Un récent arrêt de la Cour internationale de justice a clairement établi que l’occupation des territoires palestiniens par Israël est illégale au regard du droit international. En réponse, Israël a rejeté cette décision, ce qui s’inscrit dans une tendance plus vaste d’ignorance systématique de ses obligations internationales en matière de droits humains, notamment en ce qui concerne les résolutions des Nations unies, et particulièrement en lien avec ses actions à Gaza. Malgré l’existence d’un corpus de droits humains et de droit humanitaire internationaux, les mécanismes d’application demeurent faibles. L’efficacité de ces mécanismes dépend largement de la pression exercée par d’autres États et de leur volonté de placer les droits humains au-dessus de leurs intérêts personnels. Les alliés d’Israël doivent assumer leur responsabilité en l’incitant à respecter les injonctions de la Cour.

L’avis consultatif rendu le 19 juillet par la Cour internationale de justice (CIJ) est sans équivoque: il conclut que les actions de l’État israélien dans le Territoire Palestinien Occupé (TPO) violent le droit international à de multiples égards.

Depuis la guerre des Six Jours en 1967, Israël occupe illégalement Gaza et la Cisjordanie. En Cisjordanie, ainsi que sur le plateau du Golan, territoire reconnu internationalement comme partie intégrante de la Syrie, Israël a illégalement établi et financé de nombreuses colonies. Sous le gouvernement de droite du Premier ministre Benjamin Netanyahu, soutenu par l’électorat des colons et qui comprend des politiciens colons, ce programme a pris de l’ampleur. On estime à 150 le nombre de colonies en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est, que l’Etat hébreu a annexée en violation du droit international, ainsi que 128 avant-postes non explicitement autorisés par le gouvernement israélien. La population des colons dépasserait les 700.000 personnes.

Ce programme de colonisation porte atteinte aux droits des Palestiniens à bien des égards. Les colons expulsent ces derniers de leurs maisons et de leurs terres, tandis que les autorités israéliennes imposent des restrictions sévères à leur liberté de mouvement, par le biais de points de contrôle, de mesures de surveillance et l’obligation d’obtenir un permis. Les routes qui desservent les colonies sont interdites aux véhicules palestiniens et les zones de tir de l’armée israélienne disséminées en Cisjordanie renforcent encore leur exclusion. Ces restrictions compliquent le travail et l’agriculture pour la population palestinienne, d’autant plus que les colonies accaparent des ressources vitales telles que l’eau. Les violences perpétrées par les colons à l’encontre des Palestiniens se sont également multipliées au cours de la phase actuelle du conflit. En outre, ces colonies fragmentent le territoire palestinien, compromettant sa viabilité territoriale en tant que nation et rendant de plus en plus difficile une solution fondée sur la coexistence de deux États.

Lorsqu’une puissance occupante déplace ses civils dans un territoire occupé, il s’agit d’une violation des Conventions de Genève. La CIJ a désormais clairement établi qu’Israël enfreint gravement le droit international à cet égard.

La CIJ, un organe majeur des Nations unies souvent qualifié de « Cour mondiale », statue sur les différends entre États, par exemple sur les questions frontalières, et fournit des avis consultatifs sur des questions de droit international à la demande d’autres organes de l’ONU. L’Assemblée générale des Nations unies, au sein de laquelle tous les États membres disposent d’un droit de vote, a sollicité cet avis consultatif en 2022.

L’arrêt de la Cour, composé de 14 opinions distinctes majoritairement adoptées par les 15 juges, a une portée considérable et est accablant pour Israël. Il affirme clairement qu’Israël occupe illégalement le territoire palestinien occupé, sur lequel il n’a aucune souveraineté, et qu’il viole les règles internationales prohibant l’apartheid et la discrimination raciale. Les traités relatifs aux droits humains, qu’Israël a ratifiés, s’appliquent à ses actions dans le TPO, ce qui signifie qu’il les enfreint.

La CIJ a ordonné à Israël de mettre fin à son occupation, d’arrêter immédiatement la construction de colonies illégales et de démanteler celles déjà existantes, de verser des réparations aux Palestiniens et de permettre le retour des personnes déplacées. Ces obligations ne concernent pas seulement Israël: elles imposent également aux autres États de ne pas soutenir Israël dans le maintien de sa présence illégale dans le territoire palestinien occupé.

