Le Conseil de sécurité de de l’Organisation des Nations unies (ONU) n’a rien pu faire pour empêcher l’invasion de l’Ukraine par la Russie, pour la simple raison que la Russie, en tant que membre permanent du Conseil, a utilisé son droit de veto lors du vote sur une résolution condamnant l’agression russe. Bien que l’Assemblée générale des Nations unies et le Conseil des droits de l’homme aient adopté des résolutions exigeant l’arrêt immédiat de l’agression russe et la création d’une commission d’enquête sur les violations du droit, le vote n’a pas été suffisant, loin s’en faut, pour faire comprendre que la Russie ne s’en tirerait pas avec son mépris du droit international. Cette réaction mitigée devrait inciter à réfléchir sur le fonctionnement du système international et sur les personnes qu’il sert. Il est urgent de prendre en considération les critiques de la société civile à l’égard de la gouvernance mondiale et les propositions de réforme des Nations unies.

L’invasion de l’Ukraine par la Russie a mis le système international à l’épreuve comme jamais depuis des années, et l’architecture mondiale censée garantir les droits et la sécurité des personnes s’est révélée insuffisante.

Des espoirs non concrétisés

L’ONU a été créée après les ravages de la Seconde Guerre mondiale avec des objectifs très clairs mais ambitieux, tels qu’énoncés dans la Charte fondatrice de l’ONU, à savoir : protéger les populations du fléau de la guerre, préserver les droits et la dignité de tous les êtres humains et créer un monde dans lequel chacun vivra en paix et en sécurité, sur la base d’une coopération multilatérale et d’un ensemble de règles internationales.

Ces objectifs restent non atteints. L’histoire collective de l’humanité depuis la création de l’ONU est marquée par la décolonisation, l’émancipation sociale et des avancées significatives en matière de droits, mais aussi par des conflits, des violations des droits et l’incapacité à relever des défis croissants tels que le changement climatique.

La guerre non provoquée de la Russie contre l’Ukraine n’est malheureusement que le dernier conflit dans lequel des civils ont été pris pour cible. Il ne s’agit pas du seul conflit en date : les conflits en Éthiopie, au Myanmar, en Palestine, en Syrie, au Yémen et au Sahel, pour n’en citer que quelques-uns, détruisent la vie des populations. L’invasion de la Russie a toutefois mis en lumière certaines des plus grandes faiblesses des Nations unies.

Le Conseil de sécurité des Nations unies : paralysé par le droit de veto

La faiblesse la plus évidente du système de l’ONU concerne le Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU), l’organe chargé de garantir la paix et la sécurité internationales. Le statut de membre permanent et le droit de veto de cinq États, à savoir la Chine, la France, la Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis, desservent depuis longtemps les objectifs mêmes que s’est fixés le Conseil. Concrètement, lorsque l’un de ces cinq pays choisit de porter atteinte à la paix et à la sécurité, comme le fait actuellement la Russie de manière flagrante, le droit de veto lui donne carte blanche.

La Russie a opposé son veto aux résolutions sur le conflit, même lorsqu’elle était totalement isolée. Elle a été le seul État du Conseil (composé de 15 membres) à voter contre la résolution présentée le 25 février, peu après le début de l’invasion. Le projet de résolution indiquait clairement que l’agression de la Russie constituait une violation de la Charte des Nations unies, qui interdit aux États de recourir à la force contre « l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique » d’un autre État. Cette résolution aurait obligé la Russie à se retirer immédiatement d’Ukraine. Mais en raison d’un grave défaut de conception du Conseil de sécurité des Nations unies, il a suffi que la Russie vote contre la résolution pour que celle-ci soit rejetée.

L’architecture du système de gouvernance internationale ne fonctionne pas correctement en raison d’un grave défaut dans sa conception.

OLEKSANDRA MATVIICHUK

La Russie a voté sur une question pour laquelle il y avait un conflit d’intérêts direct entre son devoir, en tant que membre du CSNU, de faire respecter la Charte des Nations unies et son statut d’instigateur d’un conflit. Malheureusement, cette situation n’est pas nouvelle. Le droit de veto a paralysé le CSNU à maintes reprises et a conduit à ce qu’il reste en marge des grands conflits et à ce que les États qui ont un intérêt dans ces conflits opposent leur veto à certaines résolutions. Il fonctionne désormais davantage comme une espèce de théâtre politique, un espace propice aux manœuvres et aux ruses politiques.

