Les droits dans un monde vieillissant
Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a récemment adopté une résolution visant à entamer la rédaction d’une convention sur les droits des personnes âgées. Cette convention est certainement nécessaire. Avec plus d’un milliard de personnes de 60 ans et plus dans le monde – un chiffre en constante augmentation – il existe une lacune importante dans le droit international des droits humains concernant la protection des personnes âgées. La société civile a un rôle essentiel à jouer dans ce processus d’élaboration du traité, qui offre une occasion précieuse de transformer la façon dont nos sociétés perçoivent le vieillissement.
La population mondiale vieillit. Les gens vivent plus longtemps, l’espérance de vie à la naissance atteignant désormais 73,3 ans, contre moins de 65 ans en 1995. On compte aujourd’hui environ 1,1 milliard de personnes âgées de 60 ans et plus dans le monde, un chiffre qui devrait passer à 1,4 milliard d’ici 2030 et 2,1 milliards d’ici 2050.
Ce phénomène représente une réussite remarquable, fruit des progrès en santé publique, des avancées médicales et de l’amélioration de la nutrition. Mais il apporte également son lot de défis, notamment la question cruciale de répondre aux besoins des populations vieillissantes en matière économique, de santé et d’aide sociale dans des sociétés où le nombre de personnes en âge de travailler diminue.
Ces défis sont connus depuis longtemps dans certaines économies avancées comme le Japon, où plus d’une personne sur dix est aujourd’hui âgée de 80 ans ou plus. Face à une natalité en déclin et une population active qui s’amenuise, le Japon doit répondre aux besoins d’un nombre croissant de personnes âgées avec des ressources fiscales réduites. Cependant, cette problématique ne concerne pas uniquement les pays riches. Les populations vieillissent également dans de nombreux pays du Sud global, et souvent à un rythme bien plus rapide que celui observé historiquement dans les pays du Nord.
Ces changements démographiques mettent en évidence une lacune majeure dans le droit international des droits humains. Les personnes âgées contribuent de façon considérable à la société, en assumant des rôles familiaux essentiels et en jouant un rôle important dans la société civile, notamment à travers le service communautaire, le mentorat et le bénévolat. Mais l’âgisme généralisé présente les personnes âgées non pas comme des détenteurs de droits et des acteurs du changement, mais comme un problème à résoudre et comme des bénéficiaires passifs de charité et de soins.
Les personnes âgées sont exposées à toute une série de violations des droits humains, notamment l’exclusion économique, politique et sociale, la discrimination fondée sur l’âge, le refus d’accès aux services de soins et d’assistance, l’insuffisance des prestations de sécurité sociale, ainsi que la violence et la maltraitance. L’âgisme amplifie d’autres formes d’exclusion, rendant particulièrement vulnérables les femmes, les personnes LGBTQI+ et celles issues d’autres groupes marginalisés. Les personnes âgées sont également plus susceptibles d’être victimes de discrimination liée au handicap. Par ailleurs, les conflits et les crises peuvent avoir un impact disproportionné sur les personnes âgées, qui peuvent être ciblées lors de conflits armés ou particulièrement affectées par le changement climatique.
Malgré ces nombreux défis en matière de droits humains, il n’existe actuellement aucun traité mondial sur les droits humains spécifiquement consacré aux droits des personnes âgées. Les évaluations de l’Expert indépendant des Nations unies sur les droits des personnes âgées, du Haut-Commissariat aux droits de l’homme et de nombreux groupes de la société civile démontrent toutes que le système international actuel des droits humains demeure une approche fragmentée avec des dangereuses lacunes concernant les droits des personnes âgées.
Les personnes âgées et la justice climatique
Les personnes âgées sont particulièrement vulnérables aux impacts climatiques tels que les chaleurs extrêmes. Pourtant, elles sont souvent exclues des plans d’urgence et de l’élaboration des politiques climatiques.
Parallèlement, les personnes âgées se mobilisent activement pour l’action climatique. Des réseaux et organisations de base tels que HelpAge International et Grands-parents européens pour le climat plaident en faveur de réponses climatiques qui intègrent les voix des générations plus âgées. Forts de leurs décennies d’expérience et d’un profond sens de la responsabilité intergénérationnelle, ces militants apportent une contribution précieuse aux réponses climatiques, du niveau local au niveau mondial.
Les personnes âgées s’engagent dans des mouvements qui mènent des actions directes pour souligner l’urgence de la crise climatique. Par exemple, deux militants octogénaires de Just Stop Oil ont organisé une manifestation lors d’une exposition sur la Magna Carta à la British Library en 2024. Elles contribuent également à façonner le paysage juridique concernant le changement climatique et les droits humains. Dans un arrêt historique rendu en 2024, la Cour européenne des droits de l’homme a reconnu que l’inaction du gouvernement suisse face à la crise climatique constituait une violation des droits humains des femmes âgées. L’affaire a été portée par KlimaSeniorinnen Schweiz, un groupe de femmes âgées qui ont démontré avec succès que le gouvernement violait leurs droits en raison de leur vulnérabilité particulière à la chaleur extrême. Cette victoire pour la justice climatique a confirmé le rôle des personnes âgées en tant qu’acteurs du changement.
