Cinq ans après avoir pris le pouvoir au Mali, la junte militaire dirigée par le général Assimi Goïta a systématiquement démantelé les institutions démocratiques au lieu de tenir sa promesse de rétablir un régime civil. Elle a dissous tous les partis politiques, réduit au silence les médias indépendants par des amendes punitives et des arrestations, utilisé les lois sur la cybercriminalité comme une arme contre ses détracteurs, formé une alliance régionale avec d’autres États dirigés par des militaires et, plus récemment, s’est retirée de la Cour pénale internationale. Malgré les manifestations et des condamnations internationales, la junte a consolidé son contrôle, prolongeant le mandat antidémocratique de Goïta jusqu’en 2030. Des militants, des journalistes et des figures de l’opposition continuent de résister avec courage, au péril de leur vie. Ils ont désormais un besoin urgent d’un soutien international concret, allant au-delà des simples déclarations de préoccupation.

Le 29 septembre, le procès de l’ancien Premier ministre Moussa Mara s’est ouvert devant le tribunal spécialisé dans la cybercriminalité de Bamako, la capitale du Mali. Mara, critique virulent du régime militaire, avait été arrêté en août après avoir publié un message sur les réseaux sociaux au sujet des prisonniers politiques. Il y exprimait sa solidarité avec les « prisonniers d’opinion » et affirmait qu’il « se battrait par tous les moyens » pour mettre fin au régime militaire. Pour cela, il est accusé d’atteinte à l’autorité de l’État, d’incitation à des troubles publics et de diffusion de fausses informations. Il n’est pas un cas isolé. La junte a formulé les mêmes accusations vagues contre des dizaines d’autres détracteurs.

Une semaine plus tôt, le 22 septembre, le Burkina Faso, le Mali et le Niger, tous sous régime militaire, ont annoncé leur retrait immédiat de la Cour pénale internationale (CPI). Le communiqué conjoint a été signé par le général Assimi Goïta, en sa double qualité de président de facto du Mali et de président tournant de la Confédération des États du Sahel, l’alliance formée en 2023 par les trois pays pour contrer la pression exercée par l’organisation régionale clé, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), en faveur du rétablissement de la démocratie. La déclaration qualifiait la CPI « d’instrument de répression néocolonialiste » et l’accusait de pratiquer une justice sélective.

Bien que le retrait ne prenne effet que dans un an et que la CPI conserve sa compétence pour les crimes commis pendant la période d’adhésion du Mali, cette annonce illustre la détermination de la junte à agir en dehors des contraintes juridiques internationales.

Ces développements surviennent dans un contexte de répression croissante. En août, la junte a arrêté plusieurs généraux de haut rang et des civils, les accusant d’avoir comploté pour déstabiliser les institutions de l’État. Ces arrestations sont intervenues quelques mois seulement après la promulgation de décrets radicaux interdisant les partis politiques et dissolvant la quasi-totalité de l’opposition organisée. Plutôt que de préparer la transition démocratique maintes fois reportée – initialement promise pour 2022 puis repoussée à mars 2024 – la junte continue à démanteler méthodiquement le fragile espace civique malien.

Une transition qui n’en est qu’une de nom

Lorsque Goïta a pris le pouvoir en août 2020, renversant le président Ibrahim Boubacar Keïta après des manifestations massives contre la corruption et l’insécurité, il s’était engagé à superviser un retour rapide à un régime civil. Moins d’un an plus tard, il est revenu sur cet engagement en orchestrant un second coup d’État pour écarter les dirigeants civils de transition.

En 2023, la junte a organisé un référendum constitutionnel, présenté comme une étape vers la démocratie. La nouvelle constitution, approuvée selon les autorités par 97% des votants, malgré un faible taux de participation de 39%, a considérablement renforcé les pouvoirs présidentiels. Elle permet désormais au président de déterminer la politique nationale, de nommer et de révoquer les premiers ministres et les membres du gouvernement, et de rendre le gouvernement responsable devant lui plutôt que devant le Parlement. Ces changements ont également instauré une amnistie pour les participants aux coups d’État de 2020 et 2021.

Cependant, les échéances électorales n’ont cessé d’être repoussées. À la suite des décrets d’avril 2025, elles sont désormais ajournées au moins jusqu’en 2030.

