Le Conférence sur les changements climatiques COP27 se déroule actuellement dans l’espace civique fermé de l’Égypte, où le gouvernement réprime impitoyablement la société civile. Cela risque de priver la Conférence d’une grande partie de la pression indispensable que la société civile apporte habituellement, dans un contexte où celle-ci est d’autant plus nécessaire. Récemment, des rapports ont en effet montré sans équivoque que les émissions de gaz à effet de serre actuelles et prévues dépassent de loin les objectifs fixés par l’Accord de Paris. Les États devraient faire face à cette situation en s’engageant à mettre fin aux nouveaux projets d’exploitation des combustibles fossiles, en augmentant davantage le soutien financier pour la transition énergétique, ainsi qu’en créant un environnement favorable pour que la société civile puisse participer aux négociations sur le climat. Cela reviendrait notamment à organiser des Conférences dans des pays où les droits humains sont respectés.

L’ampleur de la tâche et la nécessité d’une action urgente n’ont jamais été aussi évidentes. Tous les rapports montrent clairement que la planète se dirige vers une hausse des températures aux conséquences dévastatrices. Si tous les engagements actuels en matière de climat sont respectés – ce qui semble peu probable – les températures mondiales augmenteront encore d’environ 2,5 degrés d’ici 2100, ce qui entraînera des effets catastrophiques.

L’engagement de limiter l’augmentation de la température à 1,5 degré, certes dangereux tout de même, pris par presque tous les États dans l’Accord de Paris de 2015, n’a aucune chance d’être respecté si les comportements actuels des États et des entreprises se poursuivent. Les émissions de gaz à effet de serre devraient être réduites de moitié d’ici 2030 pour atteindre l’objectif. Cependant, elles continuent à augmenter.

Les grands sommets sur le climat, connus sous le nom de Conférences des Parties (COP) à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, offrent chaque année l’occasion d’examiner les progrès accomplis et, éventuellement, de rectifier le tir. Or l’ambiance à l’approche de la COP27 en Égypte ne semble pas prometteuse.

L’année qui s’est écoulée depuis la COP26 à Glasgow, au Royaume-Uni, a vu l’invasion de l’Ukraine par la Russie, qui a provoqué une crise énergétique, montrant clairement à quel point le monde est encore dépendant des combustibles fossiles. La flambée des prix du pétrole et du gaz a contribué à faire prendre conscience de l’importance des investissements dans les énergies renouvelables. Mais elle encourage également la recherche de nouvelles sources d’extraction.

Les prix élevés ont été une excellente nouvelle pour les entreprises de combustibles fossiles. Le début de la COP27 a été précédé par l’annonce de bénéfices records pour les géants des combustibles fossiles, estimés à 173 milliards de dollars pour les neuf premiers mois de 2022. Il s’agit de sommes potentiellement transformatrices qui pourraient être utilisées pour assurer un avenir plus sûr – mais malgré cela, elles seront plutôt utilisées pour le rachat d’actions et le versement de dividendes.

Lors de la COP26, il a été reconnu que les plans d’action climatique que chaque État doit soumettre afin de réduire ses émissions et s’adapter aux effets du changement climatique – connus sous le nom de « contributions déterminées au niveau national » (CDN) – étaient inadéquats pour réduire les émissions de façon à ce que la hausse de température se limite à 1,5 degré. La COP26 s’est terminée par un accord selon lequel les États devaient élaborer des CDN plus ambitieuses avant la COP27, mais seuls 23 États ont soumis des plans révisés avant la date limite du 23 septembre. La mise en œuvre des engagements actuels en matière de CDN entraînerait une augmentation des émissions de gaz à effet de serre de plus de 10 % d’ici 2030.

Ce scénario désespéré requiert une forte mobilisation de la part de la société civile, étant donné que c’est actuellement grâce à elle que le changement climatique se maintient à l’ordre du jour mondial. Grâce à une combinaison de tactiques, dont les manifestations de masse, la désobéissance civile non violente, le plaidoyer auprès des décideurs et les actions en justice contre les États et les entreprises, la société civile a fait comprendre qu’il était impératif de prendre des engagements plus ambitieux en matière de climat et de les mettre en œuvre de toute urgence.

