Le cadre mondial pour la biodiversité adopté en décembre 2022 représente une opportunité cruciale d’inverser la destruction de l’environnement et la perte catastrophique de biodiversité. Son engagement principal est de préserver 30% des terres et des mers d’ici 2030. Le fait même qu’un accord ait été conclu est déjà remarquable : à certains moments, cela semblait improbable. Or, des problèmes considérables de mise en œuvre ont été mis en évidence par des désaccords concernant le financement qui ont failli faire dérailler le processus. En effet, les pays du Sud ont besoin d’un soutien financier approprié pour pouvoir jouer leur rôle. Aucun objectif mondial en matière de biodiversité n’a jamais été atteint, et si l’on veut briser ce triste record, il faudra non seulement du financement, mais aussi un suivi efficace, du plaidoyer de la société civile et du leadership des États riches en biodiversité.

Le monde a fait ce qui pourrait être un grand pas en avant pour inverser la perte de biodiversité – mais seulement si les objectifs convenus à Montréal, au Canada, en décembre 2022, sont atteints.

La dernière Convention des Nations Unies sur la diversité biologique, la COP15, a représenté une occasion unique d’enrayer la perte cruciale de biodiversité. Elle a adopté 23 objectifs, connus sous le nom de Cadre Mondial de la biodiversité de Kunming à Montréal. Cet accord est intervenu après deux semaines de négociations intensives, souvent tortueuses, qui se sont tenues à Montréal, et ce après que la réunion qui devait initialement avoir lieu à Kunming, en Chine, ait été reportée à deux reprises en raison des restrictions imposées par le COVID-19.

La conclusion d’un nouvel accord était nécessaire, étant donné que les recherches suggèrent de plus en plus qu’une extinction massive est en cours. D’innombrables espèces disparaissent, détruisant les écosystèmes terrestres et marins fragiles et interconnectés qui sont à la base de la vie humaine et qui jouent un rôle vital dans l’absorption des émissions de gaz à effet de serre.

La fin du sommet a toutefois été houleuse et a menacé d’éclipser les résultats. Dans un différend sur le financement, le représentant de la République démocratique du Congo (RDC) s’est opposé à l’accord, accusant le représentant chinois, qui présidait la réunion, de l’ignorer et de faire passer l’accord en force. Les délégations du Cameroun et de l’Ouganda ont partagé la colère de la RDC.

En fin de compte, la RDC a retiré son objection, apparemment convaincue par l’intervention du Brésil, et tout s’est passé comme si de rien n’était. Mais cette affaire a laissé un arrière-goût amer, donnant l’impression que les pays puissants pensent pouvoir faire pression sur ceux qui ont moins de poids. Or il est extrêmement important d’obtenir l’adhésion de la RDC, car elle abrite une grande partie de la deuxième plus grande forêt tropicale du monde après l’Amazonie, l’une des zones clés que le nouvel accord doit protéger.

Objectifs clés

L’objectif principal de l’accord est l’engagement de conserver et de gérer 30% des terres et des mers d’ici 2030. Cet objectif « 30×30 » était l’une des principales demandes de la société civile et des États favorables à l’accord. Certains activistes ont été déçus, ayant fait pression pour obtenir l’objectif plus ambitieux de 50%, mais leur pression a permis d’éviter la menace très réelle que l’accord n’atteigne même pas l’objectif de 30%. Un autre objectif « 30×30 » convenu est de restaurer 30% des écosystèmes dégradés d’ici 2030.

Pour les pays du Sud, un autre objectif crucial 30×30 a été fixé : il s’agit de mobiliser des financements annuels de 30 milliards de dollars US des pays dits « développés » vers les pays « en développement » d’ici 2030. Cette démarche s’inscrit dans le cadre d’un objectif global de 200 milliards de dollars US de financements annuels, toutes sources confondues.

Comme l’ont montré les processus parallèles de la COP sur le changement climatique, le financement est essentiel pour les pays du Sud. Dans l’intérêt de l’humanité tout entière, les pays moins industrialisés sont invités à ne pas suivre la même voie que celle qui a fait la richesse des économies du Nord. Mais si les États du Sud doivent être tenus à des normes plus élevées, ils doivent bénéficier d’un soutien financier adéquat.

