Ce 11 mars, cela fait précisément deux ans que l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré que la COVID-19 pouvait être considérée comme une pandémie. Au cours de ces deux années, la société civile s’est continuellement mobilisée pour aider les plus démunis, défendre les droits humains et plaider pour des politiques plus justes. Deux ans après cette déclaration, la société civile analyse certains des principaux enseignements tirés de la riposte à la pandémie. L’expérience de la société civile en matière de pandémie alimente les appels à une reprise post-pandémique qui remédie aux inégalités et fait progresser la justice sociale, et à une meilleure riposte à la crise climatique et aux futures crises sanitaires mondiales. Les gouvernements et les entreprises doivent reconnaître le rôle central de la société civile dans la riposte aux crises, et développer de nouveaux partenariats pour lui donner les moyens d’agir.

Le 11 mars 2020, l’OMS a annoncé que la COVID-19 avait atteint le stade de pandémie. À cette date, le virus avait depuis longtemps dépassé les frontières de son foyer d’origine en Chine. Il faisait déjà des ravages en Iran et en Italie, et se propageait dans le reste du monde. Bientôt, presque aucun pays n’était épargné.

Deux ans plus tard, rares sont les personnes dont la vie n’a pas été marquée d’une manière ou d’une autre par la pandémie. Le coût de la crise se mesure avant tout en vies humaines : les statistiques de l’OMS font état d’un bilan dévastateur de plus de 6 millions de morts dans le monde, et il est probable que ce chiffre soit sous-estimé. De nombreuses autres personnes ont subi de graves conséquences sur leur santé physique et mentale à cause de la pandémie. En outre, la crise a eu une incidence sur les économies, les structures sociales, l’espace civique et l’accès des personnes aux droits.

La société civile a été à l’avant-garde de la riposte à cette urgence mondiale. Comme le montre notre rapport spécial de 2020, intitulé « La solidarité au temps de la COVID-19 », lorsque la pandémie s’est propagée dans le monde, la société civile s’est mobilisée pour faire la différence. Les organisations de la société civile (OSC) se sont reconverties du jour au lendemain, mettant leurs compétences et leurs capacités au profit des communautés et des groupes exclus les plus touchés par les répercussions de la pandémie. De nouvelles initiatives communautaires ont rapidement vu le jour. La confiance dans la société civile et la proximité de celle-ci avec les communautés ont été des atouts essentiels dans la riposte, permettant à la société civile d’atteindre les personnes et les lieux que les gouvernements laissaient de côté.

Au cours des deux années de pandémie, la société civile a été une source essentielle de soutien, de conseils et d’informations, une gardienne des droits humains, un soutien et une défenseuse des communautés, une militante déterminée des politiques inclusives et axées sur les droits, une correctrice des défaillances de l’État et du marché, un moteur de mobilisation, de créativité et d’innovation durables, une partenaire de confiance et une garante fondamentale en matière de redevabilité des décisions de l’État et du secteur privé. Sans la société civile, le peuple aurait bien plus souffert des conséquences de la pandémie.

Deux ans après la déclaration de pandémie par l’OMS, nous avons de nouveau rendu visite à certains des militants et groupes de la société civile présentés dans notre rapport 2020 afin de les interroger sur les mesures prises depuis la déclaration pour faire face à l’évolution de la pandémie, et sur les enseignements tirés au cours des deux dernières années.

Nécessité de lutter contre l’exclusion persistante

Depuis les premiers jours de la pandémie, une chose est claire : tout le monde risque de contracter le virus, toutefois nous ne sommes pas égaux face à ce risque. Deux ans après la déclaration de pandémie par l’OMS, ce sont toujours les groupes les plus exclus, notamment les femmes, les personnes LGBTQI+, les minorités ethniques, les migrants et les réfugiés, les personnes souffrant de handicap et les groupes à faibles revenus, qui ont été les plus touchés.

La pauvreté, l’inégalité des revenus et la précarité des moyens de subsistance augmentent considérablement le risque de contracter le virus et de subir des conséquences plus graves, car les personnes sont moins en mesure de s’isoler, de travailler à domicile ou de prendre des congés maladie. Les personnes les plus démunies vivent en promiscuité et n’ont pas toujours accès à des installations sanitaires. Les mesures visant à limiter la propagation du virus, qui ont interrompu ou ralenti l’activité économique et restreint la liberté de mouvement, ont davantage touché les personnes qui dépendent de leur emploi (qu’il soit conventionnel ou informel) pour vivre. Les personnes LGBTQI+, les migrants et les réfugiés ont été la cible de campagnes de désinformation et de discours de haine, et ont été présentés comme des sources d’infection au virus.

