Moment décisif pour le traité sur la haute mer
Une vague de ratifications lors du dernier sommet sur les océans qui s’est tenu à Nice, en France, a rapproché le traité sur la haute mer de la ligne d’arrivée. Ce traité, conclu en 2023 après des années de négociations, promet d’étendre la protection à de vastes zones océaniques actuellement vulnérables. Le besoin est crucial : les océans subissent une dégradation sévère, notamment en raison de la pollution, de la surpêche et du transport maritime, tandis que le changement climatique accélère la crise et que l’exploitation minière en eaux profondes fait peser de nouvelles menaces. Malgré les progrès réalisés lors de la conférence, il manque encore 10 ratifications pour atteindre les 60 nécessaires à l’entrée en vigueur du traité, et les grandes puissances refusent toujours de s’engager. Il est essentiel d’exercer une pression urgente sur les États réticents.
Le plus grand écosystème de la planète est en grande difficulté, et le temps presse pour le sauver. La moitié de la surface de la Terre est constituée de haute mer, c’est-à-dire des eaux situées au-delà de toute juridiction nationale, mais seulement 1% de ces zones sont actuellement protégées. Dans ce qui s’apparente largement à une zone de non-droit, les flottes de pêche industrielle peuvent dépouiller les océans, la pollution plastique étouffe la vie marine, et l’exploitation minière en eaux profondes menace des écosystèmes que la science commence à peine à comprendre.
C’est dans ce contexte de crise que s’inscrit le traité sur la haute mer. Conclu par les États en 2023, l’Accord sur la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, comme il est officiellement appelé, vise à garantir une utilisation responsable des ressources marines et à préserver la biodiversité marine. Il entrera en vigueur 120 jours après avoir atteint les 60 ratifications.
Alors que la Conférence des Nations unies sur l’Océan s’achève à Nice, en France, la course est lancée pour faire entrer le traité en vigueur. La pression exercée par la société civile et les États favorables à la ratification s’est intensifiée à l’approche de la conférence. Au début de l’année, seuls 15 États avaient ratifié le traité, mais selon les derniers chiffres de la High Seas Alliance, la principale coalition de la société civile mobilisée sur cette question, ce nombre s’élève désormais à 50. Il est encourageant de constater que 18 États ont ratifié le traité dès le premier jour de la conférence.
🎉 What a powerful day we saw yesterday at #UNOC3, with many countries joining the #RaceForRatification, getting the Treaty closer to entry into force.
— High Seas Alliance (@HighSeasAllianc) June 10, 2025
A message from our Director @Bec_Hubbard congratulating on progress for High Seas protection. #BBNJ pic.twitter.com/l7lKrdQ7OB
Un traité en préparation depuis vingt ans
L’adoption du traité marque l’aboutissement de nombreuses années de plaidoyer de la part des organisations de défense du climat et de l’environnement, des communautés autochtones, des groupes de jeunes militants et des États qui les soutiennent. Il a fallu près de vingt ans de négociations laborieuses pour parvenir à un texte juridiquement contraignant, que le secrétaire général des Nations unies, António Guterres, a salué comme une réalisation historique.
Les mesures exigées par le traité sont cruellement nécessaires. La santé des océans s’est considérablement détériorée en raison de facteurs tels que le transport maritime à grande échelle, la pêche industrielle et la pollution généralisée par les plastiques. Par exemple, à cause de la pêche industrielle, dominée par une poignée de pays menés par la Chine, 34% des stocks mondiaux de poissons sont surexploités, ce qui signifie que trop de poissons sont capturés pour que les stocks puissent se reconstituer.
Des pratiques émergentes, comme l’exploitation minière en eaux profondes, risquent de provoquer des dégâts difficilement quantifiables, car on connaît encore peu de choses sur la vie au fond des océans. Bien que la technologie n’ait pas encore été testée, Donald Trump a ordonné en avril l’accélération de l’octroi des permis.
La dégradation des océans est aussi un enjeu climatique. Les océans absorbent environ 30% du dioxyde de carbone émis dans l’atmosphère. Mais les quantités croissantes de gaz à effet de serre qui se dissolvent dans l’eau provoquent l’acidification des océans, qui a atteint des niveaux critiques, nuisant à de nombreuses formes de vie marine. La communauté scientifique s’inquiète également de plus en plus de l’assombrissement des océans : plus d’un cinquième des étendues marines sont devenues plus sombres au cours des vingt dernières années. Ce phénomène, qui pourrait être causé par la pollution, met en danger de nombreuses espèces marines qui ont besoin de la lumière du soleil pour se développer.
