L’avis consultatif de la Cour internationale de justice sur le changement climatique marque une avancée historique dans la reconnaissance du changement climatique comme une question relevant des droits humains, et dans l’établissement des obligations des États en matière de prévention des dommages climatiques. C’est une victoire pour la société civile, puisque cette avancée a commencé lorsque de jeunes militants pour le climat des îles du Pacifique ont exhorté leurs gouvernements à saisir la Cour. Elle fait suite à une décision similaire de la Cour interaméricaine des droits de l’homme, et ces deux décisions donneront un nouvel élan aux efforts de la société civile pour recourir aux tribunaux afin de tenir les États et les entreprises responsables de leurs manquements en matière de climat. L’ère de l’impunité climatique touche peut-être à sa fin.

Ce qui a commencé avec 27 étudiants en droit dans une salle de classe d’une île du Pacifique a conduit la plus haute juridiction mondiale à rendre une décision sans précédent, qui pourrait bien transformer l’action climatique mondiale.

Le 23 juillet, la Cour internationale de justice (CIJ), la plus haute juridiction des Nations unies (ONU), a rendu son avis consultatif sur les obligations des États en matière de climat. Cet avis fait suite à une résolution de l’Assemblée générale des Nations unies adoptée en mars 2023, qui demandait à la Cour de clarifier, au regard du droit international, ce que les États doivent faire pour répondre au changement climatique et quelles sont les conséquences juridiques de leur inaction.

Les 15 juges de la Cour ont adopté l’avis consultatif à l’unanimité : ce n’est que la cinquième fois en près de 80 ans d’existence de la Cour que cela se produit. L’affaire a suscité une participation sans précédent à la CIJ, avec 91 déclarations écrites et 62 commentaires écrits soumis par des États et des organismes internationaux, et 96 États et 11 organisations internationales qui ont pris part aux audiences publiques tenues en décembre dernier.

Le résultat de ce processus est une décision on ne peut plus claire. La Cour a statué que les États ont l’obligation légale de prévenir les dommages environnementaux importants. Cela les oblige à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre et à s’adapter au changement climatique. Les pays du Nord, qui sont historiquement les plus gros émetteurs, ont une responsabilité particulière dans la réduction des émissions. La Cour a soutenu l’exigence de l’Accord de Paris selon laquelle les États doivent élaborer des plans climatiques de plus en plus ambitieux pour limiter le réchauffement global à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Les États ont également le devoir de coopérer entre eux pour atteindre les objectifs climatiques.

Fait crucial, la Cour a rejeté les arguments selon lesquels les États ne peuvent être tenus responsables des dommages climatiques au motif que leur contribution spécifique ne peut être calculée. Tout manquement aux obligations climatiques constitue un acte intentionnellement fautif, créant une obligation d’indemnisation ou d’autres formes de réparations. Cela inclut le fait de ne pas prendre les mesures nécessaires pour prévenir les dommages climatiques et s’applique à la production et à la consommation de combustibles fossiles, aux licences d’exploration, aux subventions pour les énergies fossiles et aux insuffisances dans la régulation du secteur privé.

La Cour a fondé son avis sur le droit international établi et contraignant, allant bien au-delà des accords sur le climat. Ce faisant, elle a rejeté les arguments des États à fortes émissions, notamment la Chine, l’Arabie saoudite, le Royaume-Uni et les pays de l’Union européenne, qui soutenaient que la Cour ne devait tenir compte que des traités relatifs au climat pour déterminer les obligations des États. La décision de la Cour établit clairement que le changement climatique est une question relevant des droits humains, car le droit à un environnement propre, sain et durable est essentiel pour l’accès à tous les autres droits humains.

La reconnaissance, par la Cour, des émissions de combustibles fossiles comme une cause majeure de la crise climatique, vient confirmer une réalité que les États pétroliers et le puissant lobby des combustibles fossiles tentent depuis longtemps d’occulter : il a fallu attendre le 28e sommet annuel sur le climat pour que les États reconnaissent collectivement la nécessité de réduire les émissions liées aux combustibles fossiles, et les réunions suivantes n’ont pas été plus loin. Le tabou doit désormais être définitivement brisé.

Le triomphe de la société civile

L’affaire a été portée devant la Cour par un groupe d’États insulaires du Pacifique, mené par le gouvernement de Vanuatu, qui est devenu un acteur de premier plan à l’échelle mondiale dans la lutte pour la justice climatique. Les îles du Pacifique sont en première ligne face à l’injustice climatique : elles n’ont pratiquement rien fait pour provoquer le changement climatique, ne contribuant qu’à une fraction infime des émissions des pays du Nord, mais elles en subissent de plein fouet les impacts. Dans le cas des nations de faible altitude comme Tuvalu, cela signifie qu’elles doivent se préparer à une perte catastrophique de territoire en raison de la montée du niveau de la mer.

