CIVICUS s’entretient avec Emmanuel Musuyu sur l’expansion pétrolière en République démocratique du Congo (RDC). Musuyu est coordinateur national de la Coalition des organisations de la société civile pour le suivi des réformes et de l’action publique (CORAP), un réseau de plus de 50 organisations congolaises qui défendent l’environnement et les droits des communautés et plaident en faveur d’un développement durable indépendant des énergies fossiles.

Le 29 juillet, le gouvernement congolais a annoncé le lancement d’un appel d’offres pour 55 nouveaux blocs pétroliers, provoquant l’indignation de la société civile. Face à ce projet d’exploitation d’ampleur inédite qui pourrait couvrir plus de la moitié du territoire de la RDC, les organisations environnementales ont tiré la sonnette d’alarme. L’expansion envisagée menace directement les écosystèmes les plus précieux du pays et les moyens de subsistance de millions de personnes, soulevant des questions sur le modèle de développement basé sur les combustibles fossiles et l’engagement du gouvernement à lutter contre le changement climatique.

En quoi cet appel d’offres constitue-t-il une menace environnementale ?

Dès l’annonce de cet appel d’offres en juillet, nous avons immédiatement analysé les cartes et découvert des chevauchements alarmants avec des forêts intactes, des aires protégées et les tourbières de la Cuvette Centrale, qui constituent le plus grand complexe de tourbières tropicales au monde, essentiel pour stocker du carbone et réguler le climat. Ces réservoirs naturels stockent des milliards de tonnes de carbone et jouent un rôle majeur dans la lutte contre le réchauffement climatique. Les dégrader ou les drainer libérerait des émissions massives de gaz à effet de serre, équivalentes à plusieurs années d’émissions mondiales. Il ne s’agit donc pas de simples zones sur une carte : ce sont nos remparts naturels contre le dérèglement climatique et nos réservoirs de biodiversité d’importance planétaire.

Par ailleurs, nous avons remarqué que plusieurs blocs se superposent au corridor vert Kivu-Kinshasa, inauguré il y a quelques mois à peine pour relier des écosystèmes et protéger la faune et la flore. Cette initiative avait été présentée comme un engagement fort du gouvernement en faveur de la conservation. Maintenant, plus de la moitié de ce corridor est menacée par l’exploitation pétrolière, créant une incohérence flagrante dans les politiques gouvernementales et envoyant un message contradictoire au reste du monde : on ne peut pas parler de protection et, en même temps, planifier la destruction d’un outil de conservation que l’on vient à peine de créer.

Les chiffres parlent d’eux-mêmes : près de 23% des zones de haute biodiversité du pays – environ huit millions d’hectares – sont directement menacés par ces blocs. Derrière ces hectares se cachent des forêts primaires qui abritent une faune exceptionnelle, des sources d’eau propres, des plantes médicinales et des ressources dont dépendent des millions de personnes pour vivre. Leur perturbation fragiliserait des écosystèmes entiers et réduirait leur capacité à se régénérer.

Dans un contexte où chaque pays doit réduire ses émissions, ouvrir les zones les plus sensibles au forage est un choix qui va à l’encontre de toute logique climatique. Cette menace ne concerne pas seulement la RDC, mais toute la communauté internationale.

À cela s’ajoutent des impacts potentiels sur des forêts communautaires qui sont vitales pour des millions de personnes, dont des peuples autochtones. Ces forêts constituent leur pharmacie, leur supermarché, leur banque et leur lieu sacré.

Quelles sont les conséquences pour les communautés locales ?

Les impacts concrets sur le terrain sont multiples et préoccupants. Des familles nous rapportent que le torchage du gaz a des effets directs sur la croissance des palmiers à huile, essentiels pour produire le vin de palme. Auparavant, pour obtenir cinq litres, il suffisait de grimper quelques arbres. Désormais, il faut en escalader une cinquantaine. Cette dégradation n’est pas seulement économique : elle affecte la santé, la nutrition et les traditions. Les terres agricoles se dégradent, les rivières sont polluées, et les rendements chutent d’année en année.

L’absence de véritables consultations est un problème majeur. Le consentement libre, préalable et éclairé, qui est un droit fondamental, est rarement respecté. Les projets s’imposent d’en haut, sans discussion, et les populations découvrent souvent l’existence des concessions a posteriori, quand les dégâts ont déjà commencé. Cette situation crée un climat de méfiance et d’injustice profonde, et alimente les tensions sociales. En définitive, ces projets ne se contentent pas de menacer l’environnement : ils détruisent également la cohésion et la stabilité des communautés.

Comment répondez-vous aux justifications économiques du gouvernement ?

Le gouvernement tente de justifier cette expansion par la promesse de recettes fiscales, de création d’emplois et de développement économique. Mais l’expérience nous a appris ce que valent réellement ces promesses économiques : nous connaissons déjà les conséquences dans d’autres zones pétrolières. L’exemple de Kinkazi, exploité par Perenco-Rep, est révélateur : un seul emploi stable a été créé pour un habitant, et deux ou trois postes temporaires tout au plus. Dans le même temps, les activités traditionnelles comme la pêche et l’agriculture déclinent. La réalité, c’est que l’exploitation enrichit des acteurs extérieurs, alors que les populations locales subissent les conséquences environnementales et sociales.

Nous ne nous opposons pas au développement, mais ce projet, tel qu’il est conçu, met en danger notre patrimoine naturel et humain pour des bénéfices qui risquent de se concentrer dans quelques mains. Comment peut-on se déclarer « pays-solution » à la crise climatique et, en même temps, livrer nos écosystèmes les plus précieux à l’industrie pétrolière ? Notre vision, c’est un développement qui préserve nos ressources pour les générations futures, au lieu de les sacrifier pour des gains à court terme.

Que demande la société civile ?

Notre position est claire : il faut annuler cet appel d’offres tel qu’il existe actuellement, parce qu’il représente une menace directe pour nos écosystèmes, nos communautés et nos engagements climatiques. Nous réclamons également un moratoire sur toute nouvelle concession pétrolière dans les zones à haute valeur écologique. Un tel moratoire permettrait d’ouvrir un vrai débat national, incluant la société civile, les scientifiques et les communautés locales, pour définir ensemble l’avenir énergétique et économique que nous voulons pour la RDC.

Dans l’hypothèse où un nouveau processus devrait être lancé, il devrait être radicalement repensé. Il faudrait d’abord des évaluations d’impact environnemental et social indépendantes, conduites par des experts sans liens avec l’industrie ou le gouvernement, et dont les résultats seraient intégralement publiés. Les communautés locales devraient être pleinement impliquées dès le départ, avec un mécanisme légal qui leur accorde un droit de veto si elles refusent un projet sur leurs terres. Voilà ce qu’est le vrai consentement libre, préalable et éclairé, et non une signature arrachée sous la pression ou obtenue rétroactivement.

Toutefois, nous proposons une alternative concrète. À travers la coalition de plus de 50 organisations que nous représentons, nous développons et promouvons des solutions viables : énergies renouvelables, efficacité énergétique, accès à l’électricité pour tous, formation et emplois verts. Il s’agit de projets réalistes qui réduisent notre dépendance aux énergies fossiles et renforcent notre résilience face à la crise climatique. La RDC a les moyens d’être un pays-solution, mais seulement si nous tournons le dos aux fausses solutions et si nous investissons dans un développement qui protège à la fois nos ressources et nos droits.