CIVICUS s’entretient au sujet des manifestations menées par la génération Z à Madagascar avec cinq membres de l’association Youth Empowerment Madagascar : Daniellà Ramanambohitra, Elie Rakotoarimanana, Hanson Andriamahazo, Heritoky Mahasedra, Jessica Rakotoarison et Roméo Tovonantenaina.

Le 25 septembre, des manifestations menées par la génération Z et réclamant la démission du président Andry Rajoelina ont éclaté à travers le pays. Ce qui avait commencé comme des manifestations contre les pénuries chroniques d’électricité et d’eau s’est transformé en une contestation plus large de la corruption, des inégalités et de la mauvaise gouvernance. Les forces de sécurité ont répondu par des tirs de gaz lacrymogènes et de balles réelles, faisant au moins 22 morts et plus de 100 blessés. Le Parlement a destitué Rajoelina et l’armée a pris le pouvoir ; le colonel Michael Randrianirina a prêté serment en tant que président le 17 octobre. En réponse, l’Union africaine a suspendu l’adhésion de Madagascar.

Comment les manifestations ont-elles commencé ?

Tout a commencé avec les coupures d’eau et d’électricité qui rendent notre vie quotidienne presque impossible. Dans certains quartiers, les gens doivent se lever à minuit pour aller chercher de l’eau, parce qu’il n’y en a pas pendant la journée. L’électricité est coupée pendant des heures, parfois jusqu’à 20 heures. Sans courant, les petits commerces ferment, les étudiants ne peuvent plus étudier et les familles passent leurs nuits dans le noir. Cette situation dure depuis des années, mais ces derniers mois elle est devenue insupportable.

Le tournant s’est produit lorsque trois conseillers municipaux sont sortis dans la rue avec des bidons jaunes pour symboliser notre soif et notre colère. Leur geste nous a inspirés. Beaucoup d’entre nous ont décidé de suivre son exemple, au début pour réclamer l’eau et l’électricité, puis pour dénoncer tout ce qui va mal dans le pays. Parce que le vrai problème n’est pas seulement le manque de ressources : c’est l’injustice.

Nous voyons nos dirigeants vivre dans le luxe, alors que la majorité du peuple lutte chaque jour pour se nourrir. Nous payons nos factures et nos impôts, et pourtant rien ne change. Alors, nous avons dit stop. Grâce aux réseaux sociaux, notre colère s’est propagée partout. Des milliers de jeunes ont créé des pages et se sont mobilisés, et ce qui avait commencé comme une simple manifestation locale est devenu un mouvement national.

Nous n’avons pas commencé ce mouvement pour le plaisir de protester ; nous l’avons commencé parce que nous n’avions plus le choix. C’était une question de dignité et de survie.

Quelles étaient les revendications du mouvement ?

Nous demandions d’abord le départ de Rajoelina et la fin d’un régime qui se cachait derrière des excuses au lieu d’assumer ses responsabilités. Nous voulions un gouvernement transparent, honnête et réellement au service du peuple. Nous exigions des réformes profondes pour mettre fin à la corruption, à l’injustice sociale et aux lois dépassées qui profitaient toujours aux mêmes.

Au-delà du politique, ce que nous voulions, c’était la dignité. Nous voulions pouvoir vivre dans un pays où nos efforts comptent, où un jeune peut trouver du travail sans devoir payer pour un poste, où s’exprimer sur les réseaux sociaux n’est pas un risque de prison. Nous voulions être écoutés et considérés comme des acteurs à part entière des décisions nationales, pas comme une génération à ignorer.

En somme, nous ne voulions plus seulement survivre ; nous voulions participer, décider et construire un avenir juste pour tous les Malgaches.

Pourquoi les jeunes sont-ils au cœur de ce mouvement ?

Parce que nous sommes les plus touchés par cette crise et les plus fatigués d’attendre que quelque chose change. Nous avons grandi dans un pays où la pauvreté, le chômage et l’injustice sont devenus normaux. Beaucoup d’entre nous ont étudié pendant des années pour n’avoir, au final, aucun emploi. Ici, il ne suffit pas d’avoir des compétences : il faut payer, connaître quelqu’un ou appartenir à une famille influente. Ce système de corruption et de népotisme nous a volé notre avenir.

Nous voyons aussi nos écoles et nos hôpitaux s’effondrer. Pendant nos examens, l’électricité est coupée, donc nous révisons à la lumière de nos téléphones. Dans les hôpitaux, les étudiants en médecine travaillent sans matériel, sans reconnaissance, et sans soutien. Le gouvernement a même réduit le budget de l’éducation, alors que l’éducation devrait être la priorité. Tout cela prouve que ceux qui nous dirigent ne pensent pas à notre génération.