En avril, la junte a organisé une consultation nationale censée définir l’avenir politique du Mali. Boycottée par la quasi-totalité des grands partis, qui l’ont dénoncée comme une façade visant à légitimer un régime militaire indéfini, cette consultation a recommandé de nommer Goïta président pour un mandat renouvelable de cinq ans, jusqu’en 2030. Cette recommandation contredisait clairement toute promesse de rétablir une démocratie multipartite.

Quelques jours plus tard, la junte a pris des mesures visant à éliminer toute opposition politique. Le 7 mai, Goïta a signé un décret suspendant les activités de tous les partis politiques et associations connexes jusqu’à nouvel ordre. Le gouvernement a justifié cette décision en invoquant la nécessité de prévenir les activités déstabilisatrices et de maintenir l’ordre public – un argument systématiquement utilisé pour justifier chaque nouvelle restriction des libertés civiles. Le 12 mai, le Conseil national de transition, l’organe législatif nommé par la junte en remplacement du Parlement élu, a abrogé la Charte des partis politiques de 2005, qui constituait le cadre juridique régissant la compétition politique et le statut de l’opposition. Le 13 mai, un autre décret présidentiel a dissous près de 300 partis politiques, interdisant toute réunion ou activité sous peine de poursuites judiciaires.

Sans surprise, les tribunaux ont rejeté les recours contre cette décision. À la suite des changements constitutionnels de 2023, Goïta détient le contrôle total des nominations à la Cour suprême, et le pouvoir judiciaire est désormais redevable à l’exécutif, perdant ainsi son rôle de contre-pouvoir indépendant.

En mai, le ministre délégué à la Réforme politique a annoncé qu’une nouvelle loi sur les partis politiques limiterait drastiquement leur nombre et imposerait des conditions de création beaucoup plus strictes. Le régime a clairement exprimé son intention de contrôler étroitement le paysage politique, dépourvu de tout pluralisme réel.

Ce n’est pas la première fois que la junte suspend les activités politiques : des mesures similaires avaient été imposées entre février et avril 2024 avant d’être levées en juillet. Mais la répression actuelle apparaît comme plus complète et durable.

L’espace civique sous le feu des critiques

La répression contre les partis politiques a déclenché la première grande résistance publique au régime militaire depuis le coup d’État de 2020. Début mai, des milliers de personnes sont descendues dans les rues de Bamako pour protester contre l’interdiction des partis et la prolongation du mandat de Goïta. Les forces de sécurité ont dispersé la foule à l’aide de gaz lacrymogènes. Le 5 mai, les dirigeants de la société civile et de l’opposition ont tenu une conférence de presse appelant au retour rapide à l’ordre constitutionnel par l’organisation d’élections libres et équitables. Toutefois, les manifestations prévues pour le 9 mai ont été annulées après que les organisateurs ont reçu des menaces de représailles violentes.

À la mi-mai, des manifestations ont éclaté dans la région de Mopti. Des dizaines de civils, dont des femmes et des enfants, ont organisé une marche pacifique à Diafarabé, après qu’au moins 20 personnes auraient été exécutées par des soldats maliens lors d’une opération militaire. Les Nations unies (ONU) ont demandé l’ouverture d’une enquête, et l’armée aurait lancé sa propre investigation, mais peu de progrès significatifs ont été réalisés depuis.

Ces attaques contre les partis politiques s’inscrivent dans le cadre d’une campagne plus large visant à restreindre la société civile. Depuis 2022, la junte a suspendu les activités des organisations de la société civile recevant des financements étrangers, en particulier celles liées à l’ancienne puissance coloniale française, perçues comme critiques envers le régime et favorables au retour de la démocratie. Elle a également instauré des contrôles réglementaires stricts et a récemment présenté un projet de loi visant à taxer les organisations de la société civile.

Voix de la ligne de front

Modibo Diakite est président de l’Association pour le développement socio-économique et technologique de la jeunesse et Fakassi Fofana est coordinateur d’une organisation humanitaire partenaire.

 

Si cette loi est adoptée, elle pourrait avoir un impact significatif sur l’espace civique. En effet, elle imposerait aux associations et fondations de verser 10% de leur budget de fonctionnement et de leurs projets à l’État, représentant une menace sérieuse pour la survie d’organisations qui fonctionnent déjà avec très peu de moyens financiers.

