Défendre les défenseurs : la lutte de la société civile pour un espace et une voix au niveau mondial
La 59e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (ONU) a montré la résilience de l’action de la société civile face à des défis croissants. Parmi les principales victoires figurent la reconnaissance de l’espace civique, des droits liés au climat et à l’égalité de genre. Une large coalition a obtenu le renouvellement du mandat sur l’orientation sexuelle et l’identité de genre, malgré une réaction conservatrice. Cependant, il s’agit là de victoires défensives dans un contexte de crise. L’ONU est confrontée à un grave déficit de financement car des dizaines de pays ne payent pas leurs contributions, ce qui oblige à annuler des enquêtes cruciales. Avec une recherche d’efficacité qui menace de nouvelles coupes budgétaires et réduit l’espace de participation, la société civile doit relever le défi de protéger les acquis durement obtenus dans un système international qui s’affaiblit.
À une époque où la société civile est attaquée dans le monde entier, la 59e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies a constitué un test crucial pour déterminer si les institutions internationales sont capables d’agir pour protéger l’espace pour le plaidoyer et la contestation. À la clôture des travaux, le 8 juillet, la société civile avait remporté plusieurs victoires. L’enjeu désormais est de veiller à ce que ces avancées aient un impact concret dans un système international soumis à de fortes tensions.
L’un des principaux acquis de la société civile a été l’adoption d’une résolution sur l’espace civique. Cette résolution souligne les restrictions croissantes à l’échelle mondiale et reconnaît explicitement le rôle légitime de la société civile dans la prévention des conflits et la consolidation de la paix. La session a également permis de réaliser des progrès en matière de droits des femmes et d’action pour le climat, grâce à un travail de plaidoyer intensif de la société civile.
Les fondations : protéger l’espace civique
La résolution sur l’espace civique a mis en lumière les réalités préoccupantes auxquelles la société civile est confrontée dans le monde entier : les lois répressives, les restrictions numériques, la répression des manifestations, les poursuites judiciaires stratégiques visant à dissuader la participation publique (SLAPP) et la répression transnationale.
La résolution reconnaît les rôles légitimes de la société civile, en opposition directe aux discours autoritaires qui présentent les militants de la société civile comme des agitateurs politiques déstabilisateurs. Elle souligne les risques auxquels sont confrontées les organisations de base et les personnes défenseuses des droits humains et des femmes, reconnaissant que les restrictions de l’espace civique touchent de manière disproportionnée les personnes qui travaillent sur des questions jugées sensibles par les détenteurs du pouvoir.
Le texte a salué l’initiative de la société civile « Déclaration +25 », qui vise à compléter l’historique déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme de 1998, reconnaissant que les mécanismes de protection existants doivent être renforcés face à l’évolution des menaces.
Toutefois, la résolution comporte d’importantes lacunes. Elle n’a pas donné suite aux recommandations UNMute, soutenues par plus de 50 États, qui appellent à renforcer l’accès de la société civile aux espaces mondiaux de décision. Ces recommandations incluent la nomination d’un envoyé spécial des Nations unies pour la société civile, l’amélioration des procédures d’obtention de visas pour les personnes issues de la société civile des pays du Sud Global, un meilleur financement des bureaux d’appui des Nations unies, et un accroissement des ressources pour la participation aux événements onusiens. La résolution passe également sous silence les effets de la crise financière actuelle de l’ONU et des coupes budgétaires opérées par le Conseil (notamment la réduction de la durée des sessions et du nombre d’événements parallèles) qui diminuent les possibilités de participation de la société civile.
La session a également été marquée par le renouvellement pour trois ans du mandat du Rapporteur Spécial sur les droits à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, assurant ainsi la continuité indispensable à la défense des libertés civiques fondamentales. Une résolution sur la sécurité des journalistes est venue renforcer davantage la protection de l’espace civique en abordant la question de la liberté d’expression. Adoptée avec le soutien massif de plus de 70 États co-parrains, cette résolution fait référence à la répression transnationale, à la surveillance et aux conflits armés, en écho aux menaces croissantes auxquelles sont confrontés les journalistes et les professionnels des médias.
Une résolution sur les technologies numériques nouvelles et émergentes a appelé les États à s’abstenir d’utiliser des applications d’intelligence artificielle incompatibles avec le droit international des droits humains, tout en mandatant un renforcement du travail de promotion des droits humains dans les technologies numériques à l’échelle du système des Nations unies.
