Plusieurs États intensifient leurs projets d’exploitation minière en eaux profondes afin d’extraire des métaux précieux des fonds marins, notamment utilisés dans les batteries de véhicules électriques. Les îles Cook, parmi de nombreux États insulaires du Pacifique, voient dans cette activité une opportunité économique, tandis que la Norvège représente le chef de file dans le Nord du monde. Face aux incertitudes technologiques et environnementales liées à cette pratique dans des environnements en eaux profondes encore largement inexplorés, la société civile appelle à un moratoire. L’arrivée récente d’une nouvelle dirigeante à la tête de l’Autorité internationale des fonds marins, l’organisme régulant l’exploitation des fonds marins dans les eaux internationales, suscite toutefois un certain espoir.

Les nodules, des amas de métaux qui jonchent les fonds marins, sont au centre de toutes les attentions. Constitués de minéraux accumulés pendant des milliers d’années, ces nodules contiennent des éléments précieux tels que le cobalt, le manganèse et le nickel. Leur existence est connue depuis des décennies, mais leur extraction n’est devenue économiquement viable que récemment, en raison de la hausse des prix des métaux qu’ils contiennent. Ces ressources sont particulièrement prisées pour leur rôle dans les téléphones portables et les batteries des véhicules électriques, présentés comme des piliers essentiels de la transition vers une économie à faible émission de carbone.

Les communautés divisées dans les îles Cook

Les nodules qui suscitent actuellement le plus d’intérêt se trouvent dans l’océan Pacifique et représentent un dilemme pour les petites nations insulaires. Ils représentent une source potentielle de richesse, particulièrement pour des économies déjà fragilisées par les effets du changement climatique et qui n’ont que peu d’alternatives.

Les nations insulaires du Pacifique, en particulier les atolls de faible altitude qui sont extrêmement vulnérables à la montée du niveau des mers, sont en première ligne d’une crise climatique, bien qu’elles n’aient quasiment pas contribué aux émissions de gaz à effet de serre à l’origine du changement climatique. Alors que les pays industrialisés peinent à fournir un soutien suffisant pour lutter contre le changement climatique et s’y adapter, ces nations, à qui l’on demande de renoncer aux avantages de l’industrialisation à base de carbone dont bénéficient les pays du Nord, voient dans l’exploitation minière en eaux profondes une opportunité de tirer parti de la transition énergétique mondiale.

Les îles Cook, un archipel polynésien regroupant 15 îles, se trouvent au premier rang de cette démarche. En 2022, le gouvernement a accordé trois licences d’exploration minière en eaux profondes. Depuis, des travaux ont été entrepris pour cartographier une partie des fonds marins dans la zone économique exclusive du pays, qui s’étend sur 1,96 million de kilomètres carrés. En septembre 2024, les îles Cook ont affirmé leur ambition en accueillant une conférence dédiée à l’exploitation minière en eaux profondes.

Les sociétés minières mettent à profit leurs vastes ressources financières pour financer des parrainages et des initiatives communautaires, dans le but de rallier les populations locales à leurs projets. Mais les opinions au sein des communautés locales restent partagées, de nombreuses personnes exprimant des inquiétudes quant à l’impact environnemental et appelant au respect des traditions culturelles, selon lesquelles l’océan occupe une place centrale. Pendant la conférence, des protestataires sont montés à bord de bateaux pour manifester leur opposition.

L’histoire de l’exploitation minière dans les pays du Sud est plutôt sombre. Les bénéfices ont principalement profité à de grandes entreprises basées dans les pays du Nord, les populations locales ne jouant qu’un rôle marginal, se limitant à l’extraction de matières premières, souvent traitées et utilisées ailleurs. Les retombées économiques locales ont été minimes, mais les coûts de l’exploitation minière, notamment la pollution, ont été largement supportés par les communautés vivant à proximité des sites d’extraction. Ces populations ont fréquemment fait face à des répressions en cas d’opposition à l’exploitation minière. Par ailleurs, les revenus miniers sont souvent associés à des phénomènes de corruption des élites, en particulier dans les pays où les régimes sont autoritaires et l’espace civique restreint, ce qui rend difficile toute reddition de comptes au pouvoir politique et économique.