Ces transformations des océans contribuent à accroître le risque d’extinction qui pèse sur 10 à 15% de la vie marine. La liste rouge des espèces menacées de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) recense plus de 14.000 espèces marines. Les réseaux alimentaires océaniques qui sous-tendent la vie sur terre sont menacés. L’immense richesse génétique des océans du monde, dont une grande partie n’est pas encore documentée, pourrait disparaître, y compris des sources prometteuses pour la fabrication de médicaments qui pourraient sauver des vies.
Le coût humain est considérable. Des millions de personnes dépendent des océans pour leur subsistance, en particulier dans le Sud global. Dans des pays comme le Bangladesh, le Ghana et le Sri Lanka, le poisson représente la moitié de l’apport quotidien en protéines de la population. Les océans revêtent également une grande importance culturelle pour de nombreuses personnes, de sorte que leur dégradation entraîne une perte culturelle majeure.
Lacunes en matière de gouvernance
Le traité sur la haute mer a été créé pour combler des lacunes importantes en matière de gouvernance. Historiquement, les mers situées en dehors des juridictions nationales n’ont pas fait l’objet d’une attention particulière de la part du droit international. L’Organisation maritime internationale (OMI) est chargée des règles relatives au transport maritime, l’Autorité internationale des fonds marins réglemente l’exploitation minière en eaux profondes, et une série d’organismes régionaux s’occupent d’autres questions. Il est clair que le statu quo ne fonctionne pas et que poursuivre les activités actuelles ne sauvera pas les océans.
Le traité vise à changer cette situation en instaurant un cadre global pour la conservation du milieu marin. Il se concentre sur quatre domaines : les réglementations visant à partager les avantages des ressources génétiques marines, les outils de gestion et de conservation des zones marines protégées, les obligations de réaliser des études d’impact environnemental, et les dispositions relatives au renforcement des capacités et au transfert des technologies marines. Les obligations du traité en matière d’aires marines protégées devraient permettre de respecter l’engagement pris dans le cadre mondial pour la biodiversité de 2022, à savoir conserver 30% des mers d’ici à 2030.
Le traité devrait également contribuer à la réalisation de l’objectif 14 des objectifs de développement durable (ODD), adoptés par tous les États en 2015. L’objectif 14, relatif à la vie aquatique, engage les États à conserver et à exploiter de manière durable les océans, les mers et les ressources marines aux fins du développement durable. Les progrès réalisés dans le cadre de l’objectif 14 sont mesurés à l’aide de données portant notamment sur les stocks de poissons, l’acidité des océans et la densité de la pollution. Mais la mise en œuvre reste très inégale, avec une régression ou des progrès marginaux pour la plupart des indicateurs. La surpêche se poursuit dans de nombreuses régions, en particulier dans l’Atlantique Sud-Est et le Pacifique Sud, tandis qu’un traité mondial visant à lutter contre la pollution plastique n’a toujours pas été finalisé et fait l’objet de vives tensions. Par ailleurs, l’incapacité à réduire les émissions de gaz à effet de serre signifie que l’acidification des océans se poursuit à un rythme soutenu.
Les projecteurs braqués sur Nice
Le président français Emmanuel Macron était sous les feux de la rampe alors que la France coorganisait le sommet aux côtés du Costa Rica. Macron a exhorté les États à ratifier le traité, espérant que la rencontre marquerait le moment où serait franchi le cap décisif des 60 ratifications. La France est également à l’avant-garde des initiatives mondiales visant à interdire l’exploitation minière en eaux profondes. Mais ce rôle de premier plan a également donné l’occasion à la société civile de souligner certaines défaillances du gouvernement, en mettant l’accent sur son incapacité à interdire la pêche au chalut de fond, une pratique néfaste pour l’environnement, dans des zones pourtant dites protégées. Sur ce point, la France affiche de moins bons résultats que la plupart des États membres de l’Union européenne (UE).
Le mélange de voix présentes à la conférence (chefs d’État, responsables gouvernementaux, scientifiques, leaders autochtones, groupes environnementaux et représentants de l’industrie) a offert à la société civile l’occasion de faire campagne et d’appeler à plus d’ambition. En amont de l’événement principal, plus de 2 000 scientifiques spécialisés dans les océans se sont réunis lors du One Ocean Science Congress, apportant des données essentielles issues de leurs recherches les plus récentes pour éclairer les décisions à prendre
Mais tout le monde n’a pas pu se faire entendre. Les autorités françaises ont empêché le navire Arctic Sunrise de Greenpeace d’accoster dans le port de Nice, apparemment en réponse aux critiques de l’organisation concernant les manquements de la France en matière d’aires marines protégées. Greenpeace avait l’intention de délivrer un message soutenu par trois millions de personnes appelant à un moratoire sur l’exploitation minière en eaux profondes. Le traité n’aborde pas cette question, notamment le fait que les opérations minières soient exemptées des évaluations d’impact environnemental. Cela constitue l’une des principales critiques formulées par la société civile.
