Depuis qu’Israël a commencé ses bombardements incessants sur Gaza, la société civile a réagi sur tous les fronts : en partageant des informations vitales, en distribuant de l’aide dans la mesure du possible, en narrant la vérité, en descendant dans la rue en signe de solidarité et en appelant les institutions internationales et les gouvernements à faire pression sur Israël pour mettre fin à l’effusion de sang. L’activisme a également adopté de plus en plus souvent le litige comme tactique pour tenter d’empêcher les gouvernements d’autoriser l’exportation vers Israël d’armes susceptibles d’être utilisées pour commettre des crimes de guerre. Comme on l’a vu aux Pays-Bas, les tribunaux commencent à se ranger du côté de la société civile, ce qui montre le fruit de ses efforts en faveur de la paix et de la justice.

Cela fait maintenant plus de 200 jours qu’Israël bombarde la bande de Gaza. Selon les estimations, ces bombardements ont tué plus de 42.500 personnes, en ont blessé plus de 79.200 et en ont déplacé quelque deux millions d’autres. Les destructions – de maisons, d’écoles et d’hôpitaux – dépassent l’entendement.

Dès le premier jour, la société civile a travaillé sur tous les fronts pour répondre à la situation. Les travailleurs humanitaires sur le terrain, dont de nombreux Palestiniens, se sont mobilisés pour fournir des services essentiels et partager des informations vitales. Malheureusement, nombre d’entre eux ont payé de leur vie, de même qu’au moins 137 journalistes, tués alors qu’ils tentaient d’effectuer leur travail de raconter la vérité au reste du monde.

La société civile du monde entier a offert sa solidarité, mais il a été incroyablement difficile d’acheminer l’aide. Les autorités israéliennes ont bloqué l’aide humanitaire à plusieurs reprises, malgré la résolution adoptée en décembre par le Conseil de sécurité des Nations unies, qui exigeait un accès humanitaire immédiat, sûr et sans entrave, et l’arrêt provisoire rendu en janvier par la Cour internationale de justice (CIJ), qui ordonnait à Israël de faciliter l’accès à l’aide.

Dans le monde entier, des millions de personnes émues par la souffrance et l’injustice ressentent le besoin de s’exprimer. Elles sont descendues dans la rue par solidarité, appelant à un cessez-le-feu et à un embargo sur les armes à destination d’Israël et exhortant leurs gouvernements à faire pression sur les autorités israéliennes pour qu’elles mettent un terme à l’effusion de sang. Dans de nombreux cas, même dans des démocraties de longue date disposant d’un espace civique relativement sain, ces activistes ont été arrêtés et criminalisés pour avoir agi de la sorte. Les manifestations de solidarité ont été interdites dans au moins 12 pays européens, et les manifestations dans les universités américaines ont donné lieu à des diffamations, des violences et des arrestations.

Parallèlement à la pression exercée dans les rues, la société civile a adopté une autre tactique : il s’agit de saisir les tribunaux pour tenter d’empêcher les gouvernements d’autoriser l’exportation vers Israël d’armes susceptibles d’être utilisées pour commettre des crimes de guerre. Les tribunaux se rangent de plus en plus du côté de la société civile.

Les Pays-Bas, pionniers

En décembre 2023, face aux inquiétudes croissantes concernant les violations apparentes du droit humanitaire international à Gaza, trois organisations de la société civile – Oxfam Novib, PAX et Le Forum des Droits – ont intenté une action en justice contre le gouvernement néerlandais. Les militants de la société civile ont déclaré qu’ils avaient pris cette décision après avoir demandé en vain à leur gouvernement de cesser de fournir à Israël des pièces d’avions de chasse F-35 qui semblaient être utilisées pour bombarder la bande de Gaza. Le tribunal a d’abord refusé d’ordonner l’arrêt des exportations militaires, mais les militants ont fait appel.

L’élan s’est renforcé après l’arrêt rendu en janvier par la CIJ, qui a jugé plausible qu’Israël commette un génocide à Gaza et a rendu une ordonnance préliminaire enjoignant à Israël de prendre des mesures pour l’empêcher. Cette décision a incité certaines entreprises privées à prendre des mesures au moins symboliques. La société japonaise Itochu Corp, par exemple, a annoncé qu’elle mettrait fin à sa coopération avec un fabricant d’armes israélien.