La société civile s’efforce généralement de faire entendre ses appels à l’action aux sommets de la COP. Mais il y a maintenant un nouveau problème auquel faire face : la COP27 a lieu en Égypte, un pays dirigé par un gouvernement activement hostile envers la société civile. En raison des nombreuses restrictions imposées par l’Égypte, la société civile sera sans doute beaucoup moins audible et visible que d’habitude, et sans pression de la société civile, il est probable que l’on continue sur la voie désastreuse actuelle.

La répression en Égypte

L’Égypte est la scène d’un assaut soutenu contre les libertés civiles et politiques depuis qu’Abdel Fattah el-Sisi a mené le coup d’État militaire de 2013 qui a destitué le gouvernement élu. L’année suivante, el-Sisi est devenu président lors d’une élection caractérisée par le boycott, et l’est resté depuis. En 2018, il a renouvelé son prétendu mandat par le biais d’une élection purement symbolique contre un seul candidat et avec un taux de participation très faible, promettant que celui-ci serait son dernier. Cependant en 2019, il a fait adopter un référendum constitutionnel entaché de nombreuses irrégularités de vote, ce qui signifie qu’il pourrait gouverner jusqu’en 2030.

Durant son mandat, l’État a accumulé de vastes pouvoirs pour contrôler et fermer des organisations de la société civile (OSC), y compris les organisations environnementales. Les manifestations sont sévèrement limitées et font l’objet d’un usage de force brutale, parfois mortelle. Ainsi, celles et ceux qui les organisent sont passibles de poursuites. Les militants peuvent être criminalisés, détenus, emprisonnés, et soumis à la torture et à d’autres formes de maltraitance.

Parmi les nombreux militants emprisonnés en Égypte figure le prisonnier politique anglo-égyptien Alaa Abdel Fattah. Alaa a reçu une peine de prison de cinq ans en décembre 2021 en raison de son partage d’une publication Facebook dénonçant le traitement abusif des militants emprisonnés. Il fait actuellement une grève de la faim.

Les voix de ceux en première ligne : Mona Seif

Lors d’une visite familiale récente, Alaa a remis à ma mère et à ma sœur une nouvelle série de revendications concernant la situation des prisonniers politiques et de tous les prisonniers, argumentant qu’il n’y a pas de place pour le « salut individuel ». Il exige maintenant que toutes les personnes détenues ou emprisonnées dans les centres pénitentiaires et les quartiers généraux de la Sécurité d’État soient libérés une fois écoulée la période maximale de deux ans de détention provisoire. Il exige la libération immédiate des personnes emprisonnées pour avoir exprimé leurs idées, condamnées pour des raisons politiques ou jugées par des tribunaux d’exception.

Le régime égyptien n’a libéré que 500 détenus au cours des derniers mois, alors qu’il y a des dizaines de milliers de prisonniers politiques en Égypte.

Ces libérations récentes font partie de la stratégie de relations publiques internationales du régime, en réponse aux préoccupations exprimées par la communauté internationale au sujet de la détérioration de la situation des droits humains. Les autorités affirment qu’elles commencent un nouveau chapitre dans leurs relations avec la société civile nationale, l’opposition et la communauté internationale.

Or cela s’est démontré loin d’être vrai, les autorités n’étant pas disposées à faire même le strict minimum. Le cas d’Alaa montre clairement que le régime ne prend pas au sérieux la situation des prisonniers politiques.

La réalité est que la plupart des gouvernements ne se soucient pas des actions du régime au pouvoir en Égypte. Ils sont prêts à fermer les yeux sur les atrocités commises par el-Sisi parce qu’il s’inscrit dans les accords régionaux et qu’il s’associe facilement à des méga-affaires et à des contrats de ventes d’armes qui impliquent beaucoup d’argent. Peu importe l’ampleur de la dette qu’il accumule sur les épaules du peuple égyptien.

Tout cela est très favorable pour le régime égyptien à l’approche de la COP27, qui est clairement instrumentalisée pour blanchir la réputation et améliorer les relations publiques. Ce faisant, le régime reçoit le soutien non seulement des États arabes du Golfe, ce qui était prévisible, mais aussi de nombreux gouvernements occidentaux.

 

Mona Seif est une militante égyptienne qui fait du plaidoyer pour la libération de son frère Alaa Abdel Fattah.

La société civile tente de profiter de l’accueil de la COP27 par l’Égypte pour sensibiliser l’opinion publique au sort d’Alaa et à celui des nombreux autres prisonniers politiques égyptiens. Dans les mois qui ont précédé la COP27, le gouvernement a cherché à améliorer son image en libérant environ 500 prisonniers politiques. Cependant des milliers d’entre eux croupissent toujours en prison, souvent dans des conditions déplorables.

