Steward Muhindo est activiste de la LUCHA (Lutte pour le changement), un mouvement citoyen non violent et non partisan en République démocratique du Congo (RDC). Il analyse pour CIVICUS le conflit dans l’est du pays.

La prise de Goma par le groupe rebelle M23 marque un tournant dramatique dans le conflit. Les hôpitaux sont débordés par l’afflux de victimes. Des milliers d’habitants ont fui la ville, paralysant ce centre névralgique de l’aide humanitaire régionale. La colère monte à Kinshasa, la capitale, où des manifestants s’en prennent aux ambassades pour dénoncer la passivité internationale face au Rwanda, largement considéré comme le principal soutien du M23. Face à cette escalade, la société civile exige une action ferme de la part des organisations internationales et régionales.

Quelle est la situation à Goma ?

La situation est extrêmement préoccupante en raison notamment de la résurgence du groupe armé M23. Depuis près de trois ans, le groupe armé M23 a ressurgi avec le soutien du Rwanda. Ce soutien n’est plus seulement une présomption : c’est un fait avéré, confirmé par de nombreux rapports des Nations unies, des témoignages de populations locales et des observations médiatiques. Ce soutien militaire actif contribue directement à la déstabilisation de la RDC et, par extension, de toute la région des Grands Lacs.

L’avancée du M23 a provoqué des déplacements massifs de populations, qui fuient les zones de combat dans les territoires de Masisi et Rutshuru pour se réfugier aux abords de Goma.

Avant même la prise de la ville, cette situation avait conduit à un afflux massif de déplacés, doublant pratiquement la population de Goma qui comptait alors environ deux millions d’habitants. Cette croissance soudaine a exercé une pression énorme sur les ressources locales, rendant l’accès aux services essentiels – eau potable, nourriture et soins de santé – extrêmement difficile. L’entrée du M23 dans Goma n’a fait qu’aggraver cette crise, exposant les populations civiles à des violences accrues et à une dégradation rapide des conditions de vie.

Comment la société civile répond-elle à cette crise humanitaire ?

Malgré des moyens limités, elle s’efforce de répondre aux besoins humanitaires de manière proactive. Des associations locales s’organisent pour collecter et distribuer des vivres, des vêtements et d’autres biens essentiels aux déplacés. En parallèle, elles mènent un plaidoyer actif auprès des organisations internationales et des autorités pour intensifier l’aide aux populations affectées.

Cependant, ces efforts se heurtent à plusieurs défis. L’insécurité complique l’acheminement de l’aide, les camps de déplacés étant fréquemment la cible d’attaques. Les défenseurs des droits humains et les acteurs de la société civile sont également exposés à des représailles, qui les obligent parfois à fuir, comme cela a été mon cas. Le manque de ressources constitue un obstacle supplémentaire : la société civile est principalement composée de membres de la communauté qui, eux-mêmes touchés par le conflit, disposent de moyens financiers très limités pour aider leurs compatriotes.

Quel est l’impact du soutien rwandais au M23 ?

Tout d’abord, il accroît le risque d’escalade militaire impliquant plusieurs États. En réponse aux attaques du M23, la RDC a sollicité l’appui de forces étrangères, notamment de pays membres de la Communauté de développement de l’Afrique australe (SADC) comme l’Afrique du Sud, le Malawi et la Tanzanie. Les forces armées burundaises sont également en opération au Congo au côté de l’armée Congolaise pour combattre le M23. L’implication du Rwanda dans la crise sécuritaire congolaise augmente le risque de confrontations directes entre forces rwandaises et armées de ces pays sur le sol congolais, pouvant dégénérer en conflit régional.

Par ailleurs, ce soutien rwandais au M23 alimente la résurgence d’autres groupes armés, notamment les Forces démocratiques de libération du Rwanda, qui étaient en déclin mais se remobilisent à chaque intervention rwandaise en RDC. Cette dynamique crée un cercle vicieux de violences et de représailles, rendant encore plus difficile la stabilisation de la région.

Cette situation contraint le gouvernement congolais à concentrer ses ressources sur la lutte contre le M23, mettant en suspens les opérations militaires contre d’autres groupes armés actifs sur le territoire. Cela maintient la RDC dans une instabilité perpétuelle, empêchant tout processus de pacification durable et entravant son développement socio-économique. De plus, ce conflit nourrit un climat de méfiance et de haine entre les populations, avec des conséquences durables sur la cohésion sociale et l’avenir politique de la région.

Que devrait faire l’Union africaine ?

Elle doit appeler au retrait des troupes rwandaises et veiller à la mise en place de corridors humanitaires pour permettre l’acheminement de l’aide humanitaire aux populations déplacées.

Il est impératif que les forces rwandaises se retirent du territoire congolais. Leur présence constitue en effet une violation de la souveraineté nationale et alimente les tensions dans la région. Ce retrait doit être supervisé par des observateurs internationaux afin de garantir son exécution effective.

Pour instaurer une paix durable, les organisations régionales – notamment la Communauté d’Afrique de l’Est, la SADC et l’Union africaine– doivent créer les conditions nécessaires à une désescalade du conflit, en commençant par l’imposition d’un cessez-le-feu immédiat, ce qui est indispensable pour permettre une véritable aide humanitaire.

Enfin, toute guerre se termine par le dialogue. Les parties prenantes doivent s’engager dans des négociations directes. Le processus de Luanda, qui vise à faciliter le dialogue entre le Rwanda et la RDC, doit être relancé, en dépit du boycott de la dernière réunion par le Rwanda en décembre 2024. De même, le processus de Nairobi, qui permet au gouvernement congolais de négocier avec les groupes armés présents sur son territoire, doit être renforcé.

Pour garantir l’efficacité de ces négociations, l’Union africaine doit assurer le suivi des accords conclus et imposer des sanctions en cas de non-respect des engagements pris.

Quelles sont les priorités immédiates à Goma ?

La priorité absolue est le retrait du M23 et des troupes rwandaises, afin que Goma retrouve son administration congolaise. Cela a notamment déjà été fait en 2012 et avait permis une désescalade nécessaire au début des négociations entre le gouvernement et les rebelles à l’époque. Une fois ce retrait effectué, l’administration devra se rétablir rapidement afin de garantir l’effectivité des services publiques aux populations.

Il est également crucial de prendre en charge les déplacés autour de Goma. En effet, après la destruction des camps, beaucoup de ces personnes errent sans abri. Il est donc impératif de les localiser, de les regrouper et de leur fournir rapidement l’aide nécessaire. Cette réponse humanitaire devrait également s’étendre en dehors du Goma. En effet, des milliers des déplacés errent sans assistance adéquate dans les territoires de Lubero, Masisi, Nyiragongo et Rutshuru.

En termes de coordination humanitaire, des mécanismes existent déjà, notamment via l’Office des Nations Unies chargé de la coordination humanitaire. Cependant, leur efficacité dépend de deux conditions : la possibilité de localiser les populations ciblées et l’accès aux zones d’assistance, actuellement occupées par le M23 et les forces rwandaises.