RDC : manifestations contre l’ONU dénoncent l’aggravation de l’insécurité
Frustrées par la persistante insurrection et par l’insécurité en dépit d’une mission de maintien de la paix présente dans leur pays depuis deux décennies, des centaines de personnes manifestent dans plusieurs villes de l’est de la République démocratique du Congo depuis juillet. Elles demandent le retrait immédiat des troupes de l’ONU. Plus les manifestations sont devenues violentes, plus il y a eu de violence en réponse. Plus de 30 personnes sont mortes et de nombreuses autres ont été blessées. Il est urgent de trouver des solutions alternatives qui respectent les droits des personnes vivant dans l’insécurité et leur apportent la paix et la sécurité qui leur manque.
Les forces des Nations Unies (ONU) sont présentes en République démocratique du Congo (RDC) depuis plus de deux décennies. Ce qui a commencé en 1999 comme une mission d’observation de moins de 100 soldats s’est transformé en une force de plus de 5 000 militaires au début de l’année 2000. Cette force compte aujourd’hui plus de 16 000 membres officiels, la rendant l’une des plus grandes missions de maintien de la paix au monde.
La force de l’ONU a été déployée pour maintenir la stabilité dans un pays riche en minerais, touché par de multiples conflits menés par des milices armées, dont certaines sont liées aux États voisins. Mais l’insécurité a persisté, et de nombreux habitants de la RDC dénoncent aujourd’hui l’échec de la mission et manifestent pour exiger son retrait.
Un aperçu des manifestations
En novembre 1999, le Conseil de sécurité des Nations Unies a créé la Mission de l’Organisation des Nations Unies en RDC (MONUC) pour veiller à ce que toutes les parties impliquées dans le conflit respectent l’accord de cessez-le-feu de Lusaka – un accord de paix entre la RDC et les gouvernements de l’Angola, de la Namibie, du Rwanda, de l’Ouganda et du Zimbabwe.
Au fil du temps, le mandat de la mission s’est élargi et davantage de troupes ont été déployées. En 2010, la MONUC a été renommée « Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RDC » (MONUSCO).
Malgré la forte présence de l’ONU dans le pays, les conflits armés et l’insécurité restent des problèmes majeurs. Au lieu de représenter la paix, les casques bleus de l’ONU ont fini par être considérés par beaucoup comme faisant partie du problème.
Les manifestations ont éclaté le 25 juillet et ont fait jusqu‘à présent 36 morts, dont quatre soldats des Nations Unies, et environ 170 blessés. Des accusations de violence ont été lancées par les deux parties.
Des manifestants ont déclaré que les casques bleus leur avaient tiré dessus à balles réelles et ont accusé les forces de l’ONU d’être responsables de certains décès. La MONUSCO a démenti ces affirmations, affirmant plutôt que les manifestants ont tiré des coups de feu et soulignant les attaques contre ses bases. En juillet, l’organisation a demandé une enquête conjointe avec le gouvernement sur la mort de civils et de soldats de la paix, avertissant que les attaques contre sa mission pourraient constituer des crimes de guerre.
Mais moins d’un mois plus tard, deux soldats des Nations Unies ont ouvert le feu sur un poste-frontière, tuant deux personnes et en blessant plus d’une douzaine d’autres. Selon les rapports, les personnes se sont vu refuser l’entrée par les services d’immigration au retour d’un voyage à l’étranger et ont tenté de forcer le passage. L’ONU a condamné l’incident et a ouvert une enquête conjointe avec le gouvernement. Mais cet incident n’a guère contribué à justifier le maintien de sa présence.
Selon un sondage récent, 44 % des personnes interrogées pensent que les forces de l’ONU devraient quitter immédiatement la RDC. Elles soutiennent que les casques bleus n’ont pas réussi à assurer la sécurité face aux groupes rebelles violents, notamment le Mouvement du 23 mars (M23), créé par le Rwanda et actif dans l’est du pays. Le M23 a largement resurgi en 2022, résultant dans la mort de 29 civils entre juin et juillet de cette année, ainsi que l’expulsion de nombreux autres.
De son propre aveu, l’ONU n’a pas la capacité de combattre le M23 et les autres groupes d’insurgés. Mais ses opposants estiment qu’elle fait plus de mal que de bien puisque sa présence représente incite des attaques, entraînant davantage de violence.
Si les manifestations se sont calmées ces dernières semaines, la résistance à la présence de l’ONU reste forte. Celles-ci n’ont pas été les premières manifestations contre les casques bleus en RDC et elles ne seront pas les dernières. Plusieurs ont eu lieu ces dernières années, même suite à l’instauration de la loi martiale dans deux provinces de l’est du pays en 2021, et encore d’autres sont prévues.
