Un cessez-le-feu immédiat est nécessaire pour mettre fin au massacre des civils à Gaza et permettre un accès humanitaire total afin de fournir les produits de première nécessité dont une population assiégée a besoin et qui lui sont actuellement refusés. La crise actuelle s’est gravement intensifiée avec les attaques du Hamas du 7 octobre, mais elle n’a pas commencé là. Des solutions à long terme sont nécessaires pour mettre fin à des décennies de pratiques d’exclusion systémique et de déni de droits, en s’appuyant sur les voix de la société civile. Entre-temps, les habitants d’autres pays devraient être libres de manifester leur solidarité, de demander des comptes pour les atrocités commises et d’appeler à la fin des massacres.

Il s’agit d’une catastrophe humaine aux proportions inimaginables.

Le 7 octobre, les forces du Hamas ont lancé une attaque sans précédent contre Israël, se livrant à un déchaînement impitoyable contre la population civile dans les zones proches de la bande de Gaza, tuant environ 1.400 personnes et en prenant plus de 200 en otage. La réaction d’Israël fait aujourd’hui de nombreuses victimes civiles à Gaza, avec plus de 5.000 personnes tuées à ce jour. Plus de 62% des victimes à Gaza sont des femmes et des enfants.

Ces morts ne sont pas des dommages collatéraux : elles sont le résultat d’un bombardement aérien intense dans l’une des régions les plus densément peuplées du monde. L’attaque initiale du Hamas et la riposte d’Israël témoignent d’une cruauté exceptionnelle et d’un mépris flagrant pour les principes humanitaires fondamentaux.

Plus d’un million de personnes vivant au nord de Gaza ont reçu un ultimatum impossible : fuir ou risquer la mort. Mais les frontières étant fermées, il n’y a aucun endroit sûr où échapper. Des personnes se dirigeant vers le sud ont été bombardées, alors même qu’elles tentaient d’obéir l’ordre d’évacuation. Les frappes aériennes dans le sud de la bande de Gaza excluent l’idée d’être en sécurité en s’y installant. Une offensive terrestre qui semble imminente ne fera qu’étendre le massacre.

Le siège total de Gaza a privé la population de l’essentiel pour vivre, notamment l’eau, la nourriture, le carburant et les médicaments. La crise de l’eau est particulièrement aiguë. Après d’intenses négociations, les autorités israéliennes ont autorisé quelques petits convois d’aide à traverser la frontière depuis l’Égypte, mais ce n’est qu’une goutte d’eau dans l’océan par rapport à ce qui est nécessaire. Les travailleurs humanitaires sont en danger et ne peuvent pas travailler en toute sécurité. Plusieurs d’entre eux ont été tués.

Les travailleurs humanitaires doivent être libres d’accéder à Gaza et savoir qu’ils peuvent le faire sans risquer leur vie. Le droit international humanitaire et les droits humains doivent être respectés.

L’objectif d’obtenir la libération des otages semble être secondaire par rapport à la mission de l’État israélien d’éliminer le Hamas. Les autorités israéliennes réaffirment que l’objectif n’est pas de faire des victimes civiles. Mais en poursuivant leur campagne, ils punissent une population entière pour des crimes flagrants commis par certains de ses membres. Il s’agit d’une punition collective, crime de guerre interdit par les conventions de Genève. La récente déclaration du gouvernement israélien selon laquelle toute personne qui reste dans le nord de Gaza peut être considérée comme « complice d’une organisation terroriste » présume la culpabilité des gens sur la seule base de leur situation géographique.

Les civils qui n’ont joué aucun rôle dans les attentats du 7 octobre et qui n’y sont pas liés sont blâmés et punis, y compris au motif absurde qu’ils auraient dû se soulever pour renverser leur gouvernement, alors qu’ils vivent dans un espace civique réprimé et que près de la moitié d’entre eux sont des enfants.

