« Ce qui empêche le processus de paix, c’est l’acceptation de l’occupation, la colonisation et l’apartheid »
CIVICUS s’entretient avec Fabienne Messica, sociologue, auteur et membre du Bureau National de la Ligue des droits de l’Homme, sur la reconnaissance imminente d’un État palestinien par la France.
En juillet, la France a annoncé qu’elle reconnaîtrait l’État palestinien lors de la 80e session de l’Assemblée générale des Nations unies (ONU) en septembre. Cette décision s’inscrit dans un mouvement international plus large, 148 pays ayant déjà reconnu la Palestine et plusieurs autres, dont l’Australie, la Belgique, le Canada et le Portugal, s’apprêtant à faire de même.
Pourquoi la France a-t-elle décidé de reconnaître l’État de Palestine ?
La reconnaissance de l’État palestinien était une promesse faite par le président François Hollande en 2012. Elle a également été envisagée par l’actuel président, Emmanuel Macron, au début de son premier mandat en 2017, et elle s’inscrit dans le principe réitéré d’une paix fondée sur l’existence de deux états souverains.
En Europe, la France a été historiquement le pays le plus actif sur ce dossier, prônant à une politique d’équilibre entre les pays arabes et Israël, même si on observe depuis une vingtaine d’années un recul de son activité diplomatique en faveur de la souveraineté palestinienne.
Cependant, depuis le 7 octobre 2023, la France n’a cessé d’affirmer sa solidarité avec Israël, lui vendant un volume très important d’armement et ne condamnant que tardivement et encore faiblement les nombreux crimes perpétrés par Israël contre la population palestinienne, qualifiés de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et actes génocidaires.
Malgré cela, reconnaitre l’État palestinien maintenant c’est un moyen pour la France de reprendre un leadership sur cette question en Europe sachant qu’il n’y a rien à attendre des États Unis à part leur opposition constante.
Quelle est la situation de la reconnaissance internationale de la Palestine ?
Le droit à l’auto-détermination et donc à créer son propre État est déjà reconnu à la Palestine par la résolution 3236 adoptée par l’Assemblée générale de l’ONU en 1974. La Palestine a proclamé son indépendance en 1988. Donc, même occupé par Israël, l’État de Palestine existe.
La Palestine, déjà représentée à l’ONU et dans une série d’institutions internationales, est désormais un État observateur permanent, ce qui lui permet une large participation bien qu’elle n’ait ni le droit de vote, ni de présenter des candidats.
Il est évident que la reconnaissance par la France a un effet d’entraînement en Europe et au-delà. Il y a actuellement 12 États de l’Union européenne (UE), dont l’Espagne, l’Irlande, la Suède et bientôt le Portugal qui l’ont reconnu. D’autres pays européens comme la Belgique, Malte et le Royaume-Uni ont également exprimé leur intention de reconnaître l’État palestinien. Au niveau international, l’Australie, le Canada et la Nouvelle-Zélande ainsi que plusieurs pays asiatiques tels que la Corée du Sud, le Japon et Singapour ont annoncé vouloir cette reconnaissance suite à l’adoption d’une résolution de l’Assemblée générale le 12 septembre, soutenue par 142 pays et visant à une solution à deux États.
Il faut souligner que la reconnaissance ne crée pas un État, mais elle engage tous les États qui reconnaissent un autre État à entretenir des relations avec lui. Cela donne plus de moyens aux Palestiniens pour défendre leurs droits, mais doit s’accompagner d’autres mesures d’urgence.
Qui s’oppose à la solution à deux États ?
Tout d’abord, l’État d’Israël, par la voix du Premier ministre Benjamin Netanyahu, s’y oppose totalement. En réponse à la reconnaissance de la France, Israël pourrait fermer le consulat français à Jérusalem, qui fait office d’ambassade pour la Palestine et apporte un soutien important aux organisations de la société civile, aux associations culturelles et aux défenseurs des droits humains.
De plus, Israël a menacé tout simplement d’annexer les territoires occupés par mesure de rétorsion. Cependant, l’intensification de la colonisation et toutes les mesures prises par Israël visent déjà à rendre impossible l’existence d’un État palestinien. Il s’agit en fait d’une annexion qui ne dit pas son nom.
À gauche, certains partisans de la cause palestinienne s’opposent également à la solution à deux États, car ils considèrent l’État israélien comme illégitime. Ils fondent leurs arguments sur des questions tels que le nombre de colonies israéliennes en territoire palestinien et le fait que l’État palestinien proposé n’aura pas le droit d’avoir une armée, ce qui signifie que sa souveraineté ne sera pas entière.
Quel rôle a joué la pression citoyenne dans cette décision ?
Il est difficile de le déterminer, car cette pression n’est pas seulement française, elle est mondiale. Toutefois, on constate une prise de conscience de la responsabilité des États, y compris la France, qui soutiennent les actions d’Israël par des livraisons d’armes et la coopération économique. Il convient notamment de mentionner l’accord d’association entre l’UE et Israël, qui représente 24 % des exportations israéliennes et 31 % de ses importations en termes d’échanges économiques. Plusieurs campagnes mettent l’accent sur la responsabilité des États et attendent d’eux qu’ils agissent pour mettre fin à ces crimes et faire respecter le droit international.
La pression citoyenne souligne une vérité fondamentale : même en temps de guerre, nous devons construire la paix, car ce n’est pas la guerre qui empêche le processus de paix, mais l’acceptation d’une situation d’occupation, de colonisation et d’apartheid. C’est pourquoi la reconnaissance ne peut se substituer à l’application du droit international et donc aux sanctions contre Israël. Si les deux approches ne sont pas poursuivies conjointement, les Palestinien.nes n’en verront pas les résultats.