Des voix en première ligne

Rebecca Shoot est directrice exécutive de Citizens for Global Solutions.

 

L’avis consultatif très attendu rendu par la CIJ le 19 juillet, sollicité par l’Assemblée générale le 30 décembre 2022, portait sur la légalité des actions d’Israël dans le territoire palestinien occupé. La Cour a conclu que ces actions constituaient en effet des violations multiples du droit international.

Alors que dans d’autres affaires controversées ou litigieuses, la CIJ a souvent adopté une approche plus discrète, dans le cas présent, elle a pris position de manière plus marquée. Par exemple, alors que les occupations sont généralement associées à un conflit armé militaire, la Cour a déclaré qu’Israël occupait illégalement les territoires palestiniens par d’autres moyens, notamment en appliquant sa propre législation. Elle a conclu qu’il s’agissait également d’une violation du droit international.

Elle a également constaté qu’Israël avait enfreint des traités relatifs aux droits humains, qui s’appliquent de manière extraterritoriale lorsqu’un État exerce sa juridiction en dehors de son territoire. Cela signifie que les violations des droits humains commises par Israël sont des violations du droit international.

La Cour a également estimé que les politiques discriminatoires d’Israël, ainsi que le traitement inégal des Israéliens et des Palestiniens en vertu de la loi, violaient plusieurs traités relatifs aux droits humains.

Nous nous attendions à ce que la CIJ estime que les actions d’Israël constituent une violation du droit international, mais nous ne nous attendions pas à un raisonnement aussi étendu ou à ce qu’elle identifie un éventail aussi large de violations. Elle a cité des violations du droit international humanitaire, du droit international des droits humains, de la Charte des Nations unies et des principes de souveraineté et d’autodétermination des États. Cet avis représente une avancée significative en matière de droit international et fera probablement l’objet de nombreuses études et débats dans les années à venir.

En ce qui concerne les implications pour les autres États, les conclusions sont également significatives. Tout d’abord, et malgré des nuances importantes dans les opinions des différents juges, la Cour a réaffirmé la nature erga omnes – c’est-à-dire envers l’ensemble des Etats – des obligations juridiques internationales qu’Israël a été accusé de violer. Plusieurs traités, dont l’accord d’association de l’Union européenne avec Israël, pourraient également faire l’objet d’un réexamen, Israël ayant été accusé de violer des « éléments essentiels » en matière de droits humains. Cela aura des répercussions majeures sur les accords bilatéraux et multilatéraux.

Cet avis consultatif constitue un précédent important, notamment en ce qui concerne d’autres territoires occupés, tels que l’Ukraine. Désormais, les alliés d’Israël ne pourront plus prétendre qu’Israël a agi en conformité avec le droit international, même avant le récent conflit à Gaza.

Mais les avis consultatifs ne sont pas juridiquement contraignants. Ils sont destinés à fournir des orientations sur des questions juridiques, mais ils n’ont pas la même force exécutoire qu’une décision contraignante dans une affaire litigieuse. Et même dans ces cas-là, la CIJ ne dispose pas de son propre mécanisme d’exécution et s’en remet à la coopération des États. Il n’existe aucune force de police internationale pour faire appliquer la décision de la Cour et obliger Israël à quitter la Palestine immédiatement.

L’objectif des avis consultatifs est d’influencer les politiques et législations futures. Si Israël ignore un avis consultatif aussi clair de la CIJ, cela ternira davantage son statut au regard du droit international et affaiblira sa position au sein de la communauté internationale et de l’ordre diplomatique mondial.

 

Ceci est un extrait de notre conversation avec Rebecca. Pour lire l’intégralité de l’entretien (en anglais), cliquez ici.

Israël fait la sourde oreille

La question qui se pose est de savoir si Israël prêtera davantage attention à cet arrêt de la Cour internationale de justice (CIJ) qu’à ceux qui l’ont précédé. L’avis rendu par la CIJ met en évidence que les violations des droits humains commises par Israël ne datent pas de sa réaction aux attaques du 7 octobre. La condamnation internationale et l’attitude de défiance d’Israël ne sont pas non plus nouvelles. Depuis longtemps, Israël ignore le droit international et les résolutions des Nations unies, notamment un avis consultatif de la CIJ datant de 2004 qui ordonnait à Israël de démolir le mur de séparation construit en Cisjordanie.