Une opportunité de relations publiques pour l’Égypte

Ce n’est que rarement qu’un dictateur n’est pas avide de prestige international. La COP27 offre ainsi à el-Sisi une précieuse plateforme pour se présenter comme un dirigeant légitime et respectable et pour se faire passer pour porte-parole du Sud global. Elle lui offre des séances de photos inestimables – avec des présidents, des chefs d’entreprise et d’autres personnalités de premier plan – tout en lui demandant peu de concessions.

En Égypte, l’armée demeure la force dominante, ce qui assure le maintien d’el-Sisi au pouvoir en toute sécurité. La prochaine élection en 2024 n’offrira pas de véhicule pour le défier.

Il bénéficie également de puissants soutiens internationaux : les États-Unis et d’autres États occidentaux sont depuis longtemps prêts à fermer les yeux sur les violations des droits humains commises par l’Égypte, car ils considèrent que le pays joue un rôle stratégique dans la région. Ils considèrent qu’un régime autoritaire est le prix à payer pour la prévention du terrorisme et trouvent en el-Sisi un partenaire commercial consentant, notamment pour les ventes d’armes.

La réalité est que la plupart des gouvernements ne se soucient pas des actions du régime au pouvoir en Égypte. Ils sont prêts à fermer les yeux sur les atrocités commises par el-Sisi parce qu’il s’inscrit dans les accords régionaux et qu’il s’associe facilement à des méga-affaires et à des contrats de ventes d’armes qui impliquent beaucoup d’argent.

MONA SEIF

Les gouvernements occidentaux s’efforcent actuellement de vanter leurs investissements « verts » en Égypte. La libération d’une proportion relativement faible de prisonniers politiques leur permet de dire que leur engagement a un impact positif sur les droits humains.

Les voix de ceux en première ligne : Ahmed Samih

El-Sisi recherche désespérément l’attention et le respect de la communauté internationale à l’approche de l’élection présidentielle, mais sans pour autant avoir obtenu de résultats jusqu’à présent. La Conférence sur le développement économique de l’Égypte tenue en 2015 a constitué le dernier événement international qui s’est tenu dans le pays sous sa présidence.

Accueillir la COP27 est une excellente occasion pour son régime de blanchir sa réputation internationale sans ouvrir son espace civique fermé. El-Sisi était impatient d’accueillir la COP27 parce que les résolutions du sommet sur le climat ne sont pas contraignantes. Le fait d’être hôte ne mettra donc pas son gouvernement sous pression pour qu’il adopte les recommandations qui en découleront, et l’Égypte pourrait même bénéficier d’investissements internationaux en énergies renouvelables.

Le seul problème potentiel est posé par les militants climatiques internationaux qui ne manqueront pas de protester. C’est pour cette raison que le gouvernement égyptien a choisi Sharm el-Sheik comme ville d’accueil, un lieu géographique où les manifestations peuvent être facilement contenues par les forces de sécurité.

Pour profiter au maximum de la COP27, le gouvernement égyptien doit faire venir le plus grand nombre possible de dirigeants mondiaux à Sharm el-Cheikh. Pour éviter que cela ne se produise, les défenseurs arabes et internationaux doivent collaborer afin de lancer une vaste campagne de sensibilisation sur la situation des droits humains en Égypte. Malheureusement, je n’ai pas connaissance d’efforts de coordination significatifs entre les militants des droits humains et de l’environnement, égyptiens ou non, en Égypte ou à l’étranger, à l’approche de la COP27.

 

Ahmed Samih est le cofondateur de l’Institut Andalus pour l’étude de la tolérance et la lutte contre la violence.

Une COP fermée

À l’approche de la COP27, le gouvernement égyptien indique vouloir le spectacle mais pas la substance. Il a dû faire face à des appels internationaux réclamant l’ouverture d’un espace pour que la société civile puisse notamment manifester autour du sommet, exprimer son désaccord et demander des projets plus ambitieux. Il semble toutefois que ce sommet de la COP sera le moins accessible depuis longtemps.

Le lieu de la conférence, un centre de convention situé dans la station balnéaire de Sharm el-Sheikh, sur la mer Rouge, pourrait difficilement être moins accessible. Il est entouré de barrières et on ne peut y accéder que par voie aérienne ou, si l’on prend la route, en passant par de nombreux points de contrôle. Quiconque n’est pas accrédité n’a aucune chance de se présenter et de participer à une manifestation devant le lieu de la conférence.

