L’asile au Royaume-Uni : un aller simple pour le Rwanda ?
Le gouvernement britannique a récemment annoncé un plan d’expulsion des demandeurs d’asile vers le Rwanda. Il s’agit-là évidemment d’une manœuvre de la part d’un premier ministre agissant sous la pression, dont le but est d’apaiser des partisans de droite. L’accord offre peut-être aussi au gouvernement autoritaire du Rwanda la possibilité de se présenter comme un partenaire international respectable et un havre de paix pour les migrants. En réalité, ce plan n’aidera en aucun cas à résoudre les nombreux problèmes, tels que les conflits, la répression, la pauvreté et le changement climatique, qui poussent des personnes désespérées à fuir leur pays. Les demandeurs d’asile ne devraient pas être traités comme des problèmes à dissimuler, mais comme des êtres humains qui méritent empathie et solidarité.
Environ 6 500 kilomètres séparent le Royaume-Uni du Rwanda. C’est la distance que les demandeurs d’asile seraient contraints de parcourir en vertu d’un accord récemment annoncé visant à les expulser du Royaume-Uni vers l’Afrique de l’Est. Il s’agirait d’un voyage sans retour : même si leur demande d’asile aboutissait, ils ne seraient pas autorisés à rentrer au Royaume-Uni, mais devraient s’installer au Rwanda.
Une démarche motivée par des raisons politiques
L’idée semble être que la perspective d’une expulsion a un effet dissuasif et empêche les personnes de venir au Royaume-Uni. Chaque année, des milliers de personnes risquent leur vie en traversant la Manche dans de petites embarcations mal équipées et affrontent des conditions de mer difficiles. En 2021, au moins 28 431 personnes sont arrivées au Royaume-Uni de cette manière, bien que le gouvernement n’ait cessé de durcir les règles en matière d’immigration.
Il est clair que quelque chose ne tourne pas rond. Les personnes qui fuient leur pays continuent de tenter la traversée malgré les risques et malgré le fait que même si elles arrivent à bon port saines et sauves, elles devront probablement attendre longtemps une décision sur leur demande d’asile, avec de fortes chances que celle-ci soit rejetée. En attendant cette décision, elles vivent dans des conditions déplorables et se voient refuser des droits fondamentaux, comme le droit de travailler. Pour entrer au Royaume-Uni, elles paient une fortune à des trafiquants d’êtres humains qui exigent des frais exorbitants et ne tiennent aucunement compte de leur sécurité. Aucun de ces obstacles ne les a arrêtées, mais le gouvernement espère malgré tout que sa menace de les envoyer à l’autre bout du monde sera plus efficace pour les dissuader.
Il n’y a pas de secret : les personnes qui tentent de fuir empruntent des routes dangereuses uniquement parce que les voies plus sûres ont été fermées. Comme le gouvernement britannique a renforcé les contrôles aux frontières, d’autres voies, comme le tunnel entre la France et la Grande-Bretagne, sont devenues inaccessibles. Il n’existe aucun moyen sûr et légal pour les demandeurs d’asile d’atteindre le Royaume-Uni, ni aucune possibilité de demander l’asile depuis l’extérieur. Le Royaume-Uni prétend vouloir lutter contre la traite des êtres humains, mais en rendant l’entrée sur son territoire impossible par d’autres moyens, il continue à alimenter la demande.
Bien que le Royaume-Uni accueille généralement beaucoup moins de demandeurs d’asile que d’ autres grands pays européens (six demandes d’asile pour 10 000 personnes contre 11 en moyenne dans l’Union européenne), l’immigration est devenue un enjeu politique majeur. Le parti conservateur au pouvoir n’a cessé de délivrer un message anti-immigration pour attirer les électeurs de la classe ouvrière du parti travailliste d’opposition et repousser le défi des partis de droite, en présentant le renforcement du contrôle de l’immigration comme un avantage clé du Brexit.
Cependant, les journaux de droite rapportent quotidiennement de manière sensationnelle l’arrivée de bateaux chargés de personnes espérant fuir et demandent au gouvernement d’en faire plus pour les empêcher d’entrer dans le pays. Un récent sondage a montré que l’immigration est l’une des questions sur lesquelles le gouvernement est considéré comme le plus mauvais élève.
Le gouvernement a donc fait part de son intention de prendre des mesures plus sévères. Avant l’annonce de l’accord avec le Rwanda, l’Albanie et le Ghana avaient été envisagés comme pays d’accueil potentiels. Tous deux ont toutefois rapidement pris leurs distances avec cette idée. Aucun des deux pays ne souhaite être considéré comme un pays où il fait si mauvais vivre qu’il décourage les migrants d’y venir, ce qui est normal. À un moment donné, le gouvernement aurait même envisagé d’expulser les demandeurs d’asile vers la minuscule île de l’Ascension, au milieu de l’Atlantique Sud, ou d’utiliser des machines à vagues pour perturber les bateaux.