L’exploitation minière en mer plutôt que sur terre pourrait permettre d’éviter certains de ces problèmes. Mais de nombreuses inconnues subsistent. La technologie n’a pas encore été testée et il est difficile d’imaginer une exploitation des fonds marins sans impacts environnementaux significatifs. On peut s’attendre à ce que l’exploitation minière perturbe largement les sédiments et la vase, qui, selon des études récentes, agissent comme un puits de carbone. Leur perturbation pourrait ainsi libérer du dioxyde de carbone, aggravant les émissions de gaz à effet de serre. La pollution sonore générée par l’exploitation minière pourrait également nuire à la vie marine. À la différence des écosystèmes terrestres, les écosystèmes des grands fonds restent largement méconnus. De nombreuses espèces marines n’ont pas encore été identifiées, et il reste encore beaucoup à apprendre sur le rôle que jouent les environnements des grands fonds dans les chaînes écologiques dont dépend l’humanité. En l’absence de recherches supplémentaires, il est difficile de déterminer l’ampleur des dégâts potentiels causés par l’exploitation minière.

L’exploitation minière en eaux profondes est encouragée bien que la technologie soit encore balbutiante. Paradoxalement, à mesure que ces techniques se développent, la demande pour les métaux contenus dans les nodules pourrait décliner, notamment en raison des avancées en matière de recyclage et des progrès réalisés dans la technologie des batteries.

Les ambitions de la Norvège en suspens

À l’autre bout du monde, la Norvège, superpuissance des énergies fossiles, nourrit-elle aussi des ambitions concernant les ressources des fonds marins. L’extraction du pétrole et du gaz de ses mers environnantes a permis au pays de constituer le plus grand fonds souverain du monde. Aujourd’hui, elle cherche à diversifier son exploitation des ressources naturelles. En janvier 2024, le parlement norvégien a massivement voté en faveur de l’exploration des fonds marins, faisant de la Norvège le premier pays à s’engager dans l’exploitation du plancher océanique. L’une des motivations invoquées était de réduire sa dépendance aux importations de matières premières, notamment en provenance de Chine.

Cette décision a néanmoins suscité de nombreuses critiques de la part de la société civile. Sous la pression de son plaidoyer, une clause a été ajoutée au projet de loi : désormais, chaque licence d’exploitation minière devra obtenir l’approbation du Parlement. Cette exigence ouvre la voie à des débats approfondis et à de nouvelles mobilisations. Toujours déterminée à stopper cette décision, la société civile a également intenté une action en justice.

Un contretemps crucial s’est toutefois produit en décembre dernier. Les projets de la Norvège ont été retardés lorsque l’un des partis soutenant le gouvernement minoritaire a conditionné son soutien au budget à l’abandon temporaire du plan d’exploration. Ce blocage reporte toute action avant les élections prévues en septembre 2025. La société civile mettra ce délai à profit pour tenter de maintenir la question au cœur de l’actualité et mobiliser l’opinion publique.

Des voix en première ligne

Martin Sveinssønn Melvær est responsable des matériaux et de l’industrie à la Fondation Bellona, une organisation indépendante de la société civile qui s’efforce d’identifier et de mettre en œuvre des solutions durables pour relever les plus grands défis environnementaux.

 

L’empressement à autoriser l’exploitation minière en eaux profondes repose sur une grave erreur de calcul. Les minéraux des fonds marins sont présentés comme une solution à la pénurie de métaux nécessaires à la transition écologique. Mais les prévisions de l’Agence internationale de l’énergie et d’autres sources sérieuses indiquent que le goulot d’étranglement minéral, dans lequel l’offre de minéraux aura du mal à répondre à la demande, durera environ 10 ou 15 ans. Or, les estimations les plus optimistes indiquent que l’exploitation commerciale des fonds marins dans les eaux norvégiennes ne pourra commencer que d’ici 15 à 25 ans. La technologie nécessaire à l’exploitation minière en eaux profondes est encore très immature et l’histoire montre qu’il faut de nombreuses années de développement pour faire passer une nouvelle technologie à l’échelle industrielle. À Bellona, nous pensons que la solution au goulot d’étranglement minéral n’est pas l’exploitation minière en eaux profondes, mais une stratégie qui mise sur l’économie circulaire, combinée à des pratiques d’exploitation minière terrestre plus durables.

