CIVICUS échange avec Benoît Muracciole, président de l’Action Sécurité Éthique Républicaines (ASER), au sujet de l’appel à l’arrêt des ventes d’armes à Israël. L’ASER est une organisation de la société civile (OSC) qui a pour objet la promotion des droits humains dans le champ de la paix et de la sécurité.

Le président français Emmanuel Macron a appelé à la fin des ventes d’armes à Israël et souligné la nécessité d’une solution politique. Il a critiqué les actions du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu et a mis en garde contre une escalade régionale. La France ne vend pas d’armes à Israël, mais elle a de l’influence au sein de l’Union européenne (UE) et des Nations unies (ONU). La Jordanie et le Qatar ont soutenu la déclaration de M. Macron, et le ministre français des Affaires étrangères s’est rendu dans la région pour soutenir les efforts diplomatiques visant à instaurer un cessez-le-feu.

Pourquoi M. Macron a-t-il appelé à la fin des ventes d’armes à Israël ?

Ces dernières années, nous avons été témoin de la montée en puissance de la société civile qui demande davantage de compte au gouvernement dans sa politique étrangère, notamment sur des questions de droits de l’Homme. Cette mobilisation a favorisé une prise de conscience de l’opinion publique poussant à une plus grande vigilance quant au rôle de la France dans les conflits, particulièrement à travers les transferts d’armes.

La société civile s’interroge quant à la volonté du gouvernement de respecter ses obligations internationales dont le Traité sur le commerce des armes des Nations Unies (TCA). En cela la déclaration du Président Macron, appelant à cesser les ventes d’armes vers Israël est une bonne chose, mais l’absence de transparence dans le domaine des transferts d’armes ne nous permet pas de savoir si les paroles sont suivies d’actes, d’autant qu’il a déjà menti sur la guerre au Yémen. En soutenant une solution politique plutôt que militaire, le président Macron semble chercher à éviter de se retrouver devant la cour pénale internationale pour complicité de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité et un plausible génocide à Gaza.

Cela pourrait expliquer pourquoi la France a adopté une position différente de celle de ses principaux alliés occidentaux, notamment les États-Unis et le Royaume-Uni, qui continuent de soutenir Israël par le biais de leurs transferts d’armes et de leurs soutiens militaires. Cette divergence est motivée, nous semble-t-il, par la pression croissante de la société civile qui n’a cessé d’amplifier les appels à la transparence et à la responsabilité dans les transferts d’armes ainsi que de dénoncer l’incohérence d’une politique étrangère qui prend des positions fortes en réponse à l’invasion de la Russie en Ukraine, mais qui se montre beaucoup plus timorée en ce qui concerne la crise de Gaza et des territoires occupés.

La position française pourrait-elle avoir un impact sur l’UE et l’ONU ?

Bien que la France ait été historiquement une puissance influente dans les affaires européennes et internationales, son poids et sa crédibilité ont diminué au cours des vingt dernières années, pour plusieurs raisons.

D’abord parce que la politique étrangère française a manqué de cohérence et de vision à long terme dû à une absence de débat ainsi qu’un dialogue limité avec la société civile. Par exemple, après la saisie d’ASER du tribunal administratif en 2018 pour contester les ventes d’armes vers la coalition dirigée par l’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis, responsables de crimes contre l’humanité au Yémen, nous avons été exclues des discussions ministérielles, ainsi qu’à l’Elysée.

La capacité de la France à influencer ses partenaires a également été grandement dépendante de la crédibilité personnelle du président. Le Président a fait illusion au début de son premier mandat mais son manque de cohérence et de maturité en matière de relations internationales est apparu au grand jour.

Enfin, la position de la France est également affaiblie par sa fragilité politique intérieure avec un gouvernement qui semble être l’otage de l’extrême droite et son refus de nommer une première ministre issue du premier groupe parlementaire à l’Assemblée nationale comme le veut la tradition. Tout cela a limité sa capacité à prendre des initiatives diplomatiques audacieuses, réduisant ainsi son impact au sein de l’UE et de l’ONU.

