Les lois récemment adoptées en Malaisie réduisent considérablement le champ d’application de la peine de mort, et en Zambie, celle-ci a été entièrement abolie. Ces réformes ont été menées par de nouveaux gouvernements à la suite d’une campagne de la société civile, qui plaide en faveur de l’abolition de la peine de mort dans le cadre d’une série plus large d’exigences de respect des droits humains. Ces changements s’inscrivent dans une tendance mondiale vers l’abolition ou la modération. Toutefois, quelques États étendent le champ d’application de la peine de mort et augmentent le nombre d’exécutions. Les pires contrevenants sont les États où l’espace civique est fermé, la peine de mort constituant donc l’outil ultime pour faire taire les dissidents. Il faut inciter davantage d’États à se ranger du côté de l’abolition.

La Malaisie s’apprête à faire un grand pas en avant en matière de droits humains. Le 11 avril, la chambre haute du parlement a adopté deux projets de loi visant à abolir la peine de mort obligatoire. Ayant été adoptés par la chambre basse la semaine précédente, les projets de loi doivent maintenant être signés par le roi.

Progrès en Malaisie

Jusqu’à présent, 33 infractions étaient passibles de la peine de mort, qui était obligatoire pour 12 d’entre elles. Les nouvelles lois suppriment la peine de mort obligatoire pour ces 12 infractions, dont le meurtre, la trahison et le terrorisme. Elles mettent également fin à toute possibilité d’appliquer la peine de mort pour sept autres infractions. Les peines d’emprisonnement à perpétuité sont également remplacées par des peines d’emprisonnement de 30 à 40 ans.

Cette mesure était depuis longtemps une revendication majeure de la société civile malaisienne. Elle a été prise par le nouveau gouvernement issu des élections de novembre 2022, lors desquelles Anwar Ibrahim, un homme politique à la réputation de réformateur, a été élu comme Premier Ministre.

Un moratoire sur les exécutions est en vigueur depuis 2018, mais les peines de mort se poursuivent. En conséquence, plus de 1 300 personnes se trouvent actuellement dans le couloir de la mort, la plupart ayant épuisé tous leurs recours. Une fois la loi entrée en vigueur, les prisonniers auront 90 jours pour demander une nouvelle décision relative à la peine.

La Malaisie conserve la possibilité de prononcer des peines de mort pour certains délits, notamment le trafic de stupéfiants. C’est l’un des rares pays où la peine de mort peut encore être appliquée pour des délits liés à la drogue. Toutefois, pour la plupart des peines pour lesquelles la peine de mort est possible, les juges auront désormais la possibilité d’imposer une peine d’emprisonnement à la place – en plus des châtiments corporels. La société civile continuera à faire campagne pour l’abolition complète de la peine de mort, ainsi que pour la fin de l’utilisation de la peine de bastonnade comme châtiment.

Bien que cette réforme soit importante, la société civile espère d’autres progrès sous le nouveau gouvernement. L’État utilise encore des lois restrictives pour réprimer la dissidence et harceler les manifestants pacifiques. La plupart des formes de protestation sont soumises à des restrictions, y compris les manifestations de l’année dernière contre l’application de la peine de mort au Singapour, pays voisin. Le nouveau gouvernement a poursuivi les attaques de l’ancienne administration contre les droits des personnes LGBTQI+, interdisant récemment trois livres en raison de leur contenu LGBTQI+. Le gouvernement a été critiqué pour ne pas avoir respecté son engagement politique d’abroger les lois qui limitent gravement la liberté d’expression.

La société civile verra dans la limitation de la peine de mort un motif d’optimisme. Elle prouve que le gouvernement peut, s’il le souhaite, apporter des changements qui favorisent le respect des droits humains. Elle s’attend maintenant à ce que d’autres progrès soient accomplis dans ce cadre d’abrogation de lois régressives.

Progrès global, résistances nationales

Pour la société civile, il existe beaucoup d’arguments contre la peine de mort. Il y a, bien sûr, le fait que les erreurs judiciaires sont inévitables et qu’elles sont plus probables dans les régimes où le système de justice pénale est défectueux et où les procès sont inéquitables. Il n’existe aucune preuve d’effet dissuasif : l’existence de la peine de mort ne réduirait pas la probabilité que les gens commettent des crimes.

Plus fondamentalement, la peine de mort constitue un déni manifeste des droits fondamentaux : le droit à la vie et le droit de ne pas être soumis à des peines cruelles, inhumaines ou dégradantes sont inscrits dans la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Le droit international a élaboré des normes sur le non-recours à la peine de mort, notamment le deuxième protocole facultatif se rapportant au Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par 90 États, et des protocoles similaires dans les conventions régionales sur les droits humains en Amérique et en Europe.