Les exemples de ce phénomène sont légion dans le conflit actuel. En mars, la Russie a proposé une résolution manifestement malhonnête sur l’aide humanitaire, qui ne mentionnait aucunement son rôle d’agresseur. La résolution a été rejetée, mais la Russie a pu prétendre de mauvaise foi que d’autres États empêchaient l’action humanitaire, alors que ce sont ses forces armées qui bloquent l’aide et empêchent les civils de fuir les zones de conflit.

La Russie a montré à plusieurs reprises son mépris pour l’ONU. Elle a ouvertement menti à la communauté internationale sur le fait qu’elle avait déployé des forces aux frontières ukrainiennes avant l’invasion, affirmant qu’il s’agissait d’un exercice militaire, et elle a de nouveau menti sur les raisons qui l’ont poussée à provoquer une guerre. Elle a lancé son invasion alors même qu’une session spéciale du CSNU était en cours. Dans une manœuvre de diversion éhontée, la Russie a réagi aux preuves croissantes des atrocités commises par ses forces à Boutcha et dans d’autres villes proches de Kiev en demandant une session du CSNU pour discuter des « provocations criminelles des militaires ukrainiens et des radicaux ».

Elle a profité d’une autre session du CSNU pour diffuser de fausses informations selon lesquelles l’Ukraine, soutenue par les États-Unis, développait des armes biologiques et chimiques, et qu’elle utilisait des chauves-souris et des oiseaux pour les répandre ; une déclaration pour le moins bizarre. Ces informations étaient manifestement fausses et théâtrales et ont mis en évidence le mépris de la Russie pour le Conseil et ses procédures.

Ce qui est inquiétant, c’est que les fausses informations sur les armes biologiques et chimiques pourraient contribuer à préparer le terrain pour l’utilisation de telles armes par la Russie. C’est ainsi qu’un espace destiné à prévenir les conflits est instrumentalisé à des fins contraires à son objectif.

Assemblée générale des Nations unies : un vote écrasant avec des abstentions inquiétantes

Signe supplémentaire du dysfonctionnement total du CSNU, l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) – l’assemblée générale des représentants des 193 États membres de l’ONU – a tenu une rare session spéciale d’urgence sur le conflit. Il s’agissait seulement de la 11e session de ce type. Pour que des sessions d’urgence puissent avoir lieu, le CSNU doit adopter une résolution, mais comme il s’agit de résolutions de procédure, il n’est pas possible d’y opposer son veto. La tenue de la session extraordinaire de l’AGNU en dépit de l’opposition de la Russie a montré l’importance de l’impossibilité d’opposer un veto aux décisions.

Les États se sont succédé pour condamner l’agression russe et, le 2 mars, l’AGNU a adopté une résolution condamnant fermement l’agression et appelant à un retrait immédiat et sans condition des troupes russes. Le 24 mars, elle a adopté une deuxième résolution sur le conflit, exigeant l’arrêt des combats et préconisant la mise en place de couloirs humanitaires.

Les deux résolutions ont été adoptées à une écrasante majorité. Dans les deux cas, seule une poignée d’États a voté contre, dont, sans surprise, la Russie, ses partenaires commerciaux, le Bélarus et la Syrie, ainsi que les pays commettant le plus de violations des droits humains, à savoir l’Érythrée et la Corée du Nord.

Cependant, avant la résolution du 24 mars, la situation n’était pas très claire : une résolution alternative sur les mesures humanitaires a été proposée par l’Afrique du Sud, qui ne mentionnait pas la Russie comme étant à l’origine du conflit. Si très peu d’États ont voté avec la Russie, l’Afrique du Sud fait partie d’une minorité importante d’États qui, en s’abstenant à plusieurs reprises, n’ont pas condamné son agression.

Les États peuvent prétendre qu’ils restent neutres, mais rester neutre dans ce conflit signifie prendre le parti d’une attaque contre les vies humaines et les droits humains, dans lequel il est de plus en plus évident que des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité sont commis, et d’une attaque contre le droit international. Il s’agit d’une guerre non provoquée qui peut clairement être qualifiée de guerre d’agression, puisqu’il ne s’agit pas d’un cas de légitime défense, et qu’il est certain que le CSNU l’aurait qualifiée ainsi s’il n’y avait pas de droit de veto.

