Un nouvel espoir pour la santé des océans : le traité des Nations unies est sur le point d’entrer en vigueur
Le Traité des Nations unies sur la haute mer a obtenu suffisamment de ratifications pour entrer en vigueur en janvier 2026. Cet accord confère aux États de nouveaux pouvoirs pour créer des zones marines protégées dans les eaux internationales. Il impose la réalisation d’évaluations d’impact environnemental et garantit un partage équitable des ressources génétiques marines. Les petits États insulaires ont montré la voie en ratifiant le traité, mais de nombreuses grandes puissances n’ont pas suivi leur exemple. Après des années de plaidoyer réussi en faveur du traité, la société civile exhorte à davantage de ratifications, mais elle se heurte également à des difficultés pour faire valoir son droit de participer à la mise en œuvre du traité.
Environ 10 % des espèces marines sont menacées d’extinction. La pollution plastique étouffe les récifs, la pêche industrielle détruit les habitats océaniques et l’exploitation minière en eaux profondes représente une menace croissante pour les écosystèmes des fonds marins encore largement méconnus. Les océans couvrent les trois quarts de la surface de la planète. Mais jusqu’à présent, la plupart des activités qui s’y déroulent échappaient au droit international.
Cela changera le 17 janvier 2026, lorsque l’Accord des Nations Unies sur la diversité biologique marine des zones ne relevant pas de la juridiction nationale, connu sous le nom de Traité sur la haute mer, entrera officiellement en vigueur. Le 19 septembre, le seuil crucial de ratification par 60 États vient d’être franchi. Le Maroc et la Sierra Leone ont été les 60e et 61e États à le ratifier, suivis dans la même semaine par le Sri Lanka et Saint-Vincent-et-les-Grenadines.
Salué par les défenseurs de l’environnement comme une étape historique, cet accord donne aux États le pouvoir de créer des zones marines protégées dans les eaux internationales et impose la réalisation d’évaluations d’impact environnemental. Il promet également un partage plus équitable des ressources génétiques marines, ce qui signifie par exemple que les médicaments dérivés d’espèces vivant en eaux profondes devraient bénéficier à tous, et non seulement à une poignée d’entreprises ou d’États.
Ce traité arrive à un moment critique. De nouvelles recherches montrent que les océans du monde ont échoué à un test essentiel de santé planétaire. L’acidification des océans, causée par l’augmentation des niveaux de dioxyde de carbone et ayant des effets potentiellement dévastateurs sur des espèces clés telles que les coraux et les coquillages, a franchi un seuil critique. Elle est devenue la septième des neuf limites planétaires dont dépendent la stabilité et la résilience des systèmes terrestres à avoir été franchie.
🧵New video captures the leadership at “From Nice to New York: Activating the High Seas Treaty!” on the margins of UNGA, where heads of state, ministers, ocean champions from civil society & philanthropy all came together to celebrate the ratification of the #HighSeasTreaty! pic.twitter.com/I8x04H6sIm
— High Seas Alliance (@HighSeasAllianc) September 26, 2025
Principales dispositions
Le Traité sur la haute mer repose sur quatre grands piliers de la gouvernance des océans dans les zones situées au-delà de la juridiction nationale, en créant ainsi un cadre juridique pour protéger la biodiversité marine.
L’un des éléments les plus innovants du traité est l’accent mis sur le partage des ressources génétiques marines. L’accord établit des règles pour partager les avantages financiers et non financiers issus de l’exploitation commerciale de matériel génétique provenant d’organismes marins de haute mer – tels que les bactéries, les coraux et les éponges des grands fonds – qui peuvent être utilisés dans les biotechnologies, les cosmétiques, l’alimentation et les médicaments. Les bénéfices tirés de la biodiversité en haute mer doivent être versés dans un fonds fiduciaire commun, permettant une répartition plus équitable des avantages qu’auparavant.
Les outils de gestion par zone, notamment les aires marines protégées, constituent le pilier de la conservation prévu par le traité. L’accord instaure un mécanisme mondial visant à établir des aires marines protégées dans les eaux internationales grâce à un processus de consultation fondé sur des preuves scientifiques. Les États peuvent soumettre des propositions qui doivent s’appuyer sur les meilleures données scientifiques disponibles, faire l’objet d’une consultation publique et être examinées par un organe scientifique et technique. Les propositions peuvent être adoptées à la majorité des trois quarts des représentants présents et votants lors des réunions, ce qui empêche les États de les bloquer comme cela aurait été le cas si le consensus avait été exigé.