Un espace de manifestation spécifique sera désigné, décrit comme « adjacent » au lieu de la conférence – mais cela éloignera les manifestants des délégations qu’ils veulent atteindre. Le fait de protester dans un espace géré par le gouvernement peut aussi générer de la crainte, mais les tentatives de manifestation ailleurs pourront être réprimées. Compte tenu de leur expérience, beaucoup de manifestants se méfient du gouvernement, s’attendant à ce que les manifestations ne soient pas respectées et à un usage de la force.

Il existe un précédent troublant. Lorsque Sharm el-Cheikh a accueilli la réunion de la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples en 2019, les militants de la société civile présents – des personnes qui participent habituellement à de telles réunions – ont signalé des restrictions à la tenue d’événements et un niveau sans précédent d’intimidation et de surveillance de la part des autorités égyptiennes.

Près de 70 personnes ont déjà été arrêtées avant le sommet pour avoir convoqué des manifestations le 11 novembre, lors du sommet. L’activiste indien Ajit Rajagopal a été arrêté peu après avoir entamé une marche du Caire à Sharm el-Sheikh qu’il comptait accomplir comme forme de protestation individuelle.

Ce ne sont pas les seuls problèmes. Dans le centre de convention, les OSC accréditées peuvent accéder à la « zone bleue » : une zone à laquelle les délégations des pays auront accès et où les OSC et d’autres organisations peuvent organiser des expositions et des événements. Néanmoins, l’annonce récente que la zone serait fermée le 7 novembre montre que les possibilités d’influence seront limitées – il s’agit d’une des deux dates essentielles car beaucoup de dirigeants mondiaux seront présents. De nombreux dirigeants de gouvernements et d’entreprises ont participé à des événements dans la zone bleue lors de la COP26.

La société civile locale est confrontée à des défis particuliers. Plusieurs OSC égyptiennes se sont plaintes d’être tenues à l’écart. D’après eux, le gouvernement aurait procédé à une sélection secrète des OSC égyptiennes au moment de déterminer lesquelles pouvaient demander une accréditation spéciale comme observateur, excluant les OSC qui sont critiques du gouvernement. Toutes les OSC qui n’ont pas eu la possibilité de s’inscrire sont celles qui ont déjà fait face à des années d’attaques du gouvernement. Parmi celles qui n’ont pas pu assister à la conférence figure la Commission égyptienne pour les droits et les libertés, qui espérait profiter de sa présence pour défendre les droits de toute personne détenue pour avoir manifesté.

Avec une seule OSC égyptienne inscrite en permanence aux sommets de la COP, l’ONU a effectivement laissé le gouvernement trier sur le volet une grande partie de la société civile locale présente.

Les voix de ceux en première ligne : Ayisha Siddiqa

Il est très important que les habitants du Sud et les membres des communautés autochtones participent aux négociations sur le climat, non seulement parce qu’ils sont les plus touchés par le changement climatique, mais aussi parce que leurs actions ambitieuses sont les principaux moteurs des engagements climatiques.

La société civile offre non seulement la diversité, mais aussi les outils, le langage et l’aspect pratique nécessaire pour faire avancer ce débat. Au bout du compte, chaque décision prise lors des COP affecte le monde entier. Nos vies étant en jeu, nous devrions tous avoir notre mot à dire. Nous avons non seulement le droit mais aussi le devoir de protéger la planète. Franchement, la place de la société civile dans les négociations climatiques ne devrait même pas être discutée ni interrogée.

La COP27 a été qualifiée de « COP africaine », d’où l’on pourrait penser que les organisations et les militants environnementaux africains bénéficieraient d’une plateforme pour participer librement et faire entendre leur voix. Malheureusement, cela n’a pas été le cas : nous avons déjà vu un certain nombre de jeunes Africains empêchés de participer. La plupart d’entre eux se sont vu refuser leur accréditation, tandis que beaucoup d’autres n’ont pas les moyens financiers de participer.

Il est inacceptable de tenir une COP dans un pays comme l’Égypte où l’espace civique est fermé. Cela n’aurait pas dû avoir lieu, et je n’ai aucune idée de comment quelqu’un a pu penser qu’une conférence comme celle-ci pourrait se tenir dans un environnement aussi restreint.