Ce qui se passe pourrait être qualifié de nettoyage ethnique – une tentative de vider un territoire, le nord de Gaza, de sa population. À cela s’ajoutent des propos déshumanisants – qualifiant notamment les Palestiniens d’« animaux » – de la part de hauts responsables du gouvernement israélien, ce qui est considéré comme l’une des étapes préliminaires d’un génocide.

L’espace civique, sous les feux de la rampe

Ces événements ont fait la une des journaux du monde entier et ont suscité des réactions à l’échelle planétaire. Dans de nombreux pays, les gens se sont mobilisés pour protester contre les meurtres et autres atrocités, et pour exprimer leur solidarité avec les victimes.

Cependant, les manifestations appelant à une solution pacifique à la crise et exprimant la solidarité avec la Palestine et les civils qui risquent de perdre la vie ont, dans plusieurs cas, été qualifiées à tort d’antisémites ou de soutien au terrorisme, et ont souvent fait l’objet de restrictions.

En France, le gouvernement a tenté d’imposer une interdiction générale des manifestations propalestiniennes ; un tribunal a récemment statué que de telles manifestations ne pouvaient être interdites qu’au cas par cas. Une manifestation interdite à Paris a été dispersée à l’aide de gaz lacrymogènes et de canons à eau. En Allemagne, certaines manifestations ont été autorisées, d’autres interdites. Lorsque près d’un millier de personnes se sont rendues à une veillée propalestinienne interdite à Berlin, la police a fait usage de la force.

Au Royaume-Uni, la ministre de l’Intérieur a déclaré que le fait d’agiter le drapeau palestinien ou d’entonner des slogans propalestiniens pourrait constituer une infraction pénale. En Australie, la police de Sydney a annoncé qu’elle utiliserait des « pouvoirs extraordinaires » pour fouiller les personnes participant à une manifestation propalestinienne et leur demander une pièce d’identité.

Il n’y a pas que les manifestations. Aux États-Unis, des groupes propalestiniens ont déclaré avoir été victimes de harcèlement et d’intimidation, des critiques de l’État israélien ont vu leurs apparitions dans les médias supprimées et des radiodiffuseurs musulmans ont été privés d’antenne. La liberté académique est menacée, certains donateurs puissants menaçant de cesser de soutenir les universités dont le personnel et les étudiants sont perçus comme soutenant la cause palestinienne.

Les gouvernements ont prétendu que les restrictions étaient justifiées par la nécessité de prévenir les tensions internes entre les différentes communautés et de protéger l’ordre public. Mais l’harmonie sociale ne résulte pas d’un diktat de l’État, elle est le fruit d’un dialogue. Et lorsque des manifestations de soutien à Israël ont été autorisées et que des voix pro-israéliennes ont pu s’exprimer librement dans les médias, il est impossible de ne pas voir qu’il y a deux poids, deux mesures.

Ces dernières restrictions s’ajoutent aux efforts qui se déploient depuis longtemps pour rendre plus difficile l’appel au boycott d’Israël. La campagne mondial Boycott Désinvestissement Sanctions (BDS) encourage l’utilisation de ces tactiques pour faire pression sur l’État israélien afin qu’il respecte les normes internationales en matière de droits humains.

La plupart des États des États-Unis ont adopté des lois anti-BDS, souvent basées sur un modèle de loi promu par des groupes de pression pro-israéliens, et les efforts se poursuivent pour introduire une loi au niveau fédéral. En France, une loi anti-discrimination a été employée pour limiter les efforts de BDS, et au Royaume-Uni, le gouvernement a introduit un projet de loi anti-boycott qui empêcherait tout organisme public de prendre une décision d’investissement sur la base d’un désaccord avec un pays étranger.

Ces lois sont souvent accompagnées d’accusations d’antisémitisme à l’encontre des personnes et des groupes qui exigent le respect des lois internationales sur les droits humains et l’égalité de traitement pour les peuples d’Israël et de Palestine. Elles visent à priver la société civile et d’autres organismes, tels que les établissements universitaires, les entreprises et les collectivités locales, d’un levier légitime qui s’est avéré efficace dans d’autres domaines, comme l’encouragement de l’action climatique, et dans des luttes passées, notamment la campagne contre l’apartheid en Afrique du Sud.

