La récente élection au Rwanda a rempli sa fonction, à savoir confirmer le maintien au pouvoir de Paul Kagame. Président depuis 2000, Kagame bénéficie sans aucun doute d’un grand soutien national et international, qui lui attribue l’instauration de la paix, de la stabilité et – bien que cela soit contesté – de la réussite économique. Toutefois, cette élection s’est caractérisée par une concurrence minimale et a été précédée d’une répression dans un pays où la dissidence est à peine tolérée. Ceux qui osent s’opposer à Kagame ou cherchent simplement à lui demander des comptes sont criminalisés, harcelés et vilipendés, tandis que les plus grands dissidents risquent la mort, même en exil. Il est temps que les partisans internationaux de Kagame exercent des pressions pour un plus grand respect des droits humains.

Personne ne peut feindre la surprise. Paul Kagame, président du Rwanda depuis 2000, vient de remporter un quatrième mandat électif. Et comme à l’accoutumée, il s’agit d’une victoire par forfait, avec un scrutin d’une ampleur rarement égalée depuis l’époque des pseudo-élections soviétiques. Les résultats provisoires – sous réserve de confirmation finale – montrent que Kagame a remporté 99% des voix avec un taux de participation de 98%. Les deux opposants symboliques autorisés à figurer sur le bulletin de vote se sont partagé le pourcentage restant. Le parti de Kagame, le Front patriotique rwandais (FPR), devrait également continuer à dominer le parlement.

Il en était de même lors de la dernière élection en 2017, lorsque Kagame avait obtenu 98,79% des voix. Grâce au remaniement de la Constitution en sa faveur en 2015, Kagame pourrait rester président jusqu’en 2034 au moins.

Il ne fait aucun doute que M. Kagame est apprécié par de nombreux Rwandais, qui lui attribuent le mérite d’avoir ramené la paix et restauré la fierté du pays après le génocide dévastateur de 1994. Il a également de nombreux partisans parmi les dirigeants occidentaux, qui soulignent les progrès du pays en matière de développement économique et d’égalité des genres, le Rwanda étant régulièrement en tête du classement mondial pour la représentation des femmes au parlement.

Cependant, un gros problème persiste : Kagame est un dirigeant autoritaire dont le pouvoir repose sur la suppression impitoyable de toute critique. La société civile et les médias indépendants ne sont pas tolérés. Une élection qui se déroule dans un climat de peur et d’intimidation, avec des conditions très inégales, ne peut pas être équitable. Il est impossible de savoir quel serait le niveau de soutien des candidats de l’opposition s’ils étaient réellement libres de présenter leurs arguments au public, et si les Rwandais étaient pleinement en mesure d’exprimer leurs points de vue, de préconiser des alternatives aux politiques gouvernementales et de poser des questions sensibles aux dirigeants – autant d’éléments qui caractérisent une démocratie compétitive.

Une histoire de répression

Ceux qui auraient pu représenter une plus grande menace ne figuraient tout simplement pas sur le bulletin de vote. Six candidats potentiels ont été disqualifiés, notamment Diane Rwigara, critique bien connue de Kagame, qui a été détenue après avoir tenté de se présenter en 2017, ainsi que Bernard Ntaganda et Victoire Ingabire Umuzoha, tous deux empêchés de se présenter en raison de condamnations pénales antérieures pour des motifs politiques. Les appels visant à annuler ces condamnations afin de leur permettre de se présenter ont été rejetés. Les deux candidats autorisés à se présenter étaient ceux que Kagame avait écartés en 2017. Ils n’ont jamais eu la moindre chance de remporter l’élection, mais ont été instrumentalisés pour donner l’impression d’une élection compétitive.

Pour s’assurer de ce résultat, le gouvernement a lancé une campagne de répression à l’approche du scrutin, arrêtant les membres d’un parti politique non enregistré et plusieurs journalistes. Ces mesures s’inscrivent dans un schéma de répression bien établi selon lequel les personnes qui s’expriment contre Kagame risquent d’être détenues, poursuivies, soumises à des disparitions forcées et de subir des morts mystérieuses.

