La décision de la Cour pénale internationale (CPI) de lancer un mandat d’arrêt à l’encontre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a suscité des réactions vives. De nombreux États du Nord, alliés traditionnels d’Israël, ont contesté la décision de la Cour, et certains l’ont frontalement critiquée. Cette attitude contraste fortement avec la réaction observée lorsque la CPI a lancé un mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine l’année dernière. Il s’agit du dernier exemple en date de l’hypocrisie de nombreux États à l’égard d’Israël, qui témoigne d’une approche sélective du droit international. Pour le bien de l’humanité, la Cour doit être libre d’accomplir sa mission : remettre en cause l’impunité des puissants, responsables de violations des droits humains.

Une étape importante a été franchie pour contraindre le gouvernement israélien à répondre de ses violations manifestes des droits humains à Gaza. Le 21 novembre, la Cour pénale internationale (CPI) a délivré des mandats d’arrêt à l’encontre du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, de l’ancien ministre de la défense Yoav Gallant et du chef militaire du Hamas Mohamed Deif. Mais certains États puissants rejettent cette décision, remettant en cause leur soutien au droit international.

De nombreux États choisissent de respecter les décisions de la Cour en fonction de leurs propres intérêts. L’offensive actuelle d’Israël contre Gaza illustre de manière flagrante cette politique du « deux poids, deux mesures ».

L’impunité en toile de fond

La CPI a émis ces mandats après avoir estimé qu’il existait des motifs raisonnables de croire que Gallant et Netanyahou étaient responsables du « crime de guerre consistant à recourir à la famine comme méthode de guerre » ainsi que des « crimes contre l’humanité consistant en meurtres, persécutions et autres actes inhumains ». Elle trouve également des motifs raisonnables de croire que Deif, que l’État israélien affirme avoir tué, est responsable de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre en relation avec les attaques du 7 octobre 2023.

En délivrant ces mandats, la CPI remplit son rôle international unique : poursuivre les personnes jugées responsables de génocide, de crimes contre l’humanité, de crimes de guerre et de crimes d’agression. Créée par le statut de Rome en 2002, La Cour est le fruit d’une mobilisation intense de la société civile, avec pour objectif de lutter contre l’impunité. En effet, les crimes les plus graves sont souvent les moins sanctionnés, parce qu’ils sont commis ou commandités par des figures de pouvoir capables d’influencer ou de manipuler la justice.

La Cour a été créée à la suite du génocide rwandais et après le succès relatif des tribunaux internationaux chargés de juger les crimes de guerre commis dans l’ex-Yougoslavie. Elle a marqué la reconnaissance de la nécessité de nouvelles structures de justice internationale. La CPI se positionne comme une juridiction mondiale de dernier recours, destinée à poursuivre ceux qui échappent aux processus judiciaires nationaux et régionaux.

À ce jour, 124 États ont accepté la compétence de la Cour en ratifiant le statut de Rome. Ce consensus témoigne d’un degré remarquable d’acceptation des limites de la souveraineté nationale au profit de la lutte contre l’impunité, puisque les dirigeants nationaux ne jouissent d’aucune immunité contre les poursuites. Cependant, il y a d’importants récalcitrants, dont trois des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies (ONU) – la Chine, la Russie et les États-Unis – ainsi qu’Israël.

La CPI peut néanmoins enquêter sur des crimes commis dans un État non-signataire, si le Conseil de sécurité des Nations unies le lui demande. Mais, en pratique, le droit de veto des cinq membres permanents du Conseil rend cette option quasi impossible. Le procureur de la CPI, son principal responsable, peut également lancer des enquêtes de sa propre initiative, comme ce fut le cas avec l’Ukraine en mars 2022, après que 39 États membres de la CPI ont saisi la Cour. Néanmoins, le manque de coopération des États rend souvent difficile la collecte des preuves nécessaires ou l’arrestation des suspects.

