Notre Programme Commun, le nouveau rapport du Secrétaire général des Nations unies (ONU), reconnaît la nécessité de renforcer le multilatéralisme et d’améliorer la coopération, mais ne va pas assez loin. Commandées en 2020 à l’occasion du 75ème anniversaire de l’ONU et présentées à l’Assemblée générale de l’ONU en septembre prochain, ses recommandations sont fondées sur un vaste processus de consultation. Malgré cela, ses propositions manquent de l’ambition que la société civile appelle de ses vœux. La société civile espère que son engagement envers le multilatéralisme sera assorti d’une inclusion égale, et continuera à faire pression, entre autres, pour la nomination d’un envoyé de la société civile afin d’appuyer la participation dans toutes les activités des Nations unies.

En septembre 2021 s’est déroulée à New-York l’ouverture officielle de l’Assemblée générale des Nations unies. Cette assemblée est la clôture très médiatisée du cycle annuel de l’ONU, le lieu où, l’un après l’autre, les présidents et premiers ministres viennent prononcer leurs discours. Contrairement à 2020, où une grande partie de l’événement avait dû se dérouler en ligne à cause de la pandémie, en 2021, les dirigeants d’États démocratiques et autoritaires sont venus en personne pour profiter de leur moment de gloire sous les projecteurs internationaux. Bien que la pandémie ait contraint nombre d’entre eux à rester à l’écart, au moins 83 pays devaient être représentés en personne. De nombreux sujets étaient à l’ordre du jour : l’accès inégal aux vaccins et le rétablissement après la pandémie, le changement climatique et les crises en Afghanistan et au Myanmar, pour ne citer que quelques-uns des problèmes urgents que les États ne peuvent pas résoudre sans travailler conjointement.

Bien entendu, les discours officiels, ainsi que les réunions diplomatiques de haut niveau qui se déroulent en coulisses, ne sont que la partie émergée de l’iceberg onusien. Tout au long de l’année, l’ONU travaille discrètement à l’élaboration d’accords internationaux, à l’affirmation de normes en matière de droits humains et à la responsabilisation des États quant au respect de leurs engagements. Elle s’efforce également de prévenir les conflits et les catastrophes et d’y répondre. Et dans ce travail en cours, la société civile se veut un partenaire essentiel et offre une source irremplaçable d’idées, de propositions et de contrôle.

Le parti pris de l’État

Cependant, les relations de la société civile avec les institutions de l’ONU restent inégales et inégalitaires. Bien que la Charte des Nations unies commence par les mots « Nous, peuples des Nations unies », l’ONU reste construite autour des États en tant qu’entités de base et acteurs principaux. Les États puissants utilisent les institutions de l’ONU pour promouvoir leurs propres intérêts : le Conseil de sécurité, enlisé dans les rôles joués par la Chine, la Russie et les États-Unis, n’a pas agi en faveur du peuple syrien ; le Conseil des droits de l’homme a adopté en août dernier une faible résolution sur l’Afghanistan qui ne mentionnait même pas les talibans ; et l’année dernière, l’Organisation mondiale de la santé a été accusée de ne pas avoir réussi à lutter contre la pandémie en raison de sa réticence à critiquer la Chine.

La société civile considère la participation des citoyens comme un contrepoids nécessaire au parti pris de l’État et à la domination des États les plus forts. Cependant, les différentes institutions des Nations unies offrent des niveaux d’ouverture très variables à l’égard de la société civile. De plus, les espaces disponibles ont tendance à privilégier les groupes d’élite de la société civile. Et dans tous les cas, la société civile se plaint d’être très en retard non seulement par rapport aux États, mais aussi par rapport au secteur privé en ce qui concerne l’accès aux institutions onusiennes. Or ceci est une question clé. En excluant la société civile, les institutions de l’ONU risquent de perdre tout lien avec les personnes qui sont au cœur des grands problèmes que l’ONU est censée résoudre.

Le manque de priorité accordée à la société civile dans le système des Nations unies est apparu clairement lors de la convocation de l’Assemblée générale. Comme depuis plus de 18 mois, les organisations de la société civile ont été tenues à l’écart du siège de l’ONU. Bien que la pandémie reste un problème pour tous, les délégations gouvernementales et les journalistes ont été autorisés à y assister, mais pas les représentants de la société civile. Une fois de plus, la société civile a été reléguée à l’arrière-plan.

