Le dernier sommet de la Convention sur la diversité biologique, la COP16, était le premier depuis l’adoption du Cadre mondial pour la biodiversité en 2022. Cependant, sur la question cruciale que le sommet était censé aborder, à savoir le déblocage de ressources financières pour respecter les engagements pris en 2022, la réunion s’est soldée par un échec. Bien que des progrès aient été réalisés dans d’autres domaines, notamment pour relier la biodiversité et les processus climatiques, faire payer les entreprises pour les données génétiques biologiques et garantir un espace pour les peuples autochtones dans les négociations, tant que la question du financement ne sera pas résolue, la perte catastrophique de la biodiversité se poursuivra. Il est désormais temps de considérer l’impôt sur la fortune et les bénéfices exceptionnels comme une partie de la solution.

Le dernier sommet international sur la Convention de 1992 sur la diversité biologique, la COP16, qui s’est tenu à Cali, en Colombie, aurait pu constituer un tournant décisif dans la lutte contre la crise mondiale de la dégradation de l’environnement. Cependant, il s’est achevé sans qu’un accord n’ait été trouvé sur la question essentielle du financement.

Les COP sur la biodiversité se tiennent tous les deux ans, et il s’agissait du premier sommet depuis l’élaboration et l’adoption, en décembre 2022, et au terme de négociations laborieuses, du Cadre mondial pour la biodiversité. Ce cadre inclut l’engagement historique de conserver 30% des terres et des océans d’ici à 2030, un objectif qui reflète l’intense mobilisation de la société civile. Il prévoit également la restauration de 30% des écosystèmes dégradés d’ici à 2030. Quant au financement, il s’engage à mobiliser 20 milliards de dollars par an d’ici à 2025 et au moins 30 milliards de dollars par an d’ici à 2030, des pays riches vers les pays en développement, dans le cadre d’un objectif global de 200 milliards de dollars par an.

Un nouvel accord s’imposait d’urgence. Les recherches montrent de plus en plus qu’une extinction massive est en cours, les populations d’espèces sauvages ayant diminué en moyenne de 69% depuis 1970 et 38% des espèces d’arbres étant menacées d’extinction. Les zones les plus menacées se trouvent dans les pays du Sud. Depuis 2020, la superficie des terres et des océans protégées n’a augmenté que de 0,5%, ce qui démontre les faibles progrès réalisés pour inverser la tendance.

Les chaînes écologiques terrestres et marines, vitales mais fragiles, dont dépend la vie humaine, sont menacées. Pourtant, l’histoire montre que la dégradation de l’environnement n’est pas inévitable : plusieurs espèces ont été sauvées de l’extinction grâce à une intervention concertée. L’homme est à l’origine de cette destruction et a donc la responsabilité d’y mettre un terme, mais cela nécessitera des efforts et des ressources.

Un blocage du financement

Il n’a pas été facile de parvenir à un accord mondial, mais il est encore plus difficile d’obtenir les ressources financières nécessaires à sa mise en œuvre. Alors que l’échéance de 2030 approche, la COP16 avait pour mission de tenir les promesses financières faites. Mais elle a échoué, car les pays riches ont privilégié leurs propres intérêts.

Les négociations se sont prolongées avant d’être suspendues le 2 novembre, sans qu’aucun accord n’ait été trouvé sur la création d’un fonds destiné à honorer l’engagement de 30 milliards de dollars. Les pays du Nord, dont l’Australie, le Canada, le Japon et l’Union européenne, ont refusé de fléchir sur leurs positions. En revanche, de nombreux gouvernements d’Afrique, d’Amérique latine et d’Océanie ont insisté sur la nécessité d’un nouveau fonds pour respecter les engagements du cadre. Ils estiment que l’actuel Fonds pour l’environnement mondial est trop influencé par les États du Nord et trop difficile d’accès.

À mesure que les perspectives d’un accord s’éloignaient, de nombreux représentants des pays du Sud ont été contraints de rentrer chez eux, n’ayant pas les budgets nécessaires pour prolonger leur séjour, jusqu’à ce que la réunion n’ait plus le nombre minimum de participants requis pour se poursuivre. À la fin de la réunion, le dernier membre de la délégation des Fidji a fait remarquer qu’elle était la seule représentante des îles du Pacifique encore présente dans la salle. En conséquence, la question cruciale du financement a été renvoyée à l’année prochaine, lors de la réunion à Bangkok, en Thaïlande.

À ce jour, sept États du Nord se sont engagés à verser un total combiné de 163 millions de dollars à un fonds existant : un début, mais bien loin de l’objectif fixé. Un groupe d’États du Sud a souligné qu’aucune augmentation significative des fonds mis à leur disposition ne leur avait été accordée depuis l’adoption du cadre. Il ne s’agit pas seulement d’un manque de financement – il est difficile d’imaginer comment de futures négociations pourraient résoudre ce problème.