Les conséquences de la pandémie sont plus importantes pour les groupes déjà marginalisés comme les femmes, les personnes souffrant de handicap, les réfugiés et les personnes LGBTQI+.

MICHAEL KAIYATSA

Dans tous les pays, les groupes de la société civile qui ont répondu à nos questions (en 2020, et à nouveau en 2022) ont insisté sur le fait que les femmes étaient exposées à un risque considérablement accru de violence fondée sur le genre lorsque les confinements les obligeaient à rester sous le même toit que leurs partenaires violents, et les rendaient plus vulnérables face aux mariages et aux grossesses précoces. Les groupes de la société civile ont clairement indiqué que les femmes assumaient une responsabilité disproportionnée (par rapport aux hommes) liée à l’augmentation des tâches ménagères, en devant notamment s’improviser d’urgence en tant que responsables  de la garde et de l’éducation des enfants lorsque les écoles étaient fermées. Les groupes ont souligné que ce sont les femmes qui ont le plus vu leurs moyens de subsistance mis à mal, puisqu’elles occupent en grande majorité des emplois informels.

À l’échelle mondiale, une inégalité massive en matière de vaccins persiste entre les populations du Nord, qui ont été vaccinées trois fois, et celles du Sud, qui attendent toujours leur première injection. Près de trois milliards de personnes n’ont reçu aucune forme de vaccination contre la COVID-19.

Les décideurs politiques ont eu deux ans pour tirer les enseignements de la pandémie, mais ils n’ont pas appris grand-chose. Les politiques globales n’ont pas tenu compte des impacts différenciés de la pandémie sur les groupes les plus exclus. Les programmes d’aide sociale n’ont pas atteint les personnes les plus vulnérables, ou ont privilégié certaines d’entre elles, comme les chefs de famille de sexe masculin, tout en pénalisant d’autres, comme les migrants et les réfugiés.

Pendant deux longues années, la société civile a comblé ces lacunes, en apportant un soutien direct à ceux qui en ont le plus besoin, mais en s’efforçant aussi de rendre visible l’invisible, et en plaidant pour un changement de politique afin que les sociétés soient mieux préparées à la prochaine crise mondiale.

Échos de la ligne de front

Michael Kaiyatsa, du Centre for Human Rights and Rehabilitation (« Centre pour les droits humains et la réadaptation »), une OSC qui promeut la démocratie et les droits humains au Malawi, décrit les incidences de la pandémie sur les femmes et les personnes LGBTQI+, entre autres, et le travail de son organisation pour y faire face :

Les incidences de la pandémie sont plus importantes pour les groupes déjà marginalisés comme les femmes, les personnes souffrant de handicap, les réfugiés et les personnes LGBTQI+. Il est clair que cette pandémie a aggravé les violations des droits humains auxquelles ces groupes étaient déjà confrontés. Par exemple, nous avons constaté une augmentation des cas d’attaques homophobes et transphobes, notamment dans notre camp de réfugiés, ainsi qu’à une hausse des cas de violence sexuelle et fondée sur le genre.

En réponse à la crise, nous adaptons notre travail pour faire face à ces nouveaux défis, à la fois pour aujourd’hui et à plus long terme, tout en nous assurant que nous continuons à œuvrer en faveur d’une société malawite respectueuse des droits humains et de la démocratie. Par exemple, compte tenu des difficultés de subsistance auxquelles sont confrontées les femmes vivant avec le VIH ou le sida, nous avons incorporé une composante de soutien aux moyens de subsistance dans notre projet ciblant ces groupes de femmes. Nous avons également ajouté un soutien en matière de sécurité et de moyens de subsistance pour la communauté des réfugiés LGBQTI+, que nous soutenons au camp de réfugiés de Dzaleka.