En réponse à ces déficiences, la société civile a travaillé d’arrache-pied pour développer un programme de réforme pour l’ONU. Cet agenda offre une série de propositions pratiques pour que l’ONU devienne plus démocratique et plus ouverte aux voix des peuples. Ces idées ne se limitent pas à demander que la société civile ait un siège à la table des conversations. Si davantage de voix peuvent être incluses dans les cercles de l’ONU, les opinions des États les plus puissants compteront moins, et les États devront se confronter aux personnes qui sont affectées par leurs décisions et leurs manquements. L’ouverture de l’ONU offre la possibilité de relier le local au mondial, et de permettre aux gens ordinaires de dire la vérité au pouvoir, plutôt que de laisser prévaloir les perspectives des élites.

L’année dernière, à l’occasion des 75 ans de l’ONU, la société civile a saisi l’opportunité de présenter des propositions de changement radical. Et certains signes montrent qu’au moins certains États ont adopté les idées de la société civile. Dans une rare démonstration d’unité, tous les États ont approuvé une déclaration historique commémorant le 75ème anniversaire de l’ONU. Ils ont affirmé que les défis d’aujourd’hui nécessitent une coopération mondiale. Ils se sont engagés à améliorer les institutions de l’ONU et ont chargé le Secrétaire général de l’ONU, António Guterres, de préparer un rapport sur la manière de répondre aux défis actuels et futurs. Peu avant le début de la réunion de l’Assemblée générale des Nations unies en septembre, le résultat a été Notre programme commun.

Quelques aspects positifs de la participation de la société civile

Des milliers de personnes de la société civile ont participé aux processus de consultation pour le rapport « Notre Programme Commun ». Et dans une certaine mesure, le rapport porte leurs traces, bien qu’il ne parvienne pas à proposer des idées larges et audacieuses.

Le rapport appelle à un nouveau contrat social entre les gouvernements et les peuples, et à mettre à nouveau l’accent sur les partenariats mondiaux et la solidarité. Il appelle à une plus grande participation politique de la part des nombreux jeunes dans le monde, qui supportent le poids du chômage et des inégalités économiques, mais qui sont à l’avant-garde des demandes de changement sur des problèmes mondiaux tels que la crise climatique et l’injustice raciale. Dans la pratique, il propose la création d’un bureau des Nations unies pour la jeunesse.

Parmi les nombreux problèmes auxquels le monde est confronté aujourd’hui, le rapport identifie la nature dysfonctionnelle du multilatéralisme qui existe actuellement. Afin de rendre l’ONU plus innovante et de l’aider à évoluer, le rapport a le bon sens de proposer la création d’un poste d’Envoyé pour les générations futures. Dans le même ordre d’idées, il suggère d’organiser un « Sommet pour l’avenir » dans deux ans.

Le rapport reconnaît le rôle intégral de la société civile dans les institutions et les processus des Nations unies. Son appel à un « multilatéralisme en réseau, inclusif et efficace » exige une coordination efficace, la responsabilité vis-à-vis de tous les engagements et un espace pour que toutes les voix soient entendues, y compris celles de la société civile. À cet égard, il invite instamment toutes les agences des Nations unies à mettre en place des points de contact avec la société civile, si elles n’en ont pas encore. Cela permettrait de corriger une omission choquante lorsqu’elles n’en disposent pas déjà.

De la place pour plus d’ambition

Si cette reconnaissance est un début, la société civile qui s’engage auprès du système des Nations unies est déçue par le fait que des idées plus progressistes semblent avoir été écartées de l’agenda. Il est difficile d’éviter de soupçonner le rapport de refléter et reproduire un ordre hiérarchique dans lequel il est important d’apaiser ceux qui ont le plus de poids – les États puissants qui contrôlent les ficelles de l’ONU – en les menaçant de changements mineurs ; puisque la société civile a déjà peu de poids, elle ne doit pas être prise au sérieux.

Pour que la société civile ait une voix plus forte, une partie au moins de la solution peut venir de l’une des principales demandes de la société civile : que l’ONU nomme un envoyé ou un médiateur de la société civile à l’échelle du système. Cette proposition, présentée par un certain nombre d’organisations de la société civile en collaboration avec les représentants du Costa Rica et du Danemark auprès des Nations unies, a été approuvée par plus de 50 États et de nombreux groupes de la société civile. Plus récemment, elle a été approuvée par l’expert indépendant des Nations unies sur la promotion d’un ordre international démocratique et équitable. La création d’un tel poste permettrait d’aplanir les incohérences majeures dans la manière dont les différentes parties de l’ONU s’engagent auprès de la société civile, et de relier les différents points de contact de la société civile répartis au sein de l’ONU. Il se ferait le champion de la société civile et l’aiderait à passer à travers les couches bureaucratiques déroutantes et opaques de l’organisation. Mais la réponse a été décevante : la demande a simplement été reconnue comme un point à examiner à l’avenir. Une autre occasion manquée.