Tant les Nations Unies comme les gouvernements africains qui ont désigné l’Égypte pour accueillir la COP27 sont responsables de la situation que nous vivons aujourd’hui. À cause d’eux l’événement est devenu un grand cirque où les États se portent candidats pour accueillir la conférence afin de rapporter du revenu du tourisme, sans aucunement se soucier de la crise actuelle ni des politiques nécessaires pour y faire face.

 

Ayisha Siddiqa est fondatrice de Polluters Out.

Le dilemme des activistes

On soupçonne que les seules OSC locales capables d’accéder à la COP27 seront celles qui ne critiquent pas le gouvernement. Le gouvernement égyptien peut alors les utiliser pour promouvoir une fausse image de sa volonté de tolérer la société civile et de s’associer avec elle.

Parmi la société civile nationale autorisée à participer, on trouve sans aucun doute de véritables OSC environnementales travaillant sur des projets environnementaux locaux, ce qui constitue une partie importante de la réponse multiforme nécessaire pour lutter contre le changement climatique. Les OSC environnementales déclarent avoir constaté récemment une plus grande volonté de la part du gouvernement de les autoriser à travailler et à dialoguer, ce qui a permis au gouvernement de se positionner comme champion des demandes climatiques du Sud. Ces OSC, comme les jeunes leaders climatiques auxquels le gouvernement tente de donner une voix, s’exposent à des accusations selon lesquelles ils seraient cooptés par la dictature.

Les personnes invitées par le gouvernement égyptien sont généralement celles qui, par la nature de leur travail, ne sont pas amenées à entrer en confrontation avec le pouvoir gouvernemental et économique. Même lorsqu’elles ont une position sur des questions plus controversées, telles que l’impact des projets d’infrastructure et de l’industrie du tourisme, elles sont souvent réticentes à en parler par crainte de répercussions de la part du gouvernement une fois que la COP27 sera passée et que le regard international ne sera plus concentré sur l’Égypte.

Le danger est que la crise climatique soit présentée comme quelque chose qui se prête uniquement à des solutions technocratiques. Selon cette vision, la crise est un problème qui peut être résolu par des projets, sans tenir compte des vastes disparités de pouvoir économique et politique et des déficits en matière de droits humains qui sont au cœur de la crise. Le gouvernement a affirmé que les groupes égyptiens accréditées ont été invitées en raison de leur « expertise en matière de changement climatique ». Mais le changement climatique, en tant que crise de justice sociale et de droits humains, ne peut pas être l’apanage d’un groupe restreint d’organisations « expertes ».

Certaines grandes OSC ont également été critiquées pour avoir sous-estimé la situation des droits humains en Égypte. Greenpeace a été accusée d’être réticente à dénoncer le bilan effroyable de l’Égypte en matière de droits humains, de peur de compromettre son accès à la COP27. De même, les groupes environnementaux égyptiens ont hésité à soutenir les appels à la libération des prisonniers politiques.

Il est compréhensible qu’il y ait des inquiétudes pour la sécurité du personnel des OSC environnementales locales, ainsi que pour le personnel égyptien des groupes environnementaux internationaux. De même, les OSC souhaitent peut-être se concentrer sur l’obtention des engagements les plus forts possibles lors de la COP27, les autres questions étant considérées comme une distraction de la crise. Mais cela risque d’alimenter la notion dangereuse selon laquelle l’action climatique peut être séparée des droits humains. Les grandes OSC internationales, en particulier, ont la capacité de faire pression pour obtenir des progrès en matière de climat lors de la COP27 et de faire comprendre que la répression de l’espace civique par le gouvernement égyptien est un obstacle à l’action climatique.

Tous ces dilemmes et compromis sont évitables : ils sont la conséquence de la décision d’organiser la COP27 dans un pays où l’espace civique est fermé. Cela pose une question importante à propos du Secrétariat des Nations Unies sur le changement climatique : comprennent-ils l’intérêt de ces réunions et le rôle que doit jouer la société civile au sein de celles-ci ?

L’action climatique ne viendra pas uniquement des engagements des gouvernements. Une pression constante est nécessaire, notamment pendant les conférences, pour faire pression en faveur d’engagements ambitieux ainsi que pour assurer que les gouvernements rendent compte des engagements qu’ils ont pris.

