COP28 : un autre sommet sur le climat dans un espace civique fermé
Le sommet sur le climat COP28 se tient dans les Émirats Arabes Unis (EAU), un important producteur de pétrole avec un espace civique fermé où la dissidence est régulièrement criminalisée et les activistes emprisonnés par le gouvernement. Ce choix d’hôte prive la société civile de l’espace nécessaire pour jouer son rôle essentiel d’encouragement de l’ambition climatique et de demande des comptes aux États et aux entreprises. On peut s’attendre à des résultats qui ne parviendront pas à freiner l’industrie meurtrière des combustibles fossiles. Les Nations unies doivent veiller à ce que les prochains sommets soient organisés dans des pays où la société civile est libre de se mobiliser et d’exercer une pression soutenue. Les EAU doivent montrer qu’ils sont prêts à tolérer la dissidence en libérant les prisonniers politiques.
La nécessité d’agir face à la crise climatique n’a jamais été aussi évidente. En 2023, des records de chaleur ont été battus dans le monde entier. Il semble que chaque jour apporte son lot de nouvelles sur les conditions météorologiques extrêmes, mettant des vies en péril. En juillet, le secrétaire général de l’Organisation des Nations unies (ONU), António Guterres, a sinistrement annoncé que « l’ère de l’ébullition mondiale est arrivée ».
En bref, les enjeux sont considérables à l’approche du prochain sommet sur le climat.
Mais il y a un gros problème : la COP28, la plus récente dans la série de conférences des parties (COP) à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, se tiendra aux Émirats arabes unis (EAU). Il s’agit d’un pays où l’espace civique est fermé, où la dissidence est criminalisée et où les activistes sont régulièrement détenus. Il s’agit également d’un pays où les énergies fossiles sont exploitées avec acharnement.
Lors des sommets multilatéraux, lieux des décisions relatives au changement climatique, il est essentiel que la société civile puisse se mobiliser pour exiger davantage d’ambition, demander des comptes aux États, aux entreprises de combustibles fossiles et aux financiers, et veiller à ce que les voix des personnes les plus touchées par le changement climatique soient entendues. Mais cela ne peut se faire dans des conditions de fermeture de l’espace civique.
La participation active de la société civile aux négociations sur le climat n’est pas un luxe, mais un impératif. La société civile canalise les voix, les idées et les aspirations de la population, propulsant le discours au-delà de la simple rhétorique. Nos points de vue et nos perspectives sont tout aussi valables et informés, et nous avons le droit de nous asseoir à la table des négociations.
Disha Ravi, Fridays for Future India
Il est essentiel d’impliquer la société civile dans la COP28. La société civile est composée de membres des communautés oubliées, les vraies victimes du changement climatique. Une COP à laquelle seuls les présidents et les ministres sont invités ne fonctionnera pas, car ce sont eux qui feront face à la hausse des températures en allumant leurs climatiseurs et qui pourront importer de la nourriture en cas de pénurie locale, alors que les gens ordinaires meurent de faim parce que leurs terres ne reçoivent pas de pluie. Seules les victimes peuvent présenter la réalité du changement climatique et expliquer à quoi cela ressemble réellement dans leurs communautés.
Ce n’est pas la première fois : retour sur la COP27
L’expérience de la COP27, qui s’est tenue en 2022 en Égypte, un autre pays où l’espace civique est fermé, permet d’anticiper certains des problèmes qui risquent d’entraver le bon déroulement de la COP28. La société civile a profité de la période précédant le sommet pour attirer l’attention sur la répression impitoyable de l’État en matière de droits humains, notamment sur le grand nombre de prisonniers politiques et sur les tortures et les mauvais traitements qu’ils subissent.
Mais plutôt que de répondre à ces préoccupations, le régime égyptien a utilisé l’événement comme une opportunité de relations publiques, cherchant à redorer son image internationale. Il a ignoré les appels internationaux à ouvrir l’espace autour du sommet, qui s’est tenu dans un lieu inaccessible, sous haute sécurité et avec la présence intimidante des gardes de sécurité.
Il n’y avait pas d’endroit où nous pouvions nous réunir et avoir des conversations sur des questions un peu plus radicales ou manifester de manière plus conflictuelle, parce que la surveillance omniprésente, à laquelle les activistes de la région étaient particulièrement soumis, rendait la chose très risquée. Sans une pression suffisante de la part des communautés et des jeunes, les COP finissent par n’être rien de plus que des festivals du climat.
À l’approche de la COP27, de nombreux Égyptiens ont été arrêtés pour avoir appelé à manifester. Au moins un militant international s’est vu refuser l’accès à l’Égypte. De longues attentes ont été nécessaires pour obtenir l’autorisation officielle d’organiser une manifestation dans la zone de protestation désignée pour la réunion. Des membres d’organisations internationales de la société civile (OSC) se sont plaints de harcèlement et d’intimidation. Les experts indépendants des Nations unies en matière de droits humains ont signalé que plusieurs membres de la société civile ont été interrogés et photographiés par des agents de sécurité.
