La crise du plastique : une course contre la montre
La pollution plastique est une crise qui ne fera qu’empirer si l’on n’y remédie pas. La volonté politique, élément manquant pour résoudre le problème, s’est matérialisée en février 2022 : une résolution des Nations Unies a lancé un processus d’élaboration d’un traité contraignant pour lutter contre la pollution des plastiques à tous les stades de leur cycle de vie. L’élaboration d’un traité solide se heurte à la résistance des entreprises pétrochimiques et de plasturgie, qui sont absurdement autorisées à prendre part aux négociations. La société civile plaide pour accroître son accès aux négociations et maintient la pression en faveur de l’ambition et de la rapidité afin de respecter l’échéance de 2024, sachant que seule une action mondiale permettra de résoudre un problème mondial.
Le monde se noie dans le plastique. En raison de leur conception, de leur production, de leur consommation et de leur élimination, les plastiques sont à l’origine d’une crise majeure et croissante, avec de graves répercussions sur les écosystèmes, la biodiversité, le climat et la santé humaine.
On estime que des 9,2 milliards de tonnes de plastique produites depuis les années 1950, sept milliards sont aujourd’hui des déchets. Une grande partie de ces déchets se retrouve dans le sol et les océans, dans notre alimentation et même dans notre sang, sous la forme de microplastiques qui sont désormais omniprésents. Selon une étude du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), les plastiques constituent « la fraction la plus importante, la plus nocive et la plus persistante des déchets présents dans les espaces marins, et représentent au moins 85 % de leur total ».
La dépendance du monde à l’égard des matières plastiques ne cesse d’augmenter. La production de plastique vierge est passée de deux millions de tonnes par an en 1950 à 367 millions de tonnes en 2020, et l’on estime que d’ici 2050 elle dépassera le milliard de tonnes par an.
Une approche globale et juridiquement contraignante à ce problème mondial est absolument nécessaire, car rien d’autre n’a fonctionné. Les plastiques restent largement non réglementés par le droit international, avec une poignée de conventions traitant chacune des aspects limités du cycle de vie des plastiques et de leurs impacts. Aujourd’hui, on peut espérer un changement : en mars 2022, une innovante résolution des Nations Unies a donné le coup d’envoi au processus de négociation d’un traité international visant à lutter contre la pollution plastique.
La société civile, qui a joué un rôle majeur dans le processus aboutissant à la négociation, veille à ce que le traité qui en résultera ne soit pas qu’un nouveau pansement qui ne s’attaque pas aux causes profondes du problème. La société civile souhaite au contraire un traité qui impose des obligations contraignantes et aborde tous les impacts des plastiques tout au long de leur cycle de vie, de la conception et de la production jusqu’à la consommation et à la gestion des déchets.
La résolution de lancement
Cette résolution historique a été adoptée lors de la réunion de 2022 de l’Assemblée des Nations Unies pour l’environnement (ANUE). Bien qu’elle fasse l’objet de peu d’attention de la part du public par rapport aux sommets environnementaux tels que les conférences des parties (COP) sur le changement climatique, l’ANUE est l’organe décisionnel le plus élevé au monde en matière d’environnement. Les 193 États membres des Nations Unies en sont tous membres et elle se réunit tous les deux ans à Nairobi, au Kenya, pour fixer les priorités de la politique environnementale mondiale et développer le droit international de l’environnement.
La cinquième session de l’ANUE a été divisée en une session en ligne en février 2021 et une discussion en personne en février 2022, lorsque la résolution historique a été adoptée. Avant la réunion, plus de 700 groupes de la société civile de 113 pays ont fait pression sur les États membres de l’ONU pour qu’ils acceptent d’élaborer un traité juridiquement contraignant.
Plusieurs années ont été nécessaires pour aboutir à la résolution, qui a été évoquée pour la première fois lors de la réunion de l’ANUE en 2016 en référence au plastique dans le milieu marin. Lorsqu’elle s’est finalement concrétisée, son champ d’application s’était considérablement élargi et, bien que la formulation de la résolution soit le produit de négociations, les efforts visant à l’affaiblir considérablement ou à en réduire le champ d’application ont été rejetés.
La résolution prévoit la création d’un Comité intergouvernemental de négociation (CIN) chargé d’élaborer un traité contraignant couvrant toutes les phases du cycle de vie des matières plastiques d’ici à la fin de 2024. Il s’agit d’une échéance ambitieuse si l’on considère les nombreux détails que le CIN devra régler, allant des normes de déclaration jusqu’aux mécanismes de financement, qui seront essentiels pour l’efficacité du traité.
