Financement du développement : une nouvelle déception mondiale
La récente conférence sur le financement du développement qui s’est tenue à Séville, en Espagne, est loin d’avoir abouti aux propositions de réforme nécessaires pour débloquer les ressources permettant d’atteindre les objectifs climatiques et de développement durable. Son manque d’ambition reflète le fait que la société civile a été largement exclue des processus officiels et n’a donc pas pu faire valoir ses idées pour changer un modèle de développement défaillant, notamment en matière de réforme de la dette et de la fiscalité. Cette réunion est la dernière d’une série de sommets mondiaux qui n’ont pas permis de progrès sur les défis du financement de l’action climatique et du développement durable. L’approche habituelle est un échec, et la société civile continuera à faire campagne pour faire avancer son projet de changement.
Les résultats décevants d’une conférence mondiale ne sont pas un hasard lorsque la participation de la société civile est entravée. Quand les voix les plus marginalisées du monde ne sont pas entendues, les solutions proposées continuent de servir les intérêts des puissants. La quatrième Conférence internationale sur le financement du développement (FFD4), qui s’est tenue à Séville, en Espagne, du 30 juin au 3 juillet, l’a une fois de plus démontré.
La FFD4 avait la tâche difficile de trouver des moyens de combler le fossé entre les engagements mondiaux essentiels, tels que les objectifs climatiques et les 17 objectifs de développement durable (ODD), et les financements disponibles pour les atteindre. Mais à l’issue d’un processus dans lequel la participation de la société civile a été symbolique et marginale, les résultats de la réunion ont été profondément décevants. Ils reflètent une approche défaillante qui privilégie les intérêts commerciaux au détriment des droits de la majorité de la population mondiale.
Une crise d’une ampleur sans précédent
L’ampleur du défi financier ne peut être sous-estimée. Les ODD, un ensemble d’objectifs progressistes visant à améliorer la vie humaine et à protéger la planète, adoptés par tous les États membres des Nations Unies (ONU) en 2015, sont loin d’être atteints. Seuls 16% des objectifs sont en voie d’être atteints d’ici à l’échéance de 2030, alors que le changement climatique a des répercussions quotidiennes et que tout indique que les objectifs visant à limiter la hausse des températures mondiales ne seront pas atteints.
Le financement est un élément important du problème. Pour les ODD, le déficit de financement annuel est estimé entre 2.500 et 4.000 milliards de dollars, tandis qu’il manque 1.000 milliards de dollars par an pour permettre aux pays de passer à une économie à faible intensité de carbone et de s’adapter aux effets du changement climatique.
Le contexte actuel est particulièrement difficile. Avec ses politiques ouvertement transactionnelles, la seconde administration Trump bafoue le concept d’un ordre international fondé sur des règles. Le président américain a fermé ce qui était la plus grande agence d’aide au développement au monde, l’USAID, supprimant ainsi quelque 23 milliards de dollars de financement annuel.
En mars, le gouvernement américain est allé plus loin en déclarant qu’il « rejetait et dénonçait » les ODD, en particulier du fait de l’accent mis sur le climat et le genre. Pour la première fois depuis le début des réunions sur le FFF en 2002, le document final a donc été adopté sans le soutien des États-Unis. Le gouvernement Trump s’est retiré de la réunion, s’opposant aux mécanismes de financement proposés, aux initiatives de l’ONU en matière de dette et même au mot « genre ».
Les États-Unis en sont l’exemple le plus flagrant, mais d’autres pays, dont la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni, réduisent également leurs aides tout en vantant leur multilatéralisme. Ils choisissent de financer la militarisation plutôt que de s’attaquer aux défis mondiaux que sont la pauvreté, l’exclusion et l’injustice. L’influence croissante du populisme nationaliste de droite dans les pays donateurs entraîne un recul du multilatéralisme au profit d’intérêts nationaux étroits.
La société civile : essentielle mais exclue
L’une des principales lacunes du document final de la FFD4 est l’absence de tout engagement explicite en faveur de la protection de l’espace civique. Il s’agit là d’une omission cruciale : plus de 70% de la population mondiale vit dans des pays où l’espace civique est régulièrement réprimé.