Si Kagame est aussi populaire qu’il semble l’être, il n’a rien à craindre - et pourrait même gagner - à ouvrir un espace pour la contestation.

Kagame et le FPR dominent le paysage médiatique et politique, et les journalistes indépendants sont persécutés, y compris par les tribunaux, et diffamés par les représentants du gouvernement et sur les médias sociaux.

En janvier, Dieudonné Niyonsenga, propriétaire d’une chaîne de télévision, a décrit ses trois années de détention, marquées par des passages à tabac répétés, des problèmes de santé non traités et la confiscation de documents liés à son procès, pour ne citer qu’un exemple parmi tant d’autres. Les autorités l’ont arrêté en avril 2020 pour un reportage sur l’impact des directives COVID-19, l’accusant de falsification et d’obstruction aux travaux publics. Bien qu’il ait été acquitté en mars 2021, Niyonsenga a été arrêté à nouveau en novembre 2021. Malgré ses appels devant les tribunaux, les autorités judiciaires n’ont pas pris de mesures correctives.

En 2023, le célèbre journaliste d’investigation John Williams Ntali a connu un sort encore plus funeste. Il a été tué lorsqu’un véhicule roulant à vive allure a percuté la moto qu’il conduisait. Il avait reçu des menaces de mort et, quelques jours avant sa mort, il avait déclaré craindre pour sa vie. Il enquêtait notamment sur la mort de plusieurs détracteurs du gouvernement dans des accidents de la route suspects. L’enquête sur sa mort a été truffée d’incohérences.

Les groupes de la société civile sont soumis à de sévères restrictions et il leur est difficile de s’exprimer sur les questions relatives aux droits humains. Un projet de loi menace de resserrer encore l’emprise de l’État sur la société civile, en lui donnant le pouvoir d’interférer dans les finances et les activités des organisations de la société civile et de leur refuser l’enregistrement pour un large éventail de motifs. Tout cela encourage l’autocensure et raréfie les manifestations.

Violations des droits au-delà des frontières

Le gouvernement résiste également à la surveillance internationale. En mai, il a empêché un chercheur de Human Rights Watch d’entrer au Rwanda. Il a également refusé l’accès à des journalistes étrangers connus pour être critiques à l’égard du gouvernement.

Le gouvernement est particulièrement désireux de mettre un terme aux critiques émanant des exilés. Le Rwanda est peut-être un petit pays, mais il dispose d’une agence d’espionnage internationale d’une taille et d’une sophistication que l’on associe plus volontiers à une superpuissance. Elle est connue pour s’en prendre à ceux qui ont été contraints de fuir après s’être opposés à Kagame.

Les agents de renseignement rwandais sont connus pour être actifs en Belgique, où vivent de nombreux exilés, et leur réseau d’espionnage s’étend jusqu’à l’Australie. Plusieurs exilés figurent parmi les 3500 personnes ciblées par le gouvernement au moyen du logiciel espion Pegasus. Le Rwanda fait également partie des États qui abusent des notices rouges d’Interpol – alertes d’arrestation au niveau mondial – pour tenter de forcer les dissidents exilés à revenir sous son emprise.

Outre la surveillance, les exilés rwandais peuvent faire l’objet de harcèlement et de menaces – pour eux-mêmes et pour leurs familles restées au pays. Pour les pires ennemis de Kagame, la mort peut être le prix à payer. Plusieurs personnes exilées ont été assassinées. Parmi elles, Seif Bamporiki, un homme politique dissident abattu en Afrique du Sud en 2021. Les meurtres sont souvent déguisés en vols qui auraient mal tourné. Un ancien agent des services de sécurité a déclaré qu’il avait été envoyé en Afrique du Sud pour se lier d’amitié avec des personnalités politiques en exil et les assassiner.