Cet avis consultatif marque une victoire pour les États insulaires du Pacifique sur la scène internationale, mais c’est aussi un progrès qui est né de la société civile. En 2019, des groupes d’étudiants de huit pays insulaires du Pacifique ont formé le réseau Étudiants des îles du Pacifique contre le changement climatique, avec l’objectif explicite de convaincre leurs gouvernements de porter devant l’ONU une résolution demandant un avis consultatif à la CIJ. Ils ont mobilisé leurs gouvernements pour obtenir leur adhésion, et la résolution des Nations unies a finalement été soutenue par 132 États, soit une écrasante majorité. Ils ont prouvé que la société civile peut avoir un impact réel, même lorsqu’elle vise haut.

Une autre décision majeure dans les Amériques

La décision de la CIJ est très similaire à celle rendue en juillet par la Cour interaméricaine des droits de l’homme (Cour IDH). Le Chili et la Colombie ont demandé un avis consultatif sur l’urgence climatique et les droits humains en janvier 2023. Le processus a suscité une participation sans précédent, avec plus de 220 groupes de la société civile qui ont soumis des contributions. À l’instar de la décision de la CIJ, les conclusions sont tout ce que les militants pour le climat espéraient.

Tout comme la CIJ, la Cour IDH a reconnu que les populations ont droit à un climat sain et stable. Cela signifie que les États doivent prendre des mesures pour prévenir et s’adapter au changement climatique, réparer les dommages causés et réglementer les entreprises responsables des atteintes au climat. Ils doivent élaborer des plans plus ambitieux, contraignants et transparents dans le cadre de l’Accord de Paris.

Reflétant la nature inclusive du processus qui a conduit à cette décision, l’avis de la Cour indique également que les États doivent associer les groupes particulièrement touchés, tels que les femmes et les peuples autochtones, à leurs décisions en matière de climat. De nombreuses propositions de la société civile sont reprises dans la décision, comme la création de tribunaux spécialisés pour traiter des affaires climatiques et la mise en place de formations judiciaires sur les enjeux climatiques.

Des voix en première ligne

Manuel Páez Ramírez est coordinateur de la Clinique juridique Espeletia à l’Université Externado de Colombie.

 

L’élément le plus révolutionnaire est la reconnaissance du droit à un climat sain et stable en tant que droit autonome, ce qui renforce l’obligation des États de protéger le système climatique mondial. Jusqu’à présent, de nombreux juges ont remis en question la force juridique des engagements climatiques. Cet avis change le paysage de l’action climatique en reliant les déclarations de l’ONU, du système européen et des tribunaux nationaux, aux droits protégés par la Convention américaine relative aux droits de l’homme. Il établit des obligations spécifiques, dont la violation peut entraîner une responsabilité internationale.

La Cour a défini les « dommages climatiques » comme tout impact sur le système climatique auquel un État a contribué au-delà de ses frontières. Pour prévenir ces dommages, elle a ordonné la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l’élaboration de stratégies d’atténuation et la réglementation stricte des entreprises qui dégradent l’environnement.

Une idée essentielle est que les États doivent agir avec une « diligence renforcée » lorsqu’ils préviennent et identifient les risques et prennent des mesures préventives, même dans les scénarios les plus défavorables. Ils doivent également surveiller en permanence leurs politiques afin d’éviter de créer de nouvelles vulnérabilités.

 

Il s’agit d’un extrait de notre conversation avec Manuel. Lisez l’entretien complet (en anglais) ici.

Une dynamique internationale se met en place

Le plaidoyer de la société civile a contribué à créer une dynamique croissante sur la scène internationale ces dernières années. En 2024, le Tribunal international du droit de la mer a rendu sa première décision liée au climat déclarant que les gaz à effet de serre absorbés par les océans constituent une pollution marine. Cette décision a ouvert de nouvelles perspectives en exigeant aux États de contrôler et de réduire leurs émissions dans le cadre de la lutte contre la pollution. Cette décision a créé un précédent important, qui s’est reflété dans les décisions de la CIJ et de la Cour IDH, en établissant que les États ont des obligations climatiques qui vont au-delà de l’Accord de Paris.

L’année 2024 a également vu l’adoption par l’Union européenne de sa directive sur le devoir de diligence en matière de durabilité des entreprises, qui vise à protéger les droits humains et l’environnement tout en répondant au changement climatique. Elle exige que les grandes entreprises s’alignent sur les objectifs de l’Accord de Paris. La société civile a joué un rôle majeur dans la campagne en faveur de cette directive, qui ouvre la possibilité aux groupes de la société civile d’intenter des actions en justice contre les entreprises qui ne la respectent pas.