L’épreuve de vérité en Israël

En 2019, Fatou Bensouda, alors procureure de la CPI, a ouvert une enquête préliminaire sur la situation en Palestine. Cette démarche a été rendue possible par l’adhésion de la Palestine à la CPI en 2015, à la suite d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies de 2012 la reconnaissant comme un État observateur non-membre. L’enquête porte sur les crimes commis sur le territoire palestinien ainsi que ceux commis par des Palestiniens sur le territoire israélien. Lorsque la phase actuelle du conflit a commencé avec les attentats du 7 octobre 2023, elle a été intégrée à l’enquête en cours. Le procureur actuel de la CPI, Karim Khan, qui fait l’objet d’une enquête pour des allégations de comportement sexuel inapproprié, a sollicité les mandats d’arrêts en mai.

Israël n’a jamais reconnu la légitimité de l’enquête, arguant que la Palestine n’est pas un État souverain, ce qui, selon lui, rend la CPI incompétente. Son gouvernement a également recours à des manœuvres d’obstruction. En 2021, Israël a prétendu que six organisations palestiniennes de défense des droits humains, qui participaient activement à l’enquête de la CPI, étaient des groupes terroristes. En 2024, il a été rapporté que les services de sécurité israéliens avaient mené, sur une période de neuf ans, une campagne visant à saper le travail de la CPI, notamment par le biais de piratage informatique, de surveillance, de campagnes de diffamation et de menaces. Le chef du Mossad, l’une des principales agences de renseignement israéliennes, aurait secrètement rencontré Mme Bensouda pour tenter de la dissuader de poursuivre l’enquête, et Israël aurait cherché à obtenir des informations compromettantes à son sujet.

Récemment, la présidente de la CPI, Tomoko Akane, a déclaré que « des mesures coercitives, des menaces, des pressions et des actes de sabotage » émanant d’États puissants menaçaient l’existence même de la CPI. De son côté, Fatou Bensouda a déclaré avoir été victime de menaces et d’intimidations pendant son mandat de procureure. Sous la première administration Trump, les États-Unis, l’allié le plus fidèle d’Israël, avaient imposé des sanctions à Mme Bensouda et à d’autres responsables de la CPI, en représailles aux enquêtes visant les actions d’Israël, ainsi que celles des États-Unis en Afghanistan. Bien que l’administration Biden ait levé ces sanctions, la seconde administration Trump pourrait les rétablir. On peut y voir une explication au fait que Mme Bensouda n’ait lancé une enquête approfondie que peu de temps avant la fin de son mandat.

M. Netanyahu a accueilli la décision d’émettre des mandats d’arrêt comme il le fait face à toute critique internationale : en la qualifiant d’antisémite. Il a qualifié M. Khan de « l’un des plus grands antisémites des temps modernes », le comparant à un juge de l’époque nazie. Israël a également déclaré qu’il ferait appel de la décision. Le gouvernement américain a rapidement déclaré qu’il rejetait « fondamentalement » la décision, tandis que le conseiller à la sécurité nationale désigné par M. Trump, Mike Waltz, a dénoncé un « parti pris antisémite » de la part de la CPI et de l’ONU, promettant une « réponse forte ».

Ces réactions étaient prévisibles. Mais la délivrance d’un mandat d’arrêt contre M. Netanyahou représente un test décisif pour déterminer la volonté des États de respecter le droit international. M. Netanyahu est loin d’être le premier dirigeant national à faire l’objet d’un mandat d’arrêt de la CPI. En mars 2023, la Cour a émis un mandat contre Vladimir Poutine et l’un de ses associés pour le crime de guerre que constitue le transfert forcé d’enfants depuis l’Ukraine. De même, le dictateur soudanais de longue date et finalement évincé, Omar al-Bashir, faisait l’objet d’un mandat d’arrêt pour génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité. Ce qui distingue le cas de Netanyahu, c’est que, pour la première fois, la CPI délivre un mandat d’arrêt contre le dirigeant d’un État qui compte de nombreux alliés au sein des puissances du Nord.