L’application officielle de la conférence a été critiquée parce qu’elle donnait au gouvernement égyptien un accès incroyablement large aux informations des utilisateurs, permettant ainsi la surveillance, à tel point que certains États ont demandé à leurs délégations de ne pas l’utiliser. Le wifi de la réunion a bloqué l’accès aux principaux sites d’information et au site de Human Rights Watch. En fin de compte, le gouvernement égyptien, en tant qu’hôte du sommet, a traité la société civile internationale comme il traite la société civile nationale, avec hostilité et mépris.
Les OSC égyptiennes de défense des droits humains se sont vu refuser l’accréditation. Le gouvernement a été accusé d’opérer un tri de la société civile nationale afin d’exclure les voix dissidentes. Pour les participants, l’autocensure semblait faire partie de l’accord. La société civile internationale a été confrontée à un dilemme : participer pour tenter de faire progresser l’action climatique par tous les moyens possibles et risquer de légitimer le régime, ou boycotter l’événement – une décision qui pourrait susciter des récriminations. Un an plus tard, les problèmes sont remarquablement similaires.
Des signes inquiétants
En septembre, les EAU ont été ajoutés à la liste de surveillance du CIVICUS Monitor, qui met en évidence les pays connaissant un déclin significatif du respect des libertés civiques. L’espace civique aux EAU est depuis longtemps fermé : aucune dissidence contre le gouvernement ni défense des droits humains n’est autorisée, et ceux qui tentent de s’exprimer risquent d’être criminalisés. En 2022, une loi sur la cybercriminalité a introduit des restrictions encore plus fortes sur l’expression en ligne.
La torture est très répandue dans les prisons et les centres de détention et au moins 58 prisonniers d’opinion ont été maintenus en prison alors qu’ils avaient purgé leur peine. Nombre d’entre eux faisaient partie d’un groupe connu sous le nom des « 94 des EAU », emprisonnés pour avoir appelé à la démocratie. Parmi les personnes incarcérées figure Ahmed Mansoor, condamné à 10 ans de prison en 2018 pour son travail de documentation sur la situation des droits humains, et détenu à l’isolement depuis plus de cinq ans.
À l’approche de la COP28, la société civile s’est efforcée de mettre en évidence l’absurdité de la tenue d’un sommet aussi important dans des conditions d’espace civique fermé. La société civile nationale n’est pas en mesure d’influencer la COP28 ni son processus préparatoire, et il est difficile de voir comment la société civile, tant nationale comme internationale, sera en mesure de s’exprimer librement pendant le sommet.
La société civile exige que le gouvernement des EAU démontre qu’il est prêt à respecter les droits humains, notamment en libérant les prisonniers politiques, ce qu’il n’a pas fait jusqu’à présent.
Nous sommes particulièrement préoccupés par le fait que les EAU restreignent les mouvements et les campagnes de la société civile. Il est essentiel que la société civile et les organisations de peuples autochtones puissent exercer leur droit d’exprimer leur point de vue et de manifester pacifiquement à tout moment pendant les négociations. Dans le cas contraire, leurs points de vue ne seront pas reflétés dans les résultats et leurs préoccupations ne seront pas prises en compte.
Gideon Abraham Sanago, Forum des organisations non gouvernementales autochtones pastorales, Tanzanie
Un signe inquiétant est apparu lorsque les EAU ont accueilli un sommet sur le climat et la santé en avril. Les participants auraient reçu l’instruction de ne pas critiquer le gouvernement, les entreprises, les individus ou l’islam, et de ne pas manifester pendant leur séjour aux EAU.
Les restrictions en matière d’espace civique ne sont pas la seule indication que les EAU ne prennent pas la COP28 au sérieux. Le président du sommet, Sultan Ahmed Al Jaber, est également à la tête de la société nationale de combustibles fossiles ADNOC, le plus grand producteur de pétrole et de gaz au monde. C’est comme si l’on confiait les négociations de paix à un fabricant d’armes. De nombreux autres membres du personnel d’ADNOC jouent un rôle dans le sommet. ADNOC vante actuellement ses investissements dans les énergies renouvelables, tout en planifiant l’une des plus grandes expansions de l’extraction de pétrole et de gaz de toutes les sociétés de combustibles fossiles.
Nous sommes préoccupés par le fait que la COP28 se tienne aux EAU, un important producteur de pétrole et de gaz. Nous nous demandons si nos voix seront entendues efficacement, car la réduction de la production de combustibles fossiles pourrait ne pas correspondre aux intérêts du pays hôte. Nous avons rencontré le même problème lors de la COP de l’année dernière, qui s’est tenue en Égypte. Comment espérer que chacun se sente libre d’exprimer sa préoccupation concernant le pétrole et le gaz dans de tels contextes ?