C’est sur ce point que portait l’objection de la RDC : le pays souhaitait la création d’un nouveau fonds mondial pour la diversité et voulait que les États du Nord s’engagent à verser un montant annuel de 100 milliards de dollars US. Les États du Nord ont résisté à ces demandes, insistant sur le fait qu’ils ne pouvaient pas faire plus et que toutes les sources de financement devaient être explorées, y compris le secteur privé et les sources philanthropiques. Ils font également pression pour que les grands pays du Sud, qui ont connu un développement économique considérable ces dernières années et qui sont les principaux bénéficiaires des financements actuels, deviennent des contributeurs. À un moment donné, les représentants du Sud ont quitté les négociations, frustrés par l’impasse financière.

En guise de compromis, il a été convenu de créer un fonds spécial dans le cadre du fonds multilatéral existant : le Fonds pour l’environnement mondial. Cependant, de nombreux membres de la société civile restent mécontents. L’Alliance CBD, un réseau de la société civile, a fait remarquer que le financement pourrait provenir des sources mêmes qui profitent des dommages causés à l’environnement : laissant les grandes entreprises essentiellement libres de continuer à nuire à 70% de la planète, à condition qu’elles offrent un financement écologique aux 30% restants.

Un autre objectif financier consiste à réduire les subventions accordées aux activités qui portent atteinte à l’environnement d’au moins 500 milliards de dollars US par an d’ici 2030. Un large éventail de subventions fournit actuellement des incitations perverses à la destruction – des ressources qui pourraient au contraire être utilisées pour encourager les actions respectueuses de la biodiversité. Il s’agit d’un montant d’au moins 1,800 milliards de dollars, soit 2% du PIB mondial.

Cependant, tout dépend de la capacité à persuader le secteur privé de modifier leurs pratiques néfastes. À cet égard, le langage utilisé est faible : le cadre de référence s’engage uniquement à « encourager et permettre » aux entreprises de surveiller et de rendre compte de leurs impacts sur la biodiversité ; il ne les oblige pas à effectuer des changements. De même, cette faiblesse est présente dans d’autres objectifs, comme ceux concernant la consommation durable et la réduction de l’utilisation des pesticides et des produits chimiques dangereux. Comme lors de la COP27 sur le changement climatique, cela illustre le pouvoir du lobbying considérable des grandes entreprises, qui étaient présentes, y compris au sein des délégations gouvernementales, lors de la COP15. Privilégier le profit au détriment des personnes est la cause de la crise actuelle, et il serait naïf de penser que les solutions proposées par les entreprises vont la résoudre.

De manière plus positive, l’accord s’engage à adopter une « approche sensible au genre » et reconnaît l’égalité des droits des femmes et des filles en matière d’accès à la terre et aux ressources naturelles. De plus, l’accord reconnaît les droits des peuples autochtones, notamment en ce qui concerne leurs territoires traditionnels. Les populations autochtones ont été à l’avant-garde des manifestations lors de la COP15, et leurs voix sont essentielles. Il y a aussi un chevauchement considérable entre les terres qui doivent être protégées et les lieux où vivent les populations autochtones et qui leur appartiennent traditionnellement. Or les projets d’extraction et d’aménagement du territoire sont une mauvaise nouvelle pour les populations autochtones, mais la conservation peut l’être aussi. Les projets de conservation ont parfois tendance à opposer la terre aux populations qui l’habitent : des communautés ayant une longue tradition de vie durable peuvent ainsi voir leurs droits bafoués ou être contraintes de quitter des terres qui font l’objet de conservation. L’accord ne va cependant pas aussi loin que certains le souhaitaient dans la reconnaissance du statut spécial des terres et territoires des peuples autochtones.

De la parole aux actes ?

La société civile a insisté sur l’importance de l’ambition, mais aussi sur la nécessité de définir les termes et d’ajouter autant de détails que possible, car une terminologie vague permet l’inaction et l’évitement de la responsabilité. Certains objectifs ont été mieux définis au fil du processus de rédaction, mais d’autres ont été affaiblis. À plusieurs moments de ce processus qui avait déjà été retardé, il a semblé possible qu’aucun accord ne soit trouvé. Pour de nombreux militants, un résultat donnant une partie mais pas la totalité de ce qu’ils demandaient a donc été largement considéré comme positif.

Mais bien sûr, il faut plus qu’un accord pour qu’un problème soit résolu, et le diable se cache dans les détails.

Le plus grand défi est que, malgré toutes les belles paroles, aucun objectif international en matière de biodiversité n’a jamais été atteint.