Pendant ce temps, les voix qui devraient être les plus importantes dans le débat sur le traité sont encore trop peu entendues. Ce sont celles des communautés autochtones ayant une longue tradition de gestion durable des ressources océaniques. Des leaders comme Kaho’ohalahala, du réseau Maui Nui Makai à Hawaï, rappellent que les savoirs traditionnels offrent des perspectives cruciales souvent négligées par les approches occidentales en matière de conservation.
Les connaissances des communautés autochtones et côtières pourraient s’avérer précieuses pour la gestion des écosystèmes marins complexes, mais seulement si on leur accorde une véritable place à la table des négociations. Les défenseurs des droits des autochtones font pression pour une réelle implication dans les processus décisionnels du traité, comme cela est désormais le cas dans le Cadre mondial pour la biodiversité, et non une simple reconnaissance symbolique de leur présence.
Le défi de la ratification
Le sommet s’achève sur un patchwork de ratifications, formant quelques regroupements en Europe et en Asie du Sud-Est, mais laissant de nombreuses zones à l’écart. L’Union européenne a ratifié le traité en tant que bloc, mais ses États membres doivent aussi le faire individuellement, et certains grands pays manquent à l’appel, notamment l’Allemagne, l’Italie, la Pologne et la Suède. L’UE s’est engagée à verser 40 millions d’euros (environ 46,3 millions de dollars américains) pour aider les États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique à ratifier le traité.
Toutefois, les temps sont durs pour le multilatéralisme, car les grandes puissances choisissent de jouer selon leurs propres règles et d’agir uniquement dans leur propre intérêt. Certains États majeurs restent en marge, y compris les suspects habituels lorsqu’il s’agit de rejeter des accords internationaux contraignants : la Chine, l’Inde, la Russie et les États-Unis. Ces États sont aussi puissants en mer que sur terre. En l’absence de changements géopolitiques, il semble difficile d’imaginer comment ces pays pourraient être convaincus de rejoindre l’accord.
Un second groupe comprend des pays comme l’Australie, le Canada et le Royaume-Uni, qui ont davantage l’habitude de mettre en avant leur attachement au multilatéralisme. Une priorité du plaidoyer pour la ratification devrait être de rallier ces pays à la cause afin de créer une dynamique. L’accent mis sur les questions marines pendant la conférence a eu un certain impact à cet égard : le gouvernement australien s’est engagé à placer 30% de ses zones marines sous un haut niveau de protection d’ici à 2030, tandis que le gouvernement britannique a promis de ratifier le traité d’ici la fin de l’année.
La société civile doit maintenant veiller à ce que ces engagements soient tenus. Et lorsque le traité entrera en vigueur, elle devra inciter les États à le mettre en œuvre, notamment en créant des zones marines protégées afin d’atteindre l’objectif d’une conservation de 30 % d’ici à 2030. Les États les plus riches devront également assumer leur part de responsabilité en finançant la mise en œuvre du traité. Cela doit constituer un axe central du plaidoyer à venir, car les États ont l’habitude de signer des accords sur le climat et l’environnement, mais de ne pas les financer de manière adéquate.
Pendant que les États tergiversent et que la société civile peine à se faire entendre, les industries qui ont tout intérêt à maintenir l’absence de règles, elles, ne restent pas inactives. Les grandes entreprises de pêche et d’exploitation minière continueront à tirer profit du système fragmenté actuel, avec toutes les conséquences que cela implique pour la biodiversité, le climat, l’environnement et les droits humains. Le coût de l’inaction augmente chaque jour.
Il est temps que les États cessent de considérer la haute mer comme une ressource à piller, une décharge ou un sujet secondaire. Il manque encore dix ratifications. Atteindre ce seuil ne doit être qu’un début.
NOS APPELS À L’ACTION
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Les États doivent ratifier d’urgence le traité sur la haute mer et s’engager à le mettre pleinement en œuvre, notamment en allouant des ressources suffisantes.
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Les représentants autochtones doivent pouvoir participer aux processus de prise de décision concernant la mise en œuvre du traité.
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Un éventail plus large de la société civile, en particulier du Sud global, doit rejoindre la campagne en faveur de la ratification et de l’application du traité sur la haute mer.
Pour des entretiens ou de plus amples informations, veuillez contacter research@civicus.org
Photo de couverture par High Seas Alliance/Facebook