CIVICUS s’entretient avec Sentiment Ondo, Secrétaire adjoint de Tournons la Page International, au sujet des récentes élections législatives et présidentielles au Gabon et de ce qu’elles révèlent de la trajectoire démocratique du pays. Tournons la Page est un mouvement citoyen panafricain qui milite pour l’alternance démocratique et la limitation des mandats présidentiels en Afrique.

Le général Brice Clotaire Oligui Nguema est arrivé au pouvoir au Gabon lors d’un coup d’État en août 2023 et a consolidé son pouvoir lors des élections de 2025. Après avoir remporté l’élection présidentielle d’avril avec plus de 90 % des voix, son parti, l’Union démocratique des bâtisseurs (UDB), a remporté 103 des 145 sièges parlementaires lors des élections législatives de septembre-octobre. Malgré la fin du règne de 56 ans de la famille Bongo, l’espace civique du Gabon reste restreint et son avenir démocratique incertain.

Quelle est votre évaluation des élections de septembre-octobre ?

Les élections de septembre-octobre, qui comprenaient des élections législatives et locales, étaient particulièrement attendues, car elles marquaient la fin du processus de transition politique entamé lors de la prestation de serment du général Nguema, le 4 septembre 2023. En effet, plus de 18 000 candidatures ont été enregistrées, un chiffre record dans l’histoire politique du Gabon, qui laissait espérer un scrutin ouvert et concurrentiel. Ainsi environ 954 000 électeurs étaient appelés aux urnes dans plus de 3 100 bureaux de vote, dont une centaine à l’étranger pour la diaspora.

Cependant, cet engouement s’est vite heurté à un taux de participation relativement faible, à peine un peu plus 50 % contre plus de 70 % lors de la présidentielle d’avril. L’organisation du scrutin s’est révélée moins rigoureuse que celle de la présidentielle ou du référendum constitutionnel de novembre 2024, qui avait validé un nouveau projet de constitution dont l’un des points majeurs est l’adoption d’un régime présidentiel fort concentrant les pouvoirs entre les mains du président.

Au cours des élections de septembre-octobre, de nombreuses irrégularités, des recours et même des annulations de vote ont été enregistrés dans plusieurs circonscriptions, alimentant un sentiment de confusion et de frustration parmi les observateurs. Les résultats, qui ont donné la victoire à l’UDB, le parti du président, et au Parti démocratique gabonais (PDG), l’ancien parti au pouvoir, ont montré un recul des partis qui s’opposaient à l’ancien régime Bongo.

Le déclin des partis d’opposition – les Démocrates, l’Union nationale et le Rassemblement pour la patrie et la modernité – qui n’ont obtenu que trois sièges au total au Parlement, interroge sur la trajectoire politique de la transition gabonaise qui semble avoir permis la survie du PDG dont les 56 ans de gestion sans partage sont pourtant décriés.

La recomposition politique issue de ce scrutin semble traduire une continuité plutôt qu’un renouveau. Le taux d’abstention estimé à plus de 45 % ne permet pas d’affirmer que les résultats reflètent pleinement la volonté populaire. Le Gabon reste à la croisée des chemins entre rupture démocratique et continuité du système Bongo-PDG.

Quel rôle la société civile a-t-elle joué dans l’élection ?

Comme lors des précédents scrutins, la société civile a joué un rôle clé. Elle a mis en place trois missions d’observation citoyenne, en conformité avec l’article 24 du nouveau Code électoral promulgué en janvier. Le Réseau des observateurs citoyens a déployé 500 observateurs à travers le pays, Tournons la Page en a mobilisé 214, et d’autres organisations y ont également participé. Ces initiatives ont eu pour but de renforcer la transparence et d’encourager la participation des citoyens au processus démocratique après trois décennies de verrouillage et de trucage des élections depuis le retour au multipartisme en 1990. Le déploiement de ces missions s’est fait selon les normes internationales et sous-régionales en matière d’observation électorale, avec le soutien du Projet d’appui à la société civile et aux médias du Gabon.

Cependant, les observateurs ont souligné la limitation de leur champ d’action dans un contexte où la culture d’une élection ouverte à l’observation domestique n’est pas encore totalement acquise. Si leur présence a contribué à documenter les irrégularités et à sensibiliser l’opinion publique, leur impact n’a malheureusement pas permis de se prémunir contre ces désagréments pour la plupart hérités du régime déchu.

Quelles conditions pourraient garantir que le Gabon ne remplace pas un autoritarisme par un autre ?

Avec la configuration actuelle et du paysage politique issue du cycle électoral de la transition, le potentiel rempart contre l’autoritarisme réside dans la capacité du président Nguema à favoriser la liberté d’expression et de débat au sein de son propre parti, largement majoritaire au Parlement et dans les institutions.

Toutefois, il n’en demeure pas moins que la concentration du pouvoir exécutif sans véritable contre-pouvoirs institutionnels solides représente un risque élevé de dérive autoritaire, compromettant probablement la promesse d’un véritable renouveau démocratique pourtant attendu par une grande partie de la population.

A titre d’illustration la nouvelle constitution, adopté avec 91 % des voix lors du référendum de novembre 2024, a instauré un mandat présidentiel de sept ans renouvelables une fois et a supprimé le poste de Premier ministre, donnant au président des pouvoirs étendus pour nommer les membres du pouvoir judiciaire et dissoudre le Parlement sans que celui-ci ne puisse facilement déposer une motion de censure contre l’exécutif. Cette nouvelle donne crée de facto un déséquilibre significatif entre les pouvoirs car sans mécanismes de contrôle efficiente et sans une opposition forte capable de bousculer le pouvoir en place, le risque de glissement vers un nouveau système autoritaire demeure réel.