De même, si l’Envoyé pour les générations futures et le Sommet pour l’avenir représentent une certaine reconnaissance du fait que les Nations unies devront se régénérer à mesure que de nouveaux défis émergeront, le potentiel de changement risque de ne pas être réalisé si ces mécanismes restent élitistes : si, comme l’expérience passée l’indique, des fonctionnaires de haut niveau déterminent le contenu et les processus de tous les sommets, les représentants des États prédominent et toutes les innovations sont censées provenir de riches chefs d’entreprise. Si l’ONU veut vraiment s’ouvrir à l’innovation, elle devrait explorer l’idée de la société civile de lancer une initiative citoyenne mondiale.

Inspirée du précédent créé par l’Union européenne, cette initiative citoyenne mondiale permettrait de soumettre une pétition à l’Assemblée générale des Nations unies ou au Conseil de sécurité des Nations unies si elle recueille le soutien d’un nombre suffisant de personnes dans un nombre suffisant de pays. De cette manière, les citoyens pourraient porter à l’attention de l’ONU une question nécessitant une action urgente, assurant ainsi un lien vital entre les communautés et la sphère internationale, et empêchant des institutions telles que le Conseil de sécurité de tourner le dos aux problèmes mondiaux.

LES VOIX DE PREMIERE LIGNE

Natalie Samarasinghe est directrice générale de la United Nations Association UK (UNA-UK), la principale source d’informations et d’analyses indépendantes sur l’ONU au Royaume-Uni, consacrée à la construction d’un soutien pour l’ONU parmi les décideurs politiques, les faiseurs d’opinion et le public.

 

Certaines parties du rapport sont remarquablement directes. En appelant à un contrat social renouvelé, par exemple, Guterres tisse un ensemble de questions politiquement difficiles, telles que les droits humains, la fiscalité et la justice. Il a raison de considérer ces questions comme essentiellement nationales, mais il sera difficile de définir la marche à suivre : l’accent mis sur le rôle de l’ONU dans les questions « nationales » irritera sans aucun doute les gouvernements, tandis que les OSC pourraient craindre que cela indique un repli sur l’établissement de normes et l’assistance technique.

Sur d’autres points, M. Guterres joue la carte de la prudence. C’est peut-être judicieux dans des domaines contestés comme la paix et la sécurité, où le rapport présente des propositions modestes qui sont, pour la plupart, déjà en cours. L’UNA-UK et les OSC partenaires auraient souhaité que l’accent soit davantage mis sur le Traité d’interdiction des armes nucléaires et sur l’arrêt du développement d’armes autonomes létales.

En ce qui concerne le climat, le thème central de M. Guterres, le rapport aurait pu aller plus loin en présentant la « triple crise » du dérèglement climatique, de la pollution et de la perte de biodiversité comme une urgence interdépendante dont les droits humains sont au cœur. Il aurait également pu sensibiliser les décideurs politiques à un ensemble de mesures plus audacieuses. Mais après une excellente analyse des défis, ceux qui recherchent de nouvelles approches en matière d’autonomisation des femmes et d’égalité des sexes restent sur leur faim.

Pour beaucoup d’entre nous, cependant, la plus grande déception concerne l’inclusion de la société civile. Le langage de M. Guterres est positif mais moins emphatique que dans son Appel à l’action en faveur des droits humains, et peu de dispositions spécifiques vont au-delà des belles paroles.

Au cours des consultations des parties prenantes, les OSC de toutes les régions ont demandé la nomination d’un champion de la société civile de haut niveau aux Nations unies, afin de contribuer à accroître et à diversifier la participation et de donner des conseils sur l’accès – que ce soit au siège des Nations unies ou aux COP sur le climat. C’est la seule proposition concrète qui a recueilli un large soutien et, bien que le rapport s’engage à l’explorer plus avant, on peut se demander pourquoi Guterres n’a pas procédé à une nomination qui est dans ses cordes.