Il est difficile de comprendre pourquoi le gouvernement norvégien précipite ce processus. J’ai l’impression qu’il est trop pressé de trouver une nouvelle industrie susceptible de créer des emplois pour compenser le déclin du pétrole. Mais il le fait sans se rendre compte, ou sans vouloir se rendre compte, qu’en plus d’être irresponsable sur le plan environnemental, l’exploitation minière en eaux profondes n’a que peu de chances d’être rentable. Même la principale compagnie pétrolière norvégienne, Equinor, a mis en garde contre l’exploitation minière en eaux profondes en invoquant le principe de précaution, qui appelle à l’adoption de mesures de précaution lorsque les preuves scientifiques concernant un risque pour l’environnement ou la santé humaine sont incertaines et que les enjeux sont élevés.

Il faut également tenir compte de la forte pression exercée par Offshore Norge, l’organisation de lobbying de l’industrie pétrolière. Bien que les principales compagnies pétrolières n’aient pas montré beaucoup d’intérêt pour l’exploitation minière en eaux profondes, Offshore Norge en a fait une promotion très active. On pourrait parler de « pétrocholisme ». Notre gouvernement a l’habitude de donner à l’industrie pétrolière tout ce qu’elle veut.

L’exploitation minière des grands fonds marins devrait être interrompue jusqu’à ce que les zones d’ombre soient éclaircies. Nous encourageons tout le monde à soutenir un moratoire mondial sur l’exploitation minière en eaux profondes.

 

Ceci est un extrait édité de notre conversation avec Martin. Lisez l’intégralité de l’entretien (en anglais) ici.

Le rôle clé de l’organisme international

Les îles Cook ne sont pas seules parmi les nations insulaires du Pacifique à envisager l’exploitation minière en eaux profondes. Kiribati, Nauru et Tonga soutiennent également les initiatives des entreprises internationales visant à obtenir des licences.

Cependant, tous les États ne sont pas sur la même longueur d’onde. Fidji, Palau, Samoa et Vanuatu font partie des États insulaires du Pacifique qui soutiennent un moratoire, rejoints par des gouvernements tels que le Brésil, le Canada, la France et l’Allemagne. Au total, trente-deux États soutiennent un moratoire, dont huit qui ont signé en 2024.

L’Autorité internationale des fonds marins (ISA, pour son acronyme en anglais) est appelée à jouer un rôle central. Créée en vertu de la convention des Nations unies sur le droit de la mer de 1982, l’ISA compte 168 États membres et son siège se trouve à Kingston, en Jamaïque. Bien que l’ISA n’ait pas le pouvoir d’interférer dans les activités minières dans les eaux nationales, elle a pour mission de réglementer les zones situées au-delà de la juridiction nationale, qui représentent environ la moitié des fonds marins de la planète.

Ces dernières années, l’ISA a été critiquée pour sa proximité perçue avec les industries extractives. À ce jour, elle a octroyé 31 contrats d’exploration à des entreprises et à des États tels que l’Inde, la Pologne et la Corée du Sud. Certains États, dont Nauru, ont fait pression pour accélérer le processus. En 2021, Nauru a bouleversé la situation en informant l’ISA de son intention de poursuivre l’exploitation minière en eaux profondes dans les eaux internationales. Cette déclaration a activé un mécanisme obligeant l’ISA à élaborer un cadre réglementaire pour encadrer ces activités. Les pourparlers qui devaient aboutir à l’adoption de ces règles en 2023 ont été interrompus sans qu’aucun accord n’ait été trouvé, ce qui a retardé l’adoption de la réglementation jusqu’à cette année au plus tôt.

