Climat : aucune avancée majeure lors des pourparlers de Bonn
Les négociations climatiques annuelles de mi-parcours à Bonn, en Allemagne, avaient pour objectif de préparer le terrain pour le prochain sommet mondial sur le climat, la COP30, qui se tiendra au Brésil en novembre prochain. Mais elles n’ont pas permis de parvenir à un accord sur de nombreuses questions, les États restant bloqués sur l’insuffisance des financements pour faire face au changement climatique. Par ailleurs, la plupart des États n’ont toujours pas présenté de plans plus ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre requis cette année, et ceux qui ont été proposés sont largement insuffisants. Après trois décennies de négociations climatiques infructueuses, la société civile appelle à une réforme visant à rendre les négociations plus ouvertes et transparentes, et davantage axées sur la mise en œuvre et la responsabilité au-delà des engagements pris.
Alors que l’Europe suffoquait sous une vague de chaleur meurtrière qui a fait plus de 1 500 morts, les négociateurs du climat réunis à Bonn, en Allemagne, concluaient deux semaines de discussions largement infructueuses. Les deux premiers jours de leur rencontre ont été consacrés à des querelles sur l’ordre du jour. Après trois décennies de diplomatie climatique, le contraste entre l’accélération de la réalité du dérèglement climatique et la lenteur glaciale des négociations internationales est de plus en plus difficile à ignorer.
Les pourparlers de Bonn s’inscrivent dans le cycle multilatéral annuel qui mène au sommet mondial sur le climat, la Conférence des Parties (COP) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. À la mi-année, les États se réunissent pour tenter d’élaborer des projets d’accords qui seront finalisés lors de la COP de fin d’année. La 30e COP aura lieu au Brésil en novembre prochain.
Les pourparlers de Bonn ont eu lieu à un moment particulièrement tendu. Le président américain Donald Trump a annoncé le retrait des États-Unis de l’Accord de Paris dès son premier jour au pouvoir en janvier, ce qui explique l’absence du gouvernement américain à Bonn. Trump a également démantelé le système d’aide internationale des États-Unis, mettant fin à la quasi-totalité du financement américain en faveur du climat, laissant la société civile et les États bénéficiaires se démener pour trouver des alternatives.
Si les coupes budgétaires des États-Unis sont les plus importantes, elles ne sont pas les seules : la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni comptent parmi les autres états ayant annoncé un recul de leurs engagements en matière d’aide au développement.
Plus largement, la notion d’un ordre international fondé sur des règles, dans lequel les États négocient de bonne foi pour résoudre les problèmes mondiaux et respectent ensuite ces règles, est soumise à des attaques sans précédent. Trump a placé une logique transactionnelle au cœur des relations internationales des États-Unis. Des régimes autoritaires tels que la Chine et la Russie poursuivent leurs propres intérêts, notamment en ignorant les traités et les lois internationales sur les droits humains. Dans de nombreux pays, des politiciens nationalistes et populistes ont accédé au pouvoir et gagné en importance, promettant de prioriser leurs intérêts nationaux restreints et adoptant bien souvent un discours climatosceptique, allant jusqu’à déroger aux engagements climatiques et augmenter l’extraction des combustibles fossiles.
Les plans de réduction des émissions sont insuffisants
Ces réalités géopolitiques surviennent alors que cette année est censée marquer une étape clé dans l’action contre les émissions de gaz à effet de serre. L’accord de Paris de 2015 a établi un mécanisme de révision progressive qui oblige les États à présenter tous les cinq ans des plans de réduction des émissions de plus en plus ambitieux. La date limite pour la présentation des nouveaux plans (contributions déterminées au niveau national, ou CDN) visant à réduire les émissions d’ici 2035 était fixée au 10 février. Il est choquant de constater que 95% des États ne l’ont pas respectée.
Ce retard montre que la plupart des États ne considèrent pas qu’il y ait urgence à réduire les émissions. Beaucoup attendent probablement de voir ce que feront d’abord les principaux émetteurs comme la Chine, l’Inde et l’Union européenne (UE). Dans un contexte instable où les États doivent aussi composer avec les conséquences des politiques tarifaires imprévisibles de Donald Trump, il semble peu probable qu’ils se montrent ambitieux.
Les États ont jusqu’à fin septembre pour soumettre leurs CDN avant la COP30. Ces retards sont préoccupants, car une publication anticipée des plans permettrait aux militants pour le climat d’évaluer l’écart entre les promesses faites et les efforts réellement nécessaires, et de plaider pour d’avantage d’ambition.
Ce qui a été présenté jusqu’à présent n’a rien de rassurant. En octobre dernier, le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE) a déclaré qu’un « bond en avant » en matière d’ambition était nécessaire pour maintenir le réchauffement mondial en dessous de 1,5°C par-rapport aux niveaux préindustriels, la limite haute fixée par l’Accord de Paris. Mais la plupart des nouvelles CDN, notamment celles du Brésil, du Canada, du Japon, de la Suisse et des Émirats arabes unis (EAU), ne sont pas assez ambitieuses pour atteindre cet objectif et ne mettent pas suffisamment l’accent sur l’élimination progressive des combustibles fossiles. Parmi les principaux émetteurs historiques, seul le nouveau plan du Royaume-Uni se montre à la hauteur même si le gouvernement actuel doit rattraper le retard pris par son prédécesseur.
