Le Burkina Faso est le dernier pays d’Afrique de l’Ouest à céder au coup d’État militaire. Les militaires ont tiré parti de la colère de la population face à l’insécurité provoquée par l’insurrection djihadiste en cours et de l’incapacité du gouvernement à la protéger. Le peuple a acquis la démocratie grâce à une révolution durement gagnée en 2014, mais il a rapidement déchanté. Il a été considéré que le gouvernement n’avait pas réussi à réaliser des progrès en matière de sécurité et de lutte contre la pauvreté et la corruption. À l’échelle régionale, la difficulté consiste à favoriser une gouvernance démocratique plus ancrée et plus efficace en tant qu’alternative plausible au régime militaire, et à agir plus rapidement sur les signes avant-coureurs du déclin démocratique avant que les coups d’État ne se produisent.

Un autre domino tombe. Le 31 janvier, le lieutenant-colonel Paul-Henri Sandaogo Damiba est nommé nouveau président du Burkina Faso. Un peu plus d’une semaine auparavant, il avait dirigé le coup d’État militaire et annoncé sa prise de pouvoir en direct à la télévision, en arrêtant le président, en dissolvant le gouvernement et le parlement et en suspendant la Constitution.

Sur les 15 États membres de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), trois, à savoir la Guinée, le Mali et le Burkina Faso, sont désormais sous régime militaire. Le 1er février, un quatrième État, la Guinée-Bissau, a été marquée récemment par une tentative de coup d’État, laquelle a été avortée mais a causé la perte de plusieurs vies. Nous ne pouvons que craindre que le régime militaire se normalise et que la démocratie soit en déclin en Afrique de l’Ouest.

Les militaires tirent parti de la colère face à l’insécurité

Le Burkina Faso et le Mali ont tous deux connu l’amère expérience de l’insurrection djihadiste. Les djihadistes se sont établis au Mali et ont de plus en plus dépassé la frontière en direction du nord du Burkina Faso. Leur présence a des répercussions catastrophiques : au cours des trois dernières années, environ 7 000 Burkinabés ont été tués et 1,5 million de personnes ont été contraintes de quitter leur foyer. Les déplacements se sont multipliés au cours de l’année écoulée.

La colère a grandi face à l’incapacité manifeste du gouvernement à mettre un terme au massacre. Cette colère s’est intensifiée après le massacre de Solhan en juin 2021, au cours duquel au moins 160 personnes ont été tuées. L’armée a mis du temps à se rendre dans le village, situé au nord, et n’a pour la plupart du temps pas été à la hauteur, permettant aux tueurs de s’enfuir. À la suite de cet évènement, le président de l’époque, Roch Marc Christian Kaboré, avait limogé ses ministres de la défense et de la sécurité, et le ministère de la défense a déclaré qu’il allait modifier sa stratégie de lutte contre le terrorisme.

Mais la colère du public a été avivée par d’autres attaques, notamment en novembre dernier, lorsque plus de 50 membres des forces de sécurité ont été tués lors de l’attaque d’une base militaire insuffisamment équipée à Inata, également dans le nord du pays. Après ces évènements, le président Roch Kaboré a dissous le gouvernement et nommé un nouveau premier ministre.

Chaque attentat terroriste a été suivi de protestations de la part du peuple, qui exigeait que le gouvernement garantisse la sécurité de la population. Le peuple reprochait au gouvernement de les abandonner, tandis que ce dernier semblait de plus en plus considérer les protestations comme une menace. Lorsque le peuple a manifesté et exigé la démission du président Roch Kaboré dans la capitale, Ouagadougou, en novembre dernier, la police a bloqué la place centrale, cherchant à empêcher le peuple de se rassembler. Après que les manifestants ont érigé des barricades et que certains ont commis des actes de vandalisme, la police a utilisé des gaz lacrymogènes ; au moins 20 personnes ont été blessées.

La colère de la population signifie sans équivoque que, comme en Guinée et au Mali, le coup d’État était approuvé au moins par certaines personnes. Lorsque les militaires ont pris le pouvoir, le peuple a fait la fête dans les rues. Beaucoup avaient perdu confiance en Roch Kaboré et espéraient que le régime militaire serait au moins synonyme d’une sécurité accrue. La junte, quant à elle, a justifié le coup d’État en invoquant l’insécurité et l’incapacité du président à prévenir la violence.