Par ailleurs, les EAU sont l’un des plus fidèles alliés de leur puissant voisin, l’Arabie saoudite, qui empêche d’habitude que le texte concernant les combustibles fossiles ne soit intégré aux accords sur le climat. Selon des rumeurs qui circulent, des fonctionnaires saoudiens auraient examiné les annonces des EAU préalablement à la COP28. On ne peut s’attendre à aucun engagement sur la réduction de l’extraction des combustibles fossiles.
Au lieu d’une action réelle, tout porte à croire que le régime instrumentalise son accueil de la COP28 pour tenter de blanchir sa réputation, comme l’indique l’embauche de coûteux cabinets de lobbying internationaux. Toute une série de faux comptes ont été créés sur les réseaux sociaux pour faire l’éloge des EAU en tant que pays hôte et les défendre contre les critiques. Une liste divulguée des principaux points de discussion de la COP28, préparée par le pays hôte, ne mentionne pas les combustibles fossiles.
Un sommet qui devrait être consacré à la lutte contre la crise climatique – qui doit se faire rapidement – est plutôt utilisé pour redorer l’image du gouvernement hôte. Cela est d’autant plus facile si la société civile est tenue à l’écart.
Je pense que l’on instrumentalise actuellement les COP pour tenter de montrer que les compagnies pétrolières sont engagées dans la gestion de la crise climatique, alors que nous savons tous que ce n’est pas le cas. C’est simple : si la production de ressources fossiles n’est pas réduite, il ne sera pas possible de réduire les émissions de gaz à effet de serre et la crise climatique poursuivra son cours catastrophique et irréversible.
Fausto Daniel Santi Gualina, peuple Sarayaku de l’Amazonie équatorienne
Le lobby des combustibles fossiles sur le devant de la scène
Si la société civile est exclue, les voix de ceux qui s’opposent activement à l’action climatique poursuivront leur prééminence dans les négociations. C’est ce qui s’est passé lors de la COP27, à laquelle ont participé 636 lobbyistes du secteur des combustibles fossiles qui sont repartis satisfaits. Comme tous les sommets qui l’ont précédé, la déclaration finale ne contient aucun engagement en matière de réduction du pétrole et du gaz.
Les représentants des compagnies pétrolières et gazières participent officieusement aux négociations sur le climat. Ils n’ont pas de titre, ils n’apparaissent pas en tant que tels sur les listes de participants, mais nous savons qu’ils sont là parce que nous les avons vus profiter des COP et pré-COP pour demander des réunions informelles avec les chefs de délégation ou avec le secrétariat de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques.
Le seul moyen de changer cette situation est en ouvrant les portes à la société civile. La société civile n’a cessé de tirer la sonnette d’alarme et de sensibiliser le public à la nécessité d’agir pour le climat. Elle est à l’origine de solutions pratiques de réduction des émissions et d’adaptation aux effets du climat. Elle demande instamment des engagements plus ambitieux et un financement plus important, notamment pour les pertes et les dommages causés par le changement climatique. Elle défend les communautés contre les effets destructeurs sur l’environnement, résiste à l’extraction et promeut la durabilité. Elle fait pression sur les États et le secteur privé pour qu’ils cessent d’approuver et de financer de nouvelles extractions et pour qu’ils passent plus rapidement à des énergies plus renouvelables et à des pratiques plus durables. Ce sont ces voix qui doivent être entendues si l’on veut s’anticiper à l’emballement climatique.
Les COP devraient se tenir dans des pays qui offrent un espace civique propice à une forte mobilisation nationale, et les hôtes des sommets devraient être tenus de respecter des normes élevées en matière d’accès et de participation au niveau national et international. Cela devrait faire partie de l’accord conclu par ceux qui l’accueillent l’évènement de haut niveau, en échange du prestige mondial qui l’accompagne. L’exclusion de la société civile ne doit pas se reproduire.
NOS APPELS À L’ACTION
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Les Nations unies devraient élaborer, en consultation avec la société civile, des normes strictes concernant la participation obligatoire de la société civile aux COP, y compris celle du pays hôte.
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La mise en œuvre des normes de participation doit permettre l’inclusion d’un large éventail de la société civile, y compris le financement pour soutenir la participation de la société civile de base et du Sud global.
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Le gouvernement des EAU doit libérer les prisonniers politiques et s’engager à respecter les libertés civiques, y compris le droit de protester et d’exprimer son désaccord, avant, pendant et après la COP28.
Toutes les citations sont des extraits édités d’entretiens avec des militants et des dirigeants de la société civile. Les versions intégrales sont disponibles sur notre site d’interviews.
Photo de couverture par Bryan Bedder/Getty Images pour Bloomberg Philanthropies