À la suite d’une campagne intense menée par la société civile, la candidature de l’Arabie saoudite au Conseil des droits de l’homme des Nations unies a échoué, laissant espérer que les États dont le bilan en matière de droits humains est déplorable ne pourront plus blanchir leur réputation en devenant membres du principal organe de défense des droits humains au monde. Toutefois, la majorité des membres du Conseil continue de restreindre considérablement l’espace de la société civile. Celle-ci continue de plaider pour des élections compétitives, un examen rigoureux des performances des candidats en matière de droits humains, et des critères de sélection stricts conditionnant l’adhésion au Conseil au respect des droits humains.

Pour la troisième année consécutive, la société civile a réussi à écarter du Conseil des droits de l’homme des Nations unies (ONU), l’organe le plus important au monde en matière de droits humains, un Etat responsable de violations flagrantes des droits humains. En 2022, il s’agissait du Venezuela. L’année dernière, c’était la Russie. Cette fois-ci, c’est l’Arabie saoudite.

Lors du vote du 9 octobre pour les nouveaux membres du Conseil, l’Arabie saoudite est arrivée en sixième position dans la compétition pour les cinq sièges du bloc régional Asie-Pacifique. Depuis la création du Conseil en 2006 jusqu’en 2019, l’Arabie saoudite a occupé un siège la plupart du temps, ne se retirant que brièvement entre deux mandats. Cependant, ses tentatives de réintégration ont échoué à deux reprises, en 2020 et cette année.

Sous la direction du prince héritier Mohammed ben Salmane, l’Arabie saoudite a investi massivement dans sa candidature, dans le cadre d’une campagne de relations publiques de plusieurs milliards de dollars, « Vision 2030 », visant à redorer l’image internationale ternie du pays et à le repositionner en tant que nation progressiste et modernisatrice. Cette stratégie inclut des projets ambitieux et impressionnants, tels que la création de nouvelles villes futuristes alimentées par les technologies les plus avancées, ainsi que des initiatives de blanchiment par le sport, notamment l’achat de clubs de football et l’organisation de compétitions internationales prestigieuses.

Dans ce contexte, l’Arabie saoudite cherche à jouer un rôle plus important au sein des institutions internationales. Se présentant comme un acteur mondial responsable, elle a récemment réussi à se faire élire à la présidence de la Commission de la condition de la femme des Nations unies, en dépit de son bilan catastrophique en matière de droits des femmes. Cette élection n’a rencontré aucune opposition en l’absence de candidats rivaux.

Heureusement, l’Arabie saoudite n’a pas été admise au Conseil des droits de l’homme cette année. Toutefois, les nouvelles ne sont pas toutes bonnes : plusieurs autres États, coupables de violations systématiques des droits humains, ont obtenu des sièges.

Nommer et blâmer

La résolution de l’Assemblée générale établissant le Conseil des droits de l’homme stipule que le processus de sélection doit « prendre en considération le concours que chaque candidat a apporté à la cause de la promotion de de la défense des droits de l’homme ». Une fois élus, les membres du Conseil sont tenus de « respecter les normes les plus strictes en matière de promotion et de défense des droits de l’homme » et de « coopérer pleinement avec le Conseil ».

Trop d’États n’ont pas pris ces dispositions au sérieux. Certains semblent briguer un siège au Conseil dans le but de se soustraire à la surveillance internationale. Il incombe à la société civile d’essayer de veiller au respect de ces principes.

Avant le vote, le Service international pour les droits de l’homme, une organisation de la société civile, a publié des tableaux de bord pour chacun des États candidats. Ces fiches évaluent divers aspects tels que la coopération passée et le leadership au sein du Conseil, la mise en œuvre et le suivi des recommandations issues du processus d’examen périodique universel (EPU) du Conseil, la ratification des principaux traités relatifs aux droits humains, les interactions avec les organes de traités, ainsi que le traitement avec la société civile dans le cadre des processus de l’ONU.

Plusieurs groupes de la société civile ont fait des déclarations publiques et publié des dossiers de plaidoyer afin de mettre en lumière les lacunes des États candidats en matière de droits humains. En s’appuyant sur leurs outils de suivi et sur les données de l’EPU, ils ont identifié les pires contrevenants.