 

Alyaa Al Ansari, de l’organisation Bent Al-Rafedain, une OSC féministe irakienne qui œuvre pour la protection des femmes et des enfants et promeut l’intégration des femmes dans toutes les sphères de la société, met en évidence les incidences de la pandémie sur les femmes :

La pandémie a touché de nombreux groupes d’horizons différents de la société irakienne, toutefois ce sont les femmes et les filles qui ont été les plus touchées. Même avant la pandémie, les femmes irakiennes étaient contraintes d’assumer la plus grande partie des responsabilités au sein de leur foyer : ce sont elles qui s’occupent principalement des enfants et des personnes âgées. Lorsqu’un confinement total a été imposé en Irak pendant quatre mois, ces responsabilités se sont encore accrues.

De nombreuses femmes ont été financièrement touchées par la pandémie, qui a mis à mal d’innombrables entreprises, notamment des hôtels, des restaurants et des magasins, car elles ont perdu leur emploi dans le secteur privé. Sans revenu stable, leurs familles ont souffert, en particulier lorsqu’elles étaient la principale source de revenus de leur famille.

Un autre effet dramatique du confinement total a été le pic de violence domestique. Pendant quatre longs mois, les femmes maltraitées n’avaient pas d’échappatoire. Elles ont dû continuer à vivre sous le même toit que celui de leurs agresseurs. Le nombre de féminicides et de tentatives de suicide a augmenté, car certaines femmes ne pouvaient pas supporter la pression et la violence qu’elles subissaient.

Pendant la pandémie, les efforts de la société civile se sont concentrés sur la fourniture d’une aide humanitaire aux femmes touchées et à leurs familles. Les organisations caritatives ont couvert les besoins essentiels des familles pauvres et ont aidé les femmes qui ont perdu leur emploi à cause de la pandémie.

Quant aux OSC féministes, certaines d’entre elles ont mis en place des programmes en ligne pour apporter un soutien psychologique ; tandis que d’autres ont déplacé leurs activités en ligne et ont utilisé des plateformes de réseaux sociaux comme Facebook pour atteindre les femmes qui devaient rester à la maison pendant des périodes inhabituellement longues.

 

Amali Tower, de Climate Refugees, qui défend les droits des personnes déplacées et des « migrants climatiques », établit des parallèles entre les incidences découlant de l’urgence pandémique et celles découlant de la crise climatique :

L’inégalité, la pauvreté et les vulnérabilités qui sous-tendent la migration se sont accrues de manière exponentielle au cours de ces deux années pour aboutir à des situations de migration de détresse. L’inégalité dans la distribution des vaccins est un exemple de la façon dont le monde réagit à un problème qui soi-disant « nous concerne tous ». Cela devrait nous permettre d’y voir plus clair sur la façon dont le monde réagit au changement climatique, un autre problème que l’Occident et les pays du Nord aiment présenter comme une menace existentielle à laquelle nous serons tous confrontés de manière égale.

Comme cela a toujours été le cas, les communautés qui sont en ligne de front dans les guerres, les crises et le changement climatique continuent de faire ce qu’elles ont l’habitude de faire, en l’occurrence survivre. Ces deux années nous ont montré de nombreux exemples positifs de cette survie, que nous avons essayé de diffuser, de mettre à l’honneur et de rendre accessibles à tous grâce à des récits, des connexions, des conversations et des contributions politiques qui démontrent que l’inégalité socio-économique systémique, laquelle est enracinée dans le colonialisme, est toujours une réalité pour une grande partie du monde.

Changement des méthodes de travail

De nouvelles méthodes de travail ont dû être développées pour répondre aux besoins urgents créés par la pandémie et défendre les droits humains dans un monde en mutation qui offrait des possibilités limitées d’interaction en face à face. Les groupes de la société civile ont dû rapidement adapter leurs actions clés pour que le travail puisse se faire en ligne et pour passer au travail à distance. Beaucoup ont mis en place de nouvelles lignes téléphoniques et des outils en ligne pour continuer à servir les communautés dans le besoin.

Certains groupes de la société civile ont été contraints par la pandémie d’innover rapidement, ce qui a abouti à la mise au point de nouvelles méthodes de travail durables. Pour l’avenir, de nombreuses OSC prévoient à terme de mélanger les approches plus conventionnelles prépandémiques et les nouvelles méthodes post-pandémiques. Les OSC qui œuvrent à l’échelle internationale envisagent un avenir dans lequel elles prendront moins l’avion et dans lequel elles organiseront davantage de réunions en ligne, non seulement pour limiter l’impact climatique des voyages en avion, mais aussi pour tirer parti du potentiel d’inclusion des outils en ligne qu’elles ont appris à utiliser.