Des voix en première ligne
Vito Buonsante est un avocat spécialisé en droit de l’environnement et conseiller technique et politique au Réseau international pour l’élimination des polluants (IPEN).
La mesure la plus importante pour que le traité soit efficace est la réduction de la production totale de plastique. Si la production ne ralentit pas, la quantité de plastique doublera au cours des 20 prochaines années et deviendra vraiment incontrôlable.
Une deuxième mesure clé concerne la conception des plastiques. Il est nécessaire de supprimer tous les additifs chimiques toxiques, tels que les bisphénols, les PFAS et les retardateurs de flamme, ainsi que tous les polymères toxiques tels que le PVC et le polystyrène. On sait que ces produits chimiques ont des effets nocifs sur la santé, perturbant notamment les fonctions hormonales, la fertilité et les fonctions cérébrales des enfants. La création de cycles de matériaux plus sûrs repose donc sur l’élimination de ces substances des plastiques. Il est également très important d’améliorer la transparence en ce qui concerne les ingrédients des plastiques ainsi que les quantités et les types de plastiques produits. Sans une image claire de ce qui est produit et où, il sera difficile de lutter contre la pollution plastique.
L’ambition doit également s’étendre à la mise en œuvre du traité, pour laquelle les pays développés doivent s’engager à créer un fonds. Quelle que soit la rigueur des dispositions du traité, sans un investissement considérable dans sa mise en œuvre l’impact ne pourra qu’être limité. Des engagements ont récemment été adoptés en faveur de fonds pour le climat et la biodiversité, mais aucun fonds n’a encore été créé pour lutter contre la pollution plastique et les effets liés aux produits chimiques et aux déchets.
Nous sommes convaincus que la nécessité de résoudre cette crise planétaire prévaudra. La communauté internationale semble échouer dans la lutte contre le changement climatique. Elle ne peut pas aussi échouer dans la lutte contre les plastiques. Le traité sur les plastiques pourrait démontrer que la coopération internationale est le meilleur moyen de résoudre les problèmes mondiaux et que la santé humaine et l’environnement peuvent et doivent passer avant les intérêts nationaux et commerciaux.
Ceci est un extrait de notre conversation avec Vito. Lisez l’intégralité de l’entretien ici.
Campagne de la société civile
En 2016, un mouvement mondial, #BreakFreeFromPlastic (« Libérons-nous du plastique », BFFP), s’est formé pour exiger la réduction des plastiques à usage unique et plaider en faveur de solutions durables à la crise du plastique. La campagne a été rejointe par plus de 2 800 organisations et 13 000 personnes à travers le monde. Elle partage les résultats scientifiques et mène ses propres recherches, sur la base desquelles elle plaide au niveau mondial pour obtenir des changements, dont l’élaboration du traité sur les plastiques. Ses organisations membres défendent les intérêts des plus défavorisés, notamment les travailleurs du secteur des déchets, et demandent instamment l’adoption de nouvelles lois et politiques pour s’attaquer au problème, y compris aux niveaux national et régional.
L’une de leurs campagnes, #StopShippingPlasticWaste (« Arrêtez d’expédier les déchets plastiques ») se concentre sur le commerce des déchets : l’exportation massive de déchets plastiques par les pays riches vers les pays du Sud global, où ils sont censés être recyclés mais sont souvent jetés dans des décharges ou brûlés dans des usines illégales, accroissant la contamination et les problèmes de santé. Il est clair que cela n’est pas une solution à la crise du plastique.
La campagne du BFFP utilise des données scientifiques pour contrer les arguments intéressés des producteurs de plastique. Elle a présenté une déclaration des scientifiques qui remet fortement en question les approches axées principalement sur la gestion des déchets, les législations disparates et les engagements volontaires.
La déclaration précise que la pollution plastique est « transfrontalière et transgénérationnelle ». À l’instar du changement climatique, ses effets dépassent largement la capacité d’un État à y faire face, d’où la nécessité d’une approche multilatérale.
Dans la déclaration, les scientifiques estiment que les réglementations nationales actuelles et les initiatives volontaires ne permettraient qu’une réduction de 7 % des déchets plastiques. Ils soulignent l’absence générale de réglementation de l’industrie du plastique et l’inadéquation du recyclage en tant que solution unique, étant donné qu’une grande partie de ce qui est produit n’est pas recyclable et que le recyclage a tout de même des incidences sur l’environnement.
