Alors que les délégués de plus de 170 États se réunissent à Genève pour ce qui pourrait être la dernière série de négociations sur le traité mondial sur les plastiques, des années d’efforts diplomatiques sont en jeu. Face à l’explosion de la production de plastique, qui entraîne une pollution généralisée, l’aggravation de la crise climatique et des impacts sur la santé humaine, trois camps distincts se dessinent : les États ambitieux qui poussent à la limitation de la production, les États pétroliers qui bloquent les avancées, et les États intermédiaires qui pourraient encore être convaincus de soutenir un traité fort. Alors que les représentants de l’industrie des énergies fossiles et autres lobbyistes du monde des affaires envahissent les négociations, les organisations de la société civile, soutenues par des scientifiques de premier plan, mènent une campagne intensive en faveur d’un traité capable de changer réellement les choses.

L’enjeu est de taille à Genève. Les négociateurs de plus de 170 États sont réunis pour ce qui devrait être le dernier cycle de négociations visant à élaborer un traité juridiquement contraignant et urgent pour mettre un terme à la pollution plastique incontrôlable.

La production de plastique a explosé : elle a atteint 475 mégatonnes en 2022, contre deux mégatonnes au début du boom en 1950. Une étude récente prévoit que ce chiffre pourrait plus que doubler pour atteindre 1200 mégatonnes d’ici 2060. Cette croissance fulgurante, alimentée principalement par les plastiques à usage unique tels que les bouteilles de boissons et les contenants de restauration rapide, a provoqué une véritable catastrophe environnementale. La pollution plastique est omniprésente, du sommet de l’Everest aux fosses océaniques les plus profondes.

Les plastiques représentent un danger croissant pour la santé humaine, avec des répercussions disproportionnées sur les populations vulnérables, en particulier les enfants. Cette crise est indissociable du dérèglement climatique : plus de 98% des plastiques sont fabriqués à partir de combustibles fossiles, et leur production énergivore aggrave l’urgence climatique en émettant l’équivalent de deux milliards de tonnes de dioxyde de carbone par an, soit plus que les émissions nationales de la Russie.

De l’alerte scientifique à l’impasse diplomatique

Ces impacts croissants ont motivé la volonté d’instaurer des normes internationales visant à maîtriser le problème. La campagne a débuté après que des scientifiques marins ont documenté, au début des années 2000, des dégâts sans précédent sur les écosystèmes. Les premières réponses ont été fragmentées : certains États ont introduit, de manière ponctuelle, des interdictions sur des articles comme les sacs en plastique ou les microbilles, tandis que des accords régionaux tentaient de lutter contre la pollution marine avec un succès limité.

La percée a eu lieu lors de l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement à Nairobi, au Kenya, en mars 2022, lorsque les États ont convenu d’élaborer un traité juridiquement contraignant pour lutter contre la pollution plastique, censé être finalisé en 2024. Cette décision historique, soutenue par plus de 700 groupes de la société civile issus de 113 pays qui ont appelé à une action décisive, a lancé le processus du Comité intergouvernemental de négociation (INC) avec pour mandat d’élaborer une réglementation complète couvrant l’ensemble du cycle de vie des plastiques, de la production à l’élimination.

Le chemin a été semé d’embûches. La première session de l’INC, qui s’est tenue à Punta del Este, en Uruguay, en novembre et décembre 2022, a permis de mettre en place des groupes de travail et des procédures. La deuxième, qui s’est tenue à Paris, en France, en mai et juin 2023, a amorcé des discussions de fond sur la portée du traité et les mesures envisageables. Lors de la troisième réunion, à Nairobi en novembre 2023, des divisions fondamentales se sont cristallisées. La quatrième session, qui s’est tenue à Ottawa, au Canada, en avril 2024, a tenté de combler ces divergences et de parvenir à un consensus sur les dispositions clés. Mais la cinquième réunion, qui s’est tenue à Busan, en Corée du Sud, en novembre et décembre 2024, a révélé des divergences apparemment irréconciliables sur les éléments fondamentaux du traité, obligeant à suspendre ce qui devait être la dernière phase des négociations.

Trois camps

Trois camps distincts se sont formés, chacun représentant des approches fondamentalement différentes.

À la tête du mouvement en faveur d’une réforme globale, la Coalition de Haute Ambition pour mettre fin à la pollution plastique, coprésidée par la Norvège et le Rwanda, regroupe plus de 100 États, dont l’Union européenne (UE), l’Australie, le Canada et la Corée du Sud. Alignée sur les revendications de la société civile, la coalition poursuit trois objectifs stratégiques mondiaux : limiter la production et la consommation de plastique à des niveaux durables, instaurer une économie circulaire qui protège la santé humaine et l’environnement, et assurer une gestion et un recyclage efficaces des déchets plastiques.