En somme, si la France conserve un certain poids au sein de l’UE et de l’ONU, elle n’a plus une influence aussi importante sur la scène internationale. Pour retrouver une position influente, le Président Macron devra renforcer la cohérence de sa politique étrangère, restaurer le débat au sein des institutions et avec la société civile et respecter les équilibres de la politique intérieure.

Quelles sont les chances de l’appel de la société civile en faveur d’un embargo international ?

La demande d’un embargo est un objectif symbolique fort, mais elle se heurte à des obstacles majeurs, notamment le pouvoir de veto des États-Unis au Conseil de sécurité de l’ONU, qui empêche systématiquement toute résolution contraignante contre Israël. Un changement dans la politique des États-Unis apparaît peu probable en raison des positions similaires des deux candidats à l’élection presidentielle.

Dans ce contexte, l’évolution dépendra essentiellement de la pression exercée par la société civile étasunienne, qui pourrait tenter d’influencer le Congrès pour suspendre les transferts d’armes vers Israël des mobilisations, via des actions en justice et en mettant en avant les violations du droit international, comme la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, ratifiée en 1988, et des lois américaines concernant les exportations d’armes, comme celle qui interdit tout transfert d’armes vers un pays qui bloquerait l’action humanitaire des États-Unis comme c’est le cas à Gaza.

Cependant, au-delà de l’option d’un embargo, la société civile joue un rôle essentiel dans la promotion du respect des obligations internationales en matière de droits humains et de droit humanitaire. En particulier, les OSC en France, dont ASER, mettent en avant l’article 6 du TCA, qui précise qu’aucun État ne doit autoriser le transfert d’armes qui violerait ses obligations internationales. Cela signifie que chaque pays parti au TCA a l’obligation de cesser ses propres exportations d’armes vers tout pays impliqué dans des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou un potentiel génocide – des situations que plusieurs rapports ont documentées dans les territoires palestiniens occupés.

Des pays comme le Canada, l’Espagne et l’Irlande ont déjà suspendu leurs exportations d’armes vers Israël en appliquant le TCA, illustrant qu’une réponse individuelle et indépendante est possible, même dans l’absence d’une décision collective au Conseil de sécurité. A l’occasion d’Euronaval, le salon de l’armement naval, la société civile exerce une pression croissante sur le gouvernement pour qu’il respecte ces obligations en interdisant l’entrée des entreprises d’armement israéliennes et de leurs représentants, ainsi que de la délégation israélienne. Par exemple, ASER avec d’autres OSC, a saisi le tribunal administratif de Paris pour demander la suspension d’une licence d’exportation d’armes vers Israël qui concerne des composants de munitions.

Ainsi, la société civile en France et dans d’autres pays partis au TCA, joue un rôle décisif en plaidant pour une application stricte du TCA, en mobilisant l’opinion publique, en sensibilisant les décideurs et en engageant des actions légales.

Quelles sont les chances d’un embargo européen ?

Alors que la situation à l’ONU est bloquée et qu’un embargo des Nations Unies sur les armes à destination d’Israël semble impossible, un embargo au niveau de l’UE pourrait théoriquement être envisagé. Il est toutefois peu probable, car il se heurterait à la règle du consensus qui régit les décisions de l’UE. L’Allemagne est un important fournisseur d’équipements militaires à Israël et il est peu probable qu’elle soutienne une telle mesure, notamment en raison de ses liens historiques et politiques complexes avec ce pays.

C’est pour cela que des actions d’États de l’Union européenne pourraient accroître la pression sur Israël et contribuer à un changement progressif de la dynamique du conflit en cours. Il est cependant difficile d’évaluer l’impact de ces mesures, du moins dans le cas de la France, caractérisée par un manque de transparence en matière d’exportations d’armes et de biens à double usage.

Tout État partis de la Convention de 1948 pour la prévention et la répression du crime de génocide a l’obligation de prévenir le génocide, et les États partis sont également liés par le traité sur le TCA. Dans ce contexte, tout État pourrait – et en fait devrait – suspendre ses exportations d’armes vers Israël sans attendre.