Mais le gouvernement a ensuite réussi à conclure un accord avec le Rwanda. Le choix du moment semblait motivé par un calcul politique : des élections municipales auront lieu en mai au Royaume-Uni et le parti conservateur, ébranlé par les nombreuses révélations sur les violations des règles en matière de lutte contre la pandémie par le Premier ministre Boris Johnson, craint de perdre de nombreux électeurs. Un discours ferme sur l’immigration pourrait être bien accueilli par les électeurs habituels.
L’annonce, apparemment précipitée, ne contenait aucun détail et a soulevé plus de questions que de réponses. Le gouvernement a déclaré qu’il verserait 120 millions de livres sterling (environ 156 millions de dollars américains) au Rwanda pour un accord de cinq ans, mais on ne sait pas ce que les coûts initiaux couvrent, ni ce qu’il adviendra après ces cinq années. On ne sait pas non plus combien de personnes seraient expulsées vers le Rwanda, dans quelles conditions elles y vivraient et quels seraient leurs droits. Ces personnes pourraient se retrouver abandonnées dans des camps de réfugiés pendant des années, avec peu de chances de recevoir le soutien dont elles ont besoin pour faire valoir leurs droits et reconstruire leur vie.
Le gouvernement britannique n’a pas révélé les critères qu’il utiliserait pour décider qui serait envoyé au Rwanda, mais il a indiqué que le programme viserait les jeunes hommes. Cela pourrait rendre le regroupement familial plus difficile et même inciter de manière perverse les trafiquants d’êtres humains à se concentrer sur le transfert de femmes et d’enfants, à qui l’ont fait croire qu’ils sont à l’abri de l’expulsion.
Les avantages pour le Rwanda
Le véritable objectif du plan est peut-être de camoufler le problème en éloignant les demandeurs d’asile à des milliers de kilomètres. Mais alors que le gouvernement britannique a mis l’accent sur l’effet dissuasif présumé, il s’est retrouvé dans la position inconfortable de devoir insister à la fois sur le fait que le Rwanda est un pays parfaitement sûr et accueillant, en réponse aux critiques formulées à l’encontre de son plan, et accuser les critiques de dénigrer le Rwanda.
Pourtant, l’année dernière encore, le gouvernement britannique figurait parmi les détracteurs du Rwanda. Lorsque le bilan du Rwanda en matière de droits humains a été évalué en janvier 2021 dans le cadre du processus d’examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (CDHNU), le gouvernement britannique a exhorté le pays à enquêter sur les exécutions extrajudiciaires, les décès en détention, les disparitions forcées et la torture, à protéger les journalistes et à apporter un soutien aux victimes de la traite des êtres humains, y compris dans les centres de transit gouvernementaux. Le Royaume-Uni avait manifestement des inquiétudes au sujet des droits humains, notamment les droits des migrants.
Ces inquiétudes sont fondées. Le président autoritaire du Rwanda, Paul Kagame, a concentré de plus en plus le pouvoir au cours de ses 22 années de mandat et a modifié la Constitution de son pays en 2015 afin de rester au pouvoir jusqu’en 2034. Il ne tolère aucune forme de société civile indépendante et réprime impitoyablement les dissidents. Récemment, des opposants politiques ont été arrêtés et des journalistes emprisonnés. Environ 3 500 personnes auraient été ciblées par le gouvernement à l’aide du logiciel espion Pegasus. Ces dernières années, plusieurs dissidents en exil ont été assassinés.
L’une des raisons pour lesquelles Paul Kagame pourrait approuver ce partenariat vient probablement du fait que le Royaume-Uni, un autre pays du Commonwealth, se sentira certainement moins à même de critiquer son bilan en matière de droits humains.
Une tendance insidieuse
L’Agence des Nations unies pour les réfugiés a critiqué le plan, déclarant que le gouvernement britannique cherchait apparemment à se soustraire à ses obligations internationales en transférant sa responsabilité à un autre pays, ce qui est contraire à la lettre et à l’esprit de la Convention sur les réfugiés.
Gillian Triggs du HCR a exprimé sa forte opposition au plan d’expulsion des demandeurs d’asile du Royaume-Uni en déclarant que « les personnes qui fuient la guerre, les conflits et les persécutions méritent compassion et empathie. Elles ne devraient pas être échangées comme des marchandises et transférées à l’étranger pour y être traitées. »
People fleeing war, conflict and persecution deserve compassion and empathy.
— UNHCR, the UN Refugee Agency (@Refugees) April 14, 2022
They should not be traded like commodities and transferred abroad for processing.
- UNHCR’s @GillianTriggs on UK plan to export asylum to Rwanda: https://t.co/DThBQ5aDC4 pic.twitter.com/4DwDq9nt1n
Elle a été rejointe dans ses critiques par l’archevêque de Canterbury, chef de l’Église d’Angleterre, qui, dans son sermon de Pâques, a qualifié le plan de « contraire à la nature de Dieu », et par plus de 160 organisations de la société civile, qui ont qualifié la politique de « cruelle et immorale » et de « violation de la Convention sur les réfugiés ».
