En préparation : un traité pour lutter contre les pires crimes de l’humanité
L’Organisation des Nations unies (ONU) a franchi une étape cruciale vers la création du premier traité mondial consacré à la prévention et à la répression des crimes contre l’humanité. En décembre 2024, l’Assemblée générale des Nations unies a adopté une résolution ouvrant la voie à des négociations, avec un traité final attendu d’ici 2029. Ce traité obligerait les États à agir contre les attaques systématiques visant les civils, notamment les meurtres, la torture et les violences sexuelles, comblant ainsi un vide crucial entre les conventions existantes sur le génocide et les crimes de guerre. Soutenues par la société civile et les experts juridiques du monde entier, les négociations viseront à établir un cadre solide pour garantir l’obligation de rendre des comptes en matière de violations des droits humains.
L’Organisation des Nations unies (ONU) a pris des mesures décisives en vue de l’élaboration du premier traité mondial sur les crimes contre l’humanité, marquant une avancée majeure pour la justice internationale. Le 22 novembre 2024, la Sixième Commission des Nations unies, chargée des questions juridiques, est parvenue à un consensus historique permettant de faire progresser les négociations sur le traité. Par la suite, l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) a formellement adopté la résolution 79/122 le 4 décembre. Cette avancée survient 80 ans après que les crimes contre l’humanité ont été abordés pour la première fois lors des procès de Nuremberg.
Une lacune cruciale
Le nouveau traité comblera une lacune majeure du droit international. Les crimes contre l’humanité figurent parmi les violations les plus graves des droits humains. Ils incluent des actes tels que la déportation ou le transfert forcé de population, la disparition forcée, la réduction en esclavage, l’extermination, l’emprisonnement illégal ou toute autre privation grave de liberté physique, le meurtre, la persécution, le viol, l’esclavage sexuel, la prostitution forcée, la grossesse forcée, la stérilisation forcée ou toute autre forme de violence sexuelle de gravité similaire, la torture, le crime d’apartheid et d’autres actes inhumains. Ces actes sont qualifiés de crimes contre l’humanité lorsqu’ils sont généralisés ou systématiques et qu’ils ciblent des populations civiles. Contrairement aux crimes de guerre, les crimes contre l’humanité peuvent être perpétrés en dehors de contextes de conflit. A la différence du génocide, il n’est pas nécessaire que les crimes contre l’humanité soient motivés par l’intention de détruire, en tout ou en partie, un groupe ethnique, national, racial ou religieux.
Bien que ces crimes contre l’humanité soient interdits par le Statut de Rome de la Cour pénale internationale (CPI) et par le droit international coutumier, ils ne font pas l’objet d’un traité spécifique comme c’est le cas pour le génocide ou les crimes de guerre, respectivement couverts par la Convention sur le génocide et les Conventions de Genève. Ce manque de cadre juridique contribue à l’impunité et instaure, selon certains, une hiérarchie artificielle entre des crimes internationaux tout aussi graves.
La CPI joue un rôle essentiel dans la poursuite des individus responsables de crimes d’atrocité, mais elle présente des limites notables : elle se concentre uniquement sur la responsabilité pénale individuelle, n’a pas d’autorité sur les obligations des États et ne peut pas traiter tous les cas d’atrocités de masse. Le traité proposé permettrait de clarifier les obligations des États en matière de prévention et répression de ces crimes. Les États seraient tenus d’interdire les crimes contre l’humanité dans leur droit interne, de coopérer avec d’autres pays pour extrader ou juger les responsables au niveau national, de protéger les victimes et les témoins, de garantir un traitement équitable des accusés et d’assurer une assistance juridique mutuelle. Le traité prévoit le règlement des différends par la Cour internationale de justice, permettant de tenir les États responsables s’ils échouent à prévenir ou à punir les crimes contre l’humanité sur leur territoire.