Le traité rend obligatoires les évaluations d’impact environnemental pour les activités susceptibles d’affecter le milieu marin dans les eaux internationales. Les États doivent procéder à des évaluations exhaustives lorsque les connaissances sur les effets potentiels sont insuffisantes. Le traité comprend également des dispositions relatives aux évaluations environnementales stratégiques, qui adoptent une approche plus large et à plus long terme de la protection de l’environnement.
Les dispositions relatives au renforcement des capacités et au transfert de technologies devraient permettre aux États du Sud global de mieux participer à la gouvernance de la haute mer. Le traité oblige les États à fournir un soutien en matière de capacités pour les activités de conservation et d’utilisation durable aux pays du Sud global qui en ont besoin et qui en font la demande. Le transfert de technologies, bien que non obligatoire, doit se faire selon des conditions équitables et mutuellement convenues.
Des décennies de plaidoyer enfin récompensées
Le traité est une véritable victoire de la société civile : il est devenu réalité grâce à plus d’une décennie d’efforts continus.
L’ONU a commencé à s’attaquer aux lacunes en matière de gouvernance des océans en 2004 par le biais d’un groupe de travail ad hoc qui s’est réuni à plusieurs reprises jusqu’en 2011, date à laquelle les États se sont finalement mis d’accord sur quatre domaines clés du traité : les ressources génétiques marines et le partage des avantages, les zones marines protégées, les évaluations d’impact environnemental et le renforcement des capacités pour les pays du Sud global.
Alors que les discussions diplomatiques s’intensifiaient, les organisations de la société civile se sont regroupées au sein de l’Alliance pour la haute mer (High Seas Alliance) afin de coordonner leur action. Fondée en 2011, cette coalition s’est progressivement élargie pour inclure plus de 50 organisations.
Les négociations officielles ont débuté en 2017 et se sont poursuivies au cours de cinq sessions de conférences intergouvernementales entre 2018 et 2023, interrompues par la pandémie de COVID-19. Tout au long de ces négociations, la High Seas Alliance a fourni une expertise technique, a veillé à ce que les gouvernements respectent des normes environnementales ambitieuses et a maintenu la pression pour que des mesures de protection fortes soient adoptées. Le plaidoyer inlassable de la coalition a contribué à garantir que le traité comprenne des dispositions solides pour les zones marines protégées ainsi que des accords significatifs de partage des avantages.
Les mouvements de jeunesse ont insufflé un sentiment d’urgence indispensable aux procédures diplomatiques. GenSea, un mouvement qui rassemble plus de 1 500 défenseurs des océans âgés de 13 à 25 ans dans plus de 100 pays, a porté la voix de celles et ceux qui bénéficieront d’un avenir avec des océans en meilleure santé.
Une fois le texte finalisé en mars 2023, les choses se sont déroulées rapidement dans l‘univers souvent lent de la gouvernance mondiale : le traité a été officiellement adopté en juin 2023, ouvert à la signature trois mois plus tard, et a atteint les 60 ratifications nécessaires pour entrer en vigueur en seulement deux ans.
Le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, a qualifié le franchissement du seuil de ratification « d’accomplissement historique pour l’océan », en soulignant que la santé des océans est celle de l’humanité. Il s’agit également d’une victoire pour le multilatéralisme, à une époque où la notion d’un ordre international fondé sur des règles est de plus en plus contestée.
Les petits États insulaires montrent la voie, mais les grandes puissances sont à la traîne
Les petits États insulaires, où la santé des océans et les impacts climatiques sont des enjeux impossibles à ignorer, ont pris l’initiative de faire entrer le traité en vigueur, les îles Palau étant le premier État à le ratifier en janvier 2024. Mais les schémas de ratification ont révélé de profondes divisions géopolitiques.