Le problème est que l’instauration d’un régime militaire ne s’accompagne pas nécessairement d’une plus grande sécurité. Elle signifie surtout que l’armée est libérée de toute surveillance politique. Cela ne rend pas nécessairement l’armée plus efficace, mais il devient alors plus difficile pour le peuple de la tenir pour responsable des violations et de faire valoir ses droits.

Depuis le coup d’État au Mali, il semblerait que le changement de stratégie consiste principalement à remplacer des troupes françaises par des mercenaires russes ; il serait peu surprenant que le Burkina Faso en fasse de même. Comme au Mali, les forces françaises sont devenues de plus en plus impopulaires. En novembre dernier, un convoi français qui se dirigeait vers le Mali a été accueilli par de multiples manifestations lors de sa traversée du Burkina Faso.

La présence de forces de sécurité « importées » d’autres pays, quels qu’ils soient, confère rarement aux communautés un sentiment de sécurité. Au contraire, elles constituent une nouvelle source potentielle de violence à craindre pour la population. Parallèlement, l’inefficacité des forces de sécurité nationales est un problème qui demeure : il semble qu’il y ait toujours suffisamment de troupes pour chasser un président, mais jamais assez pour assurer la sécurité de la population face aux terroristes.

Un gouvernement inefficace, une démocratie faible

Le coup d’État au Burkina Faso est particulièrement inattendu car, au cours de la dernière décennie, le pays symbolisait parfaitement la foi inébranlable du peuple en la démocratie. En 2014, des manifestations de masse ont entraîné de force la destitution d’un président détesté depuis 27 ans. Lorsque l’armée a tenté de s’approprier la révolution, le peuple lui a fait face et a insisté pour que le pouvoir revienne aux civils. L’année suivante, lorsqu’une unité d’élite de l’armée a tenté un coup d’État, de nouvelles manifestations de masse ont signalé le désir de démocratie de la population et, en novembre 2015, le pays a organisé ses premières élections libres et équitables depuis des décennies.

Le fait que le peuple, qui jadis nourrissait tant d’espoirs, ait en grande partie déchanté en seulement quelques années représente un échec cuisant. La lassitude de vivre dans l’insécurité en est en partie la cause. Il convient également de souligner que la gouvernance démocratique, qui laisse à désirer, est également un problème. Une deuxième élection a eu lieu en 2020, bien que de nombreuses personnes aient été privées de leurs droits, ne pouvant accéder au droit fondamental que constitue le vote en raison des déplacements et de la fermeture de certains bureaux de vote pour des raisons de sécurité. Mais entre les deux élections, beaucoup ne se sont pas sentis écoutés. Sous le régime démocratique, les institutions publiques sont restées aussi inefficaces et inaccessibles que jamais.

Le président Roch Kaboré n’était pas une figure de proue de la révolution. Bien qu’il soit le premier président burkinabé sans liens avec l’armée, il avait été premier ministre et président du parti au pouvoir sous l’ancien gouvernement. Ce n’était pas le changement que souhaitaient de nombreux manifestants. L’environnement n’était pas propice à l’avènement d’une nouvelle génération de jeunes leaders susceptibles de prendre des initiatives.

Sous le régime Kaboré, le peuple a connu en permanence la pauvreté et la corruption. Dans les communautés attaquées, l’État s’est montré absent. Pour certaines communautés, les forces djihadistes ont remplacé dans la pratique le gouvernement, en prélevant des impôts en échange d’une promesse de ne pas les attaquer. Il n’est pas étonnant que le peuple se soit désintéressé de l’expérience en somme très courte de la démocratie qu’il a vécue.

Une action concertée et plus en amont est nécessaire

La CEDEAO et l’Union africaine (UA) ont réagi rapidement à chacun des coups d’État survenus dans la région. Comme dans les cas précédents, l’adhésion du Burkina Faso à chaque organisation a été suspendue et une délégation de la CEDEAO a été envoyée.