La pandémie a marqué un avant et un après dans la façon dont nous travaillons, mais aussi dont nous interagissons, dont nous construisons et créons des stratégies en matière d’intervention et d’organisation.

WENDY FIGUEROA

Cependant, le besoin d’adaptation à la réalité nouvelle créée par la pandémie a entraîné des défis. Il existe différents contextes dont il faut tenir compte, notamment dans l’hémisphère sud, où les communautés n’ont pas accès aux technologies et aux compétences requises pour mieux faire face à la pandémie. Cette forme d’exclusion étant multidimensionnelle, les groupes exclus sont également susceptibles de connaître l’exclusion numérique. Le passage à une activité en ligne peut donc involontairement renforcer les schémas d’exclusion.

Les changements induits par la pandémie ont également mis la société civile à l’épreuve. De nombreuses personnes travaillant à domicile ont été confrontées à de nouveaux défis pour maintenir l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée, ce qui est particulièrement le cas de la main-d’œuvre féminine, dont on attend qu’elle assume une part disproportionnée des soins aux enfants et des tâches ménagères. Le risque d’épuisement professionnel est omniprésent. La société civile s’est efforcée de développer des protocoles pour protéger le personnel, non seulement du risque de contracter la COVID-19, mais aussi des incidences sociales et économiques de la pandémie.

Échos de la ligne de front

Un militant du Burundi, qui a demandé à rester anonyme pour des raisons de sécurité, a décrit les répercussions de la pandémie sur les méthodes de travail de l’organisation pour laquelle il travaille :

La pandémie a eu des répercussions sur la façon dont les personnes avaient l’habitude d’interagir car, dans de nombreuses circonstances, les contacts physiques ont été réduits. Le fait de travailler avec des personnes utilisant la technologie (telle que les réunions sur Zoom, les appels téléphoniques ou les courriels) ne permet pas d’avoir une vision réelle de ce qui se passe sur le terrain. Cette situation a également empêché ceux qui ne peuvent pas se permettre d’acheter les outils technologiques de communication d’accéder aux informations nécessaires.

La pandémie de COVID-19 a également restreint les déplacements des personnes. Le travail sur le terrain a été quasiment arrêté et les partenaires internationaux n’ont pas pu mener les missions d’évaluation du travail sur le terrain de leurs partenaires locaux.

 

Wendy Figueroa, du National Network of Shelters (« Réseau national des refuges »), un réseau mexicain qui regroupe 69 centres dédiés à la prévention, à la prise en charge et à la protection des victimes de violence familiale et de violence fondée sur le genre, met en lumière les succès et les défis en matière de transition vers des méthodes de travail plus en ligne :

La pandémie a marqué un avant et un après dans notre façon non seulement de travailler, mais aussi d’interagir, de construire et de créer des stratégies en matière d’intervention et d’organisation. D’une certaine manière, elle a renforcé nos actions : par exemple, l’utilisation de plateformes numériques nous a permis de rester en contact au niveau national et international, en partageant nos connaissances, nos préoccupations et nos stratégies.

Mais il y a aussi eu une surcharge de travail et nous avons eu moins de temps pour nous, alors que nous travaillons depuis nos bureaux à domicile, avec très peu de séparation entre les innombrables réunions virtuelles et les multiples recherches de financement qui nous permettraient de poursuivre notre travail et de faire face aux conséquences de la pandémie.

 

Tsubasa Yuki, du Moyai Support Centre for Independent Living (« Centre de soutien à la vie autonome de Moyai »), une OSC qui aide les sans-abri à Tokyo, donne l’exemple d’un projet en ligne lancé en réponse à la pandémie, qui a eu pour effet d’étendre la portée de l’Organisation :

En 2021, nous avons lancé un système d’assistance en ligne appelé « COMPASS » (« BOUSSOLE »),, qui se compose d’un forum de discussion en ligne, d’un système de référence qui aide les personnes à trouver des services d’assistance publique et d’un service en ligne qui aide les personnes à remplir un formulaire de demande d’aide publique. Étant donné que la pandémie n’a pas eu que des répercussions à Tokyo mais dans tout le pays, nous avons pensé qu’il fallait des services en ligne accessibles partout.