L’une des principales raisons invoquées par la Russie pour justifier son invasion a été mise à mal par la Cour internationale de justice (CIJ), la juridiction créée par la Charte des Nations unies pour régler les différends entre États et donner des avis consultatifs sur le droit international. Les affirmations ridicules de Vladimir Poutine selon lesquelles l’invasion était nécessaire pour empêcher le génocide des Russes vivant dans l’est de l’Ukraine ont rapidement été balayées lors de l’audience de la CIJ en mars, à la suite d’une action en justice intentée par l’Ukraine. Le 16 mars, la CIJ a rendu une ordonnance provisoire enjoignant à la Russie de mettre fin à son invasion, affirmant qu’elle n’avait vu aucune preuve étayant les arguments de la Russie.

La décision de la CIJ est contraignante en vertu du droit international, mais la Russie, qui avait affiché son mépris pour la procédure en ne se présentant pas à l’audience, a affirmé que la CIJ n’était pas compétente.

Il est clair que tout État qui affirme respecter les règles internationales se doit de condamner les actions de la Russie. Mais beaucoup ne le font pas. La Chine, l’Inde et les Émirats arabes unis se sont abstenus lors de la résolution du CSNU du 25 février, ainsi que lors de la résolution visant à organiser la session de l’AGNU. Lorsque cette session s’est tenue, 35 États se sont abstenus, parmi lesquels un grand nombre d’États africains et asiatiques.

Nombre de ces décisions ont vraisemblablement été prises sur la base des liens économiques et militaires entretenus avec la Russie. En effet, Poutine considère les pays d’Asie centrale comme faisant partie de sa sphère d’influence et a entretenu des partenariats en Afrique ces dernières années. Il est également possible qu’il y ait un certain retour à la solidarité de l’époque de la guerre froide, lorsque l’Union soviétique soutenait les luttes de décolonisation, y compris le mouvement anti-apartheid, et une détermination à signaler sa désapprobation à l’égard des États occidentaux, bien qu’il ne soit guère cohérent de le faire en soutenant une guerre qui vise à rétablir un empire.

Il s’agit essentiellement de décisions prises en fonction des intérêts et des positions nationales à l’initiative des présidents et des premiers ministres. Il ne s’agit pas de décisions prises faisant expressément référence à la Charte des Nations unies ou à d’autres textes fondateurs comme la Déclaration universelle des droits de l’homme. Et elles sont généralement prises par des présidents et des premiers ministres à l’abri de toute pression démocratique en raison des restrictions de l’espace civique, qui font qu’il est difficile pour les personnes de demander des comptes sur leurs décisions.

Sur les 40 États qui ont voté avec la Russie ou se sont abstenus lors du premier vote de l’AGNU, 38 sont classés par le CIVICUS Monitor comme des États dont l’espace civique est grandement limité. Les États qui n’ont pas condamné l’attaque de la Russie en vertu des règles internationales ont un espace civique nettement plus restreint que ceux qui ont soutenu les résolutions condamnant leur attaque. La répression qui a lieu à l’intérieur d’un pays se traduit par le soutien de ce même pays à d’autres États répressifs dans l’arène internationale.

Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU : un refuge pour les auteurs de violations des droits ?

Le même problème se pose avec l’organe suprême de l’ONU en matière de droits humains, le Conseil des droits de l’homme (CDH). Le 4 mars, lors d’une session organisée sous la pression de la société civile, le CDH a voté à une écrasante majorité en faveur de la création d’une commission d’enquête internationale chargée d’examiner les allégations de crimes de guerre et d’autres violations des droits humains et d’identifier les responsables. L’équipe de trois personnes chargée de cette tâche pour une durée initiale d’un an, a été nommée le 30 mars. Elle doit être dotée de ressources adéquates et être en mesure de mener à bien son travail.

La Russie et l’Érythrée ont été, comme on pouvait s’y attendre, les deux seuls membres du Conseil, qui en compte 47, à voter contre la résolution portant création de la commission. Mais 13 autres pays se sont abstenus, qui, sont surprise, sont pour la grande majorité ceux qui se sont abstenus lors de la session de l’AGNU.

