Saied d’interpréter la Constitution comme il l’entend, sans que ni le Parlement ni le pouvoir judiciaire ne puissent contester son interprétation.

La Constitution progressiste et démocratique de 2014, élaborée dans le cadre d’un processus soutenu par la société civile, qui a empêché un retour à l’autocratie et permis à quatre groupes de la société civile tunisienne de recevoir le prix Nobel de la paix, est morte.

Les voix de la ligne de front

Amine Ghali est directeur du Centre de transition démocratique Al Kawakibi, une organisation de la société civile promouvant la contribution de la société civile envers la démocratie et la justice transitionnelle en Tunisie et dans la région.

 

Au début de l’abus de pouvoir du président, certains militants de la société civile mécontents à cause des problèmes rencontrés ces dernières années dans le cadre d’une démocratie inefficace, ont vu dans la démarche de Saied une tentative politique de corriger la trajectoire de notre démocratie. L’une des premières promesses de Saied était de lutter contre la corruption et la mauvaise gouvernance.

Mais dès que le président a révélé son intention de modifier la constitution, les partis politiques, les personnes influentes et certains groupes de la société civile ont commencé à s’y opposer.

Les groupes les plus visibles et les plus influents le critiquent, surtout depuis que le projet de nouvelle Constitution a été communiqué au public ; ils ont compris que son objectif n’est pas de « restaurer la démocratie », mais plutôt de l’attaquer.

Si l’on examine les derniers sondages sur la cote de popularité du président Saied, on constate qu’il bénéficie toujours d’un énorme soutien public. Mais cela n’est que le résultat de sa politique populiste : le populisme – du moins pendant ses premiers stades- compte de nombreux partisans. Mais une fois que le président populiste ne parvient pas à tenir ses promesses, il perd sa popularité et son soutien. En Tunisie, nous en sommes encore aux premiers stades du populisme.

Mais le président et son régime ne se soucient pas de la légitimité. Par exemple, lorsque la consultation nationale a eu lieu il y a plusieurs mois, elle a constitué un échec total en termes de taux de participation. Pourtant, le président Saied s’en est servi pour justifier l’organisation de ce référendum.

Je crains que la prochaine phase soit assez effrayante car le président a le pouvoir ultime de changer les lois sans aucun contrôle, en l’absence d’un système judiciaire, d’une Cour constitutionnelle et d’un Parlement indépendants.

La démocratie signifie la séparation des pouvoirs, des poids et contrepoids, et la participation, mais tout cela a été annulé par le président depuis juillet 2021. Il a resserré son emprise sur l’ensemble de l’organe exécutif, l’ensemble de l’organe législatif, et même une partie de l’organe judiciaire. Avec une telle attaque contre le pouvoir judiciaire, nous pouvons moins compter sur les juges pour être les ultimes défenseurs des droits et des libertés. La qualité de notre démocratie est vraisemblablement à son pire niveau depuis la révolution de 2010 qui a chassé l’autocrate Zine al-Abidine Ben Ali.

La situation des droits humains s’aggrave avec le déclin de la démocratie. Nous avons été témoins de plusieurs violations des droits humains, dont certaines nous ont rappelé le type d’abus commis pendant les premières années de la révolution. La différence entre cette époque et aujourd’hui est l’absence de toute responsabilité. Le président n’a été tenu responsable d’aucune des décisions qu’il a prises au cours de cette dernière année.

Le sentiment partagé est que la communauté internationale a abandonné la Tunisie. Elle a offert une réponse vacillante face à cette attaque contre la démocratie et la perte d’un pays démocratique.

Par ces moyens, ils encouragent le président à commettre davantage de violations. Ces pays font un pas en arrière envers leurs politiques des dernières décennies, donnant la priorité à la sécurité et à la stabilité et les faisant primer sur la démocratie et les droits humains dans notre région.

 

Ceci est un extrait édité de notre conversation avec Amine. Lisez l’interview complète ici.

Diviser pour mieux régner

La société civile tunisienne reste divisée, reflétant les divisions plus larges de la population. Saied est un président populiste qui s’efforce constamment de se présenter comme étant du côté des masses, capitalisant sur la frustration populaire à l’égard du système parlementaire multipartite fragmenté et inefficace. Les gens se sont mobilisés tant contre comme pour chaque mesure régressive prise par Saied, y compris concernant l’imminent référendum.

De nombreux groupes de la société civile étaient initialement prêts à accorder à Saied le bénéfice du doute lorsqu’il a démis le premier ministre et suspendu le parlement, y voyant un potentiel pour restaurer l’esprit de la révolution de 2010-2011. Depuis, beaucoup sont mécontents, car les actions de Saied sont devenues plus ouvertement autoritaires. Mais les avis restent partagés sur la meilleure façon de réagir : différents groupes ont organisé des manifestations distinctes.