En septembre, un changement d’orientation a été signalé avec la nomination d’une nouvelle secrétaire générale de l’ISA. Leticia Carvalho, océanographe brésilienne, devient ainsi la première femme, latino-américaine, à diriger l’ISA. Elle a remporté la position face au secrétaire général sortant, l’avocat britannique Michael Lodge, qui briguait un troisième mandat. Ce dernier était accusé de favoriser l’exploitation minière en eaux profondes et sa candidature avait reçu le soutien marqué du gouvernement des Kiribati, qui aurait tenté de faire pression sur Leticia Carvalho pour qu’elle se retire.

Mme Carvalho a exprimé son engagement à renforcer la transparence et à rétablir la confiance dans l’ISA, après les allégations de mauvaise gestion et de parti pris en faveur des intérêts miniers qui ont terni l’image de l’institution.

Des voix en première ligne

Juressa Lee est chargée de campagne sur l’exploitation minière en eaux profondes chez Greenpeace Aotearoa.

 

L’ISA a fait l’objet de critiques sous la direction de Michael Lodge. Il a été accusé d’outrepasser son rôle et d’être un défenseur du secteur plutôt qu’un régulateur neutre. Les inquiétudes concernant les dépenses excessives et la mauvaise gestion des fonds de l’ISA ont également été longuement discutées lors des récentes réunions du Conseil de l’ISA. Tout cela intervient à un moment où l’exploitation minière en eaux profondes fait l’objet d’un examen approfondi en raison de ses incidences environnementales et sociales, en particulier sur le patrimoine culturel autochtone.

La nomination de Leticia Carvalho au poste de secrétaire générale laisse espérer un changement dans l’approche de l’ISA. Greenpeace et la société civile estiment qu’il est essentiel que la nouvelle secrétaire générale place la santé des océans au cœur du travail de l’ISA.

L’exploitation minière en eaux profondes suscite une vague de résistance croissante à l’échelle mondiale, cinq nations s’étant jointes à l’appel en faveur d’un moratoire lors de la dernière session de l’ISA en juillet. Les peuples autochtones, y compris ceux du Pacifique, souhaitent que la nouvelle secrétaire générale s’engage avec les gouvernements à rediriger l’ISA pour qu’elle serve l’intérêt public, après des années guidée par les intérêts étroits de l’industrie minière en eaux profondes.

Greenpeace plaide pour un moratoire – une suspension temporaire – sur l’exploitation minière en eaux profondes, en raison de son caractère non durable et des risques environnementaux importants qu’elle présente. Nous pensons que l’ISA devrait adopter une approche de précaution et suspendre l’octroi de tout nouveau permis d’exploitation minière jusqu’à ce que des recherches scientifiques approfondies aient permis de mieux comprendre les écosystèmes des grands fonds marins.

 

Voici un extrait édité de notre conversation avec Juressa. Lisez l’intégralité de l’entretien (en anglais) ici.

L’ISA devrait maintenant signaler un véritable changement de direction en engageant un dialogue élargi avec la société civile, y compris les groupes autochtones, afin de déterminer la voie à suivre. Tant que les impacts de l’exploitation minière en eaux profondes et les moyens de les minimiser ne seront pas clairement établis, cette technologie encore expérimentale ne devrait pas être déployée. La société civile continuera à demander un moratoire sur l’exploitation minière en eaux profondes et des solutions alternatives à l’extraction, notamment un recyclage accru et une gestion plus responsable de la consommation.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Les gouvernements et l’Autorité internationale des fonds marins devraient adopter un moratoire sur l’exploitation minière en eaux profondes tant que des recherches scientifiques n’auront pas éclairci ses impacts potentiels sur les écosystèmes.
  • L’Autorité internationale des fonds marins devrait consulter la société civile, y compris les groupes autochtones et les communautés côtières, dans ses processus de décision concernant l’exploitation minière en eaux profondes.
  • Les gouvernements et les entreprises devraient redoubler d’efforts pour promouvoir une économie circulaire, basée sur la réutilisation, la réparation et le recyclage, plutôt que sur l’extraction continue.

Pour des entretiens ou de plus amples informations, veuillez contacter research@civicus.org

Photo de couverture par Kenzo Tribouillard/AFP via Getty Images