Des voix en première ligne

Madeleine Sinclair est directrice du bureau de New York et conseillère juridique au Service international pour les droits de l’homme.

 

La société civile a un rôle crucial à jouer dans la promotion d’un Conseil des droits de l’homme plus efficace et plus responsable. L’un des domaines clés nécessitant une réforme est celui des listes fermées. Des élections compétitives sont essentielles pour garantir que seuls des États véritablement engagés en faveur des droits humains soient élus.

L’ISHR a créé des tableaux de bord pour évaluer et comparer les candidats sur la base de leur historique de coopération avec les mécanismes des droits humains tels que l’Examen périodique universel (EPU) ainsi que sur leur engagement avec la société civile, les organes de traités de l’ONU et les procédures spéciales. Ces critères permettent une compréhension solide et une vue d’ensemble claire du bilan d’un pays en matière de droits humains et, par conséquent, de son aptitude à siéger au Conseil. Bien qu’aucun pays n’ait un bilan parfait, ces critères visent à fournir des informations précieuses sur l’engagement de chaque État à défendre les droits humains et sur son rôle potentiel au sein du Conseil.

En plus de nos tableaux de bord, notre événement annuel d’engagement conjoint avec Amnesty International offre une plateforme aux États pour présenter leur candidature, prendre des engagements publics forts en tant que membres potentiels et recevoir des réactions directes et des questions critiques de la part de la société civile. Si tous les candidats participaient à cet événement, le coût politique du refus de participer ou de ne pas soumettre de promesses et d’engagements formels augmenterait. Un tel engagement rendrait plus difficile pour les États dont le bilan en matière de droits humains est médiocre de briguer un siège sans faire l’objet d’un examen minutieux.

 

Ceci est un extrait édité de notre conversation avec Madeleine. Lisez l’intégralité de l’entretien (en anglais) ici.

L’Arabie saoudite est l’un des États qui s’est systématiquement soustrait à l’obligation de rendre des comptes pour de graves violations des droits humains, notamment le meurtre en 2018 du journaliste Jamal Khashoggi dans son consulat à Istanbul, des crimes de guerre commis au Yémen, ainsi que de potentiels crimes contre l’humanité liés à son traitement des migrants et des demandeurs d’asile.

L’Éthiopie est un autre candidat particulièrement problématique, en raison de l’absence de justice pour les crimes de guerre commis par les forces gouvernementales lors des récents conflits civils, y compris le conflit en cours dans la région d’Amhara. L’Éthiopie a fait l’objet d’une commission internationale spéciale, lancée par le Conseil des droits de l’homme en 2021, pour enquêter sur les violations liées au conflit. Son rapport, publié en 2023, a révélé que les forces éthiopiennes avaient attaqué des civils dans des écoles et un hôpital, et avaient commis des violences sexuelles contre des femmes pendant le conflit dans la région du Tigré.

Le gouvernement éthiopien s’est constamment opposé au travail de la commission et, l’année dernière, a réussi à faire pression pour que son mandat ne soit pas renouvelé. Mais les abus se poursuivent : un récent rapport actualisé des Nations unies fait état de 594 cas de violations des droits humains en 2023, notamment des meurtres, des traitements inhumains, des arrestations arbitraires et des disparitions forcées. Comme le souligne le Centre mondial pour la responsabilité de protéger, la présence de l’Éthiopie nuira à la crédibilité du Conseil.

La société civile a également dénoncé le piètre bilan de la République démocratique du Congo (RDC) en matière de droits humains, ainsi que des problèmes majeurs dans ce domaine au Kenya, au Mexique, au Qatar et en Thaïlande. Même les États ayant un bilan relativement bon en matière de droits humains ont fait l’objet d’un examen minutieux, comme la République tchèque, accusée d’incohérence pour avoir soutenu une action visant à tenir la Russie responsable des crimes de guerre en Ukraine, mais pas Israël pour ses nombreuses violations dans la bande de Gaza.

En résumé, les États les moins méritants d’un siège au Conseil sont l’Éthiopie et l’Arabie saoudite. Bien que la société civile ait réussi à empêcher l’Arabie saoudite de siéger, elle n’a pas pu faire de même pour l’Éthiopie.