Le soutien de l’opinion publique à la Constitution de Saied est démontré par un vote annoncé provisoirement comme étant favorable à 94,6 %. Mais l’apathie et l’opposition sont communiquées par un faible taux de participation d’environ 30 %, ce chiffre pouvant même être artificiellement gonflé. Dans de nombreux pays, les référendums sur des révisions constitutionnelles radicales exigent un taux de participation minimum, mais Saied a veillé à ce qu’aucune disposition de ce type ne s’applique.

Les chiffres officiels définitifs ne seront annoncés qu’en août, suite à une procédure d’appel. Mais il est clair que si Saied a obtenu le changement qu’il souhaitait, celui-ci n’a pas été légitime. Si bien une campagne de boycott organisée par l’opposition a certainement eu un impact, simultanément de nombreux Tunisiens sont restés chez eux par cause d’apathie mêlée de désaffection politique, et parce que l’économie défaillante de la Tunisie les préoccupe davantage que les machinations présidentielles.

Quelles que soient les raisons pour le faible taux de participation, aucun dirigeant ne devrait pouvoir prétendre à des changements aussi majeurs sur la base d’un vote auquel le 70 % des électeurs ne se sont pas présentés. Si Saied voulait vraiment rassembler la nation et renforcer la démocratie, il reconnaîtrait l’indispensabilité de faire le point, de reconsidérer et de consulter plus largement.

Problèmes sur l’horizon

Mais Saied n’est pas ce genre de leader. En tant que populiste, il ne veut pas unir la nation mais plutôt la diviser, en rabaissant ses opposants pour séduire la partie du public qui le soutient. Il devra continuer à agir ainsi car il ne parvient pas à résoudre les problèmes économiques de son pays.

Il a déclaré triomphalement que ce résultat marquait le début d’une « nouvelle république » avant d’indiquer clairement son intention de continuer à attiser la division, en déclarant que « tous ceux qui ont commis des crimes contre le pays seront tenus responsables ».

On peut être sûr qu’il s’agit de ses adversaires politiques, et en particulier du parti Ennahda, que Saied vise depuis longtemps. Mais il s’agit aussi d’autres opposants. Les libertés des médias se détériorent. Les violations des droits des journalistes se sont multipliées depuis le coup d’État de Saied, notamment par des campagnes de dénigrement, des détentions et des violences lors de la couverture médiatique de manifestations.

En mai, des journalistes ont manifesté contre l’ingérence croissante de l’État dans les médias publics, suite à la détention d’un journaliste sur la base de motifs antiterroristes. Le jour du vote, certains journalistes ont été empêchés de faire leur reportage ou ont été harcelés.

La répression violente de la plus grande manifestation contre le référendum, qui s’est tenue à Tunis, la capitale, le 22 juillet, peut également donner un indice de ce qui est à venir. La police a utilisé des matraques et des gaz lacrymogènes contre les manifestants, arrêtant neuf personnes.

Le référendum a conduit à un président soumis à aucun poids et contrepoids, qui par conséquent est libre de poursuivre les attaques. Les organisations de la société civile sont ciblées. Une proposition de loi donnera au gouvernement le pouvoir d’interdire et de dissoudre des organisations et de bloquer leur financement. Qui empêchera Saied de la mettre en œuvre ?

Les libertés civiques risquent d’être davantage étouffées. Le défi revient aux partenaires internationaux démocratiques de la Tunisie, qui ont déjà exercé de la pression sur Saied pour obtenir sa feuille de route pour une Constitution et des élections. Ceux-ci ne doivent pas croire aux artifices de la consultation destinés à dissimuler le résultat autoritaire conçu par Saied.

Au contraire, ils doivent insister sur la nécessité de restituer la démocratie et le respect des droits humains dans toutes leurs interactions avec la Tunisie. Les alliés à l’est du pays – l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis – n’y ont aucun intérêt. Mais c’est dans l’intérêt des États démocratiques que la Tunisie ne suive pas la même voie antidémocratique que ses voisins de l’Afrique du Nord.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Le président Saied doit s’engager à faire respecter la liberté d’association et mettre fin à ses projets de modification de la loi sur les organisations de la société civile.
  • Les États démocratiques entretenant de bonnes relations avec la Tunisie doivent exercer davantage de pression sur le président Saied pour qu’il fasse marche arrière sur ses attaques contre les libertés civiques et démocratiques.
  • La société civile internationale doit s’associer et soutenir les groupes de la société civile tunisienne qui sont attaqués.

Photo de couverture par Zoubeir Souissi/REUTERS via Gallo Images