CIVICUS s’entretient avec Claude Iguma, expert en gouvernance minière titulaire d’un doctorat en sciences sociales, basé à Bukavu, dans la province du Sud-Kivu, à l’est de la République démocratique du Congo (RDC).

Le 27 juin, la RDC a signé un accord de paix avec le Rwanda. Cet accord s’inscrit dans le cadre d’un accord plus large conclu avec l’administration Trump, qui promet aux États-Unis l’accès au coltan congolais en échange d’une aide pour réprimer les rébellions armées et stabiliser la région. Le coltan est un minerai essentiel à l’industrie électronique mondiale, mais son extraction alimente les conflits, l’insécurité et les violations des droits humains.

Qu’est-ce que le coltan et comment affecte-t-il la RDC ?

Le coltan, ou colombo-tantalite, est principalement extrait dans l’est de la RDC, notamment dans les provinces du Kivu et du Tanganyika. Ses propriétés chimiques uniques, particulièrement sa résistance aux températures extrêmes, en font un composant indispensable de l’industrie électronique moderne.

Cette demande mondiale a transformé la région de trois manières fondamentales. Premièrement, elle a fait de la RDC l’un des principaux fournisseurs mondiaux de coltan. La mine de Rubaya, située dans le territoire de Masisi au Nord-Kivu, illustre parfaitement cette réalité : elle produit plus de la moitié du coltan congolais, faisant du pays une destination privilégiée pour les acheteurs internationaux et les fonderies.

Deuxièmement, cette richesse minière a attisé les violences. L’exploitation du coltan est devenue indissociable des violences perpétrées par les groupes armés. La mine de Rubaya elle-même fait régulièrement l’objet de tensions entre groupes armés à caractère ethniques et d’un commerce illégal de coltan. Cette situation a été documentée par Global Witness dans un rapport qui établit clairement le lien entre la demande internationale de coltan et les violences qui ravagent l’est de la RDC.

Troisièmement, la transition énergétique mondiale a intensifié la convoitise des puissances occidentales pour ce minerai. L’accord controversé signé en février 2024 entre l’Union européenne (UE) et le Rwanda sur les minerais stratégiques en est la preuve : l’UE s’approvisionne en coltan auprès d’un pays qui n’en possède pas (ou qui en possède très peu) sur son territoire. Cette réalité explique également l’activisme des États-Unis autour de l’accord minerais-sécurité entre la RDC et le Rwanda.

Comment l’exploitation minière affecte-t-elle les droits humains et la sécurité dans la région ?

L’extraction artisanale du coltan se déroule dans un contexte d’illégalité généralisée qui bafoue systématiquement les droits humains. Les groupes armés ont établi un système d’extorsion sophistiqué : ils imposent le travail forcé, prélèvent des taxes illégales et contrôlent l’accès aux mines en érigeant des barrières sur les routes d’accès. Ces mêmes groupes pillent régulièrement les creuseurs, créant un climat de terreur permanente.

Mais la responsabilité ne se limite pas aux groupes armés. Les militaires sont également présents sur les sites miniers où ils extorquent les exploitants. Ces derniers travaillent dans des conditions physiques extrêmes, sans aucune protection, creusant des puits profonds où les accidents mortels sont fréquents. Un accident dans la mine de Rubaya le 19 juin a coûté la vie à 45 personnes.

L’exploitation de populations vulnérables constitue un autre aspect révoltant de cette industrie. Malgré l’interdiction légale, des femmes enceintes et des enfants continuent de travailler dans les mines, poussés par la pauvreté et l’absence d’application effective de la réglementation.

Cette situation alimente un cercle vicieux d’insécurité. Les zones minières sont devenues des théâtres d’affrontements constants entre milices rivales qui se disputent le contrôle de ces ressources lucratives. Dans la région de Numbi, au Sud-Kivu, les combats entre miliciens Nyatura et groupes Mai-Mai locaux sont devenus récurrents. Ces rivalités dépassent le simple contrôle territorial pour s’enraciner dans les tensions entre des groupes ethniques que ces milices prétendent représenter.