Des élections non compétitives

Le Conseil des droits de l’homme compte 47 membres, chacun élu pour un mandat de trois ans, avec une rotation d’environ un tiers de ses membres chaque année. Les États peuvent être réélus pour un second mandat, comme ce fut le cas pour le Bénin, la Gambie et le Qatar cette année, mais ils doivent alors faire une pause d’au moins un an avant de se présenter à nouveau. Bien que tous les États membres des Nations unies participent à l’élection de tous les membres du Conseil, un nombre fixe de sièges est attribué à chacun des cinq blocs régionaux des Nations unies : Afrique, Asie et Pacifique, Europe centrale et orientale, Amérique latine et Caraïbes, et Europe occidentale et autres États.

Le problème majeur réside dans le fait que la plupart des élections ne sont pas compétitives, les blocs désignant souvent autant de candidats qu’il y a de sièges disponibles. Par conséquent, les candidats sont généralement élus sans opposition ni contrôle. Sur les 19 élections organisées depuis 2006, quatre se sont déroulées avec des listes fermées dans toutes les régions, quatre avec une compétition dans une seule région et neuf avec deux listes compétitives. La concurrence est l’exception plutôt que la règle.

Cette fois-ci, un seul bloc régional – l’Asie et le Pacifique – était compétitif, avec six candidats pour cinq sièges. La société civile a donc eu la possibilité de désigner l’Arabie saoudite comme étant le plus mauvais candidat et d’exhorter les États à voter contre elle. La victoire a tout de même été serrée : L’Arabie saoudite est arrivée en dernière position, mais a obtenu 117 voix, soit seulement sept de moins que les Îles Marshall.

D’autres États répressifs de ce bloc sont entrés au Conseil, certains grands violateurs des droits humains ayant obtenu un soutien significatif. Deux États où l’espace civique est sévèrement réprimé – la Thaïlande et le Qatar – ont été élus avec respectivement 177 et 167 voix. Les Îles Marshall, bien que disposant du meilleur bilan en matière de droits humains, et étant le seul État de la région à disposer d’un espace civique ouvert, ont remporté leur siège avec le plus faible nombre de voix dans ce bloc.

La société civile avait peu de moyens d’agir contre l’Éthiopie, car l’élection non compétitive du bloc africain lui garantissait un siège. Toutefois, elle a continué à encourager les États attachés aux droits humains à voter contre l’Éthiopie, afin d’envoyer un message symbolique et de contester sa légitimité.

La société civile continuera à réclamer des élections véritablement compétitives. Bien qu’elles ne soient pas une solution miracle – l’année dernière, lors d’un scrutin compétitif, l’autoritaire Cuba a battu le Pérou – elles offrent une occasion précieuse de dénoncer les violations des droits humains, d’exiger des normes plus élevées et d’exercer une pression sur les pires contrevenants.

Parmi les membres sortants du Conseil, deux – l’Érythrée et les Émirats arabes unis – ont fermé l’espace civique, ce qui témoigne de la répression totale des libertés fondamentales d’association, d’expression et de réunion pacifique. Il est encourageant de constater qu’aucun des nouveaux États membres élus cette année n’a totalement fermé l’espace civique. Mais il n’en reste pas moins que 10 des 18 nouveaux membres imposent de sérieuses restrictions à l’espace civique, et le Conseil continue d’inclure au moins deux États – la Chine et le Soudan – accusés d’avoir commis des atrocités de masse.

Le bilan de la session

En ce qui concerne le contenu des discussions du Conseil lors de sa dernière session, les résultats sont également mitigés.

Au cours de la session, le Conseil a adopté de nombreuses résolutions sur une vaste gamme de sujets, notamment l’utilisation de mercenaires, l’élimination de la violence domestique et le droit à l’eau potable et à l’assainissement.

Une résolution importante portait sur la biodiversité et les droits humains. En prévision de la 16e conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique, qui se tiendra à la fin du mois d’octobre, le Conseil a demandé au Haut-Commissaire aux droits de l’homme d’entreprendre une étude mondiale sur la mise en œuvre d’une approche fondée sur les droits pour les objectifs et les cibles du Cadre mondial pour la biodiversité de 2022. Il a également encouragé le Haut-Commissaire à s’engager auprès des peuples autochtones, des personnes d’ascendance africaine et des groupes en situation de vulnérabilité pour faire progresser l’action fondée sur les droits humains dans le domaine de la biodiversité.