À l’opposé, un groupe s’efforce activement de bloquer toute avancée significative, notamment les grands producteurs de pétrole tels que l’Iran, la Russie et l’Arabie saoudite. Ces États rejettent les plafonds ou les restrictions de production, présentant la gestion des déchets comme la principale préoccupation, tout en privilégiant des approches volontaires axées sur le recyclage. Ils exploitent tous les outils de procédure à leur disposition pour entraver les progrès, tandis que leurs vastes ressources financières leur permettent de faire pression sur d’autres États et de les influencer.

Un troisième groupe, qui comprend les principaux producteurs de plastique comme la Chine et les États-Unis, adopte une position plus ambiguë, s’alignant ponctuellement avec l’un ou l’autre camp. Les États-Unis ont généralement soutenu l’amélioration de la gestion des déchets et des infrastructures de recyclage, les mesures de transparence de la chaîne d’approvisionnement et l’innovation sur les matériaux alternatifs. Mais le retour de Donald Trump annonce un regain de scepticisme à l’égard de l’environnement, avec le revirement des politiques de l’ère de Joe Biden qui avaient éliminé les plastiques à usage unique des opérations fédérales. Reuters a rapporté avoir consulté une note de l’administration Trump exhortant les États à rejeter les plafonds de production de plastique lors des négociations de Genève.

La politique de la Chine met l’accent sur la différenciation des responsabilités entre les pays du Nord et ceux du Sud, appelant à renforcer les capacités des pays du Sud tout en prônant une transition progressive pour gérer les impacts économiques.

La société civile considère que ce troisième groupe négocie en grande partie de bonne foi et qu’il est susceptible d’être convaincu, ce qui représente le meilleur espoir pour un traité ambitieux : un accord qui inclurait des objectifs clairs de réduction de la production et l’interdiction des matériaux les plus toxiques ainsi que de nombreux plastiques à usage unique.

Le problème de l’influence de l’industrie

L’un des aspects les plus controversés des négociations a été la présence écrasante des lobbyistes de l’industrie des combustibles fossiles et du plastique. Un nombre record de 220 lobbyistes d’entreprises se sont inscrits pour assister aux négociations de décembre à Busan, dépassant en effectif les délégations de l’UE et de ses États membres, de tous les États insulaires du Pacifique, ainsi que de l’ensemble de l’Amérique latine et des Caraïbes réunis.

Les tactiques de lobbying ont parfois frôlé le harcèlement. Bethanie Carney Almroth, qui mène des recherches sur l’impact environnemental des plastiques, a raconté avoir été encerclée et intimidée par des employés d’entreprises chimiques lors de la réunion d’Ottawa.

La présence des acteurs ayant le plus tiré profit de la pollution plastique sape le processus de négociation et risque de compromettre fondamentalement l’efficacité de tout traité qui en résulterait. Un rapport récent d’InfluenceMap révèle que les groupes de l’industrie du plastique et des combustibles fossiles s’emploient systématiquement à affaiblir l’ambition du traité, à remettre en cause les données scientifiques et à réduire au silence les critiques.

La société civile exige de l’ambition

Malgré d’importants obstacles à sa participation, la société civile constitue une force puissante qui milite en faveur d’un accord ambitieux.

Les preuves scientifiques démontrent clairement la nécessité de s’attaquer à la production plutôt que de se concentrer uniquement sur la gestion des déchets. Actuellement, moins de 10 % des plastiques sont recyclés : le processus est coûteux, toxique et ne peut être répété qu’un nombre limité de fois, car le plastique se dégrade lorsqu’il est recyclé.

Soutenue par une déclaration de plus de 1100 scientifiques en faveur de plafonds de production, la société civile combine recherche, campagnes de sensibilisation, actions directes et plaidoyer stratégique pour influencer les négociations et contrer les discours de l’industrie.

L’Agence d’investigation environnementale a mis au jour la sombre réalité du commerce mondial des déchets plastiques, révélant des pratiques illégales qui consistent à déverser ces déchets dans les pays pauvres. Les rapports annuels d’audit du mouvement « Break Free From Plastic» (« Libérez-vous du plastique ») ont transformé le discours sur la pollution en mobilisant des milliers de bénévoles à travers le monde pour recenser les déchets, démontrant qu’un petit nombre de multinationales est responsable de la majeure partie de la pollution plastique.

Le Center for International Environmental Law fournit une expertise juridique sur les mécanismes du traité tout en suivant de près les activités de lobbying de l’industrie. En collaboration avec les communautés de récupérateurs de déchets, l’Alliance mondiale pour les alternatives à l’incinération documente l’impact de la pollution plastique sur les populations exclues et dénonce les fausses solutions telles que le recyclage et l’incinération.