À l’échelle mondiale, la tendance générale évolue positivement, avec notamment l’abolition pure et simple, ainsi que des moratoires et la limitation des crimes auxquels la peine peut s’appliquer. En 2021, seulement 18 États ont procédé à des exécutions, ce qui constitue un record : c’est le nombre le plus bas jamais enregistré. De plus en plus d’États soutiennent les appels au moratoire lancés par les Nations Unies.

Mais il y a quelques exceptions notables, parmi lesquelles se trouvent en premier lieu les États autoritaires où les exécutions non seulement se poursuivent, mais de plus elles augmentent. Le pays où le nombre d’exécutions est le plus élevé – bien qu’il soit impossible de donner un chiffre précis en raison de l’intense silence qui l’entoure – est la Chine. On estime que le 90 % des exécutions du monde ont lieu dans ce pays.

Après la Chine, les pays avec le plus grand nombre d’exécutions sont l’Égypte, l’Iran, l’Arabie saoudite et la Syrie. Dans tous ces pays l’espace civique est fermé et l’État réprime toute expression de dissidence. Dans ces conditions, la peine de mort représente l’outil ultime dont dispose l’État pour faire taire les critiques.

C’est ce que l’on constate en Iran, où la peine de mort et la menace de la peine de mort ont été déployées dans le cadre des réponses répressives de l’État théocratique aux manifestations de masse qui ont suivi la mort de Mahsa Amini en septembre dernier. En novembre, le gouvernement a commencé à accuser les manifestants de crimes passibles de la peine de mort. Le mois suivant, deux hommes ayant des rapports avec les manifestations ont été exécutés, dont l’un en public, et au moins 11 autres condamnations à mort ont été prononcées. Deux autres personnes ont été tuées au début de l’année. En 2022, la multiplication des manifestations en Iran s’est accompagnée d’une augmentation des exécutions de 75%, l’État étant responsable du meurtre d’au moins 582 personnes. Depuis son arrivée au pouvoir en 1979, le régime a vraisemblablement exécuté des dizaines de milliers de personnes.

De l’autre côté du golfe Persique, en Arabie saoudite, le prince héritier Mohammed bin Salman, dirigeant de facto du pays, aime jouer au modernisateur, construisant des villes de rêve high-tech dans le désert et accueillant somptueusement des événements sportifs mondiaux. Mais cette image est trahie par le fait qu’il fait décapiter ceux qui sont en désaccord avec lui. Les exécutions ont presque doublé sous son règne, avec une moyenne de 129 par an. De nombreuses personnes sont exécutées non pas pour des crimes violents, mais pour avoir protesté et s’être exprimées en nom d’un changement politique et du respect des droits humains. Elles appartiennent souvent à la minorité chiite réprimée du pays. Certaines personnes ont été exécutées pour des délits commis pendant leur enfance. Souvent, les familles n’en sont pas informées à l’avance.

En une seule journée, le 12 mars 2022, l’Arabie saoudite a exécuté 81 personnes. Effrontément, le pays avait temporairement suspendu les exécutions pendant son accueil du sommet du G20 en 2020, avant d’intensifier les massacres par la suite. Or ce mois-ci, une exécution s’est même menée pendant le ramadan, période pendant laquelle auparavant il y avait eu une forme de modération. Bin Salman avait promis de se débarrasser de la peine de mort pour la plupart des crimes, mais il semble ne pas pouvoir y renoncer – il parait que c’est trop utile comme outil de répression.

En Arabie saoudite, comme en Iran, la peine de mort est prononcée à l’issue de procès entachés d’irrégularités et d’un recours massif à la torture pour obtenir des aveux. Elle fait donc partie – et constitue le pire élément – d’un système de justice pénale biaisé, conçu pour réprimer plutôt que pour respecter les droits. Comme l’ont montré l’Iran et l’Arabie saoudite, il est pratiquement garanti que les États autoritaires qui appliquent la peine de mort l’utiliseront pour faire taire les critiques et atténuer les demandes de droits formulées par ceux qui en ont le moins.

En Afghanistan aussi, la peine de mort va de pair avec la répression. Le retour des talibans s’est accompagné d’exécutions, y compris le spectacle macabre des exécutions publiques, une méthode permettant de communiquer le pouvoir du régime sur la vie et de garder la population sous contrôle.