Une grande partie du débat porte sur la question de savoir si les États membres de la CPI seraient disposés à appliquer le mandat si M. Netanyahu se rendait sur leur territoire. Le statut de Rome oblige clairement tous les États signataires à le faire. Il est encourageant de constater que le responsable de la politique étrangère de l’Union européenne, Josep Borrell, a déclaré que tous les États membres de l’Union européenne étaient tenus d’appliquer ces mandats. Certains d’entre eux, comme la Belgique, l’Irlande, les Pays-Bas et l’Espagne, ont confirmé qu’ils s’y conformeraient.

Mais la position d’autres pays est plus ambiguë. L’Italie a reconnu son devoir d’exécuter le mandat mais a déclaré qu’elle ne soutenait pas nécessairement la décision de la Cour. L’Autriche a également déclaré qu’elle était tenue de respecter les mandats d’arrêt de la CPI, mais a qualifié la décision d’« incompréhensible et ridicule ». Des États comme l’Estonie et la Suède ont éludé la question, refusant de préciser s’ils arrêteraient ou non M. Netanyahu. L’Allemagne, pour sa part, a adopté une position discrète et évité de se prononcer clairement.

Le gouvernement français s’est retrouvé dans une position délicate. Il a d’abord déclaré qu’il respecterait ses obligations en vertu du statut de Rome, mais il a ensuite tenté d’affirmer que M. Netanyahou jouissait d’une immunité au motif qu’Israël n’est pas membre de la CPI. Or, la CPI a clairement établi que les dirigeants nationaux ne bénéficient pas de l’immunité, que leur État ait ou non adhéré à la Cour. C’est pourquoi, lorsque M. Poutine a effectué une visite officielle en Mongolie, membre de la CPI, en septembre dernier, la Cour a critiqué la Mongolie pour ne pas avoir appliqué le mandat d’arrêt.

Le dirigeant autoritaire hongrois Viktor Orbán est allé encore plus loin. Se positionnant en leader d’un réseau international de plus en plus influent de politiciens populistes et nationalistes de droite, qui s’oppose aux lois et aux normes mondiales, Orbán ne s’est pas contenté de rejeter le mandat du tribunal. Il a également invité M. Netanyahu à se rendre en Hongrie, en précisant qu’il ne risquait pas d’être arrêté.

Deux poids, deux mesures

La situation actuelle contraste fortement avec celle de 2023, lorsque la CPI avait émis son mandat d’arrêt contre Vladimir Poutine. À l’époque, la plupart des États du Nord s’étaient alignés pour réclamer justice. La France avait salué la décision, affirmant que personne ne devait échapper à la justice, quel que soit son statut. Le fait que l’accusé soit citoyen d’un pays non-membre de la CPI n’avait alors aucune importance.

Un autre dirigeant controversé est désormais dans le collimateur de la CPI : Min Aung Hlaing, chef de la junte meurtrière du Myanmar, accusé de crimes contre l’humanité contre les communautés rohingyas. Aucune critique n’a été formulée par les États du Nord en réponse à la demande de mandat d’arrêt déposée par le procureur Karim Khan.

De nombreux États choisissent de respecter les décisions de la Cour en fonction de leurs propres intérêts. L’offensive actuelle d’Israël contre Gaza illustre de manière flagrante cette politique du « deux poids, deux mesures ».

De nombreux États du Nord, qui avaient mené la condamnation internationale contre la Russie en raison des nombreuses violations des droits humains commises en Ukraine, se sont abstenus de condamner Israël. Cette complaisance s’est traduite par l’utilisation répétée par les États-Unis de leur droit de veto pour bloquer l’action du Conseil de sécurité de l’ONU, l’incapacité d’États comme l’Allemagne, l’Italie et le Royaume-Uni à soutenir les résolutions de l’Assemblée générale des Nations unies sur Gaza et la suspension par de nombreux États de leurs contributions au travail vital de l’UNRWA, l’agence des Nations unies pour les Palestiniens, en réponse aux campagnes de dénigrement menées par Israël.