L’activisme de base ciblé
Les militants de base, et en particulier les réseaux de jeunes militants tels que LUCHA (Lutte Pour Le Changement), ont été fortement impliqués dans les récentes manifestations, exerçant un rôle décisionnaire dans l’organisation des manifestations et la formulation des demandes des manifestants.
Les militants et les organisations de la société civile ne se contentent pas de protester contre la présence de l’ONU ; ils dénoncent également l’insécurité générale qui règne dans le pays et reprochent au gouvernement de ne pas en faire assez. Mais cela fait d’eux une cible de la répression gouvernementale.
Les voix de ceux en première ligne
Espoir Ngalukiye et Sankara Bin Kartumwa sont membres de LUCHA, une organisation qui promeut la dignité humaine et la justice sociale en RDC.
La MONUSCO a été déployée pour restaurer la paix en RDC. A ce titre elle devait protéger les civils, faciliter des processus électoraux sûrs, et lutter contre les groupes rebelles. Mais elle est présente dans le pays depuis près de 20 ans et tout le contraire s’est produit : le nombre de groupes armés a augmenté, les gens continuent de vivre dans des conditions dangereuses et, malgré sa présence, des vies innocentes sont encore perdues.
La mission de maintien de la paix avait pour mission d’empêcher tout cela, mais elle a manqué de diligence et s’est avéré inutile. À l’heure actuelle, les niveaux de violence extrêmement élevés poussent de nombreuses personnes à migrer en quête de sécurité. Ce seul fait suffit à prouver que la mission de maintien de la paix a échoué.
De nombreuses personnes dans les communautés locales n’ont pas de bonnes relations avec la MONUSCO parce qu’elles pensent que la mission n’a pas assumé son rôle de protection. Le manque de confiance des civils, à son tour, rend difficile l’exécution du mandat de la MONUSCO. Mais si elle était efficace, les gens ne l’opposeraient pas par le biais de manifestations.
Nous avons vu des personnes blessées et tuées simplement parce qu’elles faisaient partie des manifestations. Les gens sont en colère parce que les problèmes de sécurité durent depuis des années, et la MONUSCO aurait dû s’en douter : ce n’était qu’une question de temps avant que les gens ne commencent à exprimer leur colère envers la mission. La MONUSCO aurait dû trouver des moyens de gérer la situation sans que des personnes perdent la vie.
Quant aux autorités congolaises, elles ont procédé à des arrestations illégales. La plupart des personnes sont détenues dans de terribles conditions. Nous nous soucions de ce qu’elles obtiennent toutes justice. Nous ne voulons pas qu’elles soient torturées pour s’être battues pour leurs droits.
La communauté internationale a été hypocrite et a toujours donné la priorité à leurs propres besoins. Il est regrettable que les événements récents se produisent dans une région de notre pays riche en minerais. De nombreuses personnes puissantes y ont des intérêts et sont prêtes à faire n’importe quoi pour s’assurer qu’ils soient protégés. C’est pour cette raison que si peu de pays se soulèvent contre ce qui se passe.
La géographie nous place également dans une situation désavantageuse. Peut-être que si nous étions en Ukraine, nos voix auraient compté, mais nous sommes en RDC et les acteurs internationaux ne s’intéressent qu’à nos ressources et non à notre peuple. Mais les personnes tuées en RDC sont des êtres humains qui ont des familles, des vies et des rêves, tout comme ceux tués en Ukraine.
La communauté internationale doit comprendre que nous avons besoin de paix et de sécurité, et que la MONUSCO n’a pas tenu ses promesses et doit quitter notre pays. Elle doit écouter la voix du peuple qui est souverain. Écouter le peuple sera le seul moyen de mettre fin aux manifestations. Essayer de les arrêter d’une autre manière conduira à plus de violence et plus de morts.
Ceci est un extrait édité de notre conversation avec Espoir et Sankara. Lisez l’interview complète ici.
En tant que réponse aux manifestations, le gouvernement a déployé des centaines de policiers et de soldats dans toute la région orientale, ne faisant qu’assurer et accroître la violence. Les troupes ont été envoyées dans un but de protection des installations des Nations Unies contre les attaques et, selon le gouvernement, d’apaisement.
Mais les manifestants ont dénoncé la violence des forces de sécurité et notamment l’usage abondant de gaz lacrymogènes. Dans certaines régions, les manifestations ont été interdites et les manifestants arrêtés.