Les restrictions imposées à l’espace civique compromettent le rôle essentiel de la société civile dans le développement durable et l’action climatique. Partout dans le monde, des groupes formés par des membres de communautés exclues contestent leur marginalisation. D’autres organisations de la société civile les soutiennent lorsque les gouvernements ne le font pas, ce qui fait une différence cruciale dans la vie des gens. La société civile examine également les décisions et les dépenses en matière de développement, protégeant ainsi contre la corruption, l’inefficacité et les impacts négatifs. Alors que de nombreux pays connaissent une régression démocratique et une évolution vers une gouvernance plus autoritaire, le rôle de surveillance de la société civile devient encore plus crucial, mais aussi beaucoup plus difficile.
L’ODD 17 reconnaît l’importance des partenariats avec la société civile pour atteindre tous les objectifs, tandis que l’ODD 16 souligne la nécessité de respecter les libertés fondamentales, notamment la liberté d’association, d’expression et de réunion pacifique, qui constituent l’espace civique. L’absence d’une mention de la nécessité de respecter l’espace civique dans le texte finale de la FFD4 beaucoup plus difficile la mise en œuvre de ses recommandations.
Voix de la ligne de front
Elena Marmo est responsable du plaidoyer et des campagnes au sein du Réseau Transparence, Responsabilité et Participation (TAP), une coalition internationale de la société civile qui œuvre à la promotion des ODD.
La société civile joue un rôle crucial pour garantir la redevabilité, tant au niveau national que mondial. En apportant les expériences vécues des communautés directement touchées par les décisions politiques, elle contribue à façonner des résultats plus inclusifs et plus équitables. Elle renforce la transparence des finances publiques, en particulier dans les domaines de la budgétisation, des marchés publics et des partenariats public-privé, ce qui permet de réduire la corruption et de garantir que les droits humains sont placés au centre du processus décisionnel. Ces efforts sont souvent menés par les femmes et les personnes issues de groupes exclus, en particulier lorsque les systèmes publics sont défaillants.
Les membres du réseau TAP, tels que l’International Budget Partnership et Transparency International, ont constamment démontré que l’implication au niveau national améliore la transparence et les résultats en matière de développement. Au niveau mondial, la participation de la société civile a permis de garantir que le Programme d’action d’Addis-Abeba de 2015, document final de la troisième Conférence sur le financement pour le développement, mette l’accent sur la responsabilité, l’égalité des sexes et le financement fondé sur les droits.
La société civile doit continuer à se mobiliser autour des questions macroéconomiques et à renforcer la solidarité au-delà des frontières et entre les mouvements. Au sein du TAP, nous travaillons en étroite collaboration avec des alliés tels que CIVICUS pour soutenir cette dynamique. Pour faire avancer ce programme, il est essentiel de documenter les défis et la résilience de la société civile.
Ceci est un extrait édité de notre conversation avec Elena. Lisez l’interview complète (en anglais) ici.
Les entreprises avant les personnes
L’incapacité de la FFD4 à reconnaître l’importance de l’espace civique résulte de l’exclusion de la société civile. Les processus ont écarté les propositions de modification de l’ordre du jour de la conférence et des discussions préparatoires sur le document final, ce qui a suscité une protestation des groupes de la société civile lors du dernier jour de la réunion.
La société civile a néanmoins fait tout son possible pour faire entendre sa voix. Les organisations féministes ont été très actives et ont réussi à s’opposer à la suppression de toute référence au genre dans le texte final. La déclaration finale du Forum de la société civile, qui a rassemblé plus d’un millier de personnes avant la réunion officielle, a clairement indiqué que la société civile dispose d’un plan crédible pour corriger le modèle de développement actuellement défaillant et l’architecture financière mondiale, notamment par des réformes des régimes de la dette et de la fiscalité.
Si la société civile avait des idées, elle n’a pas réussi à se faire entendre. Malgré toutes les preuves de l’échec de l’approche habituelle, la réunion n’a pas rompu avec les politiques défaillantes. Les États du Nord global, en particulier, restent réticents aux changements qui pourraient remettre en cause leur pouvoir et leurs privilèges.