Un tel traité permettrait également d’intégrer des décennies de progrès réalisés dans le développement du droit international depuis l’adoption du Statut de Rome, notamment sur les questions de justice de genre. Le nouveau traité pourrait redéfinir la violence sexuelle afin d’y inclure la violence reproductive, utiliser un langage intégrant le genre dans la définition de la grossesse forcée, ajouter le genre comme critère pour qualifier le crime de l’apartheid, reconnaître le mariage forcé comme crime contre l’humanité, adopter une définition large et sans ambiguïté du terme « victime » et élargir les dispositions relatives aux réparations. Cela nécessite un processus qui adopte une perspective progressiste sur le genre, plaçant les survivants et les victimes au centre, notamment en prévoyant des dispositions adéquates pour leur participation active, et adoptant une approche intersectionnelle, intégrant les contributions de tous les groupes concernés.
Le chemin vers les négociations
Le processus d’élaboration du traité a commencé avec le projet d’articles sur la prévention et la répression des crimes contre l’humanité, élaboré par la Commission du droit international (CDI) au cours de six années de consultation avec les États, les experts et les organisations de la société civile. En 2019, la CDI a soumis ce projet d’articles à l’Assemblée générale des Nations unies pour examen.
En décembre 2022, l’AGNU a établi un processus de deux ans pour examiner ces projets d’articles, comprenant des sessions tenues en avril 2023 et avril 2024, lors desquelles les États ont pu échanger leurs points de vue. Ces discussions ont culminé avec une avancée majeure au sein de la Sixième Commission en novembre 2024. La société civile a salué cette décision, notamment parmi ceux qui œuvrent pour que l’apartheid de genre soit reconnu comme un crime au regard du droit international.
Mais il convient d’être réaliste quant aux défis qui nous attendent. La résolution visant à lancer le processus d’élaboration du traité n’a pas bénéficié d’un soutien unanime. Portée par la Gambie et le Mexique et coparrainée par 97 États, elle a d’abord rencontré une forte opposition de la part de la Russie, qui a finalement retiré ses amendements mais s‘est « dissociée » de la résolution. Avant cela, la Russie avait obtenu certaines concessions, notamment un délai d’un an avant la convocation d’une conférence diplomatique en vue de négocier le traité, ainsi qu’une formulation atténuant la primauté du projet d’articles de la CDI comme base des négociations.
🚨 Starting soon, the 6th Comm will decide on the CaH treaty. Russia has tabled amendments that would unduly prolong the process & limit civil society participation. Meanwhile, Mexico & Gambia led resolution has 97 co-sponsors. States need to stay strong & ensure a #CAHTreatyNow. https://t.co/FDNzWsWpW8 pic.twitter.com/J6qzQgh0QN
— akila radhakrishnan (@akila_rad) November 22, 2024
Yesterday, the UN Sixth Committee advanced the draft crimes against humanity treaty to formal negotiations. This means, we're a step closer to recognising gender apartheid under international law.
— Malala Fund (@MalalaFund) November 23, 2024
Read our statement on this victory. pic.twitter.com/UoQflnB9Pf
La résolution adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies établit un calendrier précis. Le processus débutera par des sessions préparatoires en 2026 et 2027, avec des propositions d’amendements devant être soumises par les États avant le 30 avril 2026. Ces sessions seront suivies de conférences diplomatiques intensives de trois semaines, en 2028 et 2029, au cours desquelles les détails du traité seront finalisés. Le traité final est attendu d’ici la fin de l’année 2029.
Les projets d’articles de la CDI, qui serviront de base aux négociations, fournissent des définitions complètes des crimes contre l’humanité, incluant des dispositions détaillées sur la violence sexuelle et sexiste. Ils précisent les obligations des États en matière prévention, d’incrimination, d’enquête et de répression de ces crimes. Ces articles abordent également la protection des droits des victimes et des témoins, et incluent des dispositions relatives aux recours et aux réparations. Enfin, ils appellent à la mise en place d’un système complet de coopération interétatique, couvrant des domaines clés tels que l’extradition et l’entraide judiciaire.
