« L’alternance étant un tabou, l’on assiste à l’éternisation d’un régime vieillissant et décadent »
CIVICUS discute des prochaines élections présidentielles au Cameroun avec Maximilienne Ngo Mbe, directrice du Réseau des Défenseurs des Droits Humains en Afrique centrale, une organisation de la société civile qui se consacre à la protection des défenseurs des droits humains dans la région.
Le président Paul Biya, âgé de 92 ans et au pouvoir depuis 1982, brigue un huitième mandat lors de l’élection présidentielle du 12 octobre. Le Conseil constitutionnel n’a approuvé que 12 des 83 candidats qui se sont présentés. Parmi les candidats exclus figure Maurice Kamto, le principal leader de l’opposition, ce qui alimente encore davantage la méfiance de la population quant à l’équité du scrutin. Face à cette situation, des groupes de société civile et des jeunes militants ont organisé des manifestations pacifiques dans la capitale, Yaoundé, pour réclamer un processus électoral transparent. Les forces de sécurité ont réagi en utilisant des gaz lacrymogènes et en procédant à des arrestations, mais les manifestations se poursuivent.
Que révèlent la candidature de Biya et l’exclusion de M. Kamto ?
La nouvelle candidature de M. Biya après plus de quatre décennies au pouvoir illustre la persistance d’un système politique marqué par une forte personnalisation du pouvoir et l’absence d’alternance démocratique. On dirait que l’alternance est un tabou au Cameroun.
Quarante-trois ans après son arrivée au pouvoir en 1982, l’on assiste à son éternisation à la présidence et, par conséquent, à la pérennisation d’un régime vieillissant et décadent. Cette absence de renouvellement politique empêche le pays de s’attaquer efficacement aux défis urgents : le pays souffre d’énormes problèmes en matière d’accès à l’eau potable et à l’énergie électrique, d’emploi et d’infrastructures routières et hospitalières.
Par ailleurs, M. Kamto, figure centrale de l’opposition depuis 2018 et candidat du Mouvement pour la renaissance du Cameroun, a été disqualifié arbitrairement. Le régime a cherché à limiter la compétition électorale à des candidats qu’il juge « acceptables », révélant ainsi une crise de légitimité et aggravant le manque de confiance dans le processus électoral. Pour exclure M. Kamto, le ministère de l’Administration territoriale, le Conseil électoral et le Conseil constitutionnel ont eu recours à des mensonges et à des déformations, montrant clairement que le régime le craint.
Comment la société civile a-t-elle réagi ?
Bien que fragmentée et parfois réprimée, la société civile a exprimé son indignation face à l’exclusion de candidats, notamment à travers des communiqués de presse, des campagnes sur les réseaux sociaux et des manifestations sporadiques. Nous condamnons ces exclusions comme une violation des principes démocratiques et une violation flagrante de la loi, de la Constitution et de la Charte africaine sur la démocratie, les élections et la gouvernance. Si le processus est déjà aussi défaillant à ce stade précoce, cela signifie que nous nous dirigeons inexorablement vers un processus électoral dépourvu de toute crédibilité.
Les manifestations qui ont suivi, même si elles ont été limitées, ont montré qu’une partie de la population rejette la normalisation d’un processus électoral truqué. Malgré le risque de répression, il existe une volonté croissante d’exiger plus de transparence et de responsabilité.
Le fait qu'il y ait douze candidats jouera-t-il en faveur de M. Biya ?
M. Biya, candidat du Rassemblement démocratique du peuple camerounais, sera confronté à onze candidats issus de partis politiques de l’opposition dotés de structures modestes et à faible base électorale.
Un tel nombre, s’il témoigne d’un certain pluralisme formel, risque de diviser le vote de l’opposition, ce qui ferait le jeu du parti au pouvoir et lui permettrait finalement de rester au pouvoir. Un groupe d’opposition s’efforce depuis des semaines de trouver un candidat consensuel, mais n’y est pas encore parvenu. Il s’agit d’une élection à un tour, et si l’opposition reste dispersée, elle offrira au régime un avantage décisif.
Quelles mesures faut-il prendre pour garantir un scrutin crédible ?
L’opposition doit s’unir autour d’un candidat commun et impliquer la société civile dans le processus. Les groupes politiques et de la société civile doivent encourager la participation électorale, surveiller le scrutin, documenter et signaler toute irrégularité, et dénoncer toute forme de fraude constatée. L’issue de la bataille dépendra du degré de surveillance du scrutin dans tous les bureaux de vote.
Au niveau international, les organisations régionales et internationales telles que l’Union africaine, la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, l’Union européenne et les Nations unies doivent exiger la transparence, envoyer des missions d’observation électorale indépendantes, subordonner certaines formes de coopération aux progrès démocratiques et protéger les défenseurs des droits humains contre la répression.
Les gouvernements occidentaux, la communauté internationale et les organisations internationales de défense des droits humains doivent rester vigilants et dénoncer haut et fort les violations. Il ne doit y avoir aucune caution aux basses manœuvres des joutes électorales, dont les signes sont déjà visibles. La préservation des droits démocratiques en dépend.