Alors que la société civile était exclue, le secteur privé a été accueilli avec tous les honneurs. Dans les « espaces multipartites », les participants non gouvernementaux étaient généralement des représentants d’entreprises et des philanthropes privés. Le Forum international des entreprises a joué un rôle particulièrement important, les dirigeants nationaux étant encouragés à y participer. Refusant de prendre en compte les idées de la société civile, les États ont misé sur le financement du secteur privé. Mais cela s’accompagne de pressions en faveur de la libéralisation des régimes fiscaux et de l’assouplissement des réglementations commerciales, avec des conséquences contraires aux ODD, notamment en matière de droits du travail et de normes climatiques, environnementales et relatives aux droits humains.
Un plan pour le changement
La société civile maintiendra la pression en faveur d’une réforme systémique, car c’est une nécessité. Malgré toutes ses imperfections, l’ONU reste le seul espace où tous les États peuvent coopérer sur un pied d’égalité pour résoudre les problèmes mondiaux. Si l’expérience frustrante de Séville a eu un effet, c’est bien celui de renforcer la conviction et la détermination de la société civile à faire avancer son programme de changement.
La justice fiscale est l’une des questions clés. Une fiscalité plus équitable permettrait à ceux qui ont le plus de moyens de contribuer davantage au développement durable. La lutte contre l’évasion fiscale, qui coûte actuellement environ 492 milliards de dollars par an, permettrait de libérer d’énormes ressources.
Au cœur de la campagne figure l’appel à une convention fiscale mondiale. Le régime fiscal mondial est depuis longtemps sous le contrôle de fait de l’Organisation de coopération et de développement économiques, un club de 38 économies riches, régulièrement accusé de fixer des règles qui favorisent les pays riches et de ne pas en faire assez pour lutter contre la faible imposition des entreprises et l’évasion fiscale. Toutefois, en 2022, l’Assemblée générale des Nations unies a approuvé une proposition des États africains visant à entamer des négociations pour l’élaboration d’une convention, malgré la forte opposition des pays du Nord.
Le traité devrait être conclu d’ici 2027, mais le chemin sera difficile. Le gouvernement américain s’est retiré des négociations en février, exhortant les autres pays à faire de même. Aucun n’a encore suivi, mais un groupe d’États puissants et riches, dont l’Australie, le Canada, Israël, le Japon et le Royaume-Uni, cherche à bloquer le consensus. Jusqu’à présent, les négociations ont porté sur des questions de procédure, mais lorsque les discussions de fond commenceront lors du prochain cycle de négociations en août, la société civile s’efforcera de faire avancer la convention, notamment en menant des actions de sensibilisation auprès des États non engagés et en renforçant la compréhension et le soutien du public.
La société civile réclame également l’instauration d’impôts sur la fortune. Ces idées sont populaires auprès du public dans de nombreux pays, mais les gouvernements y sont largement réticents, alors même que les inégalités économiques s’accentuent et que la fortune des élites atteint des niveaux sans précédent. Les impôts sur les plus riches ont diminué au cours des dernières décennies et, en 2024, les 2.769 milliardaires du monde ont vu leur fortune augmenter de 2.000 milliards de dollars, soit environ 5,7 milliards de dollars par jour. On estime que les impôts sur la fortune pourraient rapporter 2.100 milliards de dollars par an, ce qui comblerait en grande partie le déficit de financement des ODD.
La dette est un autre enjeu majeur. Les pays du Sud sont aux prises avec un endettement colossal, qui s’est aggravé avec la pandémie de COVID-19. Ils doivent la somme astronomique de 29.000 milliards de dollars aux banques de développement, à d’autres pays et à des institutions privées, généralement à des conditions beaucoup plus dures que celles dont bénéficient les pays du Nord. Lorsque le remboursement de la dette devient prioritaire, les progrès auxquels l’aide est censée contribuer sont compromis.
Les pays du Sud paient chaque année environ 50 milliards de dollars de plus en remboursements de dette qu’ils ne reçoivent en aide des pays du Nord, tandis que 3,3 milliards de personnes vivent dans des pays où l’État consacre plus à la dette qu’à l’éducation ou à la santé. La dette enferme les pays dans un cycle d’impuissance et de pauvreté. Mais les puissants États créanciers ont supprimé tout texte ambitieux sur la dette du projet d’accord de la FFD4. La société civile réclame une convention des Nations unies sur la dette souveraine afin de promouvoir des politiques visant à annuler, restructurer et limiter la dette.