Un cessez-le-feu est nécessaire

Il est impossible d’envisager une issue à l’horrible situation actuelle sans un cessez-le-feu immédiat et un accès total à l’aide humanitaire. La priorité doit être de mettre fin au nombre croissant de morts et de veiller à ce que les habitants de Gaza puissent accéder aux services essentiels – notamment l’eau, la nourriture, l’énergie et les médicaments – qui leur sont refusés.

Le siège doit cesser. Tous les otages doivent être libérés. Un embargo sur les armes doit être imposé pour empêcher les meurtres aveugles de civils. Les travailleurs humanitaires doivent être libres d’accéder à Gaza et savoir qu’ils peuvent le faire sans risquer leur vie. Le droit international humanitaire et les droits humains doivent être respectés.

L’alternative est la poursuite des massacres, de la violence et de la terreur, qui laisseront des marques indélébiles, la tragédie étant utilisée pour justifier de nouvelles violences, tant dans la région comme dans le monde entier. Une escalade du conflit pourrait amener les alliés du Hamas, dont l’Iran et le Hezbollah libanais, à intervenir. L’antisémitisme et l’islamophobie ont déjà explosé dans de nombreux pays, et cela ne s’arrêtera pas si les tueries ne cessent pas.

La crise s’est aggravée le 7 octobre, mais elle n’a pas commencé là. Si le siège de Gaza s’est avéré si dévastateur si rapidement, c’est parce que Gaza était déjà soumise à un blocus de 16 ans qui a laissé la plupart des habitants dans la pauvreté. Cette longue lutte a été profondément inégale : avant la recrudescence actuelle du conflit, les chiffres de l’Organisation des Nations Unies (ONU) montrent que, depuis 2008, 6.407 Palestiniens avaient été tués, contre 308 Israéliens.

Depuis longtemps qu’il n’y a aucune tentative sérieuse d’élaboration de solution à long terme qui se fonde sur la coexistence de deux États et respecte de manière égale les droits des Israéliens et des Palestiniens. Pendant trop longtemps, la législation internationale en matière de droits humains a été bafouée et le gouvernement israélien a été autorisé à traiter les Palestiniens, y compris les citoyens palestiniens d’Israël, comme des citoyens de seconde zone.

Les colonies illégales dans des territoires occupés, conçus pour repousser et encercler les Palestiniens et rendre un État palestinien physiquement impossible, doivent cesser. L’humiliation doit cesser, car le désespoir ne fera qu’alimenter l’extrémisme.

Mais ces dernières années, la perspective d’une solution n’a fait que s’éloigner. L’influence de l’extrême droite s’est accrue en Israël, sous l’impulsion du Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui a mis en place le gouvernement le plus extrémiste que le pays ait jamais connu. Les alliés internationaux d’Israël ont choisi de fermer les yeux sur les abus de l’État, notamment la colonisation illégale croissante des territoires occupés et le blocus de longue durée de Gaza. Les États de la région qui ont récemment normalisé leurs relations avec Israël – Bahreïn, le Maroc et les Émirats arabes unis – se sont montrés prêts à minimiser la répression de la Palestine pour des raisons stratégiques.

Les gouvernements qui ont condamné le ciblage des civils et les attaques contre les infrastructures critiques en Ukraine doivent maintenant faire de même en ce qui concerne Gaza, sous peine de se révéler hypocrites et d’ajouter du poids aux affirmations de longue date de la Russie selon lesquelles les critiques concernant ses atrocités en matière de droits humains sont partielles et politiques.

La justice internationale est nécessaire. Le gouvernement américain a utilisé son droit de veto pour empêcher l’adoption d’une résolution du Conseil de sécurité des Nations Unies appelant à une pause humanitaire des combats qui permette l’accès à l’aide. Ce blocage de la part des États-Unis des résolutions relatives à Israël se produit depuis des années, offrant ainsi un nouvel exemple du dysfonctionnement lamentable de cet organe de l’ONU. Mais d’autres voies doivent être explorées.