La contribution de la société civile
La société civile a joué un rôle déterminant dans l’élaboration des projets d’articles. Des organisations comme TRIAL International ont apporté des contributions significatives, en plaidant pour la suppression des délais de prescription pour les crimes contre l’humanité et l’extension de ce principe aux procédures civiles dans lesquelles les victimes demandent des réparations. Elles ont appelé à une formulation plus stricte de la responsabilité des personnes morales, et ont recommandé des dispositions explicites visant à tenir les entreprises et autres entités responsables. Ces organisations ont également demandé des dispositions sur la compétence universelle obligeant les États à poursuivre ou extrader les auteurs de crimes présumés, empêchant ainsi qu’ils ne trouvent refuge ailleurs. Elles ont proposé d’améliorer les définitions de certains crimes, en particulier pour les disparitions forcées et les persécutions, afin de mieux les aligner sur le droit international. En outre, elles ont souligné la nécessité d’aborder d’autres questions telles que les droits des victimes, les mesures de réparation et l’interdiction des amnisties.
L’engagement actif de la société civile a permis de supprimer du texte une définition restrictive du genre. Il a aussi contribué à l’élaboration de propositions visant à renforcer les droits des victimes et à affiner les définitions de crimes tels que les grossesses forcées, les persécutions et les disparitions forcées.
Plus de 560 organisations de la société civile et experts du monde entier ont signé une déclaration soutenant le processus d’élaboration du traité, et nombre d’entre eux ont adressé des lettres à leur gouvernement pour soutenir l’initiative au sein de la Sixième Commission. La société civile continue d’exhorter les États à soutenir activement l’élaboration et l’adoption de ce traité.
Une opportunité historique
L’adoption d’un traité marquerait un tournant dans la justice pénale internationale, en mettant à disposition de nouveaux outils puissants pour lutter contre l’impunité et protéger les civils contre des attaques systématiques ou généralisées. Même si la codification des crimes contre l’humanité ne suffira pas à les éliminer, un traité représenterait une étape cruciale vers la responsabilisation, susceptible de dissuader la perpétration de nouvelles atrocités. En établissant des conséquences claires pour les auteurs et en créant des voies d’accès à la justice pour les survivants et les victimes, ce traité offrirait une certaine forme de réparation face au coût humain dévastateur de ces crimes.
L’adoption de la résolution des Nations unies, en dépit de l’opposition initiale, témoigne d’un engagement international significatif en faveur de la lutte contre ces graves violations des droits humains. L’élaboration du traité bénéficiera désormais des diverses perspectives apportées par des centaines d’organisations de la société civile, d’experts juridiques et d’autres acteurs activement impliqués dans le processus. Cette diversité de contributions ne pourra que le renforcer et le rendre mieux adapté aux besoins des survivants et des victimes.
Alors que la communauté internationale s’engage dans ce processus historique, les négociations autour du traité offrent une occasion unique de renforcer les mécanismes mondiaux de prévention et de répression des crimes d’atrocité, tout en garantissant justice et réparation pour les survivants. Le résultat pourrait transformer la manière dont le monde réagit à certains des crimes les plus graves commis contre l’humanité.
Cependant, d’importants défis se dessinent à l’horizon. Certains États tenteront probablement de ralentir les négociations, de limiter la portée du traité et d’affaiblir les mécanismes de mise en œuvre. Pour surmonter ces obstacles, les États favorables au processus devront collaborer étroitement avec la société civile afin de maintenir l’élan et d’élaborer et défendre un traité solide. Soutenir ce processus d’élaboration du traité est essentiel s’ils veulent se situer du bon côté de l’histoire.
NOS APPELS À L’ACTION
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Les États doivent veiller à ce que le traité soit imprescriptible et qu’il établisse des obligations claires pour les personnes morales qui seront tenues responsables de crimes contre l’humanité.
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Les États doivent renforcer le cadre juridique en maintenant les dispositions relatives à la compétence universelle et en actualisant les définitions des crimes afin de les aligner sur les normes les plus récentes du droit international.
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Les États doivent collaborer avec un large éventail de la société civile et intégrer leurs propositions dans un traité solide.
Pour des entretiens ou de plus amples informations, veuillez contacter research@civicus.org
Photo de couverture par SwitzerlandUN/Twitter