D’autres bonnes nouvelles pourraient arriver avant la fin de l’année, avec l’avis consultatif attendu de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples sur les obligations climatiques des États. Contrairement à la CIJ et à la Cour IDH, la société civile, en plus des États, peut demander des avis consultatifs à la Commission africaine. Ce processus a été lancé par l’Union panafricaine des avocats, avec le soutien d’organisations climatiques, environnementales et de jeunesse. Une décision favorable donnerait un nouvel élan aux efforts de la société civile pour demander des comptes aux États et aux entreprises.

Les litiges climatiques, un domaine en pleine expansion

Bien que les avis consultatifs de la CIJ et de la Cour IDH ne soient pas juridiquement contraignants, leur portée est considérable. Leur raisonnement influence d’autres procédures judiciaires, ce qui est important car la société civile saisit de plus en plus les tribunaux pour demander des comptes aux gouvernements et aux entreprises sur les impacts climatiques. Près de 3 000 procès ont été recensés depuis le début des litiges climatiques, dans près de 60 pays.

La société civile a remporté quelques victoires historiques. En avril 2024, KlimaSeniorinnen Schweiz, un groupe de femmes âgées suisses, a obtenu gain de cause devant la Cour européenne des droits de l’homme, créant ainsi un précédent pour 46 États européens. Ce groupe a réussi à faire valoir que les droits des femmes à la vie familiale et à la vie privée étaient violés parce que le gouvernement n’en faisait pas assez pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.

Les litiges climatiques ont dépassé leur cadre historique en Europe et en Amérique du Nord. La société civile se mobilise de plus en plus et remporte des victoires ailleurs. En août dernier, la Cour constitutionnelle sud-coréenne a jugé que l’absence d’objectifs clairs de réduction des émissions violait les droits constitutionnels des jeunes, et a ordonné au gouvernement de modifier la loi. La même année, dans une affaire portée devant les tribunaux par un défenseur de l’environnement, la Cour suprême indienne a statué que les citoyens ont un droit fondamental à être protégés contre les effets néfastes du changement climatique. Les actions en justice se poursuivent : en Nouvelle-Zélande, des groupes de la société civile ont récemment déposé un recours devant la Cour suprême contre les plans climatiques révisés de leur gouvernement, qui accordent moins d’importance à la réduction des émissions au profit de mécanismes de compensation décriés.

La décision de la Cour IDH et, espérons-le, celle de la Commission africaine, pourraient déclencher une nouvelle vague de litiges climatiques en Afrique et dans les Amériques. La décision de la CIJ, en particulier, servira certainement de base à de nombreuses actions en justice, et les tribunaux nationaux comme internationaux trouveront sans doute ses arguments convaincants. Elle donnera un élan important aux actions en justice pour le climat, à un moment où les entreprises et les groupes climatosceptiques intentent également des poursuites judiciaires pour tenter de réduire au silence la société civile.

La décision de la CIJ offre de nouvelles perspectives, par exemple pour poursuivre les États qui élaborent des plans d’action nationaux peu ambitieux dans le cadre de la série de mises à jour en cours en vue du prochain sommet sur le climat, la COP30. Elle ouvre la voie à la société civile pour intenter des poursuites en justice pour violation d’autres traités relatifs aux droits humains, au-delà de ceux qui concernent le climat.

Les États les plus touchés par les effets du changement climatique pourraient désormais engager des actions légales devant la CIJ contre les États à fortes émissions, notamment pour leur incapacité à réglementer les entreprises du secteur des énergies fossiles. Alors que les États riches tardent à fournir les financements nécessaires à la transition vers des économies à faibles émissions, à l’adaptation au changement climatique et à la compensation des pertes et dommages causés, la reconnaissance par la CIJ que les États qui manquent à leurs obligations doivent verser des réparations offre l’espoir de faire respecter le principe du pollueur-payeur.

La CIJ et la Cour IDH ont établi que le climat est une question de droits humains et que l’inaction constitue une atteinte à ces droits. Ces décisions devraient stimuler une nouvelle ère de litiges climatiques, promettant la fin de l’impunité climatique. La société civile, qui a joué un rôle majeur dans l’aboutissement de ces décisions, ne manquera pas de saisir cette opportunité.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Les tribunaux internationaux et nationaux devraient tenir pleinement compte de l’avis consultatif de la Cour internationale de justice (CIJ) dans leurs décisions relatives aux litiges liés au climat.
  • La société civile internationale devrait soutenir les litiges relatifs aux droits humains et au climat dans les pays du Sud, notamment en partageant ses capacités et en offrant un soutien juridique pro bono.
  • La Commission africaine des droits de l’homme et des peuples devrait tenir compte des récentes décisions judiciaires sur le climat lorsqu’elle rendra sa décision sur les obligations climatiques des États.

Pour toute demande d’entretien ou pour plus d’informations, veuillez contacter research@civicus.org

Photo de couverture par Marta Fiorin/Reuters via Gallo Images