Le plan se heurtera certainement à des difficultés juridiques, de sorte qu’il ne pourrait jamais entrer en vigueur. Boris Johnson l’a reconnu et a même semblé se réjouir de cette situation. L’intention n’est peut-être pas tant de proposer un plan réalisable que de déclencher une bataille politique qui pousserait l’opposition et le lobby des droits humains dans leurs retranchements et raviverait le soutien à Boris Johnson. Les médias pro-gouvernementaux affichent un soutien enthousiaste et critiquent ceux qui envisagent des actions en justice, les qualifiant de politiquement motivées. C’est ce que l’on appelle, littéralement, faire de la politique aux dépens de la vie des gens.
Si le plan aboutit, les droits humains seront vraiment mis à mal : aussi bien les droits des migrants, mis à l’écart au Rwanda, que les droits des Rwandais à s’exprimer et à se mobiliser, étant donné que la pression internationale sur leur gouvernement sera atténuée. Plus dangereux encore, la démarche du Royaume-Uni pourrait encourager d’autres pays à adopter des approches similaires et à normaliser l’idée fondamentalement coloniale selon laquelle les États riches peuvent sous-traiter la gestion de leurs « problèmes » à des pays du Sud.
Les droits humains seront vraiment mis à mal : tant les droits des migrants, mis à l’écart au Rwanda, que les droits des Rwandais à s’exprimer et à se mobiliser, étant donné que la pression internationale sur leur gouvernement sera atténuée.
Le gouvernement britannique n’est malheureusement pas le premier à vouloir adopter ce type de plan. Le gouvernement australien de droite a été le pionnier en la matière : en 2001, il a introduit la solution dite « du Pacifique », qui consistait à transférer les demandeurs d’asile dans des centres de détention à Nauru et en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Cette politique a été suspendue en 2007, mais depuis sa reprise en 2013, plus de 3 000 personnes ont été transférées dans des centres situés au large, où beaucoup sont détenues pour une durée indéterminée.
Le projet australien semble être une cruauté délibérée. L’état de santé physique et mentale de nombreux détenus s’est détérioré et des cas d’automutilation et de suicide ont été signalés. Le gouvernement de Nauru a répondu aux critiques concernant les conditions de vie dans ses centres en rendant plus difficile la surveillance par la société civile et les médias. Il ne serait pas surprenant que le Rwanda fasse de même.
Le gouvernement israélien avait conclu un arrangement similaire avec le Rwanda et son pays voisin, l’Ouganda, entre 2014 et 2017. Cependant, dans la pratique, il semble que très peu de personnes soient restées en Afrique de l’Est et que la plupart se soient dirigées vers l’Europe, ce qui indique que la politique était inefficace, même lorsqu’elle avait atteint ses propres objectifs.
Le prochain pays à lui emboîter le pas pourrait être le Danemark, qui a adopté l’année dernière une loi lui permettant d’expulser les demandeurs d’asile en dehors de l’Union européenne, peut-être vers le Rwanda. Depuis des années, les partis politiques danois établis répondent à la pression des nationalistes de droite en introduisant des politiques strictement hostiles à l’immigration.
Il est temps de faire mieux
Au final, personne ne profite d’une « course internationale vers le bas » en matière de politiques d’asile. Si certains pays parviennent à déplacer le problème vers d’autres pays, de nombreux autres finiront par adopter des politiques aussi dures. Pendant ce temps, rien n’est fait pour résoudre les problèmes profonds qui poussent certaines personnes à fuir leur pays, à savoir les conflits, la pauvreté, la répression et, de plus en plus, les effets du changement climatique.
L’énorme fossé qui se creuse aujourd’hui entre la réaction compatissante dont font preuve à juste titre les États occidentaux à l’égard des réfugiés ukrainiens et la façon dont ils traitent les personnes originaires du reste du monde ne fait que souligner le fait que rien n’est gravé dans la roche en matière de politiques migratoires : les décisions politiques sont prises en permanence et peuvent donc être remises en question. La société civile – au Royaume-Uni et ailleurs – doit continuer à se mobiliser pour exiger un traitement plus équitable des demandeurs d’asile, indépendamment de leur pays d’origine ou de leur couleur de peau.
NOS APPELS À L’ACTION
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Le gouvernement britannique devrait mettre un terme à la politique d’asile qu’il envisage et consulter la société civile d’urgence sur des solutions de rechange possibles.
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Les gouvernements devraient demander des comptes au Rwanda pour ses violations des droits humains plutôt que de conclure des accords pour y accueillir des demandeurs d’asile.
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La société civile devrait s’opposer au discours qui présente l’immigration comme un problème et les migrants comme des boucs émissaires responsables de tous les maux de la société, et s’engager en faveur d’une politique de solidarité dans tous les domaines.
Photo de couverture par Dan Kitwood/Getty Images