Le Conseil de sécurité des Nations unies n’a pas su fournir une réponse adéquate en raison du droit de veto exercé par les États-Unis, le plus fidèle allié d’Israël. Cependant, en 2016, lorsque les États-Unis se sont abstenus, le Conseil a pu adopter une résolution déclarant que les colonies étaient illégales, en violation flagrante du droit international, et qu’elles représentaient un obstacle majeur à la paix et à la sécurité. Pourtant, Israël n’a pas modifié son comportement. Les 45 résolutions concernant Israël adoptées par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies ont, elles aussi, eu peu d’impact.

Depuis le début de la phase actuelle du conflit, une session d’urgence de l’Assemblée générale des Nations unies a adopté deux résolutions, en octobre et en décembre, appelant à un cessez-le-feu immédiat et à l’accès de l’aide humanitaire. L’État israélien a réagi en rejetant catégoriquement ces résolutions.

En dépit de ces appels, l’assaut israélien sur Gaza s’est poursuivi, alimentant directement une crise humanitaire où les agences d’aide et les organisations de la société civile peinent à fournir l’assistance nécessaire. Ceux qui tentent d’apporter leur aide ne sont pas non plus en sécurité: selon les Nations unies, plus de 250 travailleurs humanitaires ont été tués à Gaza depuis le 7 octobre.

Fidèle à ses habitudes, Israël a immédiatement attaqué la CIJ à la suite de son avis consultatif. Le bureau de M. Netanyahu l’a qualifié de « décision mensongère » tandis que son ministre des finances d’extrême droite, Bezalel Smotrich, a réclamé l’annexion formelle et immédiate de la Cisjordanie.

Il en a été de même pour une autre série d’ordonnances judiciaires. En janvier, la CIJ a rendu une décision provisoire urgente suite à une plainte déposée par l’Afrique du Sud, alléguant qu’Israël violait la Convention sur le génocide. Les juges ont estimé qu’il existait un risque plausible de génocide et ont adressé à Israël six injonctions, notamment celle de « prendre toutes les mesures en son pouvoir » pour veiller à ce que ses forces respectent la Convention sur le génocide, facilitent l’accès de l’aide humanitaire et cessent d’inciter publiquement au génocide. Israël a tout simplement poursuivi ses opérations militaires.

Israël a également choisi ce moment pour lancer une campagne visant à saper l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les Palestiniens. Une enquête a révélé que neuf membres du personnel de l’UNRWA – sur quelque 30.000 – pourraient avoir été impliqués dans les attentats du 7 octobre, entraînant la résiliation de leurs contrats. Mais les allégations d’Israël selon lesquelles l’organisation aurait été largement infiltrée par le Hamas se sont révélées sans fondement. Cependant, le mal était fait: ces calomnies ont détourné l’attention internationale des ordonnances de la CIJ dans l’affaire du génocide, tout en réduisant la pression potentielle exercée sur Israël par ses alliés, dont beaucoup ont suspendu leur financement de l’UNRWA.

Des voix en première ligne

Jonathan Fowler est directeur de la communication à l’UNRWA.

 

Malheureusement, les allégations ont eu suffisamment de retentissement pour que plusieurs États membres des Nations unies, y compris des donateurs importants, suspendent leur financement de notre organisation, au moment où nous faisions face à la plus grave crise humanitaire que la région ait connue depuis des décennies.

C’est devenu un problème majeur pour nous. Le manque de financement limite nos activités et met notre personnel en danger. Nos installations ont été affectées par la guerre et ont été prises pour cible à plusieurs reprises.

Les autorités israéliennes nous ont également refusé l’autorisation d’acheminer de l’aide dans le nord de la bande de Gaza, aggravant ainsi la crise humanitaire en cours. En Cisjordanie, notre personnel fait régulièrement l’objet d’intimidations et se voit refuser l’accès à nos bureaux de Jérusalem-Est, où nous avons été la cible de manifestations régulières, d’actes de vandalisme et, plus récemment, d’incendies criminels.