Comme au CSNU, la Russie profite de sa présence au CDH pour tenter de justifier son invasion en Ukraine. C’est exactement ce qu’a tenté de faire le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, dans un discours préenregistré qui a été diffusé au Conseil le 1er mars. Cette tentative s’est toutefois retournée contre lui, puisque plus de 140 personnes ont quitté la session plutôt que d’écouter les mensonges de Sergei Lavrov.

La question que l’on se pose tous est la suivante : comment la Russie peut-elle siéger dans cet organe suprême des droits humains alors qu’elle ne respecte pas les droits humains et qu’elle enfreint le droit international ? Une cinquantaine d’organisations de la société civile qui coopèrent avec le système des Nations unies ont justement posé cette question et demandé la suspension de la Russie du Conseil. Le CDH dispose d’une procédure permettant de suspendre un membre qui commet des « violations flagrantes et systématiques des droits humains », et la Russie remplit parfaitement ce critère.

Face aux nouvelles preuves de crimes de guerre commis par les forces russes à Boutcha, la société civile a renouvelé ses appels à la suspension de la Russie du Conseil et à une nouvelle session spéciale du CDH, et il semble que ces appels soient enfin entendus. À la lumière des dernières révélations, on s’attend à ce que l’AGNU se réunisse à nouveau sous peu pour voter la suspension de la Russie du CDH. Une majorité des deux tiers des voix est requise pour entériner cette décision ; les États qui ne soutiendront pas cette décision devraient être condamnés pour avoir ignoré les preuves désormais accablantes de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité en Ukraine.

La Russie n’est pas le seul pays à siéger au CDH bien qu’elle ait commis un certain nombre de violations des droits humains. Les membres du CDH sont censés « maintenir les normes les plus élevées en matière de protection et de promotion des droits humains », mais 34 des 47 membres sont classés par le CIVICUS Monitor comme imposant de graves restrictions à l’espace civique. Le Conseil est dominé par des auteurs de violations des droits humains. Il semblerait que de plus en plus que d’États cherchent à obtenir un siège au CDH, non pas pour jouer leur rôle dans la définition des normes internationales et l’examen des performances, mais pour étouffer les critiques relatives aux droits humains.

Les élections non concurrentielles contribuent à cette situation : chacun des groupes régionaux au sein desquels les États sont organisés dispose d’un certain nombre de sièges, et il est courant que des négociations soient menées en amont pour s’assurer que seul un nombre d’États égal au nombre de sièges disponibles se présentent aux élections. La société civile réclame des élections concurrentielles comme condition minimale afin de permettre un examen plus approfondi du bilan en matière des droits humains des États qui se présentent au Conseil.

La Cour pénale internationale : est-il possible de demander à la Russie de répondre de ses actes ?

Les preuves de culpabilité de la Russie ne cessent de s’accumuler. Il semble évident que le pays déploie des armes à sous-munitions dans des zones civiles, affame les populations des villes assiégées et, comme le montrent les atrocités commises à Boutcha et dans d’autres villes, torture et exécute des civils en Ukraine. S’exprimant devant le CDH, la responsable des droits humains des Nations unies, Michelle Bachelet, a déclaré que le meurtre de civils et la destruction d’hôpitaux et d’autres installations pourraient relever de crimes de guerre.

La Cour pénale internationale (CPI) représente actuellement une source d’espoir que les responsables de ces crimes puissent être tenus pour responsables.

La CPI a été créée en 2002 par le Statut de Rome. Elle fait office de tribunal international de dernier recours et a été l’aboutissement d’années de campagne de la société civile visant à lutter contre l’impunité des graves violations des droits humains. L’un des principaux problèmes est toutefois l’absence de certains États importants parmi les membres de la CPI. Le Statut de Rome a été ratifié par 123 États, mais la Russie ainsi que la Chine, l’Inde, Israël, l’Arabie saoudite et les États-Unis n’en font pas partie. La Russie et les États-Unis ont tous deux signé le Statut de Rome dans un premier temps, mais ne l’ont pas ratifié et ont ensuite retiré leur signature. Deux États, à savoir le Burundi et les Philippines, étaient membres de la CPI mais se sont retirés par la suite.