Le président de l’Assemblée générale des Nations Unies a convoqué une session extraordinaire d’urgence le 26 octobre. Mais elle ne donnera que peu de résultats si les États n’abandonnent pas la pratique du « deux poids, deux mesures » lorsqu’il s’agit de dénoncer les auteurs d’actes de violence.

Une session spéciale du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies devrait également être organisée pour donner le feu vert à l’augmentation des ressources et des capacités de l’actuelle Commission internationale indépendante d’enquête sur le territoire palestinien occupé, y compris Jérusalem-Est et Israël, afin qu’elle puisse enquêter de manière adéquate et recueillir des preuves sur le conflit actuel.

La Cour pénale internationale est compétente en Palestine, puisque celle-ci, contrairement à Israël, a ratifié le Statut de Rome. En 2021, la Cour a ouvert une enquête. Elle devrait maintenant l’accélérer, s’assurer qu’elle couvre les crimes les plus récents et faire une déclaration publique sur ses progrès. Des solutions telles que la création d’un tribunal international spécial chargé de demander des comptes aux responsables d’atrocités doivent également être explorées de toute urgence.

La société civile doit être libre et en sécurité, non seulement pour contribuer à l’acheminement de l’aide humanitaire vitale, mais aussi pour recueillir des preuves des violations des droits humains afin d’alimenter tout processus international qui soit mis en place. La sécurité des journalistes qui rendent compte de la situation doit être garantie. Plusieurs d’entre eux ont déjà été tués dans l’exercice de leurs fonctions essentielles.

Les États devraient également s’engager à respecter l’espace civique dans leur pays. Il ne peut y avoir de place pour l’antisémitisme ou l’islamophobie, mais les gens doivent être libres de s’exprimer et de manifester pour montrer leur solidarité, exiger la fin du massacre, demander des comptes et appeler à des solutions à long terme. Les entreprises de technologie et de réseaux sociaux, qui ont terriblement manqué à leur devoir d’empêcher la propagation de la désinformation et des discours de haine, doivent rendre des comptes.

Il est temps d’écouter les voix de la société civile

Pour la plupart, les personnes veulent vivre en paix, se sentir en sécurité et pouvoir satisfaire leurs besoins essentiels. Elles veulent être libres – tant à Gaza, en Israël, comme dans le reste du monde. L’indignation suscitée par les attaques du Hamas et la campagne de vengeance qu’elles ont déclenchée ne doit pas faire oublier notre humanité commune.

La spirale des meurtres doit cesser. Les victimes n’ont pas droit à la vengeance, qui ne peut qu’alimenter d’autres vengeances, mais à une solution durable qui permette aux survivants de vivre leur vie dans la liberté et la paix.

Dans ce cadre, les femmes, qui subissent le plus les conflits, doivent pouvoir jouer un rôle clé dans leur résolution. Plusieurs femmes leaders s’unissent dans le cadre de l’initiative #WomenForPeace. Il est urgent d’assurer la présence de représentantes des femmes dans les espaces de décision pour aider à résoudre la crise actuelle.

Il y a suffisamment d’organisations de la société civile et de personnes empathiques de tous bords qui demandent instamment que l’on mette fin au cycle de la violence pour permettre la guérison et la réconciliation. Leurs voix doivent être entendues.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Le gouvernement d’Israël doit immédiatement appeler à un cessez-le-feu et permettre un accès humanitaire sans entrave à Gaza. Le Hamas doit libérer immédiatement les otages et les rendre sains et saufs à leurs familles.
  • La communauté internationale doit s’attaquer aux causes profondes du conflit actuel, notamment les attaques contre les civils, les violations répétées du droit international en matière de droits humains, l’occupation illégale et l’exclusion, la violence et l’humiliation institutionnalisées.
  • Des procédures judiciaires internationales, incluant éventuellement un tribunal international spécial, devraient être mises en place pour que les responsables d’atrocités rendent compte de leurs actes.

Photo de couverture par Hesham Elsherif/Getty Images