Le problème du fait que l’Égypte accueille la COP27 ne se limite pas qu’à la réunion elle-même. L’hôte du sommet est censé jouer un rôle clé dans le leadership climatique, au niveau national et international, puisqu’il préside jusqu’à la prochaine COP. Mais, à l’abri de la pression de la société civile, la CDN de l’Égypte est peu ambitieuse et est loin de prétendre à un quelconque leadership. Au même temps, le gouvernement égyptien se lance dans d’énormes projets d’infrastructure, dont la construction d’une nouvelle capitale administrative grandiose. Au cours de la COP27, il peut dévoiler toutes les promesses accrocheuses qu’il souhaite, tout en sachant qu’il sera soumis à très peu de contrôle quant à leur mise en œuvre.

Pour encourager une action ambitieuse en faveur du climat, l’ONU doit tenir ses réunions importantes dans des pays où la société civile est libre d’agir. Mais rien n’indique que la leçon soit retenue. La COP28 se tiendra dans un autre pays où l’espace civique est fermé : les Émirats arabes unis. Cela ne peut que continuer à différer la pression à un moment où la nécessité d’agir n’a jamais été aussi urgente.

Une action urgente s’impose

La partie de la société civile qui peut être présente et s’exprimer espère se concentrer sur certains domaines clés où les progrès sont les plus nécessaires, dont la question du financement climatique.

Les États du Nord ne respectent toujours pas l’engagement qu’ils ont pris en 2009 de fournir 100 milliards de dollars annuellement en financement climatique. Or ce financement pourrait aider les États du Sud tant à réduire leurs émissions à travers des mesures d’atténuation climatique, comme à faire face aux impacts actuels et futurs du changement climatique grâce aux mesures d’adaptation. Les fonds versés sont toutefois principalement destinés aux projets d’atténuation plutôt qu’à ceux d’adaptation.

Les voix de ceux en première ligne : Tariq Al-Olaimy

La COP27 doit revendiquer la justice climatique pour ceux qui sont à la fois les plus vulnérables et aussi les moins responsables du changement climatique : les populations d’Afrique, de la région d’Asie du Sud-Ouest et d’Afrique du Nord, et des petites îles, entre autres.

L’ensemble des petits États insulaires n’a reçu que 1,5 milliard de dollars US de financement climatique entre 2016 et 2020. Sur la même période, 22 petits États insulaires en développement ont versé plus de 26 milliards de dollars US à leurs créanciers extérieurs, soit près de 18 fois plus. La justice climatique exige l’annulation de la dette, des réparations, et un financement climat sans création de dette pour les petits États insulaires en développement.

Pour accroître véritablement l’ambition en matière de projets d’atténuation, il est important que les gouvernements ne se contentent pas de négocier le texte et le nombre d’engagements, mais qu’ils négocient le système même dans lequel nous mettons en œuvre l’action climatique. Nous avons besoin d’une décroissance des secteurs de notre économie les plus nuisibles sur le plan écologique, d’une transition globale et juste et d’une transformation vers une économie post-croissance.

Dans un contexte caractérisé par des calculs politiques à court terme, nous passons complètement à côté de la nécessité d’un changement urgent et radical. Je ne m’attends pas à ce que la COP27 aborde tout cela. Certaines questions pourraient toutefois être adressées de manière significative : il faudrait particulièrement établir les bases pour l’opérationnalisation du financement des pertes et dommages, dont les détails pourraient être finalisés lors de la COP28 l’année prochaine.

 

Tariq Al-Olaimy est un entrepreneur social bahreïni et directeur général de 3BL Associates.

La revendication centrale de la société civile est  que les États atteignent l’objectif de financement climatique et qu’ils respectent l’engagement pris lors de la COP26 de doubler le financement destiné aux mesures d’adaptation d’ici 2025, tout en acheminant rapidement l’argent là où il peut avoir un impact.

Cela doit s’accompagner d’un plus grand engagement politique de soutien des plans d’adaptation, d’une reconnaissance du fait que l’adaptation doit être dirigée par les communautés plutôt que par le haut et de la fixation d’objectifs d’adaptation clairs. Cette année nouvellement les conditions météorologiques ont été extrêmes et meurtrières dans un pays après l’autre, ce qui aurait dû rendre la nécessité d’adaptation évidente.

