Deux décennies se sont écoulées depuis l’entrée en vigueur du Statut de Rome, qui a créé la Cour pénale internationale (CPI). Depuis sa création, la CPI a engagé de nombreuses poursuites contre les auteurs de graves violations des droits humains, ce qui a donné lieu à plusieurs condamnations. Toutefois, des États puissants ont refusé d’adhérer à la CPI et ont bloqué les enquêtes sur de nombreuses violations graves, ce qui a contraint la Cour à adopter une approche hétéroclite plutôt qu’universelle. Toute poursuite pénale offre cependant un certain degré de réparation aux victimes d’abus et véhicule le message selon lequel l’impunité peut être combattue. La société civile, qui a joué un rôle clé dans la création de la Cour, continuera à défendre son bien-fondé et à œuvrer pour son renforcement.

Le mois de juillet marque les 20 ans de l’entrée en vigueur du Statut de Rome – le traité instituant la Cour pénale internationale. Au cours de cette période, la Cour a été confrontée à de nombreux défis et critiques, mais elle a également démontré son utilité en contribuant largement à la défense des droits humains.

La CPI jusqu’à aujourd’hui

La CPI est un organe indépendant qui fonctionne en dehors du système des Nations unies et agit en tant que tribunal mondial de dernier recours pour quatre types de violations flagrantes des droits humains : le génocide, les crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et les crimes d’agression. Elle est chargée d’enquêter sur ces crimes et d’engager des poursuites lorsque les États ne veulent ou ne peuvent pas le faire au niveau national.

Elle est, du moins en partie, l’œuvre de la société civile, qui a longtemps milité pour sa création. Les appels à sa création sont devenus encore plus urgents en raison d’événements terribles tels que le génocide rwandais de 1994, qui ont mis en évidence le fait que, sans un mécanisme judiciaire international, les auteurs de ces crimes échapperaient à la justice.

D’importants précédents ont été établis par le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie, créé en 1993 pour juger les crimes de guerre commis lors des conflits qui ont marqué l’éclatement du pays. Le Tribunal a condamné 90 personnes, parmi lesquelles des dirigeants politiques et militaires. Il a non seulement donné à de nombreuses victimes d’atrocités une occasion d’obtenir en partie réparation, mais a également contribué à mettre à l’épreuve l’idée d’un tribunal international.

La société civile a coopéré avec les États qui soutenaient l’idée afin de lui donner un élan. Les efforts de création d’un tribunal international ont été menés par la Coalition pour la Cour pénale internationale, un réseau de la société civile fondé en 1995 et comptant des organisations membres dans 150 pays. La Coalition a d’abord fait pression pour un accord sur le traité, puis pour l’adoption de la loi par les États. Le Statut de Rome a été adopté en juillet 1998 et le seuil des 60 ratifications nécessaires à son entrée en vigueur a été atteint le 1er juillet 2002, ce qui est une réussite très rapide dans le monde lent de la gouvernance mondiale.

La première condamnation par la CPI a eu lieu en mars 2012, lorsque Thomas Lubanga Dyilo a été reconnu coupable de crimes de guerre pour avoir utilisé des enfants soldats dans le conflit en République démocratique du Congo. Depuis, la Cour a statué sur 31 affaires et condamné 10 personnes.

D’autres étapes importantes ont été franchies, chacune contribuant à la création d’un important précédent international. En 2017, le crime d’agression a été codifié comme faisant partie de la compétence de la CPI, devenant ainsi le quatrième crime sur lequel elle peut enquêter et engager des poursuites.

Un autre précédent important a été créé en juillet 2020, lorsque le premier procès de la CPI pour persécution fondée sur le genre s’est ouvert contre un ancien militant islamiste accusé d’avoir réduit des centaines de femmes à l’esclavage sexuel à Tombouctou, au Mali, en 2013. Plus récemment, le premier procès pour des crimes commis au Darfour, au Soudan, s’est ouvert en avril. Jusqu’à présent, plusieurs personnes faisant l’objet d’une enquête pour des crimes commis au Darfour avaient réussi à éviter de se présenter devant la Cour.

La Cour compte aujourd’hui 123 États membres. La société civile continue de contribuer à son travail, notamment en encourageant l’ouverture d’enquêtes, en examinant les candidats à ses élections et en faisant campagne pour que d’autres États y adhèrent. La société civile participe également aux consultations annuelles avec l’Assemblée des États parties, l’organe directeur de la CPI.

Source : Historique fondé sur les données de la Coalition pour la CPI

Revers et défis

Le rôle de la Cour a toutefois toujours été controversé, et celle-ci a dû faire face à plusieurs difficultés en cours de route. Parmi ces difficultés figure le retrait d’États membres (notamment le Burundi en 2017 et les Philippines en 2019).