À court terme, le déploiement proposé de points focaux à l’échelle du système devrait se faire rapidement et en consultation avec la société civile. Un calendrier et un processus devraient être établis pour la cartographie et le suivi de l’engagement, comme l’envisage le rapport. Un champion de haut niveau serait l’instigateur naturel de ces deux démarches, et il faut espérer que ce poste sera créé.

À moyen terme, un certain nombre d’autres changements seraient utiles, notamment une stratégie à l’échelle du système sur l’espace civique à l’intérieur et à l’extérieur de l’ONU ; une plateforme en ligne simple pour soutenir l’engagement, qui pourrait inclure un mécanisme de pétition citoyenne ; un fonds volontaire pour soutenir la participation, ainsi que des outils tels que les obligations à impact social pour financer l’activité des OSC dans le pays ; et un nouveau cadre de partenariat pour renforcer la capacité de partenariat – y compris dans le pays – ainsi que pour simplifier l’engagement et améliorer le filtrage.

À plus long terme, l’ONU devrait s’orienter vers un modèle de partenariat, en lançant une campagne mondiale de renforcement des capacités afin de transférer un certain nombre de ses fonctions à des OSC et à d’autres acteurs mieux à même de les assumer sur le terrain. Cela permettrait à l’organisation de se concentrer sur les tâches qu’elle est la mieux placée pour entreprendre.

Les OSC peuvent faire pression pour que des progrès soient réalisés dans le cadre de « Notre programme commun », qu’il s’agisse de plaider auprès des États pour que le Secrétaire général dispose du mandat nécessaire pour aller de l’avant, d’étoffer les nombreuses propositions du rapport et d’agir dans leurs communautés, leurs capitales et les forums des Nations unies.

Nous pouvons le faire depuis les coulisses – nous avons l’habitude de faire entendre notre voix malgré la réduction de l’espace civique. Mais nous serons beaucoup plus efficaces si on nous donne un rôle formel dans les processus dédiés tels que les préparations du Sommet du Futur, et dans le travail de l’ONU plus généralement ; et si nous savons que nous pouvons compter sur le soutien des fonctionnaires de l’ONU. La nomination d’un champion de la société civile serait un bon début.

 

Ceci est un extrait édité de notre interview avec Natalie Samarasinghe. Lisez l’interview complète ici.

La nécessité d’un suivi

La crainte de la société civile qui a participé si activement à ce dernier processus restera la même : que même l’ambition limitée exprimée dans le rapport ne se traduise pas en action, et que le rapport ne devienne qu’un rapport de plus prenant la poussière sur une étagère. L’histoire de l’ONU est parsemée de rapports bien intentionnés qui n’ont jamais été mis en œuvre.

La façon de combattre cette tendance semble évidente : il faut mettre davantage de pression sur les institutions de l’ONU pour qu’elles soient plus responsables. Une fois encore, la société civile a des idées novatrices à cet égard, comme l’institution d’une assemblée parlementaire de l’ONU qui ferait entendre davantage de voix dans les couloirs de l’ONU et agirait comme une source de contrôle. Malheureusement, c’est une autre suggestion qui continue d’être rejetée comme étant trop ambitieuse.

Même si toutes les recommandations du rapport sont suivies, il restera très en retard sur le rythme du programme de réforme de la société civile. Il n’existe pas d’allié plus fort pour le multilatéralisme que la société civile, engagée comme elle l’est en faveur des droits humains universels, motivée par des valeurs humanitaires et convaincue de la nécessité de trouver des solutions multilatérales aux problèmes mondiaux. Mais ce partenaire naturel reste impuissant. La société civile continuera à insister sur le fait que notre engagement envers le multilatéralisme et les Nations unies doit être assorti d’actions qui nous reconnaissent comme des partenaires essentiels et à part entière.

NOS APPELS A L’ACTION

  • Le Secrétaire général de l’ONU devrait aller au-delà de la reconnaissance de la demande d’un envoyé de la société civile et lancer le processus de nomination d’un tel envoyé, afin de reconnaître le rôle vital de la société civile au sein de l’ONU.
  • Le Sommet pour l’avenir et les autres innovations proposées dans le rapport devraient inclure la pleine participation d’un large éventail de la société civile et adopter des idées audacieuses pour promouvoir la participation des citoyens, comme des mécanismes permettant aux gens de façonner l’agenda des Nations unies et d’être directement représentés.
  • Les États démocratiques qui mettent l’accent sur la participation de la société civile dans leur politique étrangère devraient soutenir publiquement l’institution d’un envoyé de la société civile et engager des fonds pour en faire une réalité.