Nous croyons en la liberté d’expression, mais pas en la violence. Certaines personnes, dont un adjoint au maire de Jérusalem, ont incité les foules à agir, et leur discours incendiaire a rapidement dégénéré en actes de violence. Nous espérions que cet adjoint au maire présente ses excuses ou reconnaisse que les moyens employés étaient inappropriés. Au lieu de cela, il a intensifié sa rhétorique agressive et a désigné les prochaines cibles à attaquer. Nous sommes inquiets pour la suite et craignons que cette campagne d’intimidation et de violence ne prenne une tournure encore plus grave.

En fin de compte, ces attaques et la campagne de désinformation visent à démanteler l’agence. Mais nous sommes déterminés à remplir notre mandat. Nous croyons passionnément en notre travail et en la cause que nous défendons. Et nous comptons sur le soutien inestimable des États membres de l’ONU, qui ont publiquement affirmé que les entités de l’ONU bénéficient de privilèges et d’immunités diplomatiques qui nous protègent, nous et notre mission.

 

Ceci est un extrait édité de notre conversation avec Jonathan. Pour lire l’intégralité de l’entretien (en anglais), cliquez ici.

Une réponse disproportionnée

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le droit international a évolué pour prévenir la répétition des atrocités commises à cette époque. Il englobe le droit international humanitaire et le droit relatif aux droits humains, conçus pour protéger les individus, y compris les civils en temps de conflit, et pour réduire au minimum les souffrances.

Cependant, il est difficile de regarder la situation mondiale actuelle sans constater un mépris flagrant pour ces principes. Le droit international humanitaire et les droits humains sont bafoués à Gaza, ainsi que dans d’autres conflits à travers le monde, notamment au Myanmar, au Soudan et en Ukraine.

Israël prétend agir en état de légitime défense dans son offensive sur Gaza, mais l’un des principes clés du droit international humanitaire est celui de la proportionnalité: les parties à un conflit sont tenues d’évaluer les conséquences potentielles de leurs actions militaires sur les civils.

Or, rien ne laisse penser qu’Israël applique cette règle avec rigueur. Au contraire, son action ressemble davantage à une mission punitive, menée sans considération apparente pour les vies civiles. Le nombre de morts à Gaza approche aujourd’hui les 40.000, dont la grande majorité sont des civils, parmi lesquels de nombreux enfants.

Comme les travailleurs humanitaires, les journalistes sont également pris pour cibles. En situation de conflit, les journalistes sont considérés comme des civils et, à ce titre, bénéficient des mêmes droits en vertu du droit international. Pourtant, ils sont victimes de violences. À ce jour, au moins 113 journalistes et professionnels des médias ont été tués depuis le 7 octobre, un chiffre qui est probablement sous-estimé. Parmi eux, Ismail al-Ghoul et Rami al-Rifi, d’Al Jazeera, ont perdu la vie lors d’une frappe aérienne israélienne le 31 juillet.

Le fait que 108 des journalistes tués soient palestiniens illustre la nature profondément asymétrique du conflit. Si certains ont été victimes de frappes indiscriminées, des preuves suggèrent que d’autres ont été délibérément ciblés, ce qui pourrait constituer un crime de guerre. Ces journalistes étaient clairement identifiables, portant des gilets et des casques, ou se déplaçant dans des véhicules portant la mention « presse », signes que toutes les parties au conflit sont tenues de respecter.

Des voix en première ligne

Carlos Martínez de la Serna est directeur de programme du Comité pour la protection des journalistes.

 

En période de conflit et d’instabilité, une presse libre est essentielle pour rendre compte des événements en temps réel. Malgré les graves dangers auxquels ils sont exposés, les journalistes fournissent des informations factuelles et opportunes – qui peuvent souvent sauver des vies – dans un océan de désinformation. Une presse libre est l’antidote ultime contre le brouillard de la guerre.

Il est essentiel que tous les protagonistes du conflit entre Israël et Gaza reconnaissent que tous les journalistes et travailleurs des médias sont des civils selon le droit humanitaire international, et que leurs droits doivent être respectés et protégés. Le fait de prendre délibérément pour cible des journalistes ou des infrastructures médiatiques peut constituer un crime de guerre.