La raison pour laquelle certains États n’ont pas souhaité être membres de la CPI, est que celle-ci pourrait parvenir à leur faire rendre des comptes, ce qui, à leurs yeux, constituent un problème. La Cour a inculpé plusieurs dirigeants politiques et militaires accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Même si un procès n’a pas lieu (les procédures de justice internationale sont lentes et difficiles), l’ouverture d’une enquête peut attirer l’attention sur le bilan négatif des personnes visées en matière de droits humains. Il n’est pas étonnant que la Russie ne veuille rien avoir à faire avec la CPI.

L’Ukraine n’est pas non plus membre de la CPI, mais elle a reconnu la compétence de la CPI. Il n’est donc plus nécessaire d’obtenir l’aval du CSNU pour mener une enquête, qui aurait évidemment fait l’objet d’un veto. Le procureur de la CPI a ouvert une enquête le 28 février. Le 2 mars, un groupe de 38 États a formellement remis à la CPI des rapports faisant état de graves violations. Le procureur a donc pu commencer son travail et une première équipe d’enquêteurs a rapidement été envoyée en Ukraine.

L’espoir qu’un jour un Poutine humilié puisse être jugé à La Haye est très lointain. Mais il faut s’attendre à terme à ce que des personnes de haut rang soient inculpées et, même si elles échappent à la justice, leur inculpation les rendra tristement célèbres et les poursuivra pour le restant de leur vie. Même si un procès devant la CPI n’a jamais lieu, les preuves recueillies pourraient aider les États à engager leurs propres poursuites judiciaires en vertu du principe de compétence universelle. L’Allemagne, par exemple, a poursuivi en justice avec succès des non-ressortissants sur cette base et a transposé le Statut de Rome dans son droit national. Les États pourraient même coopérer pour mettre en place un nouveau tribunal chargé de demander des comptes aux dirigeants russes. Les personnes soupçonnées d’être impliquées dans de graves violations des droits humains risqueraient alors d’être poursuivies en justice dès qu’elles quitteraient la Russie.

Dans un premier temps, l’équipe de la CPI doit coopérer avec la société civile ukrainienne, qui recueille des preuves de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. La collecte et la préservation de ces preuves seront essentielles si l’on veut que les auteurs et les commanditaires des crimes aient à rendre des comptes.

Les États qui s’opposent activement à la guerre de la Russie, notamment les États-Unis, devraient également démontrer qu’ils sont en faveur des droits en adhérant maintenant à la CPI.

Le point de vue de l’Ukraine

L’ONU est une organisation multilatérale complexe et souvent opaque. Ses sièges à Genève et à New York sont éloignés des lieux où les conflits font rage. En temps de guerre, la nécessité de discuter d’une réforme de l’ONU peut être difficile à comprendre. Pourtant, le besoin d’un système international efficace et réactif se fait sentir précisément dans les points chauds du conflit. La société civile ukrainienne appelle la communauté internationale à demander des comptes à Poutine et à jouer un rôle actif dans la fourniture de l’aide humanitaire et dans la prévention et la surveillance des violations des droits humains.

Pour l’instant, la société civile ukrainienne constate que les organisations internationales ne sont pas présentes sur le terrain. On peut raisonnablement affirmer que beaucoup se sentent abandonnés par l’ONU et n’ont pas le sentiment que l’Organisation est de leur côté dans une lutte décisive pour les droits et la liberté.

Échos de la ligne de front

Nous tous, membres de la société civile ukrainienne contemporaine, avons grandi en croyant aux valeurs démocratiques et avons entendu à maintes reprises qu’il s’agissait des principes les plus importants pour le monde occidental. Aujourd’hui, nous nous battons pour ces valeurs et nous demandons à la communauté internationale d’amplifier nos voix. Si elle ne le fait pas, il sera clair que les pays occidentaux placent leurs intérêts commerciaux au-dessus des valeurs démocratiques. Nous ne voulons pas être abandonnés.

L’Ukraine a également besoin de l’aide humanitaire des organisations internationales. Nous comprenons combien il est difficile pour des organisations telles que l’Organisation mondiale de la santé et l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe d’organiser un travail de terrain adéquat. Mais il y a une chose encore plus difficile : expliquer aux habitants des régions touchées par la guerre pourquoi ces organisations disparaissent au moment où ils en ont le plus besoin.