Les droits liés au genre en péril
Les militants de la société civile ont remporté des victoires pour certains des groupes les plus durement attaqués, mais ils ont surtout dû lutter pour maintenir les protections existantes.
Une coalition impressionnante de 1.259 organisations de 157 pays et territoires a fait campagne pour le renouvellement du mandat de l’Expert indépendant chargé de la question de la protection contre la violence et la discrimination liées à l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Ce mandat a été renouvelé à l’issue d’un vote disputé parmi les 47 membres du Conseil, avec 29 voix pour, 15 contre et trois abstentions.
La résolution, présentée par six États d’Amérique latine et coparrainée par 50 États de toutes les régions, a clairement réfuté l’argument fallacieux selon lequel les droits des personnes LGBTQI+ sont une imposition du Nord Global. Pour la première fois, une résolution du Conseil a explicitement condamné les lois qui criminalisent les relations sexuelles consenties entre personnes du même sexe et les identités de genre diverses, appelant les États à modifier leur législation discriminatoire. Il s’agit d’un changement significatif par rapport au langage diplomatique antérieur qui se contentait d’encourager les États à envisager des réformes.
Le Conseil a adopté six résolutions relatives au genre, mais seulement au terme de vives batailles sur leur contenu. La résolution visant à accélérer les efforts pour éliminer la violence à l’égard des femmes et des filles a été adoptée, malgré des tentatives d’amendements hostiles, ce qui montre à quel point l’égalité des genres est désormais un sujet controversé dans les forums internationaux. Les opposants ont tenté de réduire la portée des termes relatifs à l’autonomie des femmes et aux droits reproductifs, révélant une tendance plus large de revenir sur les acquis féministes.
Le renouvellement du mandat du Groupe de travail sur la discrimination à l’égard des femmes et des filles et une résolution sur l’élimination des mutilations génitales féminines, témoignent d’un engagement continu pour lutter contre les violences fondées sur le genre. Cependant, même certains termes apparemment progressistes comportaient des sous-entendus préoccupants : par exemple, une résolution sur l’autonomisation économique des femmes utilisait une terminologie relative à la famille et à la maternité qui pourrait être utilisée pour renforcer les stéréotypes de genre plutôt que de les remettre en question.
Action climatique et défenseurs de l’environnement
Une résolution sur les droits humains et le changement climatique a marqué une avancée en reconnaissant pour la première fois le droit à un environnement propre, sain et durable. Elle a également appelé les institutions financières internationales à respecter les droits humains dans le cadre de leurs actions liées au climat. Cette résolution s’inscrit dans le sillage d’un nombre croissant de décisions judiciaires reconnaissant les effets du changement climatique et de la dégradation de l’environnement sur les droits humains.
Cependant, les progrès ont été freinés par des compromis politiques : la résolution n’a pas explicitement reconnu la nécessité d’une transition équitable loin des combustibles fossiles, ni la protection des défenseurs des droits humains environnementaux, malgré le fait qu’elle reconnaisse que ces personnes figurent parmi les plus menacés. À cet égard, elle n’est pas allée aussi loin que la récente décision de la Cour interaméricaine des droits humains qui a estimé que les défenseurs de l’environnement jouent un rôle fondamental dans la lutte contre la crise climatique.
Problèmes de financement
Malgré les victoires obtenues, une réalité préoccupante jette une ombre sur les travaux. L’ONU est confrontée à la pire crise financière de son histoire. Les États-Unis, son principal contributeur, adoptent sous Donald Trump une politique de retrait et de désengagement financier vis-à-vis des institutions multilatérales, devenant ainsi l’un des 76 États à ne pas avoir payé leurs contributions.
Les conséquences sont déjà visibles. Le Haut-Commissaire des Nations Unies aux droits de l’homme a annoncé que 18 activités mandatées ne seront pas mises en œuvre en raison du manque de fonds, notamment la Commission d’enquête sur les violations graves commises dans l’est du Congo, créée il y a quelques mois seulement. Les enquêtes sur la Palestine, le Soudan et l’Ukraine ne fonctionnent actuellement qu’à 30 à 60% de leur capacité, ce qui compromet les efforts visant à documenter les violations et à soutenir les processus de responsabilisation dans des contextes de conflits dévastateurs.