Les autorités de toutes les parties au conflit doivent s’engager publiquement à reconnaître, respecter et protéger les journalistes en tant que civils. Les installations et les équipements des médias doivent également être reconnus et préservés de toute attaque.

Dans ce contexte actuel de guerre, il est extrêmement difficile de déterminer de manière concluante si des journalistes ont été délibérément pris pour cible par les forces de défense israéliennes. Cependant, un schéma inquiétant semble se dessiner, selon lequel des journalistes identifiés par des insignes de presse ont été tués alors qu’ils étaient en reportage. Notre rapport de mai 2023, intitulé « Deadly Pattern », a révélé que la majorité des 20 journalistes tués – au moins 13 – étaient clairement identifiables comme membres des médias ou se trouvaient dans des véhicules marqués de l’insigne de presse au moment de leur décès.

Les autorités de tous bords – militaires et civiles – doivent informer clairement les forces de sécurité, tant en interne que publiquement, que l’usage de la force létale contre des journalistes – qui sont des civils exerçant leur métier – est strictement interdit. Elles doivent préciser que les forces doivent s’abstenir d’ouvrir le feu sur des personnes ou des véhicules marqués des insignes de presse.

Nous réitérons notre appel en faveur de règles d’engagement claires et transparentes afin d’éviter tout recours injustifié à la force létale contre la presse. Les accréditations et les insignes de presse doivent être respectés par toutes les parties au conflit, qui doivent s’abstenir d’entraver le travail, de harceler, de tirer sur des journalistes ou de les détenir.

Les États-Unis, l’Allemagne et d’autres alliés proches d’Israël doivent veiller à ce que les forces de défense israéliennes – qui ont un historique de violences mortelles contre les journalistes sans reddition de comptes – établissent et respectent des règles d’engagement rigoureuses permettant d’éviter les assassinats de journalistes et d’autres préjudices.

 

Ceci est un extrait édité de notre conversation avec Carlos. Pour lire l’intégralité de l’entretien (en anglais), cliquez ici.

Hypocrisie internationale

Le récent arrêt de la CIJ met en évidence un problème majeur : en tant qu’avis consultatif, il n’a pas de force contraignante.

Le droit international, y compris le droit humanitaire et le droit relatif aux droits humains, s’est développé au fil des décennies. Ce progrès s’est manifesté par la ratification de nombreux traités par la majorité des États, ainsi que par la création de nouvelles institutions, telles que la Cour pénale internationale (CPI), chargée de poursuivre les individus responsables de génocide, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et crimes d’agression.

La société civile a joué un rôle crucial dans l’évolution de l’architecture juridique internationale. Elle a notamment milité avec succès pour l’adoption de nouveaux traités, tels que le statut de Rome à l’origine de la CPI. Elle a veillé à ce que les résolutions des Nations unies soient formulées avec rigueur et s’est investie dans les mécanismes visant à rendre les États responsables de leurs performances en matière de droits humains, tels que le processus d’Examen Périodique Universel du Conseil des droits de l’homme.

Cependant, un problème persiste : les mécanismes de conformité demeurent faibles. Malgré la ratification de nombreux traités internationaux, les dirigeants nationaux mettent souvent la souveraineté de l’État au-dessus des obligations internationales, en prenant des décisions dictées par leurs intérêts propres. Les forums multilatéraux, tels que les Nations unies, sont alors détournés de leur objectif initial de résolution des problèmes globaux, pour devenir des instruments au service d’agendas nationaux.

Des voix en première ligne

Marco Sassòli est professeur de droit international à l’université de Genève, en Suisse.

 

Le droit international humanitaire est la partie du droit international qui vise à réduire l’ampleur de la violence lors des conflits armés et à assurer un certain niveau de protection aux personnes ne prenant pas directement part aux hostilités. Il s’applique tant aux conflits internationaux qu’aux conflits non internationaux. Ses règles sont énoncées dans les Conventions de Genève de 1949 et leurs protocoles additionnels de 1977, et complétées par le droit coutumier.

Bien qu’elles puissent être améliorées, les règles existantes sont, dans l’ensemble, solides. Le principal défi réside dans leur application. Alors que la CPI a réagi très rapidement dans le cas de la Russie, elle travaille sur la Palestine depuis 2015 mais nous n’avons encore vu aucun progrès significatif. Les mécanismes de mise en œuvre ne semblent pas être appliqués de manière cohérente.