Comment les autorités ont-elles réagi aux manifestations ?

Dès le début, le gouvernement a choisi la force au lieu du dialogue. Nous sommes sortis pacifiquement, avec des pancartes et des slogans, sans armes, juste avec notre voix. Mais ils nous ont répondu avec du gaz lacrymogène et des balles réelles. Beaucoup de nos camarades ont été blessés, certains ont perdu la vie. Des dizaines de manifestants ont été arrêtés simplement pour avoir réclamé leurs droits.

Au lieu d’écouter, les autorités ont nié la réalité. Elles ont dit que tout allait bien, que nous exagérions et que les organisations internationales telles que les Nations unies mentaient. À la télévision, Rajoelina a présenté les manifestants comme des fauteurs de troubles. Pendant ce temps, les médias publics diffusaient des images truquées, et des faux comptes sur les réseaux sociaux nous menaçaient directement pour nous faire taire. Même sur Internet, la peur s’est installée : donner son opinion pouvait suffire pour être arrêté.

Quand la colère a grandi et que certains soldats ont décidé de se ranger du côté du peuple, le gouvernement a paniqué. Il a parlé de coup d’État, alors que c’était simplement des militaires qui en avaient assez de voir des civils mourir. C’est à ce moment-là que tout a basculé : la gendarmerie, jusque-là force de répression, a présenté ses excuses et a promis de ne plus tirer sur la population.

Face à cette situation, le gouvernement a tenté de calmer les choses en annonçant un soi-disant dialogue national et en graciant quelques prisonniers politiques. Mais personne ne l’a cru, car il a invité des personnes payées pour remercier le président, tandis que les vrais citoyens ont été exclus.

La répression a laissé une marque profonde. Nous avons compris que notre liberté d’expression ne tient qu’à un fil. Mais malgré la peur, nous continuons. Parce que si nous nous taisons, plus rien ne changera et notre silence serait pire que les balles.

Quels sont les risques si le gouvernement n’écoute pas ?

Si le gouvernement continue à ignorer nos voix, le pays risque de sombrer dans un chaos encore plus profond. La colère grandit chaque jour, et quand un peuple n’a plus rien à perdre, il finit par tout risquer. Déjà, la confiance est brisée. Sans changement réel, Madagascar risque d’entrer dans un cycle de méfiance et de confrontation qui pourrait durer des années.

Nous voyons déjà les conséquences : l’économie s’effondre, les petites entreprises ferment, les jeunes diplômés construisent leur vie à l’étranger, et ceux qui restent survivent au jour le jour. La pauvreté augmente, l’injustice s’enracine, et la corruption continue de ronger le pays.

Mais le plus grand danger, c’est la violence. Si les autorités continuent à répondre par la répression, il y aura plus de morts, plus de peur, plus de haine.

Que faut-il faire pour rétablir la confiance ?

La confiance ne reviendra que si le gouvernement met fin à la répression, reconnaît ses fautes et s’engage à réparer les injustices.

Nous demandons d’abord une réforme du système politique : de nouvelles lois électorales et une Constitution qui garantit la transparence, la justice et la participation de la jeunesse. Nous voulons des dirigeants compétents, honnêtes, formés, et conscients de la réalité du peuple, pas des figures imposées ou corrompues.

Ensuite, il faut un dialogue national sincère, ouvert à la société civile, aux étudiants, aux travailleurs et aux jeunes, où chacun peut parler sans peur. Ce dialogue doit être clair sur les priorités : rétablir les services essentiels, lutter contre la corruption et reconstruire l’économie. Il faut que chaque engagement pris soit suivi d’actions concrètes, avec des comptes rendus publics.

Nous demandons aussi que la jeunesse soit reconnue comme une force de proposition et de contrôle. Nous ne voulons plus être spectateurs. Nous voulons participer à l’élaboration des politiques publiques, surveiller la transparence administrative, et faire partie de la reconstruction du pays.

Enfin, nous voulons que Madagascar soit respecté comme un pays souverain. Nos relations avec l’international doivent être fondées sur l’égalité, pas sur la dépendance. Nous ne voulons pas d’un État dirigé de l’extérieur, ni d’accords signés dans l’ombre.

Si nos dirigeants acceptent de gouverner avec nous au lieu de gouverner contre nous, alors la confiance renaîtra.