Jusqu’à ce que des progrès soient réalisés, la société civile et les États du Sud continueront de souligner l’injustice inhérente au changement climatique : les pays du Nord ont été les principaux responsables de ce changement par leur industrialisation qui, combinée au colonialisme, est à l’origine des inégalités actuelles de richesse et de pouvoir dans le monde. Aujourd’hui, on demande aux pays du Sud de suivre une autre voie. Les pays riches devraient a minima participer au financement de ce projet.

Actuellement, les États du Nord invoquent leur pauvreté en raison de la crise des carburants. De manière limitée, certains impôts sur les bénéfices exceptionnels ont été imposés aux bénéfices records des combustibles fossiles, mais les géants des combustibles fossiles les ont évités habilement. Cela est un domaine qu’il reste potentiellement à exploiter pour le financement climatique.

Les voix de ceux en première ligne : Sohanur Rahman

Dans la perspective de la COP27, notre principale priorité est le financement des pertes et dommages. Avant de pouvoir poursuivre l’adaptation, nous devons soutenir les communautés qui subissent des pertes et des dommages. Nous ne demandons pas aux pays développés de faire la charité ou de s’endetter, mais d’offrir des réparations en raison de leur responsabilité historique dans cette crise climatique.

En 2019, les pays développés ont promis 100 milliards de dollars US pour l’adaptation et l’atténuation, mais ils ne les déboursent pas. À ce stade, tout est théorique – aucun mécanisme pratique n’a été mis en place pour garantir le versement de ces fonds. Et lorsque les fonds seront enfin versés, nous voulons voir une répartition 50/50 entre l’adaptation et l’atténuation, car les deux requièrent des efforts égaux. Enfin, nous voulons que le financement de l’adaptation locale soit abordé lors de la COP27. Les communautés devraient avoir la possibilité de développer et de mettre en œuvre des solutions qui leur conviennent, plutôt que d’appliquer des stratégies universelles qui ne conviennent pas à tout le monde.

Cette COP devrait être celle où l’accent est mis sur la mise en œuvre. Nous ne voulons plus entendre de promesses qui ne seront pas tenues. Nous voulons des actions visant à résoudre nos problèmes.

En raison des défaillances des systèmes actuels, la société civile doit plaider pour un changement systémique. Pour parvenir à un tel changement transformateur, nous devons être unis. Ceux qui rejoignent la COP27 doivent utiliser cette occasion pour plaider en faveur du changement ; et ceux qui observent depuis leur pays d’origine doivent se mobiliser dans leur propre pays pour souligner l’urgence de la crise dans laquelle nous nous trouvons. Nous devons tous faire pression sur les dirigeants pour qu’ils tiennent leurs promesses. La COP27 n’apportera une avancée que si la société civile est autorisée à participer sans aucune restriction et qu’une décision est prise pour commencer à verser les réparations climatiques.

 

Sohanur Rahman est le coordinateur exécutif de YouthNet for Climate Justice.

La société civile et les États du Sud global chercheront également à obtenir des progrès réels sur la question controversée du financement des pertes et des dommages. Cela signifierait une compensation pour les impacts du changement climatique, versée par les États les plus responsables du changement climatique à ceux qui subissent les plus grands dommages.

Les États du Nord ont longtemps refusé de bouger, en partie parce qu’ils craignent l’ouverture d’un débat plus large sur les réparations pour les crimes coloniaux. Cependant, il a été établi sans équivoque à maintes reprises que les États les plus puissants ne peuvent pas simplement attendre des États du Sud qu’ils réduisent leurs émissions et s’adaptent au changement climatique sans un soutien financier plus important, y compris pour les pertes et dommages.

Un certain progrès a été fait lors de la COP26, avec l’établissement d’un dialogue de trois ans sur la question. Le gouvernement danois a depuis brisé la glace en s’engageant à verser une somme de 13 millions de dollars US pour le financement des pertes et dommages : une contribution modeste compte tenu de l’ampleur de la tâche, mais qui pourrait constituer une étape clé dans la normalisation du principe. D’autres avancées significatives sont nécessaires lors de la COP27, notamment l’élaboration d’un plan d’action.

Les voix de ceux en première ligne : Chibeze Ezekiel

Le financement climatique reste une question en suspens. La stratégie de déploiement des mesures d’atténuation et d’adaptation au changement climatique devrait être transparente : les dirigeants mondiaux doivent fournir aux communautés les ressources nécessaires pour s’adapter au changement climatique et les aider dans leurs plans d’atténuation. Tout cela ne sera possible que si un financement climatique adéquat est fourni.