Depuis 2014, date à laquelle la Russie a occupé la Crimée et envahi l’Ukraine pour la première fois du siècle, les Ukrainiens ont vu des milliers de représentants d’organisations internationales passer leur temps ici, généralement dans des hôtels et des restaurants onéreux. On nous a dit qu’ils étaient ici pour essayer de sauver des vies ukrainiennes. Mais maintenant que la vie des Ukrainiens est réellement et directement menacée, les organisations internationales ne sont plus là. Pour nous, elles sont désormais invisibles et silencieuses.

Yaropolk Brynykh, Truth Hounds (« Les chiens de la vérité »)

 

Compte tenu du fait que la plupart des organisations internationales, y compris l’ONU, ont évacué leur personnel international d’Ukraine en raison des graves menaces qui pèsent sur leur vie, nous leur demandons instamment d’envoyer des missions internationales qualifiées pour travailler dans des conditions militaires.

Ces missions devraient avoir pour mission de surveiller les actions des deux parties. L’ONU devrait créer un tribunal international pour établir les faits de l’agression militaire de la Fédération de Russie, tandis que la CPI devrait se pencher et statuer rapidement sur les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis en Ukraine. Le Comité international de la Croix-Rouge devrait être chargé d’organiser l’échange et l’enlèvement des morts des deux côtés.

Nous soulignons le besoin urgent d’une présence internationale et d’une surveillance internationale des violations lors de l’évacuation de la population civile des villes, des villages et des colonies détruits. Nous demandons donc à la société civile internationale de soutenir l’avancement de nos revendications auprès des gouvernements des pays démocratiques et des dirigeants des organisations internationales.

Sasha Romantsova, Center for Civil Liberties (« Centre pour les libertés civiles »)

 

Nous ne voulons pas que la communauté internationale se résigne à ce qui se passe en Ukraine. Elle doit être solidaire avec nous et nous aider à lutter contre l’invasion russe. Notre priorité numéro un est de pouvoir nous défendre nous-mêmes, mais il convient de préciser que nous ne nous battons pas seulement pour nous-mêmes, mais aussi pour les valeurs d’un monde libre.

Maintenant que la plupart des réfugiés ont été mis en sécurité, il est temps de viser un objectif plus ambitieux. Nous avons besoin de mesures stratégiques qui mettront fin aux crimes de guerre et arrêteront l’invasion. Ce n’est qu’une question de temps avant que les défenseurs des droits humains, les journalistes, les chefs religieux et les militants et organisations de la société civile ne commencent à être délibérément pris pour cible. Nous devons trouver des moyens de les protéger.

Malheureusement, nos revendications n’ont pas été satisfaites. Les organisations internationales et nos alliés se concentrent sur la fourniture d’une aide humanitaire aux réfugiés en dehors de l’Ukraine, ce qui est certes très important car il y a actuellement plus de trois millions de réfugiés ukrainiens. Mais il s’agit aussi de la solution la plus simple dans cette horrible situation, qui semble négliger le fait que des dizaines de millions de personnes soient restées en Ukraine, où la guerre fait toujours rage. Les personnes qui sont restées en Ukraine ont également besoin de protection et d’aide humanitaire, et elles en ont même besoin plus en urgence.

Je pense que l’architecture du système de gouvernance internationale ne fonctionne pas correctement, parce qu’elle présente un grave défaut de conception. La Russie est un membre permanent du CSNU. Le mandat de cet organe est de maintenir la paix et la sécurité internationales, mais nous avons vu le contraire se produire en Ukraine. Et même ceux qui occupent des postes susceptibles d’apporter une aide ne sont pas assez conscients de leurs responsabilités. Lorsque la guerre a commencé, les organisations internationales ont évacué leur personnel de Kiev et d’autres lieux attaqués. Les organisations internationales ne sont manifestement pas à la hauteur de leurs responsabilités historiques.

Oleksandra Matviichuk, Center for Civil Liberties (« Centre pour les libertés civiles »)

 

Voici des extraits édités de nos entretiens avec la société civile ukrainienne. Lisez l’intégralité des entretiens ici.