Des lueurs d’espoir

La réunion s’est également achevée sans qu’aucun accord n’ait été trouvé sur la manière de suivre les quatre objectifs et les vingt-trois cibles de progrès fixés pour 2030 lors de la COP15. Cela témoigne d’un manque général de hiérarchisation des priorités : seuls 44 États sur 195 – soit moins d’un quart – se sont présentés à la COP16 avec des plans actualisés pour atteindre les nouveaux objectifs.

Cependant, la COP16 n’a pas été entièrement négative. Après de longues négociations, un accord a été trouvé pour améliorer les liens entre les négociations sur la biodiversité et celles sur le changement climatique. Les processus mondiaux relatifs à la biodiversité ont longtemps été relégués au second plan par rapport aux négociations sur le changement climatique – qui sont elles aussi très insuffisantes – alors que les deux crises sont profondément liées. En effet, le changement climatique est une cause majeure et un accélérateur de la perte de biodiversité, et, inversement, un environnement naturel bien entretenu peut offrir une source vitale de résilience et de réponse face au changement climatique, notamment en absorbant le dioxyde de carbone.

Un autre accord important porte sur les informations de séquençage numérique – les données génétiques biologiques qui comprennent les informations sur l’ADN et l’ARN. De nombreuses entreprises – notamment dans les secteurs cosmétiques, pharmaceutiques et alimentaires – exploitent ces données à des fins commerciales. Cette situation crée une énorme inégalité, car les pays du Sud fournissent généralement de grandes quantités de données génétiques, provenant de leurs animaux et de leurs plantes uniques, sans bénéficier de leur utilisation.

Un accord antérieur, le protocole de Nagoya de 2010, visait à garantir un partage juste et équitable des avantages découlant de l’utilisation des ressources génétiques, mais cet objectif n’a pas été atteint. Depuis lors, la technologie et son exploitation commerciale se sont largement développées. Cette question était cruciale lors des négociations du nouveau cadre, et l’accord conclu a été de créer un fonds auquel les utilisateurs de données génétiques devront contribuer.

Les modalités ont été confiées à la COP16, qui a approuvé la création d’un nouveau fonds, le Fonds de Cali, auquel les entreprises devront contribuer lorsqu’elles exploiteront des données génétiques. Les fonds collectés seront reversés aux pays d’où proviennent les informations. Il est attendu que les entreprises versent un pour cent de leurs bénéfices ou 0,1% de leur chiffre d’affaires. Cependant, ces contributions restent volontaires.

Il incombera désormais à l’ensemble des parties concernées – la société civile, les États, les organismes internationaux et les entreprises les plus socialement responsables – de promouvoir ce fonds, d’encourager les contributions, de saluer les bonnes pratiques et de dénoncer les mauvaises. Il s’agira aussi de définir une norme mondiale selon laquelle l’accès aux données génétiques biologiques devra être rémunéré. Il est essentiel que les États adoptent des lois intégrant cet accord dans leur législation nationale. Il s’agira d’une priorité pour la société civile, alors même que l’on peut s’attendre à ce que de nombre d’entreprises, en particulier les sociétés transnationales, cherchent à échapper à leurs responsabilités.

Si ce fonds fonctionne, les communautés autochtones en seront les principales bénéficiaires. La réunion a également permis d’innover en matière de reconnaissance et de valorisation du leadership autochtone. À travers le monde, ces communautés jouent un rôle clé dans la protection de la nature. Elles détiennent un savoir unique sur la manière de vivre en harmonie avec la terre et les océans, mais elles sont aussi souvent la cible de répressions, car les États et les entreprises les considèrent comme un obstacle à l’extraction et à l’exploitation des ressources naturelles. Cette situation entraîne une violence meurtrière : parmi les plus de 2.000 défenseurs de l’environnement et des droits fonciers tués depuis 2012, environ un tiers étaient autochtones.

Pour changer cette dynamique, les populations autochtones doivent être activement impliquées dans les processus de protection des ressources naturelles. La COP16 a franchi une étape majeure en créant un organe permanent pour représenter les populations autochtones et les communautés locales – définies comme celles ayant un lien de longue date avec leur territoire – lors des négociations. Le texte reconnaît également le rôle des populations afro-descendantes d’Amérique latine, elles aussi victimes de discriminations et d’exclusions prolongées.

Jusqu’à présent, les peuples autochtones collaboraient de manière informelle et devaient compter sur la bonne volonté de leurs gouvernements pour participer aux délégations officielles. Mais lorsque les gouvernements considèrent les peuples autochtones comme des adversaires, ceux-ci se retrouvent exclus. Désormais, ils n’auront plus à dépendre de ces relations fragiles. Ce nouvel organe constitue un modèle d’inclusion et de participation qui pourrait inspirer d’autres processus des Nations unies.