Les États sont réticents à créer un système plus efficace, craignant que celui-ci ne se retourne un jour contre eux. Pour qu’un mécanisme d’application soit véritablement efficace, il doit être accepté par les belligérants. Un système, même performant, n’a que peu d’impact s’il n’est soutenu que par des États qui ne sont jamais impliqués dans des conflits armés.

Malgré ces obstacles, il est à espérer que les horreurs et atrocités commises à Gaza et en Ukraine suscitent une réaction similaire à celle observée au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les Etats ont consenti à l’adoption des Conventions de Genève. L’exposition en temps réel à ces atrocités, amplifiée par les médias, pourrait marquer un tournant décisif.

Le droit international humanitaire peut et doit également être renforcé par l’éducation. Nous devons faire comprendre aux jeunes que, même en temps de guerre, des règles universelles s’appliquent à tous, indépendamment des circonstances. Si le public accepte et assimile ce message, on peut espérer que des atrocités telles que celles observées aujourd’hui deviennent impensables.

 

Ceci est un extrait édité de notre entretien avec Marco. Pour lire l’intégralité de l’entretien (en anglais), cliquez ici.

L’hypocrisie internationale n’a cessé de se manifester depuis le début de la phase actuelle du conflit. De nombreux États occidentaux, qui ont justement condamné l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie, se sont abstenus d’intervenir lorsque la question concernait Israël. L’Allemagne, le Royaume-Uni et les États-Unis font partie des pays qui ont refusé de soutenir les deux résolutions de l’Assemblée générale appelant à un cessez-le-feu à Gaza. Et si plusieurs États occidentaux ont soutenu la plainte pour génocide déposée par la Gambie contre le Myanmar, ils ont critiqué celle déposée par l’Afrique du Sud contre Israël.

Cette hypocrisie s’étend au-delà de ces cas spécifiques. La Russie a utilisé à plusieurs reprises son droit de veto au Conseil de sécurité pour bloquer toute action concernant sa guerre contre l’Ukraine. Il semble également improbable que la CPI puisse rendre justice dans ces deux conflits, bien qu’un mandat d’arrêt ait été délivré contre Vladimir Poutine pour crimes de guerre et qu’un autre ait été demandé par le procureur de la CPI contre Netanyahou, son ministre de la défense, Yoav Gallant, et trois dirigeants du Hamas. Israël et la Russie font partie des nombreux États – avec la Chine et les États-Unis – qui ont toujours refusé de ratifier le statut de Rome.

Il est vrai que, récemment, l’ampleur des atrocités commises par Israël est devenue si évidente que des alliés tels que le Royaume-Uni et les États-Unis ont commencé à tenter de freiner ses pires excès. Les États-Unis ont fait pression sur Israël pour qu’il atténue ce qui semblait être un assaut imminent sur Rafah, et en coulisses, un effort concerté est en cours pour empêcher une escalade du conflit dans la région. Le nouveau gouvernement britannique a, semble-t-il, renoncé à contester la demande du procureur de la CPI d’émettre un mandat d’arrêt à l’encontre de M. Netanyahou et a tardivement rétabli son financement de l’UNRWA. Cependant, ces actions restent largement insuffisantes.

Deux poids, deux mesures aux Jeux olympiques

Alors que les Jeux olympiques se déroulent à Paris, le Comité International Olympique (CIO) fait face à des accusations d’hypocrisie. En raison de la guerre en Ukraine, les athlètes sont interdits de participer aux Jeux olympiques de 2024 sous le drapeau de la Russie et de son proche allié, la Biélorussie. Pourtant, 88 concurrents israéliens sont libres de participer.

Parmi eux figure l’un des deux porte-drapeaux israéliens de la cérémonie d’ouverture, Peter Paltchik, qui a ensuite remporté une médaille de bronze en judo. Il aurait dédicacé des bombes israéliennes utilisées à Gaza. Pendant la période précédant les Jeux olympiques, d’autres athlètes israéliens ont dédié leurs succès sportifs aux soldats de leur pays. De son côté, le Comité olympique palestinien affirme qu’environ 400 athlètes palestiniens figurent parmi les victimes du conflit.