Au Bahreïn, la peine de mort a constitué une arme cruciale pour la monarchie dans le cadre de sa répression continue des manifestations pour la démocratie en 2011. Depuis lors, 51 personnes ont été condamnées à mort et six de ces condamnations ont été réalisées.

Au Belarus, dans le cadre de l’intensification de la répression qui a suivi les élections frauduleuses de 2020, la peine de mort a récemment été étendue : elle s’applique désormais aux militaires et aux représentants de l’État jugés comme ayant porté atteinte à la sécurité nationale.

Au Myanmar, sous régime militaire depuis plus de deux ans, la junte a cherché à réprimer le mouvement démocratique en mettant fin à un moratoire sur la peine de mort, en vigueur depuis trois décennies. En juillet dernier, quatre personnes ont été exécutées, dont un activiste pour la démocratie et un homme politique du parti déchu. Environ 140 autres personnes ont été condamnées à mort, dont des étudiants et des jeunes activistes.

Il n’est pas nécessaire d’appliquer la peine de mort pour qu’elle ait un effet dissuasif. La nouvelle loi anti-LGBTQI+ de l’Ouganda introduit la peine de mort pour ce qu’elle nomme « homosexualité aggravée »: voilà un exemple répugnant de l’utilisation de la peine de mort pour communiquer l’hostilité de l’État à l’égard d’un groupe particulier d’individus. Cette peine pourrait ne jamais être appliquée, mais elle montre clairement que l’État ne reconnaît pas aux personnes LGBTQI+ les mêmes droits qu’aux autres Ougandais et qu’il autorise ainsi la discrimination et la violence à leur encontre.

Changement positif en Zambie

La Zambie constitue un exemple africain d’une évolution plus positive. Comme en Malaisie, la transition démocratique a entraîné un mouvement progressiste sur la question de la peine de mort. En décembre dernier, le président Hakainde Hichilema a promulgué un amendement au Code pénal l’abolissant. La Zambie est devenue le 25e pays d’Afrique subsaharienne à supprimer complètement la peine de mort, suivant l’Angola, le Mozambique et l’Afrique du Sud, entre autres.

Ce développement est une victoire pour les organisations de la société civile qui n’ont cessé de réclamer l’abolition de la peine de mort et le respect du droit à la vie en Zambie.

MACDONALD CHIPENZI

La peine de mort ne s’appliquait déjà pas en Zambie. La dernière exécution remonte à 1997, à la suite de laquelle les présidents successifs se sont engagés à ne pas signer les ordres d’exécution. Mais comme en Malaisie, cela a entraîné une augmentation du nombre de personnes dans le couloir de la mort : 380 personnes seraient actuellement condamnés à mort. Hichilema souligne qu’il aurait pu en faire partie lorsque, dans l’opposition, il a été arrêté et détenu pour trahison.

Hichilema est arrivé au pouvoir lors des élections d’août 2021 en promettant de respecter les libertés fondamentales, de plus en plus entravées par le gouvernement précédent. Quand son gouvernement a aboli la peine de mort, il a également fait un pas en avant dans le respect de la liberté d’expression en mettant fin au délit de diffamation criminelle du président. Jusqu’alors, ce délit était passible d’une peine de trois ans d’emprisonnement.

Mais comme en Malaisie, Hichilema est critiqué pour sa lenteur à agir sur d’autres lois répressives, notamment celles permettant la criminalisation facile des personnes en raison de leur participation à des manifestations ou de leur expression en ligne. On craint également que, la Constitution n’ayant pas été modifiée – ce qui aurait nécessité un référendum -, un futur président disposant d’une majorité parlementaire puisse tout simplement revenir sur les modifications apportées au Code pénal.

Des voix en première ligne

Macdonald Chipenzi est le directeur exécutif sortant de Governance, Elections, Advocacy, Research Services (GEARS) Initiative Zambia, une organisation de la société civile (OSC) qui promeut la démocratie et l’intégrité électorale.

 

Une majorité de la société civile a plaidé en faveur de l’abolition de la peine de mort pour obtenir la conformité avec le principe du respect du droit à la vie inscrit dans notre Constitution. L’élimination de la peine de mort du Code pénal signifie qu’aucun tribunal ne pourra prononcer de condamnation à mort et que la peine la plus lourde pour les personnes reconnues coupables de crimes capitaux sera l’emprisonnement à vie.

Il s’agit donc d’une victoire pour les OSC qui n’ont cessé de réclamer l’abolition de la peine de mort et le respect du droit à la vie en Zambie. Toutefois, il reste la tâche gigantesque de supprimer la peine de mort de la Constitution – ce qui est essentiel, car si un jour un dirigeant sanguinaire arrive à la tête du pays, il pourra toujours l’appliquer tant qu’il existera des dispositions constitutionnelles l’autorisant.