Enseignements tirés pour ce qui est d’une réforme de l’ONU

À l’avenir, la guerre en Ukraine doit de toute urgence susciter une réflexion sur ce que le système international, et l’ONU en particulier, peut faire de mieux pour protéger les droits et garantir la paix et la sécurité. La société civile a quelques réponses à proposer à cet égard.

La société civile travaille depuis longtemps avec les États qui la soutiennent pour élaborer des propositions de réforme du CSNU, notamment en limitant le droit de veto, en élaborant des normes de modération du droit de veto et en encourageant les États à renoncer volontairement à leur droit de veto, comme la France et le Royaume-Uni semblent l’avoir fait.

Le dernier échec du CSNU dans la gestion des conflits et le rôle d’instigateur de conflits de l’un de ses membres permanents, doit certainement donner lieu à un vaste débat sur la façon dont le Conseil de sécurité peut commencer à remplir le rôle pour lequel il a été conçu. Des questions telles que l’abolition du statut de membre permanent et du droit de veto doivent être abordées, et la société civile doit être impliquée dans le débat.

Les appels de la société civile en faveur d’élections concurrentielles au CDH, au cours desquelles le bilan en matière de droits humains des États candidats à l’adhésion serait examiné de près, doivent également être entendus.

Outre les idées sur la manière dont certains éléments de l’ONU pourraient mieux fonctionner, il existe une multitude de propositions ambitieuses de la société civile pour réformer l’ONU. En substance, elles impliquent toutes que les États fassent plus de place autour de la table aux voix qui ne sont pas actuellement représentées dans les cercles de l’ONU.

Les questions dont s’occupe l’ONU sont trop importantes pour être laissées aux seuls États. L’inadéquation des dispositions existantes ne peut plus être ignorée. Les nombreux États qui ont condamné les actions de Poutine pour ensuite le voir ignorer les règles internationales et tenter de manipuler les processus de l’ONU à sa faveur doivent considérer le programme de réforme de la société civile comme une partie de la solution.

L’année dernière, le Secrétaire général des Nations unies a publié un rapport intitulé « Notre Programme commun »,  résultat d’une consultation sur la manière dont l’ONU peut faire face aux défis actuels et futurs. Il manquait toutefois l’ambition que la société civile appelle de ses vœux.

Parmi les réformes que la société civile demande instamment, citons la nomination d’un représentant de la société civile ou d’un « champion du peuple » qui défendrait la société civile au sein du système des Nations unies ; une initiative citoyenne mondiale des Nations unies, fondée sur le modèle de l’Union européenne, dans le cadre de laquelle une pétition, qui bénéficie d’un large soutien du public, peut être soumise au Conseil de sécurité ou à l’Assemblée générale des Nations unies ; et une assemblée parlementaire des Nations unies afin d’apporter une plus grande diversité de voix dans les processus onusiens et de créer une source de responsabilisation concernant les États.

Aucune de ces mesures n’est une panacée, mais ensemble, elles pourraient aider la société civile à exercer un contrôle démocratique accru sur les décisions prises par les États et à veiller à ce que les questions importantes ne soient pas ignorées. Elles contribueront à empêcher que les Nations unies ne perdent peu à peu de leur pertinence. Il devrait maintenant être plus clair que jamais que l’ONU ne peut plus continuer à fonctionner comme elle l’a toujours fait. Si les actions de la Russie en Ukraine ne suscitent pas une volonté d’envisager un changement radical, qu’est-ce qui le fera ?

NOS APPELS À L’ACTION

  • Les agences de l’ONU devraient répondre de toute urgence aux demandes de soutien de la société civile ukrainienne, notamment en matière d’aide humanitaire et d’assistance pour la défense des droits et le recensement des violations des droits humains, et assurer la pleine participation de la société civile aux actions de l’ONU visant à documenter les violations, aux processus de paix et aux efforts de reconstruction.
  • La société civile de l’hémisphère Sud, en particulier dans les États qui s’abstiennent de voter sur les résolutions relatives au conflit, devrait se mobiliser pour faire pression sur leurs gouvernements et communiquer leur solidarité active avec la société civile ukrainienne.
  • L’ONU doit s’engager à renouer le dialogue avec la société civile sur les propositions visant à accroître la participation de la société civile aux travaux de l’ONU.

Photo de couverture par Michael M. Santiago/Getty Images