Or au même temps le gouvernement semblait soutenir les revendications des manifestants lorsqu’il a expulsé le porte-parole de la MONUSCO, Mathias Gillmann, suite à sa confirmation que l’ONU ne disposait pas de l’équipement nécessaire pour faire face à la sophistication militaire du M23 et d’autres groupes d’insurgés. Le gouvernement a justifié sa décision par le fait que Gillmann exacerbait les tensions et alimentait la dissidence.
Dans ce qui semble être une tentative claire de contrôler le récit, des journalistes ont été arrêtés et détenus après avoir fait des reportages sur le sujet.
Un retrait des troupes en vue ?
En fin de compte, les objectifs des manifestants ne sont peut-être pas si lointains : l’ONU retire ses troupes depuis plusieurs années et, avant les manifestations, elle avait mis en place un plan de retrait progressif qui devait se finaliser en 2024 si plusieurs conditions étaient remplies. À la lumière des événements récents, le gouvernement a commencé à réévaluer le calendrier mais a déjà indiqué que le retrait complet prendrait probablement un an.
Alors même que les militants réclament un délai plus court, une évacuation immédiate semble irréalisable, et il faut tout de même assurer que le retrait de la MONUSCO n’aggrave pas davantage la situation. Il faut absolument mettre en place des alternatives.
Pour renforcer la sécurité face à l’activisme croissant, le gouvernement a autorisé des interventions étrangères, notamment une force régionale du bloc de la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE). Bien qu’il s’agisse d’une solution africaine, elle a également fait l’objet de critiques de la part de ceux qui se méfient des interventions extérieures.
L’implication du Rwanda dans l’EAC, en particulier, a manifestement le potentiel de saper l’initiative. Tandis que le gouvernement autoritaire rwandais affirme avoir cessé de financer le M23, le gouvernement de la RDC l’accuse de l’avoir soutenu lors des attaques de 2022. Il existe des preuves montrant que les troupes rwandaises mènent des opérations militaires dans l’est de la RDC depuis l’année dernière. Le Rwanda est accusé d’extraire les richesses minérales de l’est de la RDC et de mener une guerre par procuration avec l’Ouganda.
Les opposants de la présence de l’ONU souhaitent donc que les forces de sécurité nationales prennent le relais. Il s’agit d’un sentiment partagé à travers l’Afrique centrale et occidentale, comme en témoignent les récentes manifestations au Burkina Faso, au Tchad, au Mali et au Niger, principalement contre la présence des troupes françaises. Dans ces pays, le sentiment anti-français est plus fort chez les jeunes et a entraîné un certain soutien public aux gouvernements militaires qui adoptent une position fortement anti-française, notamment au Mali.
Et ensuite ?
Le défi consiste à déterminer ce qui doit arriver ensuite. Des années de présence de forces étrangères semblent avoir contribué au faible développement des capacités des forces nationales pour répondre à l’insécurité. C’est un problème répandu : le Mali fait partie des pays ayant recruté des mercenaires russes pour combler ses lacunes, ce qui ne fait qu’intensifier les préoccupations en matière de droits de humains et de transparence.
Les forces de la RDC sont également associées à la répression violente de manifestations et à d’autres atteintes aux droits humains, notamment dans les deux provinces orientales où la loi martiale reste en vigueur. Pour ne citer qu’un exemple de ces violences, Mumbere Ushindi Dorake, activiste de la LUCHA, a été tué par les forces de sécurité lorsqu’ils ont tiré à balles réelles sur une manifestation pacifique organisée en janvier.
Les gens, en RDC comme dans le monde entier, ne cherchent qu’à vivre en paix. Afin que le retrait de l’ONU conduise effectivement à des améliorations concrètes dans la vie des gens, les forces de sécurité qui la remplaceront devront s’engager à protéger les droits de ceux qui vivent dans l’insécurité, et être pleinement redevables envers ceux qu’elles sont censées protéger.
NOS APPELS À L’ACTION
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Le gouvernement de la RDC doit revenir sur les politiques d’interdiction des manifestations et cesser de réprimer les manifestations.
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Le gouvernement doit travailler avec les Nations Unies pour élaborer un plan de transition qui garantisse la sécurité des Congolais et la responsabilité des troupes restantes.
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L’ONU doit enquêter sur toutes les accusations criminelles portées contre les casques bleus et faire en sorte que les personnes coupables soient tenues responsables de leurs actes.
Photo de couverture par Reuters/Djaffar Sabiti via Gallo Images