Principaux enseignements tirés

Les urgences comme celles de la pandémie offrent des possibilités d’apprentissage – sur la façon de se préparer et de faire face aux futures pandémies qui semblent inévitables dans notre monde hautement connecté, et aussi pour d’autres urgences actuelles et à venir : notamment la crise climatique et les conflits – y compris en Ukraine, mais aussi en Éthiopie, en Syrie, au Yémen et dans tout le Sahel.

Il est important pour la société civile de réfléchir à ses propres pratiques et de se demander ce que nous aurions pu faire différemment si nous avions su, il y a deux ans, ce que nous savons maintenant. Nous devons en tirer les leçons et les partager – et encourager les autres acteurs, y compris les gouvernements, les entreprises et la communauté internationale, à réfléchir et à apprendre eux aussi. Les bailleurs de fonds de la société civile, par exemple, doivent tirer la leçon suivante : un financement souple et une prise de décision rapide sont essentiels pour permettre à la société civile de réagir rapidement aux crises.

La pandémie a conditionné la manière dont nous planifions nos actions. Elle a confirmé la nécessité d’être flexible en fonction des circonstances, tant en ce qui concerne les questions qui touchent les communautés défavorisées avec lesquelles nous travaillons, que les stratégies de plaidoyer nécessaires pour remédier aux inégalités.

SEBASTIÁN PILO

Tout au long de la pandémie, la société civile a indiqué à maintes reprises que nous ne devrions pas nous contenter de revenir au monde tel qu’il était avant la pandémie – car il y avait trop de choses qui n’allaient pas dans ce monde. La pandémie a mis en lumière et exacerbé de profondes inégalités préexistantes en matière de pouvoir économique, social et politique – mais elle ne les a pas créées. Revenir à la normale signifierait que toutes les difficultés que les personnes (en particulier celles qui appartiennent à des groupes exclus) ont endurées et tous les sacrifices qu’elles ont fait pendant la pandémie n’auraient servi à rien.

La société civile continue de réclamer des plans de redressement qui s’appuieraient sur les changements induits par la pandémie comme d’une occasion pour faire une transition vers un changement progressif. Elle veut que l’on remédie aux grandes injustices de notre époque, à savoir les inégalités structurelles, au déni des droits et à l’incapacité des gouvernements et du secteur privé à prendre des mesures adéquates face à la crise climatique.

Jusqu’à présent, cette occasion a été manquée : une analyse des plans de lutte contre la pandémie des pays du G20 montre que seulement 6 % des dépenses ont été consacrées à des actions conformes à l’idée d’une « reprise écologique ». Les gouvernements et le secteur privé doivent davantage écouter la société civile. Compte tenu du rôle vital de la société civile dans la riposte à la pandémie et le soutien aux communautés, il est temps d’établir une nouvelle relation avec la société civile, fondée sur la stimulation plutôt que sur la restriction de l’espace civique.

Échos de la ligne de front

Elif Ege, de l’organisation Mor Çatı, qui gère le seul refuge indépendant pour femmes en Turquie, partage les leçons apprises et les besoins de plaidoyer qui ont été relevés :

Nous avons appris qu’il est vital que les mécanismes de lutte contre la violence envers les femmes soient préparés à l’avance pour faire face à tout type d’urgence. Pendant la pandémie, les mécanismes publics de soutien et de prévention – notamment les forces de l’ordre, les centres de prévention de la violence, les services sociaux, les tribunaux de la famille et les associations d’avocats – et les services de soutien des municipalités – centres de solidarité, services sociaux et refuges – n’étaient pas du tout préparés à ce type d’évènements.

Les femmes se sont retrouvées sans aucun soutien dans leur lutte contre la violence. Étant donné qu’en Turquie, l’écart entre la loi et son application dans la pratique se creuse depuis des décennies et que les mauvaises pratiques sont très courantes et restent impunies, cette situation dfficile n’était pas une expérience totalement inconnue pour nous. Cependant, la pandémie a rendu cette question encore plus pertinente.

Il est donc très important pour nous, organisations féministes indépendantes, de faire pression sur les institutions responsables pour qu’elles appliquent la loi, pour qu’elles empêchent les mauvaises pratiques et qu’elles créent et mettent en œuvre des plans d’action d’urgence.