Une autre résolution importante a porté sur les droits humains sur internet, appelant les États à intensifier les efforts pour réduire la fracture numérique, y compris la fracture numérique entre les hommes et les femmes, et à promouvoir un accès libre, ouvert et sécurisé à internet.

D’autres résolutions ont porté sur les droits humains des groupes exclus. Une résolution sur les droits humains des migrants a demandé au Haut-Commissariat de préparer une étude sur la surveillance des droits humains dans le contexte des migrations, y compris aux frontières internationales, et d’organiser une discussion sur les mesures à prendre pour lutter contre les récits déshumanisants et préjudiciables sur les migrants et les migrations, les discours de haine et la xénophobie à leur égard.

Une autre résolution, sur les droits humains et les peuples autochtones, a fixé l’objectif d’une discussion annuelle sur ces droits dans le cadre d’une transition énergétique juste, y compris en ce qui concerne l’extraction des minerais. Elle a encouragé les Nations unies à impliquer les femmes et les jeunes autochtones dans ces débats.

La société civile s’est félicitée de l’adoption d’une résolution sur la participation aux affaires politiques et publiques, qui, pour la première fois, inclut un texte sur les enfants et reconnaît leur droit à la participation aux affaires publiques. Elle a aussi applaudi une résolution sur le racisme et la xénophobie, qui appelle les États à explorer des moyens de réparer les injustices raciales historiques.

Le Conseil a également voté le renouvellement des mandats de plusieurs rapporteurs, experts indépendants et missions d’enquête chargés de surveiller les droits humains, notamment en Afghanistan, en RDC, en Russie, au Soudan et au Venezuela. Il a nommé quatre nouveaux titulaires de mandat, dont le rapporteur spécial sur la situation des droits humains au Belarus, et a prolongé de trois ans le mandat du rapporteur spécial sur la promotion et la protection des droits humains dans le contexte du changement climatique.

Cependant, le Conseil a ignoré certaines des questions les plus urgentes de notre époque, où les intérêts d’États puissants sont en jeu. Malgré un récent arrêt de la Cour internationale de justice établissant clairement que l’occupation israélienne des territoires palestiniens est illégale au regard du droit international, le Conseil n’a pas condamné les crimes commis par Israël à l’encontre du peuple palestinien. Il n’a pas non plus réagi aux violations des droits humains commises par la Chine ni à la crise des droits humains qui sévit actuellement au Yémen.

Des changements nécessaires

Malgré ses nombreuses lacunes, le Conseil des droits de l’homme joue incontestablement un rôle essentiel en dénonçant les violations des droits humains, en préconisant des normes plus strictes et en offrant à la société civile une plateforme pour demander des comptes. Toutefois, un Conseil plus fort est nécessaire.

En plus d’autres éléments essentiels tels que l’amélioration du financement du pilier des droits humains de l’ONU, des élections compétitives constituent un moyen clé pour renforcer le Conseil, en créant des opportunités d’exclure les pires contrevenants et en encourageant un leadership plus fort ainsi que de meilleures performances en matière de droits humains de la part des membres élus. La société civile continuera de plaider en faveur de ces réformes dans le cadre de ses efforts pour promouvoir le respect des droits humains et lutter contre l’impunité de ceux qui les bafouent.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Les membres du Conseil des droits de l’homme devraient s’engager à respecter les normes les plus élevées en matière de promotion et de protection des droits humains et à coopérer pleinement avec le système des droits humains des Nations unies.
  • Tous les blocs régionaux devraient accepter d’organiser des élections compétitives pour les postes du Conseil des droits de l’homme et permettre à la société civile d’exercer un contrôle dans le cadre de ce processus.
  • Le Conseil des droits de l’homme doit réagir aux violations graves des droits humains avec impartialité, quels que soient les États impliqués.

Pour des entretiens ou de plus amples informations, veuillez contacter research@civicus.org

Photo de couverture par Fabrice Coffrini/AFP via Getty Images