Le processus de traité
Les premières mesures internationales visant à reconnaître légalement les droits des personnes âgées ont été prises en 2015, lorsque l’Organisation des États américains a adopté la Convention interaméricaine sur la protection des droits humains des personnes âgées. Ce traité historique reconnaît explicitement les personnes âgées comme titulaires de droits et établit des protections spécifiques contre la discrimination, la négligence et l’exploitation. Il démontre comment les cadres juridiques peuvent évoluer pour relever les défis auxquels sont confrontées les populations vieillissantes, même si sa mise en œuvre reste inégale dans les pays signataires.
Au niveau mondial, diverses initiatives ont émergé pour répondre aux besoins immédiats et créer un élan vers une réforme plus large. L’Organisation mondiale de la santé a notamment proclamé la période 2021-2030 comme la Décennie des Nations unies pour le vieillissement en bonne santé, une collaboration intersectorielle ambitieuse visant à transformer les attitudes sociétales envers le vieillissement.
Malgré ses précieuses contributions à la promotion d’environnements adaptés aux personnes âgées, de systèmes de santé réactifs et d’un meilleur accès aux soins de longue durée, la Décennie des Nations unies pour le vieillissement en bonne santé reste un cadre volontaire. Seul un traité contraignant peut garantir des protections de droits juridiquement applicables.
Un tel traité est désormais en préparation : le 3 avril, le Conseil des droits de l’homme des Nations unies a adopté une résolution visant à créer un groupe de travail intergouvernemental chargé d’élaborer une convention sur les droits des personnes âgées. Dans cette ère de divisions géopolitiques et d’attaques contre le multilatéralisme, il est encourageant de constater que cette résolution a été adoptée par consensus.
Il a fallu beaucoup d’efforts pour en arriver là. Ces progrès résultent de plus d’une décennie de travail du groupe de travail à composition non limitée sur le vieillissement, créé par l‘Assemblée générale des Nations unies en 2010 dans le but de renforcer la protection des personnes âgées. Au cours de 14 sessions, les États, les organisations de la société civile et les institutions nationales des droits humains ont analysé les lacunes dans la protection des droits humains des personnes âgées, construisant un argumentaire solide en faveur de l’action. Ce travail a finalement porté ses fruits avec l’adoption de la décision 14/1 en août 2024, recommandant l’élaboration d’un traité.
La phase cruciale de traduction des principes en protection juridique contraignante commence maintenant. Un groupe de travail intergouvernemental comprenant des États, des organisations internationales, des institutions nationales des droits humains et des organisations de la société civile sera chargé de rédiger la convention.
Si elle est adoptée, cette convention sera probablement le prochain grand traité des Nations unies en matière de droits humains. Elle vise à s’inspirer du succès de conventions telles que la Convention relative aux droits de l’enfant (1989) et la Convention relative aux droits des personnes handicapées (2006), qui ont considérablement fait progresser la protection des droits humains pour leurs groupes cibles.
From #Albania to #HRC58 in Geneva, Ermira carried the voices of older people—especially older women—to the global stage.
— HelpAge International (@HelpAge) April 18, 2025
Read her reflections as one of the campaigners at this year’s @UN_HRC, advocating for a @UN convention on the rights of older people.#AgeWithRights pic.twitter.com/TVxGbxmgir
Le rôle essentiel de la société civile
Les organisations de la société civile, travaillant stratégiquement par-delà les frontières et les générations, ont contribué à faire évoluer la convention du concept à la réalité potentielle. Des organisations telles que AGE Platform Europe, Amnesty International et HelpAge International ont bâti un argumentaire convaincant en faveur d’un traité contraignant grâce à des campagnes stratégiques et à la formation d’alliances. Leur expertise demeure indispensable pour garantir que le texte final dépasse les simples aspirations et devienne véritablement applicable.
Le processus qui s’annonce suivra une structure précise, fixée par la résolution du Conseil des droits humains. La première réunion du groupe de travail intergouvernemental chargé de rédiger la convention est prévue avant la fin de l’année 2025. Une fois la rédaction achevée, le texte sera soumis à l’ensemble du système des Nations unies pour examen et adoption éventuelle – un moment critique où la vigilance continue de la société civile sera essentielle pour éviter l’affaiblissement des protections proposées.
La convention offre une opportunité rare de redéfinir la manière dont les sociétés valorisent leurs membres les plus âgés. Le chemin de la déclaration à la mise en œuvre nécessitera un plaidoyer persistant, mais l’enjeu en vaut la peine : un monde où vieillir sera synonyme de dignité accrue et de droits humains renforcés, non diminués.
NOS APPELS À L’ACTION
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Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies doit garantir la participation de la société civile aux négociations pour une convention sur les droits des personnes âgées, en accordant une attention particulière aux voix du Sud global et aux personnes âgées issues de groupes marginalisés.
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Les États doivent allouer des ressources pour assurer une participation significative des personnes âgées à l’élaboration et à la mise en œuvre de la convention.
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La société civile doit inciter les gouvernements à défendre un traité ambitieux qui aborde l’ensemble des violations des droits vécues par les personnes âgées.
Pour des entretiens ou des informations complémentaires, veuillez contacter research@civicus.org
Photo de couverture par Defensoría del Pueblo de Bolivia