De telles structures de participation pourraient limiter l’influence des lobbyistes de l’industrie, venus en nombre record à la COP16. Quelque 1261 représentants d’entreprises se sont inscrits, soit plus du double qu’à la COP15. À l’instar des sommets climatiques annuels, auxquels assistent de plus en plus souvent les lobbyistes des combustibles fossiles qui cherchent à freiner les efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre, nombre d’entre eux étaient présents à Cali pour défendre les intérêts des entreprises liés à l’exploitation de l’environnement. Parmi eux figuraient des représentants des industries fossiles, biotechnologiques, alimentaires et pharmaceutiques. Certaines délégations d’entreprises surpassaient en nombre de participants celles de nombreux pays du Sud, et plusieurs d’entre elles faisaient même partie des délégations gouvernementales officielles.

Des voix en première ligne

Ximena Barrera Rey est directrice de la gouvernance et des relations internationales au Fonds mondial pour la nature (WWF), l’une des plus grandes organisations de protection de la nature au monde.

 

La protection de la biodiversité est cruciale pour la survie de l’humanité. Notre alimentation, nos médicaments et nos matériaux essentiels en dépendent. Elle sous-tend des processus vitaux tels que la pollinisation des cultures, la lutte contre les parasites et la purification de l’air et de l’eau. Des écosystèmes sains atténuent les catastrophes naturelles, contribuent à réguler le climat et réduisent les effets du changement climatique.

La biodiversité a également une valeur culturelle profonde pour de nombreuses communautés dont l’identité, les traditions et les modes de vie sont intimement liés à leur environnement naturel. La perte de biodiversité affecte non seulement les écosystèmes, mais aussi le lien spirituel et culturel des populations avec leur environnement.

La mise en œuvre du cadre pour la biodiversité pose des défis économiques, sociaux et politiques majeurs. Elle nécessite une action concrète à tous les niveaux : la coordination entre les institutions, la mobilisation des ressources financières, le renforcement des capacités, la mise en place d’une gouvernance solide, notamment pour mesurer les progrès, assurer un suivi rigoureux et garantir la responsabilisation des acteurs. Cela exige des efforts conjugués des gouvernements, des entreprises, des communautés ethniques, des universités, des financiers et de la société civile.

Les États doivent s’efforcer de bâtir la confiance entre toutes les parties prenantes et d’inclure les communautés dans les prises de décision en matière de gestion des ressources naturelles, car leurs connaissances traditionnelles sont essentielles à la conservation et à l’utilisation durable de la biodiversité.

 

Voici un extrait édité de notre conversation avec Ximena. Pour lire l’intégralité de l’entretien (en anglais), cliquez ici.

Débloquer le progrès

Le financement reste un défi majeur. Le sommet sur le climat COP29 en Azerbaïdjan, destiné à faire avancer la question du financement, n’a pas non plus réussi à combler le fossé financier. Les États du Nord, sous l’influence croissante des populismes et des nationalismes de droite, rechignent à sacrifier leurs intérêts nationaux à court terme pour affronter les défis mondiaux. Ils invoquent souvent les contraintes économiques, la hausse des prix de l’énergie et des denrées alimentaires, comprimant les budgets et alimentant le mécontentement de la population.

Mais en même temps, les super-riches n’ont jamais été aussi nombreux. Au cours de la dernière décennie, les 1% les plus riches du monde ont accumulé 42.000 milliards de dollars supplémentaires à leur fortune. Les entreprises de combustibles fossiles ont engrangé des bénéfices record imprévus à la suite de l’invasion massive de l’Ukraine par la Russie. L’argent existe ; il est simplement mal réparti. Si des mesures comme l’imposition sur la fortune et les bénéfices exceptionnels – des rendements élevés inattendus résultant des conditions du marché – ne sont pas sérieusement envisagées, les fonds continueront à favoriser les modèles destructeurs d’extraction et de consommation qui sont à l’origine de la crise de la biodiversité, au lieu d’être utilisés pour la résoudre.

La dynamique est en marche : les dirigeants nationaux du G20, le club des plus grandes économies du monde, viennent de s’accorder sur la nécessité de « veiller à ce que les particuliers très fortunés soient effectivement imposés ». Il s’agit là d’une priorité pour la société civile. Cette avancée doit maintenant être suivie d’une redistribution des richesses pour faire face à l’ampleur des crises interdépendantes du changement climatique et de la perte de biodiversité.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Les États riches doivent s’engager à fournir un financement adéquat pour atteindre les objectifs de financement du cadre mondial pour la biodiversité.
  • Les États doivent explorer de toute urgence de nouveaux modèles de financement de la biodiversité et du climat, tels que les impôts sur la fortune et les bénéfices exceptionnels.
  • D’autres processus mondiaux devraient suivre l’exemple de la COP16 en établissant des structures de participation pour les populations autochtones et les communautés locales.

Pour des entretiens ou de plus amples informations, veuillez contacter research@civicus.org

Photo de couverture par Luis Acosta/AFP via Getty Images