Les écueils du nouveau plan de l’UE
L’Union Européenne, qui regroupe plusieurs grands émetteurs historiques, n’a pas encore présenté de nouvelle CDN. Elle a toutefois récemment franchi une étape en annonçant des objectifs de réduction des émissions pour 2040, qui visent une réduction nette de 90%. Cependant, ce plan qui doit encore être adopté par les États membres et le Parlement européen, a été retardé et montre tous les signes d’un compromis, dans un bloc qui s’est déplacé vers la droite et s’est moins concentré sur le climat.
Plus inquiétant encore, les objectifs prévoient la possibilité de recourir aux crédits carbone, censés compenser les émissions persistantes en finançant des projets comme la reforestation ailleurs. Or, de nombreux programmes de crédits carbone surestiment leur impact réel. En 2023, plus de 90% des crédits carbone issus de la forêt tropicale, approuvés par un des principaux organismes de certification, se sont avérés n’entraîner aucune réduction réelle des émissions. La société civile multiplie les actions en justice pour dénoncer ces manquements.
Les crédits carbone constituent également un moyen d’échapper à leurs responsabilités : au lieu de modifier leurs comportements néfastes, les États historiquement responsables du changement climatique semblent croire qu’ils peuvent externaliser la solution vers les pays du Sud.
Les nouvelles CDN sont censées s’inspirer du « bilan mondial » réalisé lors de la COP28, qui a évalué les efforts déployés jusqu’à présent pour lutter contre le changement climatique. Ce bilan a conclu que les États ne réduisent pas leurs émissions assez rapidement, que les pays du Nord ne fournissent pas un soutien financier suffisant, et que les États n’ont pas prévu de mesures adéquates pour faire face aux effets du changement climatique.
Le bilan mondial a conduit à un engagement pris lors de la COP28 de sortir des énergies fossiles, de tripler les capacités mondiales en énergies renouvelables et de multiplier par deux la vitesse des progrès en efficacité énergétique d’ici 2030. Mais depuis, aucun plan détaillé de transition énergétique n’a été élaboré. Aucun progrès n’a été réalisé lors de la COP29 ni lors de la récente réunion de Bonn. Cela soulève le risque que la COP30 n’aboutisse à aucune avancée concernant la sortie des énergies fossiles.
Impasse sur le financement
Les négociations de Bonn n’ont guère abouti malgré un agenda chargé, ce qui laisse présager que la COP30 sera la dernière d’une série de sommets climatiques décevants. Les trois dernières COP se sont tenues dans des États profondément répressifs, où l’espace civique est restreint, et les deux dernières dans des pays où l’extraction de pétrole et de gaz domine l’économie : l’Azerbaïdjan en 2024, les Émirats arabes unis en 2023 et l’Égypte en 2022. A chacun de ces sommets, la société civile a eu du mal à accéder aux délégations et à influencer les négociations.
La COP27 s’est enfin engagée à créer un fonds destiné à indemniser les pays du Sud pour les pertes et les dommages causés par le changement climatique, principalement dus aux émissions des pays du Nord. Mais ce fonds reste largement sous-financé, avec seulement 768 millions de dollars américains promis à ce jour. C’est une somme dérisoire compte tenu de l’ampleur des impacts du changement climatique : rien qu’un seul type d’impact, à savoir les phénomènes météorologiques extrêmes qui deviennent plus probables et plus fréquents à cause du changement climatique, a coûté à l’économie mondiale plus de 2 000 milliards de dollars américains au cours de la dernière décennie.
La COP28 a enfin reconnu la nécessité de sortir des énergies fossiles, une mention qui avait été écartée des accords précédents sous la pression du lobby des énergies fossiles. Le bilan mondial a finalement rendu cette conclusion inévitable, mais même dans ce contexte, le texte final a été édulcoré sous la pression des pays pétroliers tels que l’Arabie saoudite.
La COP29 s’est ensuite concentrée sur le financement nécessaire pour permettre aux pays du Sud de passer à des économies à faibles émissions de carbone et de s’adapter aux effets du changement climatique. Mais elle s’est soldée par un écart annuel de 1 000 milliards de dollars entre les besoins réels et les engagements des États.
L’un des principaux sujets de discorde autour de l’agenda de Bonn était la tentative de nombreux États du Sud de réintroduire la question du financement au cœur des négociations, y compris celle du financement de l’adaptation. Ces pays accusent les États du Nord de financer leur propre adaptation, mais de ne pas fournir un soutien mondial suffisant. Ce désaccord a dominé les débats de la réunion sur l’objectif mondial d’adaptation, empêchant toute évolution claire, et a également bloqué les avancées sur l’adoption des plans nationaux d’adaptation, qui devaient pourtant être finalisés lors de la COP29.