Les États sont désormais censés élaborer des plans d’action nationaux en faveur de la biodiversité, selon un processus similaire à celui de l’élaboration des plans climatiques dans le cadre de l’accord de Paris. En vertu du cadre mondial pour la biodiversité, ces plans sont attendus d’ici la COP16, qui se tiendra en Turquie en 2024. Ils feront ainsi l’objet d’un examen, conçu comme un mécanisme visant à encourager des actions nationales de plus en plus fortes, comme celui de l’Accord de Paris.

Or cela n’a pas vraiment fonctionné avec l’Accord de Paris – un traité plus ambitieux et plus précis que celui-ci – car les États ont largement échoué à atteindre les objectifs ou à en fixer de plus élevés, et la nature essentiellement volontaire de ce processus offre peu d’espoir que l’expérience soit meilleure. Des indicateurs solides et un examen indépendant seront essentiels. Les États ne peuvent pas être laissés libres d’évaluer leurs propres devoirs : un État pourrait, par exemple, prétendre qu’il conserve déjà le 30% de sa biodiversité et qu’il n’a guère besoin de s’améliorer.

Il existe d’autres lacunes importantes. Les deux tiers des mers du monde échappent aux juridictions nationales et les efforts visant à élaborer un traité sur les océans, censé être adopté avant la fin 2022, sont au point mort. En août dernier, les pourparlers ont été interrompus sans qu’aucune solution ne soit trouvée, notamment parce que les États riches ne veulent pas perdre le contrôle de la pêche et des ressources génétiques marines. Les progrès de cet accord seront cruciaux pour la conservation de ces vastes écosystèmes.

De plus, il y a une exception de taille : les États-Unis. Bien que présents en tant qu’observateurs à la COP15, les États-Unis ne font pas partie des 196 États qui ont ratifié la Convention sur la diversité biologique et, compte tenu de l’impasse politique actuelle, il semble peu probable qu’ils le fassent. Si l’un des États les plus puissants du monde n’est pas lié par l’accord, cela réduit la pression exercée sur les autres pour qu’ils s’y conforment.

Le plus grand défi est que, malgré toutes les belles paroles, aucun objectif international en matière de biodiversité n’a jamais été atteint. Cela inclut notamment la série d’objectifs adoptée précédemment par la Convention sur la diversité biologique, à savoir les objectifs d’Aichi convenus au Japon lors de la COP10 en 2010. Cet engagement était beaucoup moins ambitieux, concernant la protection du 17% des terres et des eaux intérieures.

Sans financement pour atteindre le niveau d’ambition requis, l’accord restera sur le papier. La société civile doit également exercer une surveillance et une pression constantes, tandis que les superpuissances mondiales de la biodiversité, c’est-à-dire les pays particulièrement riches en biodiversité, doivent jouer un rôle de premier plan et accroître la pression en faveur de la mise en œuvre. Il s’agit notamment du Brésil – sous une nouvelle direction, de la RDC et de l’Indonésie, où se trouvent les plus grandes forêts, et il est encourageant de constater que ces pays ont intensifié leur coopération. Il faut créer un élan en partageant les premières réussites et en encourageant les États retardataires à accélérer le rythme lors de la COP16.

L’espoir vient de l’annonce, en janvier 2023, de la guérison de la couche d’ozone, autrefois en voie de disparition et qui risquait de provoquer une catastrophe environnementale. Le problème de la couche d’ozone a été identifié dans les années 1980. Les États ont écouté les scientifiques, ont élaboré un traité international, le protocole de Montréal – qui a imposé de nouvelles limites aux entreprises – et s’y sont tenus. Une coopération internationale efficace a permis de résoudre un problème environnemental croissant. Cela prouve que le changement est possible. Cela montre également que le changement nécessite beaucoup de volonté politique, de ressources et de pression continue. En ce qui concerne le nouveau cadre pour la biodiversité, le dernier de ces éléments est garanti, mais les autres seront-ils au rendez-vous ?

NOS APPELS À L’ACTION

  • Les États du Nord doivent respecter leur engagement de fournir un financement de 30 milliards de dollars par an aux États du Sud d’ici 2030 pour les aider à atteindre leurs objectifs en matière de biodiversité.
  • Tous les États doivent s’engager à respecter les droits des peuples autochtones et à veiller à ce qu’ils aient pleinement leur mot à dire dans les efforts visant à protéger la biodiversité.
  • Il convient de mettre en place des mécanismes solides d’élaboration de rapports et de suivi, avec la participation de la société civile, afin que les États respectent leurs engagements au titre du cadre mondial pour la biodiversité.

Photo de couverture par Christinne Muschi/Reuters via Gallo Images