La pratique des présidents zambiens, qui pendant des décennies ont refusé de signer les mandats de condamnations à mort, a constitué la base de notre travail de plaidoyer en faveur de l’abolition de la peine de mort. Cette pratique a rendu superflue la clause de la Constitution relative à la peine de mort et a renforcé la position des OSC de défense des droits humains et des OSC pro-vie.

Le plaidoyer a pris la forme de propositions dirigées aux commissions de révision constitutionnelle et au mécanisme africain d’évaluation par les pairs de l’Union africaine, ainsi que de prises de position présentées lors de réunions locales et internationales, telles que les sessions de l’EPU auxquelles le gouvernement zambien était présent. Les OSC ont également effectué des présentations et des propositions lors de forums internationaux. Elles ont aussi eu des réunions individuelles avec les missions étrangères des pays qui ont aboli la peine de mort et avec celles des États concernés par les droits humains, tels que l’Union européenne, le Royaume-Uni et les États-Unis.

Les sessions de l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies et les événements parallèles, dont celui auquel GEARS Initiative a récemment pu assister avec le soutien de CIVICUS, ont servi de plateforme pour plaider en faveur de l’abrogation de la peine de mort. La création d’une masse critique d’OSC de défense des droits humains a permis de créer des partenariats synergiques pour des activités de plaidoyer communes et cohérentes qui ont contribué à la création d’un mouvement contraignant le gouvernement à agir. Il était également essentiel de créer des synergies effectives avec les médias locaux et internationaux pour diffuser les initiatives de plaidoyer.

Les prochaines étapes consisteront à continuer à plaider en faveur d’un processus de révision juridique rapide des autres lois répressives en entreprenant des activités médiatiques et d’engagement du public, en examinant les sections odieuses de ces lois et en soumettant nos rapports aux autorités de l’État et aux autres parties prenantes, y compris les médias, les OSC, les bailleurs de fonds et les parlementaires.

 

Ceci est un extrait édité de notre conversation avec Macdonald. Lisez l’intégralité de l’entretien (en anglais) ici.

Surveillance internationale

Comme en témoigne le cas de la Zambie, la communauté internationale peut jouer un rôle important dans l’obtention de changements positifs. Dans le cadre du processus d’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies, le bilan des États en matière de droits humains est évalué par d’autres États, avec la participation de la société civile, afin de formuler des recommandations. La question de la peine de mort a été soulevée lors de cycles d’examen successifs, de nombreux États exhortant le gouvernement zambien à l’abolir. Son maintien risquait d’être embarrassant sur le plan international, tandis que son abolition offrait l’occasion de présenter le pays comme progressiste et comme un bon partenaire international.

Mais en Malaisie comme en Zambie, les progrès accomplis mettant fin à la peine de mort ne sont pas suffisants. Ceux-ci sont indéniablement des étapes importantes, mais pour la société civile, ils devraient symboliser et présager une plus grande vague de réformes étendant de manière significative la protection des droits humains par les États. Ces mesures doivent s’accompagner d’un engagement à respecter et à ouvrir l’espace civique, à la fois parce que les libertés civiques sont des droits fondamentaux, et parce que l’espace civique permet le plaidoyer en faveur de nouvelles réformes de la justice pénale.

Au niveau mondial, la société civile doit continuer à faire campagne pour que davantage d’États rejoignent la tendance à l’abolition de la peine de mort, en particulier les démocraties de longue date telles que le Japon et les États-Unis, qui font de plus en plus figure d’exceptions au niveau international. Dans ce contexte, la société civile doit s’engager à persuader les courants de l’opinion publique qui soutiennent la peine de mort. Cela permettrait de faire du maintien de la peine de mort une marque de honte à l’échelle mondiale.

NOS APPELS À L’ACTION

  • La société civile malaisienne devrait soutenir les campagnes en faveur de la modération de la peine de mort dans les pays d’Asie du Sud-Est qui continuent à l’utiliser.
  • La société civile zambienne devrait exhorter le gouvernement à donner suite à l’abolition de la peine de mort en adoptant d’autres réformes visant à respecter les libertés civiques.
  • La société civile mondiale devrait exhorter les États qui appliquent encore la peine de mort à s’engager à l’abolir ou, à défaut, à instaurer des moratoires.

Photo de couverture par Fabrizio Bensch/Reuters via Gallo Images