Le 12 février, la Cour d’appel de La Haye a annulé la décision précédente et a ordonné au gouvernement néerlandais de cesser tout transfert de pièces de F-35 à Israël dans un délai de sept jours. Elle a invoqué un risque crédible que ces avions soient utilisés dans des actes constituant des violations du droit humanitaire international.

Dans sa décision, la Cour a déclaré qu’après le 7 octobre 2023, le ministre des Affaires étrangères aurait dû réévaluer les licences d’exportation afin d’empêcher de nouvelles exportations de pièces de F-35 vers Israël. Elle a précisé qu’une telle réévaluation ne pouvait pas prendre en compte les intérêts économiques ou diplomatiques, et que les demandeurs n’avaient pas à prouver l’existence de violations du droit humanitaire international. Effectivement, un « risque clair » qu’elles soient commises suffisait. Ils n’avaient pas non plus à prouver l’existence d’un lien direct entre un transfert d’armes spécifique et les violations présumées du droit humanitaire international. Toutefois, la Cour a estimé qu’il était plausible que des F-35 contenant des pièces néerlandaises puissent être impliqués dans des violations du droit humanitaire international.

En outre, la Cour a rejeté les allégations du gouvernement selon lesquelles les informations fournies par les organisations de défense des droits humains et les experts des Nations unies en matière de droits humains n’étaient pas fiables, et l’a au contraire invité à les prendre au sérieux. Le gouvernement néerlandais a toutefois déclaré qu’il ferait appel de cette décision devant la Cour suprême.

Peu après, les experts en droits humains des Nations unies ont publié une déclaration appelant à l’arrêt immédiat de toutes les exportations d’armes vers Israël au motif que « tout transfert d’armes ou de munitions à Israël qui seraient utilisées à Gaza est susceptible de violer le droit humanitaire international ». Les experts ont célébré la décision historique du tribunal néerlandais et ont repris et développé ses arguments, à savoir ceux des groupes de la société civile qui ont lancé le processus.

Affaires en cours

En décembre également, le Global Legal Action Network, basé au Royaume-Uni, et l’organisation palestinienne de défense des droits humains Al-Haq ont lancé une procédure similaire au Royaume-Uni. Comme aux Pays-Bas, le gouvernement britannique a défendu sa position en invoquant le droit d’Israël à l’autodéfense et l’alignement des exportations d’armes sur les intérêts stratégiques de l’État britannique. Mais la première décision de justice, en faveur du gouvernement, a pris beaucoup plus de temps qu’aux Pays-Bas : elle est intervenue une semaine après la décision positive de la Cour d’appel néerlandaise.

Les appels à la suspension des ventes d’armes britanniques à Israël ont pris un nouvel élan en avril, à la suite d’une frappe aérienne israélienne qui a tué sept travailleurs humanitaires de la World Central Kitchen, dont trois Britanniques. Deux jours plus tard, plus de 600 avocats, universitaires et juges à la retraite, dont trois anciens juges de la Cour suprême, ont signé une lettre publique avertissant que le gouvernement britannique enfreignait le droit international en continuant d’armer Israël. Peu après, un juge de la Haute Cour a accordé une audience de contrôle judiciaire sur l’affaire, qui doit avoir lieu en octobre.

Pendant ce temps, des groupes de la société civile danoise ont décidé d’attaquer leur gouvernement en justice, ce qui est assez inhabituel au Danemark. Ils ont suivi de près l’exemple néerlandais et se sont concentrés sur les exportations danoises de pièces détachées pour le F-35. Ces pièces ne sont pas exportées directement vers Israël, mais en janvier, le ministre danois des affaires étrangères a révélé que 15 entreprises danoises fournissaient des composants pour des F-35 destinés en fin de compte à Israël. Cette révélation a suscité un tollé et ouvert la voie à une action en justice.

L’action commune a été intentée en mars par Action Aid Danemark, Amnesty International Danemark, Oxfam Danemark et Al-Haq. Elle signalait la probabilité que des composants d’armes danois soient utilisés dans le conflit à Gaza, contribuant potentiellement à des crimes de guerre et à d’autres violations du droit international.