Sans financement, la responsabilité internationale en matière de droits humains recule et les États répressifs en profitent. L’Érythrée, l’un des régimes les plus autoritaires au monde, a tenté de tirer parti de la crise budgétaire pour mettre fin au mandat du rapporteur spécial chargé d’examiner son bilan désastreux en matière de droits humains. Si cette tentative a échoué, d’autres suivront inévitablement, car les gouvernements qui violent les droits humains cherchent à exploiter les faiblesses institutionnelles.
Alors que la société civile se mobilise à l’échelle mondiale pour obtenir de l’ONU qu’elle protège les droits humains, les institutions mises en place pour assurer leur protection subissent un désengagement financier massif. Comme l’ont souligné plusieurs organisations de la société civile dans une déclaration conjointe, les États membres de l’ONU envoient un message clair : les droits humains et leur mise en œuvre sont, au mieux, perçus comme optionnels.
La voie à suivre : consolider les victoires en période de crise
Lors de sa dernière session du Conseil, à l’approche de son 80e anniversaire, l’ONU a offert à la fois des raisons d’espérer et des motifs de frustration. La société civile a montré qu’elle était capable d’obtenir des avancées en matière de droits humains dans des temps troublés, en travaillant de manière coordonnée entre les régions et les mouvements, et en collaboration avec les États alliés.
Mais la session a également mis en évidence la manière dont les doubles standards persistants sapent la crédibilité du Conseil. Si un consensus a pu être trouvé sur le traitement réservé par le Myanmar aux musulmans rohingyas et à d’autres minorités, le Conseil a gardé un silence remarquable sur d’autres violations graves. La répression systématique des droits humains en Chine s’est poursuivie sans contestation malgré les préoccupations exprimées par le Haut-Commissaire. De même, la situation désastreuse des droits humains en Égypte a été largement ignorée, alors même que le pays a rejeté 134 recommandations formulées par d’autres États lors de son Examen périodique universel.
Le constat reste le même : les États puissants peuvent agir en toute impunité, tandis que les nations plus petites font l’objet d’un examen plus rigoureux, ce qui menace la légitimité des mécanismes de suivi et de promotion des droits humains. La controverse autour de Francesca Albanese, Rapporteuse Spéciale des Nations unies sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens, illustre bien les dynamiques perverses en jeu : son récent rapport appelait les États à mettre fin à leurs relations avec « l’économie de l’occupation » d’Israël, mais cela a conduit à l’imposition de sanctions par les Etats-Unis.
La crise institutionnelle fragilise les acquis de la société civile. L’initiative ONU80, qui vise à mettre l’accent sur l’efficacité et l’impact à l’occasion du 80e anniversaire des Nations unies, pourrait ouvrir de nouvelles opportunités de changement, mais risque également de restreindre davantage l’accès et l’influence de la société civile au nom de l’efficacité. Alors que le budget révisé des Nations unies pour 2026 devrait inclure des coupes importantes dans le financement des droits humains, la société civile appelle à ce que l’initiative adopte une approche centrée sur les droits humains et à un renforcement de la participation.
Au lieu de pouvoir faire avancer des interprétations progressistes des droits, la société civile se retrouve à lutter simplement pour maintenir ce qui a déjà été obtenu. Le fait que des résolutions qui soulignent des principes fondamentaux, tels que la liberté de vivre à l’abri de la violence et de la discrimination, n’aient pas été adoptées par consensus mais par des votes partagés, montre à quel point les droits humains sont contestés sur la scène internationale.
Cette session a toutefois prouvé que malgré les pressions croissantes, la plus grande force de la société civile, c’est-à-dire sa capacité à mobiliser les populations, de la base au sommet, au-delà des frontières et des mouvements, reste intacte. L’avenir de la protection internationale des droits humains dépend désormais de la capacité du plaidoyer organisé, qui a permis ces victoires, à évoluer pour relever les nouveaux défis à venir.
NOS APPELS À L’ACTION
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Les États devraient mettre en œuvre les recommandations de l’initiative UNMute afin de garantir une participation significative de la société civile aux processus des Nations unies.
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Tous les États devraient verser d’urgence l’intégralité de leurs contributions financières à l’ONU et veiller à ce que le processus de réforme ONU80 donne la priorité à la protection des droits humains.
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Le Conseil des droits de l’homme devrait mettre fin à l’examen sélectif des situations et répondre avec impartialité à toutes les violations graves des droits humains.
Pour toute interview ou information complémentaire, veuillez contacter research@civicus.org
Photo de couverture par Maina Kiai/cc by 2.0