Dans les deux cas, le retrait des pays était une manière pour les dirigeants directement impliqués dans des violations des droits humains de se protéger d’un examen de la CPI. En effet, le Burundi avait fait l’objet d’une enquête pour des crimes commis lors de la répression violente des manifestations qui ont eu lieu en réaction à la candidature du président à un troisième mandat en 2015, et les Philippines pour la « guerre contre la drogue » menée par le président sortant Rodrigo Duterte, qui a fait des milliers de morts.

Ces événements mettent en lumière l’une des principales faiblesses des organismes internationaux, qui ne caractérise pas uniquement la CPI : lorsqu’un de ces organismes s’élève contre un État, certains d’entre eux décident tout simplement de ne plus en faire partie.

Cependant, les prédictions selon lesquelles ces retraits déclencheraient un effet domino ne se sont pas vérifiées. Lorsque le Burundi a annoncé son retrait en 2016, les gouvernements de la Gambie et de l’Afrique du Sud ont déclaré qu’ils feraient de même – mais tous deux ont fait marche arrière par la suite.

Le retrait du Burundi est intervenu à un moment où plusieurs États africains ont affirmé que la CPI avait un parti pris contre leur continent. En février 2017, une « stratégie de retrait » de la CPI a été convenue lors d’un sommet de l’Union africaine, mais plutôt que d’intensifier la dynamique de retrait, le Sommet a abouti à un texte de compromis qui masquait le fait que la plupart des États africains souhaitaient en réalité rester membres de la CPI. La société civile africaine s’est mobilisée pour plaider en faveur de la Cour dans les pays qui envisageaient de se retirer.

Par ailleurs, il existe un problème encore plus grave : de nombreux États n’ont jamais adhéré à la CPI. L’adhésion à la Cour est loin d’être universelle : 70 des 193 États membres de l’ONU n’en sont pas membres.

Ce sont toujours les États les plus puissants qui veulent le moins avoir à faire avec la CPI. La Chine, l’Inde et l’Arabie saoudite font partie des 41 États (soit plus d’un membre des Nations unies sur cinq) qui n’ont jamais signé le Statut de Rome. D’autres pays importants, en l’occurrence Israël, la Russie et les États-Unis – l’ont signé, mais ne l’ont jamais ratifié, et ont ensuite retiré leur signature. Cela signifie que trois des cinq membres permanents du Conseil de sécurité des Nations unies – la Chine, la Russie et les États-Unis – cherchent à se soustraire à la juridiction de la Cour.

Le retrait et le refus d’adhésion ne sont pas les seuls problèmes. Plusieurs États membres ont été accusés de tentatives d’ingérence politique dans l’organe directeur de la CPI et dans l’élection des juges et du procureur de la CPI. Des États ont également été critiqués pour avoir retenu des financements dans le but d’influencer la Cour ou de nuire à son efficacité.

Une approche hétéroclite

Indépendamment de l’identité de la personne qui a commis de graves violations des droits humains et du pays auquel elle appartient, elle doit être poursuivie par la CPI si les tribunaux de son propre pays ne lui demandent pas de rendre des comptes. Cependant, comme de nombreux pays n’ont pas ratifié le Statut de Rome, la Cour est loin d’avoir une compétence universelle.

Les crimes qui ne sont pas déférés à la Cour par un membre de la CPI peuvent néanmoins faire l’objet d’une enquête : le procureur peut ouvrir des enquêtes de sa propre initiative, ou le Conseil de sécurité des Nations unies peut renvoyer une affaire à la CPI. Peut être envoyée à la CPI toute affaire impliquant un État membre des Nations unies, que cet État soit ou non membre de la CPI, comme dans le cas du Soudan.

Toutefois, étant donné que les cinq membres permanents du Conseil de sécurité disposent du droit de veto, il est clair que toutes les affaires qui menacent leurs intérêts seront bloquées. Bien que de nombreux États aient demandé une enquête sur les crimes commis en Syrie en 2014, et que la justice devrait être rendue de toute urgence, la Chine et la Russie ont purement et simplement opposé leur veto au renvoi devant la CPI.

La CPI fait donc ce qu’elle peut dans le cadre de son mandat. En 2019, elle a ouvert une enquête sur les crimes contre la population rohingya au Myanmar, bien que ce pays ne soit pas membre de la CPI, parce que de nombreux réfugiés rohingyas ont fui vers le Bangladesh (qui est membre de la CPI), et parce que des crimes ont été commis de part et d’autre de la frontière entre le Bangladesh et le Myanmar.