Tout cela a placé le Rwanda dans une position peu enviable : il est l’un des dix pires États en matière de répression transnationale. Le Rwanda figure également sur la liste des États qui punissent les personnes qui coopèrent avec les institutions des droits humains des Nations unies (ONU).

Il faut également mentionner le rôle du Rwanda dans les conflits régionaux, en particulier en République démocratique du Congo (RDC). Un conflit meurtrier entre le gouvernement et les forces rebelles dans l’est de la RDC, riche en minerais, a provoqué une crise humanitaire et des droits humains. Toutes les parties au conflit tuent et torturent des civils, et environ deux millions de personnes ont dû quitter leur foyer. Juste avant les élections, un rapport de l’ONU indiquait que 3000 à 4000 soldats rwandais combattaient aux côtés des forces du groupe rebelle M23, le Rwanda exerçant un « contrôle de facto ». En janvier, le Burundi voisin a également fermé sa frontière avec le Rwanda, affirmant que le Rwanda soutenait un groupe rebelle qui avait mené une attaque près de la frontière entre le Burundi et la RDC à la fin de l’année 2023.

Le gouvernement rwandais continue d’affirmer qu’il n’est pas impliqué dans les conflits régionaux. Il s’agit une fois de plus d’un sujet sur lequel les Rwandais ne peuvent demander de comptes à leur gouvernement.

Un parcours facile

Le Rwanda bénéficie d’un traitement de faveur de la part de ses partenaires occidentaux et mondiaux. Il est considéré comme une rare réussite, en raison de ses revendications en matière de paix, de stabilité et de réussite économique. Kagame côtoie régulièrement des dirigeants d’États puissants. Le pays a été choisi pour organiser le dernier sommet du Commonwealth et, jusqu’au récent changement de gouvernement au Royaume-Uni, il a bénéficié d’un financement pour un plan d’accueil des demandeurs d’asile, aujourd’hui supprimé.

Mais pour les nombreuses personnes visées par la répression de l’État, cela ne ressemble pas à la paix. Le pays est peut-être stable, mais il est responsable d’une grande partie de la violence et de l’instabilité en RDC. Et même sa prétendue prouesse économique peut être remise en question : la portée autoritaire du gouvernement s’étend au contrôle des données économiques, qu’il est accusé de manipuler pour présenter une image trop optimiste de la situation. Selon certaines estimations, la pauvreté semble avoir augmenté à mesure que le pays devenait plus autoritaire. C’est un autre sujet sur lequel il est impossible d’avoir un véritable débat au Rwanda, dans la mesure où cela risque de contredire le récit officiel. Le Rwanda connaît également une forte inflation des prix des denrées alimentaires ; dans les démocraties, il est rare que les électeurs accordent leur confiance aux élus en exercice dans de telles circonstances.

Les partenaires internationaux du Rwanda doivent cesser de traiter Kagame de manière complaisante et commencer à mettre en lumière sa vaste stratégie de répression. Ils devraient lui faire comprendre que, s’il est aussi populaire qu’il semble l’être, il n’a rien à craindre – et pourrait même gagner – à ouvrir un espace pour la contestation.

Il est inquiétant de constater que Kagame a célébré sa victoire électorale de 2017 par une nouvelle répression des opposants politiques et des partis d’opposition non enregistrés, notamment par des meurtres, des disparitions et des arrestations. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cette situation ne doit pas se reproduire.

NOS APPELS À L’ACTION

  • Le gouvernement rwandais doit s’engager à respecter les droits fondamentaux, y compris les libertés de réunion, d’association et d’expression.
  • Le gouvernement devrait prendre des mesures pour s’assurer que les futures élections permettent une véritable compétition politique sur un pied d’égalité.
  • Les partenaires internationaux du Rwanda devraient exhorter le gouvernement à respecter les droits humains et à reconnaître la dissidence comme un élément fondamental de la démocratie.

Pour des entretiens ou de plus amples informations, veuillez contacter research@civicus.org

Photo de couverture par Luis Tato/AFP via Getty Images