Des campagnes créatives ont amplifié le message. L’innovation numérique a permis de toucher le grand public grâce à des applications de suivi de la pollution, des cartes interactives des flux commerciaux des déchets, et des expériences de réalité virtuelle. Les campagnes sur les réseaux sociaux ont rendu accessibles des enjeux politiques complexes, les images virales d’animaux marins pris dans des déchets plastiques s’avérant particulièrement percutantes. Des campagnes telles que #PlasticFreeChallenge (« Défi Sans Plastique ») ont présenté des alternatives concrètes, tandis que #StopShippingPlasticWaste (« Arrêtez d’expédier les déchets plastiques ») a fait pression sur les grandes compagnies maritimes pour qu’elles cessent de transporter des déchets plastiques vers les pays du Sud.

Des actions directes ont capté l’attention du public. Extinction Rebellion a organisé des blocages d’usines pétrochimiques dans six pays autour de la mer du Nord. Les tournées du « Plastic Monster » de Greenpeace ont construit des installations artistiques géantes représentant des déchets devant les sièges sociaux des principaux pollueurs, tandis que des activistes ont embarqué à bord d’un navire pétrolier transportant des produits chimiques toxiques à base de plastique au moment où les négociations de Busan atteignaient un point critique.

Des initiatives locales ont eu recours à des tactiques créatives, comme apposer des autocollants indiquant la « date d’expiration du plastique » sur des produits vendus en supermarché, ou organiser des événements pour rapporter les emballages plastiques en magasin. Les efforts pour responsabiliser les entreprises ont inclus des classements publics et des campagnes de détournement de marques. En Australie, la campagne Unwrapped a enquêté sur l’usage des emballages plastiques par les grandes chaînes de supermarchés tout en militant pour des limites strictes de production.

La société civile a recours à des actions en justice pour empêcher la construction de nouvelles usines de plastique. Greenpeace descend dans les rues de Genève pour exiger une réduction d’au moins 75% de la production de plastique d’ici 2040, affirmant clairement que le recyclage seul ne suffira pas à résoudre la crise.

La voix de la société civile est entendue par certains acteurs du secteur privé. Dans le cadre d’initiatives telles que la Coalition des entreprises pour un traité mondial sur les plastiques, environ 300 entreprises, dont plusieurs grandes sociétés, ont exprimé leur soutien à la réduction de la production parallèlement aux efforts de recyclage, et leur préférence pour des règles mondiales efficaces et contraignantes afin d’éviter d’avoir à naviguer entre différentes approches selon les pays.

Un moment décisif

Les pourparlers de Genève constituent sans doute la dernière opportunité réaliste de s’attaquer de manière globale à la crise du plastique. Le texte de négociation actuel compte 22 pages et 32 articles provisoires couvrant l’ensemble du cycle de vie des plastiques. Cependant, un consensus semble de plus en plus improbable, ce qui incite à rechercher d’autres approches.

En juin, une centaine de ministres ont signé une déclaration « d’alerte », signalant leur volonté de demander un vote si les négociations ne parvenaient pas à un consensus. Le consensus est la procédure normale dans les processus des Nations unies, car il est considéré comme un moyen de finaliser des engagements que les États respecteront, mais le problème, comme on l’a vu à maintes reprises dans les négociations sur le climat, est qu’il permet aux États de simplement opposer leur veto à des accords contraignants.

Si aucun accord n’est trouvé ou si un traité faible est adopté, les États les plus ambitieux pourraient former un pacte entre eux, en dehors du cadre des Nations unies. Cela permettrait d’établir des normes internationales strictes, d’encourager les États pionniers et de faire pression sur les autres, mais laisserait néanmoins un patchwork mondial dans lequel il serait difficile de lutter contre l’impunité.

Même si un traité fort peut être finalisé, son succès dépendra d’actions concrètes au-delà des accords diplomatiques. Un système mondial de surveillance robuste sera essentiel pour mesurer les progrès, car le monde manque actuellement de méthodes cohérentes et crédibles pour quantifier les plastiques qui finissent dans l’environnement. Le rôle de la société civile dans la surveillance doit être reconnu comme partie intégrante du processus.

Même si un traité est conclu, il reste encore beaucoup à faire. Mais cela doit être la prochaine étape. Ce qui se passe actuellement à Genève est important pour les générations actuelles et futures. Les négociateurs ont un pouvoir considérable entre leurs mains. Ils doivent écouter la société civile et l’utiliser à bon escient.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Les États doivent dialoguer avec les militants de la société civile et prendre en compte leurs propositions pour un traité fort.
  • Les États les plus ambitieux doivent maintenir leurs exigences en faveur d’un traité solide qui couvre tous les aspects du cycle de vie des plastiques.
  • Les Nations unies doivent prendre des mesures pour limiter l’influence de l’industrie des combustibles fossiles dans tous les processus de négociations liés au climat et à l’environnement.

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Photo de couverture : Fabrice Coffrini/AFP