« Si la crise humanitaire n’est pas stabilisée, le processus de paix risque d’être perçue comme illusoire »
CIVICUS discute l’accord de paix entre la République Démocratique du Congo (RDC) et le Rwanda avec Me Gentil Akilimali, Secrétaire Exécutif du Centre d’Espoir pour les Droits Humains, une organisation de la société civile Congolaise accompagne les victimes de violations des droits humains en RDC en leur offrant une assistance juridique, psychologique et sociale.
Le 27 juin, la RDC et le Rwanda ont signé un accord de paix à Washington, aux États-Unis, marquant une tentative diplomatique de résoudre des tensions régionales persistantes. À la suite de cet accord, la RDC a imposé un ultimatum exigeant le retrait immédiat des forces rwandaises du territoire congolais et la cessation de tout soutien aux groupes armés tels que les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda et le M23. En cas de non-respect de ces conditions, la RDC menace de lancer une offensive militaire. Cette escalade potentielle survient alors que l’est de la RDC demeure en proie à une grave crise humanitaire.
Quelle est la probabilité que le dernier accord aboutisse ?
Par le passé, la RDC et le Rwanda ont déjà signé de nombreux accords comme ceux de Nairobi, d’Addis-Abeba et, le plus important, celui de Lusaka. Malheureusement, ces accords ont généralement échoué en raison d’une méfiance structurelle. Cette méfiance n’a jamais été traitée par des mécanismes de vérité, de justice, de réconciliation régionale et des garanties sécuritaires, rendant tout accord signé entre la RDC et le Rwanda hautement précaire.
L’Accord de Washington, signé à la fin de juin sous la médiation des États-Unis, pourrait favoriser la paix du fait que les États-Unis et le Rwanda tirent chacun profit des ressources minières de la RDC comme le coltan. Cependant, la méfiance structurelle persiste et les perspectives de paix restent très fragiles.
Cet accord est un cadre essentiellement diplomatique dont les mécanismes de surveillance concret restent très limités et insuffisamment opérationnels. Pour être efficace, un mécanisme de surveillance devrait inclure une surveillance technologique par satellites et drones, des systèmes d’alerte rapide et de résolution des incidents, une obligation de rapports publics trimestriels, un dispositif indépendant de vérification et des sanctions automatiques en cas de violation telles que le gel des aides militaires, les restrictions de visas et la suspension des aides financières.
Au-delà des sanctions, il faudrait un mécanisme judiciaire qui sanctionne tous les auteurs de crimes graves en RDC. Les auteurs des différents crimes commis sur la population – notamment l’Alliance des forces démocratiques pour la libération du Congo en 1996, les forces de la RDC en 1998, le Congrès national pour la défense du peuple en 2006 et le M23 en 2009, puis à nouveau à partir de 2022 – devraient être arrêtés et poursuivis pour mettre fin aux cycle de la violence dans l’est de la RDC.
Comment les intérêts des États-Unis et les ressources minières influencent-ils ce processus ?
Les États-Unis ont facilité l’accord non par simple souci humanitaire ou moral mais principalement pour sécuriser leurs intérêts économiques, miniers et géopolitiques face à la Chine et à la Russie, tout en projetant une image de puissance médiatrice. Leur engagement dépendra de l’équilibre entre ces objectifs et leur volonté de maintenir une pression diplomatique crédible sur le Rwanda, malgré leur partenariat historique avec ce pays.
D’ailleurs, ces enjeux économiques jouent un rôle déterminant dans l’engagement ou le désengagement des parties prenantes dans le processus de paix. En effet, l’est de la RDC regorge de minerais stratégiques comme l’or, le coltan, le cobalt et la cassitérite qui attirent les pays voisins, les groupes armés, les réseaux mafieux et des intérêts étatiques. Le contrôle et l’accès aux zones minières deviennent ainsi des objectifs à la fois militaires et économiques prioritaires, alimentant la violence et compliquant la recherche de solutions pacifiques.
Dans ce contexte, lors des négociations de paix, la RDC peut être poussée à octroyer des concessions minières ou des facilités économiques comme incitations pour obtenir un engagement réel du Rwanda. Ces concessions sont parfois intégrées discrètement dans les accords, créant une paix économique plutôt qu’une paix politique ou sociale. L’enjeu clé reste de sortir les ressources naturelles de la logique de violence et d’exploitation pour les intégrer dans un cadre de développement équitable et transparent qui permette à la RDC de se développer.
Que pourrait signifier cet accord pour la crise humanitaire ?
La crise humanitaire est à la fois un symptôme et un facteur aggravant du conflit. Sa persistance peut saboter les accords de paix en alimentant les frustrations, en renforçant les groupes armés et en discréditant l’État congolais comme acteur de protection. À l’inverse, seule la paix peut mettre fin à cette crise humanitaire. Cela passe par l’instauration de mécanismes de justice transitionnelle, c’est-à-dire : réparer les injustices passées, promouvoir la réconciliation entre les populations congolaises et rwandaises, prévenir de futures violences entre les deux pays et restaurer la confiance entre la RDC et le Rwanda.
Si la crise humanitaire n’est pas stabilisée par des réponses efficaces incluant le retour sécurisé des personnes déplacées, l’accès humanitaire et la réhabilitation des zones de conflit, le processus de paix risque d’être perçue comme illusoire par les communautés locales et de rester un exercice diplomatique sans impact réel sur le terrain.