Les tensions autour du financement continueront d’alimenter les débats, avec des lignes de fracture nettes entre le Nord et le Sud. Et pourtant, malgré tous les différends sur le financement climatique, les États continuent de trouver des fonds pour leurs dépenses militaires, qui ont atteint 2 700 milliards de dollars américains dans le monde en 2024 et qui ne cesseront d’augmenter.
La société civile appelle à repenser le financement et à promouvoir des options jusqu’ici écartées, telles que la redistribution de l’immense richesse générée par l’industrie fossile destructrice. Le secteur pétrolier et gazier a réalisé des bénéfices moyens de 2,8 milliards de dollars par jour au cours des cinq dernières décennies, n’investissant qu’une fraction de cette somme dans des énergies alternatives. Cette richesse lui confère un pouvoir de lobbying considérable : au moins 1 773 lobbyistes du secteur des énergies fossiles se sont inscrits à la COP29. Une taxe sur les extractions pourrait commencer à mettre cette richesse au service de la transition et permettre de collecter 900 milliards de dollars d’ici 2030.
L’appel à la réforme
La COP30 au Brésil suscite un certain espoir : pour une fois, elle se tiendra dans un pays où l’espace civique est plus favorable et où la société civile est très active. Elle se déroulera dans la ville de Belém, sur le fleuve Amazone, et sera accueillie par un gouvernement désireux de mettre en avant ses engagements écologiques, même si, le mois dernier, l’autorité brésilienne de régulation du secteur pétrolier a annoncé un plan visant à mettre aux enchères des droits d’exploration de 172 projets potentiels, dont 47 dans le bassin amazonien.
Mais même si les écueils récents de la COP sont évités, les processus climatiques présentent des failles fondamentales. Les négociations sont caractérisées par une bureaucratie opaque, des procédures très formelles, des querelles sans fin sur la formulation des textes, et une tendance à reporter les décisions difficiles à des réunions ultérieures. Tout cela est en profond décalage avec l’urgence croissante de la crise climatique. Les ordres du jour se sont alourdis au fil des COP, encombrés par l’héritage des initiatives antérieures, ce qui témoigne davantage d’une volonté d’éviter les décisions difficiles que d’une ambition réelle.
Les négociations multilatérales peuvent être lentes, mais certains États entravent délibérément les progrès. Les États fortement dépendants des industries pétrolières et gazières ont tendance à discuter chaque point aussi longtemps que possible, comme en témoignent les débats interminables à Bonn sur une simple plateforme en ligne. Ces États, opposés à l’action climatique, transforment les négociations en un moyen non pas de résoudre le problème, mais de prolonger un retard fatal. Le fait que la prochaine COP soit la trentième et que les températures continuent de dépasser largement les objectifs fixés, montre que le processus ne fonctionne pas.
La société civile réclame un changement. Les négociations de Bonn ont été accompagnées d’un appel soutenu par plus de 200 groupes de la société civile en faveur d’une réforme urgente des processus climatiques des Nations unies. Cet appel réclame des négociations plus transparentes et une plus grande responsabilité quant aux engagements pris. Il demande que les décisions soient prises à la majorité lorsque le consensus, habituellement requis, ne peut être atteint, afin d’empêcher les États pétroliers de bloquer l’adoption de formulations plus ambitieuses sur les combustibles fossiles. La société civile souhaite que les réunions soient organisées par des États qui ont progressé dans la réalisation de leurs engagements climatiques, qui respectent les libertés civiques et garantissent un véritable espace de participation. Elle exige l’exclusion des lobbyistes des industries fossiles des délégations nationales et la mise en place d’une politique de prévention des conflits d’intérêts.
Les États réellement engagés en faveur du climat devraient soutenir l’appel de la société civile. Ils doivent aussi rester vigilants face au risque d’utiliser l’argument de l’efficacité comme prétexte pour limiter davantage l’accès de la société civile, à un moment où le système onusien réduit ses canaux de participation pour des raisons budgétaires. Toute réforme devrait élargir plutôt que réduire l’espace de participation de la société civile. Encore et encore, la société civile apporte l’ambition et l’innovation nécessaires pour faire face au changement climatique. Un processus climatique efficace doit placer la société civile au cœur des discussions.
Après trois décennies, les dirigeants mondiaux devraient comprendre l’absurdité de poursuivre les processus qui ont permis aux émissions de croître alors que la planète brûle. Ils doivent adopter les réformes indispensables pour transformer les négociations sur le climat en actions concrètes.
NOS APPELS À L’ACTION
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Les processus des COP doivent être réformés afin de se concentrer sur des actions concrètes et sur la responsabilité quant aux engagements pris. Les sommets de la COP doivent se tenir dans des États qui ont démontré leur engagement en faveur de l’action climatique.
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Les États doivent donner la priorité à l’adoption et à la mise en œuvre de plans plus ambitieux pour réduire les émissions de gaz à effet de serre.
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La société civile et les États du Sud doivent maintenir la pression pour obtenir des niveaux adéquats de financement climatique, y compris par le biais de taxes et de prélèvements sur les richesses issues des combustibles fossiles.
Pour toute demande d’entretien ou d’informations complémentaires, veuillez contacter research@civicus.org
Photo de couverture par Marcelo Del Pozo/Reuters via Gallo Images