 

Sebastián Pilo, de l’Asociación civil para la Igualdad y la Justicia (« Association civile pour l’égalité et la justice ») (ACIJ), une OSC qui se consacre à la défense des droits des groupes les plus défavorisés et au renforcement de la démocratie en Argentine, souligne la nécessité d’une réflexion, d’un apprentissage et d’un ajustement permanents au fur et à mesure que la pandémie progresse :

Les confinements nous ont permis de tirer des enseignements sur la manière dont ceux d’entre nous qui travaillent pour l’ACIJ peuvent interagir les uns avec les autres. La deuxième année de la pandémie a été particulièrement difficile, car nous devions structurer les enseignements tirés de l’annéé précédente afin de façonner une nouvelle façon de travailler, dans un contexte de fatigue généralisée à cause de la situation que nous vivions ; mais en même temps, il nous fallait constamment jongler entre progrès et reculs dans la mise en œuvre d’un nouveau modèle, étant donné que la pandémie n’était pas encore terminée.

Nous avons appris – et continuons d’apprendre – sur les modalités du travail virtuel et avons vécu une transition de notre modèle de travail entièrement en présentiel vers un modèle hybride, en tirant parti des possibilités offertes par chacun.

Alors que nous continuons à apprendre sur le pouvoir et l’efficacité de nos actions de plaidoyer dans la tension créée entre le travail en présentiel et le travail virtuel, notre objectif est d’adopter un modèle qui nous permette de réfléchir collectivement et de manière créative aux ripostes que la société civile peut organiser face aux inégalités croissantes dont souffrent les communautés avec lesquelles nous travaillons, en vue de définir le type d’organisation que nous serons à moyen terme, en nous appuyant sur nos acquis en matière de pandémie.

Celle-ci a conditionné la manière dont nous planifions nos actions. Elle a confirmé la nécessité de faire preuve de flexibilité en fonction des circonstances, tant en ce qui concerne les questions qui touchent les communautés défavorisées avec lesquelles nous travaillons, que les stratégies de plaidoyer nécessaires pour remédier à ces inégalités.

 

Owen Tudor, de la Confédération syndicale internationale, se projette dans la prochaine situation d’urgence et tire les enseignements politiques qui doivent être appliqués dès maintenant pour atténuer l’inconfort entraîné par de futures crises :

Comme la manière d’opérer des êtres humains continue de dégrader l’environnement, nous savons qu’il y aura d’autres pandémies, qui représentent une menace à l’origine de tensions mondiales qui aboutissent de plus en plus à des solutions militaires, à la fermeture des frontières et au rétrécissement de l’espace pour la société civile et la démocratie. Pour éviter que la prochaine pandémie ne soit encore pire que celle de la COVID-19, il faudra notamment consacrer davantage de ressources à des services de santé publique de qualité, investir davantage dans l’économie des soins, et faire de la santé et de la sécurité sur le lieu de travail un droit humain fondamental.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Les gouvernements doivent s’associer à la société civile pour élaborer et mettre en œuvre des plans de redressement en cas de pandémie qui remédient aux injustices et aux inégalités mises en évidence et aggravées par la pandémie.
  • Les bailleurs de fonds doivent soutenir le développement de capacités flexibles et d’adaptation de la société civile, lesquelles ont permis une riposte efficace à la pandémie.
  • Les OSC doivent continuer à explorer des méthodes de travail hybrides qui exploitent les avantages des approches conventionnelles et des nouvelles méthodes développées pendant la pandémie.
Nous remercions toutes les personnes interrogées dont les contributions ont alimenté ce document : militant anonyme de la société civile, Burundi ; Gala Díaz Langou, Centro de Implementación de Políticas públicas para la Equidad y el Crecimiento (CIPPEC) (« Centre pour la mise en œuvre de politiques publiques d’équité et de croissance »), Argentine ; Elif Ege, Mor Çatı, Turquie ; Wendy Figueroa, National Network of Shelters, Mexique ; Michael Kaiyatsa, Centre for Human Rights and Rehabilitation ; Malawi ; Krisztina Kolos Orbán, Transvanilla Transgender Association, Hongrie ; Sebastián Pilo, Asociación civil para la Igualdad y la Justicia (ACIJ), Argentine ; Amali Tower, Climate Refugees ; Owen Tudor, Confédération syndicale internationale ; Tsubasa Yuki, Moyai Support Centre for Independent Living, Japon. Toutes les citations des entretiens sont des extraits édités.

Photo de couverture par Tamara Merino/Bloomberg via Getty Images