Nous sommes sur la bonne voie, mais les mesures prises n’ont manifestement pas beaucoup d’impact. Les sanctions sévères imposées au Mali ne semblent pas avoir fait réfléchir les colonels du Burkina Faso avant qu’ils ne lancent leur coup d’État. Comme dans le cas de la Guinée et du Mali, nous pouvons nous demander si des organismes comme la CEDEAO et l’UA, ainsi que la communauté internationale dans son ensemble, n’agissent pas trop peu et trop tard.

Dans l’ensemble de la région couverte par la CEDEAO, ce n’est pas seulement dans les pays qui ont connu des coups d’État que les libertés démocratiques sont attaquées. Même avant le dernier coup d’État, 13 des 15 pays membres de la CEDEAO étaient considérés comme ayant de sérieuses restrictions de l’espace civique. Dans toute la région, au cours des deux dernières années, une dynastie au pouvoir a réussi à entamer sa sixième décennie au pouvoir sans rencontrer d’opposition au Togo, le président en exercice en Côte d’Ivoire a mis fin à la limite au nombre de mandats, et le président du Bénin a empêché tous les opposants crédibles de se présenter contre lui, en vue d’assurer sa réélection. Les coups d’État en Guinée et au Mali ont été précédés d’élections entachées d’irrégularités et d’injustices, que le peuple a largement contestées.

Il faut agir plus en amont, non seulement pour défendre la démocratie contre la régression vers des pratiques autoritaires, mais aussi pour la renforcer en montrant que les élections ne sont qu’un début et que la démocratie ne se limite pas à la sélection des gouvernements.

Les États occidentaux impliqués dans la région doivent prendre au sérieux les préoccupations relatives au déclin de l’espace civique, à la faible qualité des institutions et à la corruption, plutôt que de les négliger par crainte de saper les gouvernements qu’ils espèrent capables de faire face aux menaces terroristes. Dans le cas contraire, ils risquent de contribuer à discréditer la démocratie et à faire passer le régime militaire pour une alternative acceptable.

Le fait d’agir seulement après qu’un coup d’État ait eu lieu comporte d’autres risques, comme la CEDEAO devrait en être consciente : lorsqu’elle réagit au lendemain des coups d’État, c’est-à-dire lorsque le soutien de la population à l’armée tend à être le plus élevé, elle se heurte à l’hostilité des personnes qui craignent que les sanctions ne les appauvrissent. Au Mali, les sanctions ont été accueillies avec ressentiment et ont créé l’effet inverse de celui désiré : elles ont rendu les militaires plus populaires. Un tel constat devrait inciter à agir plus en amont.

Il faut agir plus en amont, non seulement pour défendre la démocratie contre la régression vers des pratiques autoritaires, mais aussi pour la renforcer.

Il est temps d’établir un calendrier

À l’heure actuelle, au Burkina Faso, la CEDEAO et d’autres organisations doivent faire pression pour obtenir la même chose que ce qu’elles ont demandé dans les autres pays contrôlés par les militaires : un plan d’action pour le retour à un régime civil. Alors que le nouveau président Paul-Henri Damiba a annoncé que la suspension de la Constitution a été levée et a promis de rencontrer des personnes de différents groupes pour discuter d’un plan d’action, il n’a donné aucun détail et encore moins un calendrier. Or ces détails sont nécessaires.

Il faut faire pression pour obtenir un plan d’action réaliste et un calendrier pour le retour, dans les plus brefs délais, à un régime civil, à des consultations transparentes et ouvertes – y compris avec un large éventail de la société civile – et à des garanties que les libertés fondamentales, notamment les libertés civiques d’association, de réunion pacifique et d’expression, seront pleinement respectées dans l’intervalle.

De tels engagements offriraient au moins un peu d’espoir, pour le Burkina Faso et d’autres pays. En l’absence de progrès tangibles et rapides, il semble peu probable que l’on puisse dissuader l’organisation de nouveaux coups d’État.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Le gouvernement militaire doit s’engager à respecter un calendrier précis et un processus consultatif menant à un retour rapide à un régime civil.
  • Le gouvernement militaire et son successeur issue de la population civile doivent travailler avec la communauté internationale pour développer une approche plus durable et plus efficace de la lutte contre le terrorisme et en matière de sécurité.
  • La CEDEAO, l’UA et la communauté internationale doivent réagir plus rapidement aux signes avant-coureurs d’un recul de la démocratie.

Photo de couverture par Vincent Bado/Reuters