Traité sur les pandémies : une course contre le temps
Cinq ans après le début de la pandémie dévastatrice de COVID-19, les efforts pour établir un traité sur les pandémies se poursuivent. Malgré des progrès initiaux, les négociations achoppent sur des désaccords majeurs entre les États du Sud et du Nord, notamment en matière de financement et d’accès équitable aux médicaments. Le retrait des États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé a créé une nouvelle incertitude. Alors que les négociations finales sont prévues pour avril, les grandes puissances doivent laisser de côté leurs intérêts nationaux pour privilégier la sécurité sanitaire collective. La société civile joue un rôle important dans l’adoption et la mise en œuvre du traité ainsi que dans la préparation d’un plan pour de futures pandémies.
Cinq ans se sont écoulés depuis que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré le COVID-19 comme une pandémie mondiale. Le virus a causé le décès de plus de sept millions de personnes, en contribuant à au moins deux fois plus de morts et provoqué des ravages économiques, politiques et sociaux dont les sociétés qui ont eu du mal à y se remettre. Malgré cette crise dévastatrice, la communauté internationale n’a pas encore réussi à établir un cadre efficace pour la prévention et la réponse aux pandémies.
Les négociations sur la proposition de l’OMS d’un traité sur les pandémies, qui est censé être adoptée cette année, restent toujours inachevées. Cette stagnation de progrès survient à un moment critique où les experts avertissent que la prochaine crise sanitaire mondiale est qu’une question de « quand » plutôt que de « si ». On estime à 25% la probabilité d’une épidémie, avec une ampleur similaire à celle de COVID-19, se produisant au cours des dix prochaines années, et à 50% la probabilité qu’elle survienne d’ici 25 ans.
Les risques s’intensifient de plus en plus. Les maladies se propagent encore plus facilement en raison de la mondialisation et évidemment de la circulation croissante des biens et des personnes. Par ailleurs, le risque de transmission des animaux à l’homme est accru par le changement climatique, la destruction de l’environnement et la croissance démographique. Pourtant, la coopération internationale reste insuffisante et la société civile exhorte les États à se montrer à la hauteur en accélérant les négociations.
Les arguments en faveur d’un traité mondial
L’absence de cadres internationaux de coopération a conduit à une réponse mondiale fragmentée au COVID-19, marquée par le nationalisme des vaccins, la thésaurisation des fournitures médicales et des restrictions de voyage non coordonnées. La pandémie a brutalement exposé les faiblesses profondes de la structure sanitaire mondiale actuelle et a exacerbé les inégalités déjà présentes dans le monde. Alors que les pays les plus riches ont pu accéder rapidement aux vaccins et aux traitements, la plupart des pays du Sud ont dû attendre des années avant de pouvoir en faire de même. Au plus fort de la crise, 75% des vaccins disponibles ont été distribués dans 10 pays seulement. Cette inégalité à la fois moralement inacceptable et inefficace sur le plan épidémiologique, a favorisé l’émergence des nouvelles variantes dans les régions à majorité sous-vaccinées, démontrant ainsi que, en cas de pandémie, personne n’est à l’abri tant que tout le monde ne l’est pas.
La pandémie et ses conséquences auraient pu être évitées grâce à une coopération mondiale plus efficace et une meilleure préparation des gouvernements. De nombreux décès auraient pu être évités, tout comme les profondes répercussions économiques causées par les confinements prolongés, lesquels continuent d’avoir des implications politiques comme le soutien croissant aux politiciens populistes et autoritaires dans de nombreux pays.
Progrès et divisions
À la suite de ces échecs systémiques, l’Assemblée mondiale de la santé, l’organe directeur de l’OMS, a pris des mesures lors d’une session extraordinaire en décembre 2021. Par consensus, les États membres ont créé un Organe intergouvernemental de négociation (INB) avec un mandat ambitieux mais clair : établir un cadre visant à prévenir des pandémies futures et à garantir une réponse coordonnée et équitable en cas d’échec de la prévention.
L’INB a entamé ses travaux en février 2022, réunissant des négociateurs de plus de 190 États. En mars 2023, les négociateurs ont élaboré le projet zéro qui définissait les principes et posait les bases du traité. Ce projet mettait l’accent sur la détection précoce et les systèmes d’alerte, l’accès équitable aux contre-mesures médicales, ainsi que sur des mécanismes de financement durable pour renforcer la préparation aux futures pandémies.
Mais après l’élan initial, les négociations se sont enlisées. Ce qui avait commencé comme une réponse unifiée à un traumatisme commun, s’est rapidement fracturé le long de lignes géopolitiques familières entre les États du Nord et du Sud.
Les États du Nord, notamment le Royaume-Uni, les États-Unis et plusieurs pays de l’Union européenne, se sont opposés à certaines dispositions qu’ils estiment porter atteinte à la souveraineté nationale. Les points de désaccord communs à ces pays incluent l’étendue de l’autorité de l’OMS pour déclarer des urgences de santé publique de portée internationale t ainsi que la nature contraignante des obligations de réponse. La délégation américaine, en particulier, s’est opposée à la formulation qui engagerait les États à allouer des pourcentages spécifiques de leurs produits pandémiques à la distribution internationale.
Parallèlement, les États du Sud, sous l’égide de l’Union africaine, ont insisté pour obtenir des garanties plus solides en matière de transfert de technologies et d’accès équitable aux contre-mesures médicales. Ils soutiennent que tout accord les obligeant à partager des échantillons d’agents pathogènes et des données génétiques doivent leur garantir l’accès aux vaccins et aux traitements qui ont été développés à partir de ces matériaux. Le bloc africain fait également pression pour pouvoir assouplir les garanties de protection de la propriété intellectuelle sur les médicaments et les vaccins en cas de situation d’urgence sanitaire se produise, appelant à des dérogations automatiques aux droits de brevet.
