« On n’assiste pas à une transition démocratique, mais à la consolidation d’un pouvoir absolu »
CIVICUS discute de la fermeture de l’espace civique sous la junte militaire du Burkina Faso avec un représentant de la société civile burkinabè qui a demandé à rester anonyme pour des raisons de sécurité.
Depuis près d’une décennie, le Burkina Faso est confronté à une crise sécuritaire qui a servi de prétexte à deux coups d’État militaires en 2022. La junte a depuis reporté les élections jusqu’en 2029. En juillet, a dissous la Commission électorale nationale indépendante, transférant ses responsabilités au ministère de l’Administration territoriale. Cette décision marque un recul démocratique majeur dans un contexte de répression généralisée contre la société civile, les médias et l’opposition.
Comment la crise sécuritaire a-t-elle transformé la situation politique ?
Depuis 2015, le Burkina Faso traverse l’une des pires crises sécuritaires de son histoire. Des groupes armés liés à Al-Qaïda et à l’État islamique se sont répandus dans presque toutes les régions. Ils attaquent des villages, incendient des marchés et tuent des civils ainsi que des membres de nos forces de défense. Selon les derniers chiffres disponibles, plus de 20 000 personnes ont été tuées et plus de deux millions ont été déplacées. Le gouvernement ne compte même plus les nouveaux déplacements, mais nous les voyons tous chaque jour.
Cette insécurité a complètement bouleversé la vie quotidienne. De nombreuses villes sont coupées du monde, les écoles et les hôpitaux ont fermé, et les gens vivent dans la peur constante. L’État a perdu le contrôle de vastes zones, et les organisations humanitaires ont du mal à atteindre les personnes dans le besoin.
Sur le plan politique, la crise est devenue le principal prétexte utilisé par l’armée pour prendre le pouvoir. Les militaires ont promis de rétablir la sécurité en quelques mois, mais près de trois ans plus tard, la situation s’est aggravée. Les coups d’État de 2022 ont suspendu la constitution, destitué les autorités élues et les ont remplacées par décret. Aujourd’hui, les partis politiques sont interdits, les activités civiques sont interdites et même s’exprimer en ligne peut être dangereux. La crise sécuritaire s’est transformée en crise politique. Nous vivons entre deux menaces : les groupes armés d’un côté et la répression du régime de l’autre.
Comment le gouvernement militaire a-t-il concentré le pouvoir ?
Depuis le coup d’État de janvier 2022, toutes les institutions importantes ont été placées sous le contrôle des forces armées. L’assemblée de transition n’a pas été élue : ses membres ont été nommés, et plus de la moitié d’entre eux ont été choisis directement par le président lui-même. Cela signifie qu’ils sont responsables devant lui, et non devant le peuple. Les lois et les décrets sont adoptés sans débat, et l’assemblée fonctionne davantage comme une caisse de résonance que comme un organe indépendant.
Plusieurs institutions qui assuraient autrefois l’équilibre ont été démantelées. Le Conseil économique et social, le Bureau du médiateur et de nombreuses commissions indépendantes ont tous été supprimés. Même le Conseil constitutionnel, qui était censé défendre la Constitution, a été neutralisé. Il a approuvé des modifications constitutionnelles qui accordent au président une large immunité et rendent les ministres, et non le chef de l’État, responsables des actions du gouvernement.
Par ailleurs, le système judiciaire a également été soumis à un contrôle strict. Les juges, les procureurs et les avocats considérés comme critiques ont été intimidés, détenus ou envoyés de force au front. Le président lui-même préside désormais le Conseil suprême de la magistrature, annulant ainsi des années de progrès vers l’indépendance judiciaire.
Ce à quoi nous assistons actuellement n’est pas une transition, mais la consolidation d’un pouvoir absolu. L’armée utilise le discours du patriotisme et de la sécurité pour justifier des décisions qui n’ont rien à voir avec la protection des citoyens. Les institutions qui servaient autrefois de contrepoids n’existent plus, et personne n’est en mesure de demander des comptes au régime.
Quel est l’impact de la dissolution de la Commission électorale ?
La dissolution de la Commission électorale nationale indépendante est un recul décisif. La raison officielle invoquée était que son maintien coûtait trop cher et qu’il n’y avait pas d’élections à organiser. Aucune élection n’a eu lieu depuis le premier coup d’État, selon le gouvernement parce que la crise sécuritaire rend le vote impossible. Mais cette décision confirme que les élections ne font pas partie des plans de la junte, d’autant plus qu’elle a prolongé la période de transition jusqu’en 2029.
Le gouvernement a désormais transféré toutes les responsabilités électorales au ministère de l’Administration territoriale, une structure qu’il contrôle. On ne peut donc s’attendre à aucune neutralité, car si le gouvernement contrôle le processus, il contrôlera le résultat. En supprimant la Commission électorale, le régime a clairement signalé son intention de gouverner indéfiniment, sans élections et sans contrôle indépendant.
Cette décision s’inscrit dans un contexte régional particulier. Depuis que le Burkina Faso, le Mali et le Niger se sont retirés de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, il n’y a plus de pression régionale en faveur de la démocratie. La junte prétend rejeter l’ingérence étrangère, mais ce qu’elle rejette en réalité, c’est la responsabilité.
Dans quel état se trouvent la société civile, les médias et l’opposition ?
L’espace civique au Burkina Faso a été presque entièrement fermé. Toutes les activités politiques et civiques ont été suspendues : les partis ne peuvent pas se réunir, les organisations de la société civile ne peuvent pas organiser d’événements et les manifestations sont interdites. Fin 2023, la Confédération générale des travailleurs du Burkina a tenté d’organiser un sit-in pacifique pour protester contre la hausse du coût de la vie. Le régime a réagi par des menaces, de la désinformation et des intimidations. Des groupes pro-gouvernementaux ont diffusé des vidéos dans lesquelles ils brandissaient des machettes, avertissant qu’ils attaqueraient les manifestants. La manifestation a été annulée et plusieurs dirigeants syndicaux ont ensuite été arrêtés, contraints de se cacher ou ont fui le pays.
Les journalistes sont confrontés à la même répression. Beaucoup ont été détenus, enrôlés de force ou contraints à l’exil simplement pour avoir rendu compte de la crise sécuritaire ou critiqué les autorités. Une nouvelle loi oblige désormais les organisations de la société civile à placer leurs comptes bancaires au Trésor public, ce qui donne au gouvernement un contrôle direct sur leurs finances.
Même en ligne, les gens ont peur de s’exprimer. Commenter un message critiquant le régime peut conduire à une arrestation ou à une disparition. Les détenus sont souvent maintenus au secret, sans procès ni contact avec leur famille. Le Burkina Faso vit aujourd’hui dans la peur et le silence.
Quelles seraient les conséquences de la prolongation indéfinie du régime militaire ?
Si cette situation perdure, le Burkina Faso risque l’effondrement politique, social et économique. L’armée a concentré tout le pouvoir entre ses mains, mais elle n’a ni résolu la crise sécuritaire ni amélioré la vie quotidienne. La situation ne fait qu’empirer.
Des générations de jeunes grandissent dans la peur. Plus la junte retarde la transition politique, plus la réconciliation deviendra difficile.
Sans élections, il n’y a pas de responsabilité, et sans libertés civiles, les gens n’ont aucun moyen d’exprimer pacifiquement leur mécontentement. Cela crée un vide dangereux où la frustration s’accumule sous la surface jusqu’à ce qu’elle explose. Cela pourrait conduire à une instabilité accrue, voire à un conflit civil.