Le bilan de l’offensive israélienne est estimé à 44.532 morts à Gaza, un chiffre qui illustre l’ampleur de la tragédie. Cette situation met en lumière les failles du système international actuel. Les institutions de gouvernance mondiale semblent davantage orientées vers la protection des intérêts des États puissants, en particulier ceux du Nord, et plus particulièrement vers ceux ayant inscrit leurs privilèges dans les institutions créées après la Seconde Guerre mondiale. La CPI a marqué un tournant en affirmant que le dirigeant d’un pays allié des puissances du Nord n’est pas à l’abri de la justice internationale. Cette décision a suscité des réactions négatives.

Un soutien nécessaire à la CPI

La CPI a déjà été accusée de partialité. Par le passé, elle a été accusée pour son « biais anti-africain », car nombre de ses enquêtes initiales concernaient des conflits sur le continent africain. Le Burundi s’est retiré de la Cour en 2017, suite à l’ouverture d’une enquête sur des crimes contre l’humanité. Mais si d’autres États africains ont menacé de se retirer, il n’y a pas eu d’effet domino.

La seule autre défection enregistrée fut celle des Philippines, en 2019, lorsque la campagne antidrogue meurtrière du président de l’époque a fait l’objet d’une enquête. Dans les deux cas, le retrait n’a pas mis fin aux enquêtes en cours. Cependant, les progrès ont été faibles, car la Cour se heurte à un obstacle majeur sans la coopération des États : l’incapacité d’agir de manière effective.

Le manque de soutien de certains États, y compris les plus puissants, a contraint la CPI à adopter une approche fragmentaire de la justice et à peser soigneusement ses choix, ce qui implique inévitablement un certain degré de calcul stratégique. Sa décision initiale de se concentrer sur les affaires africaines s’explique probablement par le fait que les États africains avaient adhéré en nombre à la Cour, tandis que les États d’autres régions ont manifesté moins d’enthousiasme.

Cette absence de portée universelle contraste avec la nature universelle des crimes que la CPI est chargée de juger. De nombreux fondements du droit international ont été créés après la Seconde Guerre mondiale afin de garantir que les atrocités de cette époque ne se reproduisent jamais. Le droit international humanitaire et des droits humains affirme clairement que chaque personne, où qu’elle se trouve, est titulaire de droits inaliénables.

Le cadre actuel des institutions internationales nécessite indéniablement une réforme, mais il restera toujours indispensable de disposer d’organismes mondiaux capables d’agir là où les États sont incapables ou réticents à intervenir, notamment face à des enjeux qui transcendent les frontières. Dans un système inadéquat, la CPI constitue un rempart essentiel, bien qu’incomplet, contre les failles des États. Chaque fois qu’elle mène une enquête, juge un suspect, le déclare coupable et le condamne, la CPI renforce les droits humains et notre humanité commune. À l’inverse, les attaques dirigées contre la Cour ne font que saper ces principes fondamentaux.

Si les États refusent d’accepter les décisions de la CPI concernant Israël, ils montrent clairement qu’ils ne croient pas véritablement en un ordre international fondé sur des règles. Leur adhésion à ces normes n’est alors qu’opportuniste, conditionnée par leurs intérêts du moment. En affirmant que les règles, même imparfaites, ne s’appliquent pas toujours, ces États perdent toute légitimité à exiger le respect des droits humains en Ukraine, au Myanmar et dans toutes les régions où les droits sont bafoués. Il est temps d’adopter une position plus cohérente. Tous les États doivent permettre à la CPI d’accomplir sa mission essentielle.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Tous les États devraient s’engager à coopérer à l’enquête de la CPI sur la situation en Palestine et à exécuter tous les mandats d’arrêt délivrés à l’issue de l’enquête.
  • Les États non-membres de la CPI devraient ratifier le Statut de Rome.
  • La société civile, en particulier dans les pays du Sud, devrait faire pression en faveur de la ratification universelle du Statut de Rome et du renforcement des capacités de la CPI.

Pour des entretiens ou de plus amples informations, veuillez contacter research@civicus.org

Photo de couverture par Jonathan Raa/NurPhoto via Getty Images