Il faut avant tout se concentrer sur la limitation de la production de plastique, mais les entreprises de combustibles fossiles, les sociétés chimiques et les fabricants de plastique exercent un puissant lobbying à cet égard. Parallèlement, il faut éliminer les additifs toxiques, les charges plastiques et les polymères qui rendent la plupart des plastiques non recyclables. Il est également nécessaire d’améliorer la gestion des déchets afin de garantir que tout plastique arrivant à la fin de son cycle de vie puisse être éliminé en toute sécurité. Un élément essentiel de cette démarche consisterait à transférer les coûts financiers de la gestion des déchets plastiques aux fabricants de plastique plutôt qu’au public.
Le loup dans la bergerie
La première session du CIN s’est déroulée du 28 novembre au 2 décembre 2022 en Uruguay, avec la participation de plus de 1 400 délégués, présentiels et virtuellement, provenant de 147 pays. Elle a été précédée d’un forum multipartite, décrit comme une tentative de trouver un terrain d’entente entre divers intérêts, notamment entre les groupes de justice environnementale et professionnels de la santé publique et les représentants de l’industrie pétrochimique.
Les défenseurs de l’environnement ont souligné l’absurdité d’accorder un siège à la table des négociations aux entreprises responsables de la crise de la pollution plastique, ce qui ne peut que compliquer la conclusion d’un accord solide. Ils ont cité l’exemple des négociations visant à élaborer la convention-cadre de 2003 pour la lutte antitabac, auxquelles l’industrie du tabac n’a pas participé.
Des organisations de ramasseurs de déchets dans des pays allant du Chili à l’Inde ont souligné la nécessité d’une participation équitable et substantielle, et pas purement symbolique, de la société civile à l’élaboration du traité, et de faire entendre la voix de ceux qui sont en première ligne pour traiter les déchets plastiques. Cela serait seul moyen d’identifier de véritables solutions.
Why is @UNEP having petrochem lobbyists facilitate sessions at #INC1 #plastictreaty negotiations? The Framework Convention on Tobacco Control limited industry influence, for obv reasons. https://t.co/s5bNkErVTj
— John Hocevar (@JohnHocevar) December 2, 2022
Pour résister à l’influence souvent dissimulée des lobbyistes des combustibles fossiles dans les négociations, la société civile dispose d’un allié de poids : la Coalition de Haute Ambition pour mettre fin à la pollution plastique. Coprésidée par la Norvège et le Rwanda, cette vaste coalition d’États milite en faveur d’un traité ambitieux et exhaustif portant sur l’ensemble du cycle de vie des plastiques, dans le but de mettre fin à la pollution plastique d’ici à 2040. Conformément aux propositions de la société civile, la coalition a trois objectifs stratégiques mondiaux : limiter la consommation et la production de plastique à des niveaux durables, permettre une économie circulaire pour les plastiques qui protège l’environnement et la santé humaine, et parvenir à une gestion et à un recyclage écologiquement rationnels des déchets plastiques.
Le traité sur les plastiques pourrait démontrer que la coopération internationale est le meilleur moyen de résoudre les problèmes mondiaux et que la santé humaine et l’environnement peuvent et doivent passer avant les intérêts nationaux et commerciaux.
Toutefois, certains États puissants ne sont pas d’accord : Le Japon, l’Arabie saoudite et les États-Unis sont parmi ceux qui font pression pour un traité beaucoup moins ambitieux, avec des engagements volontaires plutôt que contraignants, et se concentrant uniquement sur la gestion des déchets plutôt que sur l’ensemble du cycle de vie des plastiques.
Telles sont les lignes de fracture à l’approche de la deuxième session de la CNI, qui se tiendra en France du 29 mai au 2 juin. Le défi est de parvenir à un accord à la fois ambitieux et conclu d’ici à l’échéance de 2024. Le danger à éviter est celui d’un accord qui se contente d’évoquer le problème du bout des lèvres, en citant par exemple le potentiel du recyclage, sans s’attaquer à la question fondamentale de la production de plastique.
La société civile s’efforcera de maintenir la pression en faveur de la rapidité et de l’ambition, sachant que chaque jour qui passe le problème à résoudre ne cessera de s’aggraver.
NOS APPELS À L’ACTION
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Les États devraient s’efforcer de limiter les influences indues de l’industrie du plastique dans le processus d’élaboration des traités.
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Les États devraient s’engager auprès des activistes de la société civile et prendre en compte leurs propositions afin d’aboutir à un traité fort.
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Une grande diversité de membres de la société civile, en particulier du Sud, devrait participer au processus du traité.
Photo de couverture par Tony Karumba/AFP via Getty Images