La société civile plaide également en faveur d’une convention internationale sur le développement afin de rendre l’aide cohérente, équitable, juste et prévisible, une autre recommandation ignorée par la FFD4. Les échecs actuels montrent que la coopération internationale doit être renforcée, et non pas réduite, et qu’une convention établissant des normes de développement inclusives et justes et conférant à l’ONU un rôle de coordination plus important pourrait changer la donne.
Cette convention devrait fixer des normes de développement équitables et inclusives, renforcer la coordination des Nations unies et inscrire le droit au développement et les objectifs d’aide dans le droit international. Elle pourrait permettre des initiatives telles que la Global Public Investment, dans le cadre duquel les États fournissent des ressources prévisibles pour respecter les engagements internationaux communs. Si elle était élaborée avec une forte participation de la société civile, il n’y aurait aucune contradiction entre une convention mondiale et la nécessité d’un développement mené localement. Au contraire, la convention fixerait des normes mondiales pour garantir que les décisions en matière de développement soient adaptées aux besoins locaux plutôt que définies par les priorités de plus en plus étroites des bailleurs de fonds.
La réunion a également évité la question de la réforme fondamentale des institutions financières internationales, en particulier le Fonds monétaire international et la Banque mondiale, comme les appels à les intégrer pleinement dans le système des Nations unies. Depuis leur création après la Seconde Guerre mondiale, ces institutions sont contrôlées par les pays du Nord et ont toujours imposé des conditions de financement qui affaiblissent les services publics et aggravent les inégalités économiques, à l’opposé des objectifs de développement durable. Il s’agit là d’un autre problème majeur qui ne disparaîtra pas, tout simplement parce que les gouvernements puissants ne veulent pas s’y attaquer.
L’heure de la démocratie
Quelques avancées positives mineures ont été enregistrées, comme l’engagement de certains États, dont la Barbade, la France, le Kenya et l’Espagne, à taxer les jets privés afin de contribuer à la lutte contre le changement climatique. Mais la FFD4 s’est contentée de mesures essentiellement techniques et de solutions cosmétiques qui ne résolvent pas les problèmes fondamentaux.
Le texte final est truffé de promesses de consultations, de discussions et d’échanges supplémentaires, qui peuvent être un moyen d’éviter de prendre des décisions. Il s’agit d’un programme moins ambitieux que celui convenu lors des réunions précédentes.
Il ne s’agit pas d’un échec isolé. Il y a bel et bien une tendance générale des sommets internationaux à ne pas aborder la question du financement. La FFD4 a été précédée par le cycle annuel de négociations sur le climat à Bonn, en Allemagne, en préparation du prochain sommet mondial sur le climat, la COP30, qui se tiendra au Brésil en novembre prochain. Le sommet précédent, la COP29, n’avait pas réussi à résoudre le problème du financement de la lutte contre le changement climatique, et les discussions à Bonn, dominées par cette question en suspens, ont également été largement infructueuses. Les processus mondiaux en matière de biodiversité ont également laissé le déficit de financement en suspens.
Il n’y a aucun espoir de parvenir à la justice mondiale promise par les ODD sans démocratiser la prise de décision économique. La seule voie vers le progrès réside dans l’ouverture des processus à la société civile. Il est urgent de réformer les processus de développement à l’échelle mondiale, y compris les réunions de la FFD, afin de placer au cœur de ceux-ci les groupes qui parlent au nom des personnes les plus pauvres et les plus exclues du monde. Sans cela, les mêmes échecs se répèteront et les problèmes continueront de s’accumuler.
NOS APPELS À L’ACTION
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Tous les États devraient s’engager à soutenir une convention fiscale mondiale et jouer un rôle constructif dans les négociations visant à la conclure.
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Les États favorables à cette initiative devraient travailler avec la société civile pour faire avancer les propositions de conventions sur le développement international et la dette souveraine, ainsi que sur la réforme des institutions financières internationales.
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Le processus de financement du développement devrait renforcer le rôle de la société civile en vue des événements à venir.
Pour toute demande d’interview ou pour plus d’informations, veuillez contacter research@civicus.org
Photo de couverture par Claudia Greco/Reuters via Gallo Images