Ces divisions reflètent des tensions plus profondes. Les géants pharmaceutiques, qui disposent d’un immense pouvoir de lobbying, influencent les États du Nord où ils ont leur siège, qui tendent à protéger leurs intérêts. D’un côté, les États du Nord en privilégient des mesures d’incitation pour le développement de nouveaux médicaments, pour favoriser une forte protection de la propriété intellectuelle et la sécurité de la chaîne d’approvisionnement. De l’autre côté, les États du Sud souhaitent un meilleur partage des connaissances et la possibilité de fabriquer des médicaments génériques dans leur pays.
Développements récents
Malgré ces tensions, les négociateurs ont progressé sur certains fronts. Après d’intenses négociations fin 2024, un consensus s’est dégagé sur trois dispositions essentielles : la recherche et le développement, la production locale durable et diversifiée ainsi que le financement durable.
Si elle est adoptée sous sa forme actuelle, la disposition relative à la recherche et au développement pourrait avoir un vrai impact. Elle exigerait que la recherche financée par des fonds publics comprenne des mesures pour le transfert de technologie et l’octroi de licences non exclusives aux producteurs des pays à faible revenu. Grâce à une meilleure répartition des capacités de production dans le monde, les traitements et les vaccins seraient accessibles de manière égale aux populations des pays du Sud comme à celles des pays du Nord lors des futures urgences sanitaires.
La disposition relative à la production locale engage également les États à soutenir le développement des capacités de production dans les régions du monde les plus vulnérables, en particulier l’Afrique et certains pays d’Asie du Sud-Est. Enfin, la disposition relative au financement durable établirait la création d’un nouveau fonds de préparation aux pandémies, dont les contributions obligatoires dépendraient de la richesse de chaque pays.
Une fenêtre critique
En juin 2024, les États se sont engagés à finaliser les négociations dans un délai d’un an, reconnaissant ainsi l’urgence de la situation.
L’INB a prévu une dernière session de négociation de cinq jours en avril, au terme de laquelle l’accord devrait être présenté à la 78e Assemblée mondiale de la santé en mai. Même si les négociateurs restent prudemment optimistes, c’est incertain que les divergences fondamentales puissent être résolues d’ici là. Le directeur général de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus a qualifié ce moment de « maintenant ou jamais » pour le traité, soulignant que tout retard supplémentaire compromettrait de tuer le processus.
Mais voilà qu’une nouvelle menace majeure se profile à l’horizon. Peu après son retour au pouvoir, Donald Trump a signé un décret annonçant le retrait des États-Unis de l’OMS, à compter de janvier 2026, et la suspension immédiate de leur participation aux négociations du traité. Cela représente un coup dur pour le processus, car les États-Unis sont le plus grand contributeur de l’OMS et, en tant que superpuissance et siège de géants pharmaceutiques, leurs actions et décisions peuvent avoir des répercussions mondiales.
Le processus INB a déjà coûté environ 201 millions de dollars. Si le traité échoue après un tel investissement, cela représenterait une perte considérable de ressources qui auraient pu être directement consacrées à un plan pour se préparer à de futures pandémies dans les pays plus vulnérables. La confiance dans les institutions multilatérales risque de s’éroder encore davantage.
Malgré ces difficultés, les partisans du traité affirment qu’un accord solide reste toujours possible, à condition qu’une véritable volonté de compromis soit présente. Afin de combler l’écart entre le Nord et le Sud, des pays comme l’Australie, le Canada et le Japon doivent intensifier leur engagement diplomatique. Par ailleurs, les organisations philanthropiques et les banques de développement doivent également élaborer des plans de financement concrets afin d’assurer la mise en œuvre du traité.
La société civile a un rôle essentiel à jouer, notamment pour obtenir le soutien de l’opinion publique et faire pression sur les États afin qu’ils soutiennent le traité. Les États doivent reconnaître la société civile comme un partenaire à part entière. Elle peut contribuer à la révision et à l’amélioration des plans de préparation aux pandémies. En cas de pandémie, elle peut atteindre des communautés que les gouvernements ne peuvent pas atteindre. Elle a été en première ligne de la réponse lors de la pandémie du COVID-19, fournissant des services vitaux, défendant les droits humains face aux des restrictions imposées en réponse à la pandémie et demandant aux gouvernements de rendre des comptes sur les décisions qu’ils prenaient. La société civile sera essentielle pour maintenir la pression afin que le traité soit finalisé, adopté et ratifié, puis transposé au niveau national, correctement mis en œuvre et financé de manière adéquate.
Les enjeux sont considérables. La prochaine pandémie peut éclater à tout moment. Dans l’absence d’une coordination internationale efficace, le monde risque de voir se répéter les échecs meurtriers de la riposte au COVID-19. Un traité équitable et contraignant renforcerait la préparation mondiale sur les pandémies et permettrait d’éviter des millions de décès évitables lors de la prochaine crise sanitaire. Les mois à venir seront décisifs et il restera à voir si les États du Nord pourront mettre de côté leurs intérêts nationaux étroits dans l’intérêt de la sécurité collective.
NOS APPELS À L’ACTION
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Les États du Nord doivent prioriser la sécurité sanitaire collective plutôt que leurs intérêts politiques étroits et aborder les négociations d’avril avec un engagement renouvelé en faveur d’un traité fort et équitable.
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Les gouvernements et la communauté internationale doivent reconnaître la société civile comme un partenaire clé dans la préparation et la réponse aux pandémies.
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La société civile devrait intensifier ses efforts de sensibilisation et faire pression sur les gouvernements pour garantir l’aboutissement d’un un accord.
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Photo de couverture par OJ Koloti/Gallo Images