Maintenant, on nous demande d’expliquer à nos partenaires qu’une partie des fonds alloués à nos projets ira à l’État, sans impact direct sur la mise en œuvre des activités, et il sera très difficile de les convaincre de continuer à soutenir nos actions dans ces conditions. Là où l’État est dans l’impossibilité d’intervenir – comme dans les domaines de la santé, de l’éducation, de l’eau, de l’électricité – ce sont les OSC qui, à travers différents projets, essaient d’assurer les besoins de la population.

Actuellement, nous faisons face à des difficultés majeures liées au retrait progressif des bailleurs de fonds, dont récemment l’USAID. Ces départs successifs ont eu un impact important sur notre fonctionnement, et cette nouvelle loi ne ferait qu’aggraver une situation déjà critique.

En l’absence de financements extérieurs, la plupart des organisations dépendent de subventions de partenaires et des cotisations de membres qui restent quand même difficiles à mobiliser à cause de la crise économique, de la perte d’emplois et de la précarité croissante. Ces fonds nous aident à payer les impôts, les charges sociales et le loyer. Si en plus on nous impose un prélèvement supplémentaire, cela va mettre en péril de nombreux projets. Beaucoup d’organisations ont déjà fermé, et celles qui tiennent encore le coup le font dans des conditions extrêmement précaires.

 

Ceci est un extrait édité de notre conversation avec Modibo et Fakassi. Lisez l’interview complète ici.

 

Parallèlement à la répression des manifestations, les disparitions forcées se sont intensifiées. Le 14 mars, des individus non identifiés, largement soupçonnés d’être des agents de la sécurité d’État, ont enlevé le leader de la société civile Alou Badra Sacko. Il a été emmené alors qu’il participait à une réunion visant à élaborer des stratégies pour résister aux nouvelles taxes, et détenu dans une prison secrète pendant deux mois. Sa disparition a envoyé un message clair : même le plaidoyer sur des questions économiques peut déclencher la colère du régime.

Fin avril, la police a arrêté et placé en détention le leader de l’opposition Mamadou Traoré, après qu’il ait critiqué la corruption au sein des autorités de transition et remis en question la légitimité du référendum de 2023. Deux autres leaders de l’opposition ayant contesté les décrets d’avril prolongeant le mandat de Goïta ont été enlevés le 8 mai : Abba Alhassane, de Convergence pour le développement du Mali, et Bachir Thiam, du parti Le Changement.

Les personnalités religieuses ne sont pas épargnées. En janvier, l’imam Sekou Sidibé a été arrêté et condamné à deux ans de prison après la diffusion virale d’une vidéo dans laquelle il critiquait vivement les instructeurs militaires dispensant des formations pendant le ramadan. En février 2025, les forces de l’ordre auraient arrêté plusieurs partisans de l’imam Mahmoud Dicko, éminent détracteur du régime, alors qu’ils préparaient son retour d’exil. La forte présence des forces de sécurité et la menace de violences ont contraint Dicko à reporter son arrivée.

La junte s’attaque également aux médias indépendants. En novembre 2024, la Haute autorité de la communication a suspendu, puis révoqué, la licence de JOLIBA TV News à la suite d’une plainte déposée par les dirigeants militaires du Burkina Faso, illustrant la coordination transfrontalière croissante entre régimes autoritaires pour réprimer la dissidence. En décembre, l’organisme de régulation a augmenté de 900% les redevances des médias, imposant ainsi une charge insoutenable aux petites structures. Début mai, il a suspendu TV5-Monde, l’accusant de ne pas respecter les principes d’impartialité dans sa couverture des manifestations.

Le gouvernement utilise les lois sur la cybercriminalité, destinées à lutter contre la fraude et le harcèlement en ligne, pour cibler militants de la société civile et journalistes, comme ce fut le cas pour Moussa Mara et d’autres personnalités politiques. Il les accuse de « porter atteinte à la crédibilité de l’État », de « diffuser de fausses informations » et de « nuire à la réputation de l’État », des infractions vagues qui s’appliquent à presque toutes les critiques. Le libellé flou de la loi confère aux procureurs un pouvoir discrétionnaire énorme, créant une insécurité juridique qui encourage l’autocensure.