À ce jour, 143 États ont signé le traité, ce qui constitue une première étape, mais seuls 73 l’ont ratifié. Le président français Emmanuel Macron avait porté l’objectif des 60 ratifications lors de la troisième Conférence des Nations unies sur l’océan qui s’est tenue à Nice, en France, en juin. Mais malgré le soutien de l’Union européenne, l’appui européen reste inégal et des États influents comme l’Allemagne et le Royaume-Uni n’ont toujours pas ratifié le traité.
L’absence des États-Unis pèse lourdement. Bien que le traité ait été signé sous l’administration Biden, sa ratification est au point mort et semble très improbable avec Donald Trump au pouvoir, d’autant plus que son gouvernement a récemment ordonné l’accélération des procédures d’octroi des permis d’exploitation minière en eaux profondes.
D’autres grands producteurs de combustibles fossiles, notamment l’Iran, la Russie et l’Arabie Saoudite, restent en dehors du cadre puisqu’ils n’ont pas signé le traité. Le Japon non plus. Parmi les pays des BRICS, un groupe de dix grandes économies non occidentales, seule l’Indonésie a ratifié le traité. Les États qui refusent de s’engager pourraient être motivés par une réticence à imposer des limites à l’extraction des ressources ou par un rejet du multilatéralisme, voire les deux.
Des batailles à mener pour la mise en œuvre
L’entrée en vigueur du traité n’est pas une fin en soi, mais plutôt un nouveau départ. Les États disposent désormais d’un peu moins de quatre mois pour se préparer à l’entrée en vigueur du traité en janvier. Fin mars et début avril, une commission préparatoire formulera ses recommandations. Plus tard en 2026, la première conférence des parties devra relever la tâche cruciale de traduire le traité en mesures de protection concrètes et fonctionnelles.
Des actions urgentes sont nécessaires pour atteindre l’objectif de conservation de 30% des océans mondiaux d’ici 2030, adopté par près de 200 États lors du Cadre mondial pour la biodiversité adopté en 2022. Le Chili a pris l’initiative en proposant pour la première fois la création d’une zone internationale entièrement protégée couvrant les crêtes sous-marines de Salas y Gómez et Nazca, un haut lieu de la biodiversité où les scientifiques ont récemment découvert 170 nouvelles espèces marines. D’autres initiatives pourraient suivre. Le Chili est également en concurrence avec la Belgique pour accueillir le secrétariat du traité, ce qui témoigne d’un engagement institutionnel sérieux.
Cependant, des défis majeurs restent à relever. Les questions d’application mettront à l’épreuve les cadres institutionnels dès le premier jour, tandis que la question du financement devient de plus en plus urgente, car les États du Sud global ont besoin d’un soutien financier et de transferts de technologies pour pouvoir participer et en bénéficier pleinement.
De nouvelles lignes de fractures sont apparues lors des récentes réunions préparatoires, certains États souhaitant avoir le pouvoir d’empêcher la société civile, les peuples autochtones et les scientifiques de soumettre des contributions écrites lors des futures conférences. Cela reviendrait à bafouer les engagements du traité en matière de transparence. Les connaissances des communautés autochtones et côtières sont inestimables pour la gestion des écosystèmes marins complexes, mais il faut leur donner une véritable place à la table des négociations.
Par ailleurs, les réalités climatiques accentuent l’urgence, car le réchauffement des océans, l’acidification et l’élévation du niveau de la mer provoquent des effets en cascade qui réduisent la marge de manœuvre pour une intervention efficace. Le seuil de ratification ayant été franchi, il est maintenant temps d’agir.
NOS APPELS À L’ACTION
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Les États qui n’ont pas encore ratifié le Traité sur la haute mer devraient le faire de toute urgence et s’engager à le mettre pleinement en œuvre, notamment en allouant des ressources adéquates.
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Les États doivent créer de nouveaux sanctuaires en haute mer, fermés aux activités humaines extractives et destructrices, sur la base de données scientifiques solides.
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Un plus large éventail d’acteurs de la société civile, en particulier provenant du Sud global, devraient se joindre à la campagne pour plaider en faveur de la ratification et de la mise en œuvre du Traité sur la haute mer.
Pour toute demande d’entretiens ou pour plus d’informations, veuillez contacter research@civicus.org
Photo de couverture par Ed Jones/AFP