Les pertes et dommages constituent une autre priorité. Nous sommes conscients que les personnes vulnérables et celles vivant dans des communautés sous-développées sont celles qui souffrent le plus les effets du changement climatique. De nombreuses personnes ont perdu leurs maisons, leurs terres et leurs moyens de subsistance. Il va de soi qu’elles devraient être indemnisées pour les dommages irréparables qu’elles ont subis.

La transition énergétique, qui consiste à abandonner les combustibles fossiles au profit des énergies renouvelables, est également une question qui devrait être abordée. Sachant que les États africains ont  des ambitions d’industrialisation, ce sera intéressant de voir comment les dirigeants prévoient de rendre l’énergie disponible et abordable pendant cette transition. L’Afrique dispose de nombreuses ressources telles que l’énergie éolienne, solaire et hydraulique, mais sa progression vers les énergies renouvelables se réalise très lentement. Selon l’Agence internationale pour les énergies renouvelables, seulement 2% des investissements mondiaux dans les énergies renouvelables sont investis en Afrique, et seulement 3% des emplois du continent se trouvent dans ce secteur. Nous voulons savoir comment les dirigeants mondiaux prévoient d’utiliser leurs ressources pour aider l’Afrique dans sa transition énergétique.

 

Chibeze Ezekiel est coordinateur du Réseau stratégique des jeunes pour le développement, au Ghana.

La flambée des prix a récemment entraîné une réaction de plusieurs États, qui avancent des projets d’exploitation de réserves inexploitées de combustibles fossiles. Pour les États du Sud disposant de réserves inexploitées, les prix élevés actuels constituent une puissante incitation à l’extraction de ces ressources. Certains États africains ont insisté sur le fait que le Nord devait se concentrer sur la réduction des émissions, tandis que le Sud devait être libre de forer pour trouver plus de pétrole et de gaz. Pendant ce temps, le gouvernement américain continue de fournir de vastes sommes d’argent pour financer des projets liés aux combustibles fossiles, notamment en Afrique.

Une approche ancrée dans les droits humains rendrait cela impossible. Si la trajectoire actuelle se poursuit et que les combustibles fossiles continuent à sortir du sol, les communautés les moins puissantes – notamment dans le Sud global – seront les plus touchées.

Plus d’ambition est nécessaire en matière de réduction des émissions. L’Égypte n’est pas le seul pays à soumettre une CDN décevante. Le Royaume-Uni, qui préside actuellement la COP, a remis une CDN qui n’est pas plus ambitieuse que sa version précédente. Il en va de même pour les grands pays comme la Chine et l’Inde : Les CDN ont été raffinées avec des détails supplémentaires, mais sans ambition.

Si les États veulent vraiment montrer leur détermination à agir face à la crise, ils devraient s’engager lors de la COP27 à ne pas lancer de nouveaux projets d’exploitation de combustibles fossiles, et à cesser les financements qui les rendent possibles.

Cette COP devrait être celle où l’accent est mis sur la mise en œuvre. Nous ne voulons plus entendre de promesses qui ne seront pas tenues. Nous voulons des actions visant à résoudre nos problèmes.

SOHANUR RAHMAN

La COP27 n’a pas besoin du genre de présentations brillantes et d’annonces hautement chorégraphiées qui ont caractérisé la COP26. La COP27 doit rester dans la réalité et se concentrer sur la mise en œuvre effective de mesures concrètes, ici et maintenant, plutôt que sur les relations publiques et les promesses. La société civile a peut-être moins de liberté d’expression que d’habitude, mais il y a des milliards de raisons – à savoir la vie des gens d’aujourd’hui et de demain – d’entendre ses revendications.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Le gouvernement égyptien doit libérer tous les prisonniers politiques et garantir le respect du droit de s’exprimer, de protester et de participer à la société civile, pendant et après la COP27.
  • Les États du Nord global doivent s’engager dans un plan visant à développer un mécanisme de financement des pertes et dommages et respecter les promesses de financement des mesures d’atténuation et d’adaptation.
  • Les Nations Unies doivent veiller à ce que les futures Conférences sur le climat se déroulent dans des pays où la société civile dispose d’une plus grande liberté d’organisation, notamment pour protester pendant les réunions.
Toutes les citations sont des extraits d’interviews édités. Veuillez consulter notre série d’entretiens sur la COP27 pour les versions complètes.

Photo de couverture par Reuters/Sayed Sheasha via Gallo Images