En avril 2025, la police a arrêté et placé en détention Alfousseini Togo, directeur de publication du Canard de la Venise, pour un article qui vérifiait des faits et contestait les affirmations du gouvernement. L’unité judiciaire chargée de la cybercriminalité l’a accusé d’atteinte au pouvoir judiciaire, de trouble à l’ordre public et de diffamation. Il a été libéré sous caution le 12 mai. En mai, la police a arrêté le journaliste Seydou Oumar Traoré, accusé d’avoir insulté le président par intérim de la Guinée – un autre exemple de l’autoritarisme mutuel entre les États dirigés par des militaires.

Perspectives

Cinq ans après la prise du pouvoir par le général Goïta, qui promettait un retour rapide à un régime civil, le Mali continue de s’engager dans la direction inverse.

Le coup d’État d’août 2020 avait initialement bénéficié d’un certain soutien populaire, alimenté par la colère face à la corruption et à l’incapacité du gouvernement civil à contenir les insurrections djihadistes. Mais aucune amélioration n’a suivi. Les groupes djihadistes continuent de tuer des milliers de personnes chaque année, tandis que l’armée malienne et ses nouveaux alliés mercenaires russes – après le départ des forces françaises et alliées – commettent régulièrement des atrocités contre les civils. Dans le même temps, les libertés permettant à la population d’exprimer ses griefs et d’exiger des comptes ont été systématiquement supprimées.

La junte a éliminé toutes les institutions nationales susceptibles de limiter son pouvoir. Et, avec le retrait du Mali de la CPI, même les mécanismes internationaux de responsabilité sont désormais écartés. Ce qui avait commencé comme une prétendue correction des dérives du pouvoir civil s’est mué en un autoritarisme assumé, justifié par les impératifs de sécurité nationale et d’ordre public.

La trajectoire du Mali a des répercussions au-delà de ses frontières. Le pays fut le premier d’une série d’États d’Afrique centrale et occidentale à tomber sous contrôle militaire ces dernières années, ouvrant la voie à un mouvement régional de rejet des normes internationales en matière de démocratie et de droits humains. La communauté internationale a réagi en dénonçant cette régression. Le 8 mai, des experts indépendants des droits humains de l’ONU ont condamné l’abolition du multipartisme et exhorté les autorités à faire marche arrière. De nombreux groupes internationaux de la société civile ont documenté la restriction systématique de l’espace civique, tandis que le retrait de la CPI a suscité de nouvelles critiques, perçu comme un refus d’assumer la responsabilité des crimes commis.

La CEDEAO a déjà imposé des sanctions, mais son influence s’est fortement réduite depuis le départ du Burkina Faso, du Mali et du Niger, désormais unis au sein de l’Alliance des États du Sahel, et étroitement liés à la Russie. Alors que l’Union africaine et la CEDEAO continuent d’appeler à la définition d’un calendrier électoral crédible, le régime malien reste sourd à toute injonction.

Dans ce contexte sombre, les militants de la société civile, les journalistes et les figures de l’opposition maliens continuent de s’exprimer au péril de leur vie. Leur courage exige davantage que de simples déclarations de condamnation : il appelle un soutien tangible, sous la forme de financement d’urgence, de canaux de communication sécurisés, d’assistance juridique, de refuge temporaire et de pression diplomatique soutenue. L’engagement de la communauté internationale en faveur des droits humains et des valeurs démocratiques, au Mali comme dans toute l’Afrique centrale et occidentale, doit se traduire par une solidarité réelle avec celles et ceux qui risquent tout pour les défendre.

NOS APPELS À L’ACTION

  • La junte militaire malienne doit immédiatement libérer tous les prisonniers d’opinion, lever l’interdiction des partis politiques et revenir sur sa décision de se retirer de la Cour pénale internationale.
  • La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest doit imposer des sanctions ciblées aux responsables maliens coupables de violations des droits humains jusqu’à l’organisation d’élections libres et crédibles.
  • Les bailleurs de fonds internationaux doivent mettre en place des mécanismes de financement d’urgence pour soutenir la société civile malienne et les médias indépendants opérant sous de sévères restrictions ou en exil.

Pour toute demande d’interview ou pour plus d’informations, veuillez contacter research@civicus.org

Photo de couverture par Pavel Bednyakov/Pool via Reuters