Les conséquences sont désastreuses : déplacement massif de populations, instauration de régimes militaires sur les sites d’extraction, et effondrement complet de l’autorité étatique dans ces zones. L’absence des structures étatiques crée un vide juridique où prolifèrent la militarisation et le trafic d’armes.

Que représente l’accord entre les États-Unis et la RDC ?

L’offre du Président congolais, Felix Tshisekedi, d’accorder aux États-Unis un accès privilégié aux minerais congolais s’inscrit dans une stratégie de sécurisation du territoire. L’objectif est de neutraliser la rébellion du M23, un groupe armé à l’offensive depuis quelques années, en échange de l’engagement américain en faveur de la sécurité régionale. Parallèlement, cet accord vise à stopper le pillage systématique des minerais congolais par le Rwanda, comme en témoigne l’accord de paix signé le 27 juin.

Sur le papier, la stratégie semble cohérente. Dans la pratique, les défis sont considérables. La porosité des frontières congolaises pourrait continuer à maintenir les réseaux d’approvisionnement illégaux du coltan et autres minerais vers les pays voisins. Plus problématique encore, le M23 ne constitue qu’une fraction des groupes armés présents dans l’est du Congo. Sa neutralisation, même réussie, ne résoudra pas mécaniquement le problème des autres milices. Il faudra développer des stratégies spécifiques de démantèlement qui dépassent le cadre de cet accord bilatéral.

Économiquement, l’accord présente des opportunités significatives. L’investissement de milliards de dollars dans le secteur minier congolais pourrait générer des emplois massifs et dynamiser une économie déjà largement tributaire des minerais. Ces investissements devraient également améliorer les infrastructures d’accès aux mines, notamment le réseau routier et les voies d’évacuation vers les ports d’exportation.

Cependant, trois risques majeurs menacent cette stratégie. D’abord, l’afflux de capitaux pourrait exacerber la corruption au sein de l’élite politique congolaise. Ensuite, comme par le passé, les minerais risquent d’être exportés à l’état brut, sans transformation locale, perpétuant la dépendance du pays aux matières premières non transformées. Enfin, cette intensification de l’exploitation minière pourrait aggraver le problème de la dépendance excessive à l’égard de ce secteur au détriment d’autres secteurs économiques vitaux, tels que l’agriculture.

Comment la société civile contribue-t-elle à améliorer la situation ?

La société civile congolaise déploie une action multiforme pour humaniser ce secteur. Son intervention se structure autour de trois axes principaux.

Le plaidoyer constitue le premier volet de cette action. De nombreuses organisations mènent des campagnes auprès des autorités étatiques pour améliorer les conditions de vie des exploitants miniers artisanaux et assainir les chaînes d’approvisionnement. Elles dénoncent systématiquement les irrégularités observées à chaque étape de ces chaînes, créant une pression constante sur les acteurs institutionnels.

La formation et l’accompagnement constituent le deuxième pilier. Des acteurs de la société civile investissent massivement dans la formation des opérateurs miniers, particulièrement sur le code minier et les modalités de création de coopératives minières. Ces programmes, déployés directement sur les sites miniers, visent à professionnaliser le secteur artisanal. Les projets tels que « Minerais pour la Paix et le Développement » ou « Madini Kwa Amani na Maendeleo », mis en œuvre en Ituri et au Sud-Kivu par un consortium réunissant plusieurs organisations comme International Alert, Observatoire Gouvernance et Paix, Justice Plus et International Peace Information Service qui illustrent cette approche collaborative.

Enfin, la validation des sites miniers constitue le troisième volet de cette action. Les organisations de la société civile participent activement aux missions d’évaluation qui déterminent les risques associés à chaque site en matière d’exploitation, de sécurité, de respect des droits humains et d’impact environnemental. Cette expertise technique permet d’orienter les politiques publiques et les investissements privés vers des pratiques plus responsables.