La société civile danoise a combiné l’action en justice avec du plaidoyer public et des campagnes de sensibilisation. Elle a organisé avec succès une campagne de crowdfunding pour financer la bataille juridique et a organisé des manifestations devant les usines impliquées dans la production d’armes. Mais, à l’instar de leurs homologues britanniques et néerlandais, les représentants du gouvernement danois continuent d’affirmer que les exportations d’armes sont légales et servent les intérêts stratégiques de leur pays en matière de sécurité.

Qui arme Israël ?

Les États-Unis sont de loin le premier fournisseur militaire d’Israël. Entre 2019 et 2023, ils ont représenté le 69% des importations d’armes d’Israël. L’aide militaire américaine à Israël remonte aux années 1940 et, en 2016, les deux pays ont signé un accord décennal prévoyant une aide de 3,8 milliards de dollars par an, principalement sous la forme de subventions. Le gouvernement américain vient d’approuver une nouvelle enveloppe de 17 milliards de dollars d’aide militaire à Israël.

L’Allemagne est le deuxième fournisseur d’armes d’Israël, représentant environ 30% de ses acquisitions d’armes entre 2019 et 2023. L’année dernière, l’Allemagne a approuvé des exportations d’équipements militaires vers Israël pour un montant d’environ 323 millions de dollars, soit dix fois plus qu’en 2022.

Bien que loin derrière les deux autres, l’Italie est le troisième plus grand fournisseur. Ses ventes d’armes sont devenues un point de discorde car le gouvernement aurait continué à autoriser les exportations jusqu’en novembre 2023, alors qu’il avait assuré qu’aucune arme ne serait envoyée après le 7 octobre.

L’épreuve décisive

Dans certains pays, dont la Belgique, le Canada, le Japon et l’Espagne, les gouvernements n’ont pas attendu un recours en justice et ont pris l’initiative de suspendre les livraisons d’armes à Israël.

Dans d’autres pays, la pression continue. Au début du mois, une coalition de 11 groupes de la société civile a intenté trois actions en justice distinctes pour tenter de contraindre le gouvernement français à suspendre ses livraisons d’armes et d’équipements militaires à Israël en raison du risque qu’ils soient utilisés pour commettre des crimes graves contre des civils à Gaza.

L’épreuve décisive se déroulera en Allemagne, dont les exportations d’armes vers Israël dépassent de loin celles de tous les autres pays qui ont fait l’objet d’une action en justice. La plainte allemande a été déposée le 11 avril devant le tribunal administratif de Berlin par le Centre européen pour les droits constitutionnels et les droits humains et trois organisations palestiniennes : Al Haq, le Centre Al Mezan pour les droits humains et le Centre palestinien pour les droits humains. Le principal argument de l’action en justice, à savoir que les exportations d’armes vers Israël pourraient rendre l’Allemagne complice de violations du droit international, y compris du crime de génocide, a une résonance particulière en Allemagne. Il exige de l’État allemand qu’il respecte les valeurs qui, selon lui, guident sa politique étrangère. Le gouvernement allemand n’a pas encore réagi ni commenté l’affaire. La société civile espère que l’action en justice permettra d’exercer une pression politique pour mettre fin à la complicité du gouvernement dans le massacre.

Chacun de ces efforts contribue à faire pression sur les gouvernements pour qu’ils respectent les droits humains et les lois humanitaires internationales et qu’ils demandent des comptes à l’État israélien. La société civile du monde entier continuera à utiliser tous les moyens pacifiques possibles – allant des manifestations de rue jusqu’aux campagnes publiques en passant par les actions en justice – pour demander que les massacres cessent et que la justice et la paix prévalent. Il ne sera tout simplement pas une option de se taire et de stagner dans l’impuissance.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Les tribunaux devraient donner la priorité aux actions visant à prévenir les violations du droit international humanitaire et des droits humains et adopter une approche fondée sur les droits lorsqu’ils examinent le fond des affaires.
  • Les États devraient revoir leurs politiques d’exportation d’armes à la lumière de la situation à Gaza et cesser toute exportation d’armes vers Israël.
  • Les États doivent respecter l’espace civique pour l’activisme en faveur de la paix, notamment en autorisant et en protégeant les manifestations de solidarité avec la Palestine.

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Photo de couverture par Silvia Puerto Aboy