En mars 2022, la CPI a ouvert une enquête sur les crimes de guerre commis en Ukraine, bien que ce pays ne soit pas membre de la CPI, après que 39 États membres de la CPI lui ont soumis le cas. En mai, la CPI a envoyé sa plus grande équipe à ce jour en Ukraine pour recueillir des preuves.

Mais lorsque les États refusent de coopérer, il est difficile de recueillir les preuves nécessaires ou d’appréhender les suspects, et de nombreuses enquêtes n’ont pas porté leurs fruits en raison de l’absence de preuves ou de l’impossibilité d’arrêter les suspects. Concernant l’Ukraine, il est évident que la Russie n’extradera aucun suspect.

Le gouvernement américain a promis de soutenir l’enquête de la Cour sur l’Ukraine, mais il est accusé d’hypocrisie : il s’est retiré du Statut de Rome parce qu’il craignait une enquête sur les crimes commis par les troupes américaines en Afghanistan. En 2020, il a imposé des sanctions à de hauts responsables de la CPI en représailles à l’ouverture d’une enquête sur des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité présumés en Afghanistan et sur des crimes commis par les forces israéliennes en Palestine. Cette approche sélective de la Cour ne témoigne guère d’un engagement en faveur de l’universalité des droits humains.

De tels défis expliquent en partie pourquoi bon nombre des premières affaires de la CPI se sont concentrées sur des pays africains : de nombreux États africains ont rapidement rejoint la CPI et les États puissants, qui investissaient alors moins dans les pays africains qu’aujourd’hui, ne craignaient pas que leurs intérêts soient affectés.

Cependant, lorsque les personnes les plus puissantes des États africains ont été menacées, d’autres restrictions sont apparues. Le Statut de Rome est inhabituel dans le droit international en ce sens qu’il n’accorde pas d’immunité aux chefs d’État. Ils sont censés faire l’objet d’enquêtes et de poursuites au même titre que n’importe qui d’autre. Cette idée se heurte toutefois à quelques dures réalités politiques.

Le président kenyan Uhuru Kenyatta et le vice-président William Ruto ont été poursuivis par la CPI pour des actes de violences commis après les élections de 2007, mais les accusations ont finalement été retirées. Le gouvernement kenyan a été accusé d’avoir dissimulé des preuves importantes et d’avoir intimidé et soudoyé des témoins.

Bien que des mandats d’arrêt aient été lancés contre l’ancien chef d’État soudanais, Omar el-Béchir en 2009 et 2010, ce dernier a continué à se soustraire à la Cour, même après avoir été destitué en 2019. L’espoir que personne n’échappe à la justice, quel que soit son statut, n’est pas encore réalité.

Un besoin persistant

Le fait qu’il n’y ait eu jusqu’à présent que 10 condamnations montre à quel point les processus de la justice internationale sont lents. Mais il y a une bonne raison à cela : la CPI doit s’assurer que ses enquêtes sont approfondies et que les arguments qui sous-tendent les condamnations sont irréfutables.

Cependant, le bilan de la CPI en matière de poursuites en justice est manifestement inégal, étant donné que certains auteurs de crimes graves n’ont pas eu à répondre de leurs actes dans des contextes où les enquêtes ont été contrecarrées. La CPI reste confrontée à un défi de taille : celui d’opérer dans un monde axé sur l’État, dans lequel les chefs d’État défendent avant tout leurs intérêts personnels et s’opposent à un contrôle international de leurs pouvoirs.

Cette situation fait obstacle à la mission de la Cour, mais la rend également d’autant plus nécessaire. Les organes internationaux s’imposent afin de compenser les défaillances des États. Lorsque des États commettent de graves violations des droits humains ou ne poursuivent pas les auteurs de violations commises sur leur territoire, le système international doit être en mesure d’intervenir.

Malgré les difficultés, il y a des raisons de se réjouir 20 ans après la création de la CPI : certaines personnes ont été traduites en justice pour des crimes odieux alors qu’elles auraient bénéficié de l’impunité si la CPI n’avait pas existé. Dans certains cas au moins, les victimes de violations des droits humains ont appris que ceux qui les avaient commises devaient payer.

C’est pourquoi la société civile continuera de défendre le bien-fondé de la CPI et d’inciter d’autres États à y adhérer : non pas parce que la CPI est une solution parfaite, mais parce qu’elle constitue un élément essentiel pour contribuer à rendre le monde plus sûr et plus juste.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Les États non-membres de la CPI devraient ratifier le Statut de Rome.
  • Les États membres de la CPI devraient s’engager à doter la Cour de ressources adéquates et à s’abstenir de toute ingérence politique.
  • La société civile, en particulier dans le Sud global, devrait faire pression pour la ratification universelle et le renforcement de la CPI.

Photo de couverture par legna69/Getty Images