L’interdiction olympique faite aux athlètes biélorusses et russes de porter les couleurs de leur pays n’est pas sans précédent. Les athlètes sud-africains ont longtemps été interdits de compétition sous le régime de l’apartheid, et ceux d’Allemagne et du Japon l’ont été au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Dans l’état actuel des choses, Israël se présente comme un pays respectant les principes de la Charte olympique, qui incluent la promotion d’une société pacifique, de la dignité humaine et de la lutte contre la discrimination.

Les événements sportifs sont importants pour le prestige national et la réputation internationale ; d’où la rivalité des pays pour accueillir ces compétitions et l’investissement considérable dans l’entraînement des athlètes. De nombreuses voix au sein de la société civile estiment que, compte tenu des circonstances, Israël aurait dû être traité comme la Biélorussie et la Russie et se voir refuser la tribune offerte par les Jeux olympiques.

Une marge d’amélioration

Les décisions des institutions internationales, bien que non contraignantes, sont précieuses car elles exposent les manquements des États en matière de droits humains, et permettent de plaider en faveur d’une meilleure performance. Quelle que soit la gravité de leurs actions, les États aiment généralement se présenter comme des citoyens internationaux responsables. Cependant, l’efficacité de ces décisions repose largement sur la pression exercée par les autres États. L’avis consultatif de la CIJ empêche les États démocratiques qui se disent attachés aux droits humains de prétendre qu’Israël respecte les règles. À la suite de cet arrêt, tous les États devraient exhorter Israël à se conformer au droit international.

Il est nécessaire de continuer à renforcer le cadre du droit international, à partir du patchwork actuel, en consolidant les normes que les États doivent respecter pour prouver leur adhésion aux règles, et en augmentant les coûts du non-respect.

Il existe des domaines d’amélioration évidents. L’un d’entre eux consiste à réformer le Conseil de sécurité afin de limiter le recours au veto de ses cinq membres permanents. Un autre consiste à étendre la compétence des plus hautes juridictions internationales. À ce jour, seuls 124 des 193 États membres des Nations unies ont ratifié le statut de Rome, qui confère à la CPI sa compétence, et seuls 74 ont accepté la compétence obligatoire de la CIJ, qui les oblige à respecter ses décisions.

Le même problème se pose lorsqu’il s’agit de la reconnaissance internationale de la Palestine. Actuellement, 135 États reconnaissent la Palestine, mais de nombreux États occidentaux ne le font pas. Sans reconnaissance, la Palestine est privée du statut d’État à part entière, ce qui limite sa capacité à participer sur un pied d’égalité au système international, complique la reconnaissance et la protection des droits des Palestiniens, et entrave les progrès vers une solution à deux États.

L’arrêt de la CIJ signifie également que les États qui ont conclu des accords de coopération avec Israël doivent à présent les réexaminer. Ils doivent se demander si ces accords ne violent pas l’arrêt en aidant Israël à maintenir sa présence illégale dans le territoire palestinien occupé.

L’Union européenne (UE), par exemple, a conclu avec Israël un accord d’association global dont les éléments clés sont le respect des droits humains et des principes de la Charte des Nations unies. En cas de violation de ces principes, l’UE peut suspendre l’accord. Il est désormais impossible pour l’UE de prétendre que ces principes sont respectés.

La société civile continuera à faire pression pour obtenir des réformes sur tous ces fronts, à œuvrer pour un monde dans lequel les droits humains de tous sont respectés et où ceux qui les transgressent en paient le prix. Le massacre de Gaza est un rappel écœurant du chemin qu’il reste à parcourir.

NOS APPELS À L’ACTION

  • La communauté internationale, y compris les alliés d’Israël, devrait exhorter ce dernier à se conformer aux ordres de la Cour internationale de justice.
  • Le gouvernement israélien devrait immédiatement accepter un cessez-le-feu et garantir un accès humanitaire sans entrave.
  • Tous les États devraient accepter la juridiction obligatoire de la Cour internationale de justice, adhérer à la Cour pénale internationale et reconnaître la Palestine en tant qu’État.

Pour des entretiens ou de plus amples informations, veuillez contacter research@civicus.org

Photo de couverture par Selman Aksunger/Anadolu via Getty Images